LE MYTHE DE PERSÉE ET DE LA GORGONE MÉDUSE ; INTRODUCTION AUX SIX PREMIERS TRAVAUX D’HÉRACLÈS

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Cette page propose une interprĂ©tation du mythe des Danaides, de celui de PersĂ©e et la Gorgone MĂ©duse ainsi que de la naissance et de la jeunesse d’HĂ©raclĂšs.

Zeus se change en pluie d'or pour féconder Danaé, la mÚre de Persée

Zeus fĂ©conde DanaĂ© sous la forme d’une pluie d’Or. MusĂ©e du Louvre

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Les deux grands hĂ©ros, PersĂ©e et son arriĂšre-petit-fils HĂ©raclĂšs, se situent dans la descendance du Titan OcĂ©anos qui symbolise l’ouverture de la conscience dans l’évolution (Κ+Ν) par la recherche du contact avec la RĂ©alitĂ© intĂ©rieure (TĂ©thys).

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Ils figurent plus particuliĂšrement dans la branche du fleuve Inachos qui reprĂ©sente « l’évolution du rassemblement de la conscience » ou « l’évolution de la concentration » ou encore « l’évolution vers le vide, vers l’abolition de l’ego » selon la valeur donnĂ©e au Khi.
Cette lignĂ©e, rappelons-le, concerne la « psychisation » de l’ĂȘtre par la voie de la nature en perfectionnant, purifiant et libĂ©rant ses processus.

L’Inachos est le grand fleuve d’Argolide, la patrie des « lumineux », des « purs (argiens) » et donc des « chercheurs de vĂ©rité ».

Selon les auteurs, il est soit le pĂšre, soit l’un des ancĂȘtres d’Io « l’ouverture de la conscience dans l’incarnation ». Dans ce dernier cas, les gĂ©nĂ©rations furent intercalĂ©es, soit pour introduire les Argiens et faciliter la comprĂ©hension (PhoronĂ©e « celui qui porte en avant l’évolution », NiobĂ© « l’incarnation de la conscience » et Argos « le lumineux »), soit pour rendre cohĂ©rent le nombre de gĂ©nĂ©rations dans les lignĂ©es. Cette mise en cohĂ©rence qui reprĂ©senta une vĂ©ritable gageure pour nombre de mythologues anciens.
À partir d’Io, les sources convergent. On rencontre d’abord dans sa succession son fils Épaphos « l’attouché », c’est-Ă -dire « celui qui a expĂ©rimentĂ© le toucher de l’Absolu », ou encore « le premier contact du chercheur avec son ĂȘtre intĂ©rieur », puis les jumeaux BĂ©los et AgĂ©nor dont les descendances dĂ©crivent respectivement les enseignements thĂ©oriques et pratiques de la « purification » et de la « libĂ©ration ».

La branche d’AgĂ©nor (la purification) se divise Ă  son tour en deux sous-branches : Cadmos ouvre la lignĂ©e royale de ThĂšbes dont le but ultime est la rĂ©-harmonisation et transformation des centres d’énergie, et Europe initie celle de CrĂšte qui concerne l’ouverture de la conscience et la consĂ©cration, ainsi que les problĂšmes « d’auto-enfermement » dans les structures mentales (le Minotaure) quand fait dĂ©faut cette consĂ©cration.

La branche de BĂ©los, quant Ă  elle, expose les enseignements en vue de la libĂ©ration, notamment par la victoire sur la dĂ©formation de l’énergie de vie, dont la peur (PersĂ©e) et par les travaux d’HĂ©raclĂšs.
Les exploits de PersĂ©e, loin de reprĂ©senter les seules victoires du dĂ©but du chemin, se prolongent jusqu’à des niveaux de conscience qui ramĂšnent le chercheur aux origines de la vie sur Terre, car l’homme garde la mĂ©moire de son Ă©volution par des processus dont le fonctionnement nous Ă©chappe encore en majeure partie.

Les ancĂȘtres communs de PersĂ©e, HĂ©raclĂšs, ƒdipe et Europe

PersĂ©e Ă©tant un ancĂȘtre d’HĂ©raclĂšs, les cĂ©lĂšbres « travaux » auront pour « projet » ou comme « ambiance » ce qui est illustrĂ© par sa victoire sur la Gorgone MĂ©duse, sur l’altĂ©ration de l’énergie de vie.

Le fils d’Inachos, PhoronĂ©e « celui qui porte l’évolution » est rĂ©putĂ© avoir rassemblĂ© les premiers habitants de la future Argos, confirmant l’impulsion lancĂ©e par son pĂšre Inachos « l’évolution d’un rassemblement de la conscience, d’une concentration ». Il reprĂ©sente une prĂ©paration Ă  la quĂȘte – la  future  Argos Ă©tant  la ville des chercheurs – et ouvre le chemin de ceux qui veulent accĂ©lĂ©rer en eux-mĂȘmes le rythme de l’évolution.

Le chercheur dĂ©butant se doit de reconnaĂźtre qu’il est le thĂ©Ăątre d’impulsions et dĂ©sirs contradictoires, d’un dĂ©sordre de pensĂ©es et d’émotions mĂȘlĂ©es, et de fonctionnements inexacts gĂ©nĂ©rĂ©s par les « nƓuds » de l’évolution.
De plus, il peut observer que chacune des parties de son ĂȘtre Ɠuvre Ă  son propre profit. En gĂ©nĂ©ral, le mental et le vital imposent leurs volontĂ©s au corps qui n’a pas d’autre alternative que de tomber malade pour manifester son dĂ©saccord. Et le vital, toujours affamĂ© de sensations, se moque bien des idĂ©aux que poursuit le mental ; ou bien, s’il est rĂ©primĂ©, il manifeste son mĂ©contentement par diffĂ©rents symptĂŽmes, comme la dĂ©pression.

Pour les Anciens, l’homme qui n’a pas encore vraiment commencĂ© « à se rassembler » est semblable Ă  Inachos, celui qui selon la lĂ©gende « n’est pas encore humain ». Il n’a Ă©tĂ© sensible Ă  aucun appel intĂ©rieur vers quelque chose de plus grand. Il n’a eu encore aucune expĂ©rience d’ « éveil », de quelque chose qui « existe vraiment ». Il est un pantin soumis aux multiples influences qui le traversent, mĂȘme si l’habitude de rĂ©pondre Ă  certaines d’entre elles, toujours les mĂȘmes, lui donnent une impression de continuitĂ© qu’il appelle « moi ».
Sa spiritualitĂ© est encore trĂšs fortement liĂ©e au vital, comme l’indique le nom de la femme d’Inachos, MĂ©lia, une nymphe dont le nom signifie « frĂȘne ».
HĂ©siode raconte en effet qu’au temps de Cronos, les hommes allaient chercher « le feu du ciel » au sommet des frĂȘnes, avant que Zeus ne les en prive pour se venger de PromĂ©thĂ©e : la jonction avec l’Absolu s’opĂ©rait alors par le plus haut niveau du vital (transes, Ă©motions esthĂ©tiques, etc.).
L’homme qui est dĂ©crit ici vit donc ordinairement dans sa personnalitĂ© extĂ©rieure et sa spiritualitĂ© est vĂ©cue comme le sommet du sentiment. Il ne s’est pas encore retournĂ© vers son monde intĂ©rieur.

En suivant la descendance d’Inachos, nous trouvons tout d’abord son fils PhoronĂ©e « celui qui entraĂźne (ou porte) l’évolution ». Il fut le premier gouverneur d’Argos, rĂ©putĂ© « avoir Ă©tabli les premiers Ă©lĂ©ments de civilisation » (symboles d’une mise en ordre de la personnalitĂ©) « et instituĂ© les cultes principaux »  (les premiers contacts avec l’ĂȘtre intĂ©rieur). Les habitants d’Argos prĂ©tendaient mĂȘme que c’était PhoronĂ©e et non PromĂ©thĂ©e qui avait apportĂ© aux hommes « le feu d’en haut » : selon cette affirmation, le feu intĂ©rieur, Agni, qui est aussi la volontĂ© illuminĂ©e, peut donc naĂźtre soit de la voie de l’ascension des plans de conscience (par PromĂ©thĂ©e, fils de Japet), soit de celle de l’ouverture au Divin intĂ©rieur par la purification-libĂ©ration (PhoronĂ©e) sur la voie de la psychisation de l’ĂȘtre.

PhoronĂ©e fut dĂ©signĂ© comme arbitre dans la querelle qui opposa HĂ©ra Ă  PosĂ©idon pour la suprĂ©matie sur Argos, la citĂ© symbolique des chercheurs. Il trancha en faveur d’HĂ©ra aprĂšs avoir consultĂ© son pĂšre Inachos et deux autres dieux fleuves, CĂ©phise « mental logique stable » et AstĂ©rion « éclats de lumiĂšre ». Le chercheur dĂ©butant se demande alors s’il doit se laisser guider par son subconscient (PosĂ©idon) ou se plier au cadre d’une ascĂšse juste (HĂ©ra). Ce n’est pas en effet l’expansion de la conscience (Zeus) qui s’oppose Ă  PosĂ©idon mais bien sa contrepartie (HĂ©ra, celle qui limite et « cadre »).
PosĂ©idon fut si furieux qu’il assĂ©cha nombre de riviĂšres d’Argolide, appelĂ©e depuis ce jour « Argos l’assoiffĂ©e » : le chercheur qui pĂ©nĂštre sur le chemin connaĂźt dĂšs lors un « manque » gĂ©nĂ©rĂ© et entretenu par le subconscient, une soif insatiable qui fait le lit de son « aspiration ».

Certains auteurs lui donnent un frĂšre AĂ©gialĂ©e « ΑÎčÎłÎčαλΔυς le bord de la mer, le rivage » qui offre l’image d’une Ă©mergence hors du monde de la vie Ă©motionnelle. (La structure du nom ΑÎčÎłÎč+, indique aussi une impulsion spirituelle vers la libertĂ©.)
Certains disent qu’il fut le premier « mortel », c’est-Ă -dire le premier Ă  entrer dans la dualitĂ©, Ă  se vivre comme « sĂ©paré ». Cette prise de conscience correspond Ă  l’entrĂ©e dans le monde rĂ©flexif du discernement illustrĂ© dans la GenĂšse par l’avertissement de Yahvé : « à l’arbre qui est au milieu du jardin vous ne toucherez pas, car alors vous mourrez ».

Il est dit aussi que PhoronĂ©e fut le pĂšre des hommes mortels et rassembla les premiers habitants d’Argos sans que l’on se souciĂąt de leur origine : c’est-Ă -dire que cette phase reprĂ©sente pour le futur chercheur un moment oĂč il commence Ă  « se rassembler » sans chercher Ă  trier en lui le bon du mauvais. Jusqu’alors, ses aspirations Ă©taient disparates, souvent rĂ©sultat d’une sensibilitĂ© mise Ă  mal. Il se rĂ©fĂ©rait aux notions de vertu et de vice, de bien et de mal. Bien qu’en dĂ©saccord avec le monde, en attente d’autre chose, il n’a pas encore rassemblĂ© et orientĂ© ses Ă©nergies dans une direction prĂ©cise, encore incapable de discerner les Ă©lĂ©ments de sa vie qu’il doit conserver ou rejeter.

AĂ©gialĂ©e n’eut pas de descendance. PhoronĂ©e Ă©pousa une nymphe nommĂ©e le plus souvent TĂ©lĂ©dikĂ© « la juste maniĂšre d’agir dans le futur » qui exprime l’aspiration du chercheur Ă  savoir ce qu’il doit faire, vers oĂč s’orienter. Celle-ci lui donna un fils Apis, qui est sans lĂ©gende particuliĂšre et une fille NiobĂ© (Il ne faut pas confondre cette hĂ©roĂŻne avec une autre NiobĂ© homonyme, fille de Tantale).

NiobĂ© « l’incarnation de la conscience en Ă©volution » fut appelĂ©e la premiĂšre femme, la mĂšre de tous les vivants car elle fut la premiĂšre femme mortelle Ă  avoir eu un enfant de Zeus, Argos. C’est pour le chercheur la premiĂšre influence des plans supĂ©rieurs (le surmental) dans une nature « sĂ©parĂ©e », la premiĂšre expĂ©rience que « ça existe », qu’il y a un Ă©tat « vrai, joyeux, lĂ©ger, simple et lumineux » qui donne l’impression que tout le reste est mort ou endormi.
Niobé eut deux fils, Argos et Pélasgos, le « lumineux » et « le sombre ».

PĂ©lasgos

Avant de poursuivre avec la lignĂ©e principale d’Argos, nous devons examiner la descendance de PĂ©lasgos, premier roi des PĂ©lasges. Il est le symbole de la partie du chercheur « qui avance dans l’obscurité » (la racine ΠΔλ signifiant en effet « sombre ») dans le monde mĂ©langĂ© du vital Ă©motionnel et du mental, et sans doute aussi le symbole de l’humanitĂ© qui se contente de suivre le rythme lent de l’évolution selon la nature.
Dans les lĂ©gendes arcadiennes, ces PĂ©lasges sont nommĂ©s « prĂ©-SĂ©lĂ©niens » (SĂ©lĂ©nĂ© est la dĂ©esse de la lune) et « habitaient dans leurs maisons rudimentaires avant mĂȘme que la lune ne s’élĂšve pour la premiĂšre fois dans le ciel » : ils reprĂ©sentent une humanitĂ© qui n’a pas encore conscience de l’existence d’un Moi vrai. Ils Ă©taient des « autochtones », c’est-Ă -dire des « nĂ©s du sol », et pour l’évolution spirituelle « les premiers hommes ».
Le mot PĂ©lasges peut avoir plusieurs origines, soit ï°ï„ïŹïĄï– (prĂšs)+, « ceux qui sont prĂšs du commencement », soit la racine ï°ï„ïŹ (ĂȘtre sombre) + racine ïĄï§ (mener, conduire) « ceux qui sont conduits dans l’obscuritĂ© (dans l’inconscience) ».
Ce nom peut aussi provenir du mot ï°ï„ïŹïĄï§ïŻï– « la pleine mer ». PĂ©lasgos est alors l’image de l’humanitĂ© qui est encore immergĂ©e dans le monde mouvant et mĂ©langĂ© des Ă©motions, dans la phase de maturation des sentiments.
Peut-ĂȘtre les textes Ă©gyptiens parlant « d’envahisseurs venus de la mer » vers le XIIe siĂšcle avant J.-C. ont-ils pris la mĂȘme image pour dĂ©crire des peuples ayant Ă  peine Ă©mergĂ© du monde fusionnel des sentiments et des passions. Les historiens, par la suite, ont associĂ© ces PĂ©lasges Ă  un peuple « venu de la mer », le plus ancien de la GrĂšce archaĂŻque, mais il s’agit le plus probablement d’une image symbolique.
Les PĂ©lasges furent chassĂ©s du PĂ©loponnĂšse par les Lapithes, comme nous le verrons plus loin, car ces derniers travaillĂšrent Ă  Ă©liminer les mĂ©langes avec le vital. (Du point de vue historique, ce sont les AchĂ©ens qui chassĂšrent les PĂ©lasges, ce qui ne fait guĂšre de diffĂ©rence car les AchĂ©ens reprĂ©sentent « l’évolution du rassemblement de la conscience » et sont donc porteurs du mĂȘme symbolisme que les Lapithes.)
Argos et PĂ©lasgos sont, dans la branche d’OcĂ©anos, les Ă©quivalents de PromĂ©thĂ©e et d’ÉpimĂ©thĂ©e (ou de Deucalion) dans la branche de Japet, ou du premier CĂ©crops dans celle des rois d’AthĂšnes.

PĂ©lasgos s’unit Ă  CyllĂšne et lui donna un fils Lycaon. Celui-ci eut de diffĂ©rentes femmes cinquante fils, impies et arrogants, qui moururent de la main de Zeus car ils avaient mĂȘlĂ© de la chair humaine Ă  la viande du sacrifice et l’avaient offerte comme repas au dieu horrifiĂ©. Pour certains, ce fut Lycaon qui offrit ce repas et qui fut alors changĂ© en loup.

PĂ©lasgos « celui qui marche dans l’obscurité », en s’unissant Ă  CyllĂšne « tordue, dĂ©formĂ©e » s’engage sur un « chemin dĂ©vié ». Il gĂ©nĂšre cependant une « lumiĂšre mentale naissante », Lycaon, qui Ă©claire la croissance de la personnalitĂ© dans sa structuration et ses capacitĂ©s de rassemblement. En effet, Lycaon fonda la plus ancienne ville de GrĂšce, Lykosura, qui servait « de point de rassemblement aux habitants dispersĂ©s ».
Ses cinquante fils expriment la pleine maturitĂ© de la personnalitĂ© (cinq, nombre de la forme, multipliĂ© par dix, Ă©tat complet au niveau supĂ©rieur). Mais l’homme qui n’est pas entrĂ© dans la quĂȘte se maintient dans une anthropomorphisation de l’Absolu. En offrant Ă  Zeus de la chair humaine, ils tentent de rabaisser le divin au niveau humain.
(Il ne faut pas confondre ce Lycaon avec son homonyme, pĂšre de Callisto « la plus belle » et fondateur de la lignĂ©e royale d’Arcadie dans laquelle figurent AugĂ© – l’une des unions tardives d’HĂ©raclĂšs postĂ©rieure aux travaux – et Atalante « l’égalité », la grande hĂ©roĂŻne de la chasse au sanglier de Calydon.)

Argos

Fils de NiobĂ© et de Zeus, Argos reprĂ©sente le processus de « l’incarnation de la conscience en Ă©volution » dans le prolongement du « rassemblement de l’ĂȘtre » (Inachos).
Le nom Argos recouvre plusieurs notions relatives au chercheur : « brillant, lumineux », « pur » (lorsque cet adjectif dĂ©crit une matiĂšre brute) et « rapide ». Pour HomĂšre, les chercheurs sont d’abord des Argiens, mais ils portent parfois d’autres noms selon l’orientation principale de leur yoga ou la partie mise en avant Ă  un certain moment du chemin (AchĂ©ens pour la concentration, Danaens pour l’union, etc.).
C’est seulement Ă  cette Ă©tape, lorsqu’apparait une forte aspiration Ă  « autre chose », Ă  un autre monde, aprĂšs un premier contact avec « Cela qui existe », que l’on peut employer le terme « chercheur de vĂ©rité »,que les anciens qualifiaient aussi de « vivant ».

Quelle est cette mise en mouvement, à quelle expérience peut-on la rattacher ? Et comment peut-on caractériser plus précisément cette transition vers « le monde vivant » ?
Si Argos reprĂ©sente le rĂ©sultat d’une expĂ©rience spirituelle, il s’agit de cette capacitĂ© nouvelle Ă  distinguer en soi le sombre « PĂ©lasgos » du lumineux « Argos », le vrai du faux, Ă  vouloir progresser dans une voie d’incarnation (NiobĂ©). L’idĂ©e de traverser les Ă©tapes aussi rapidement que possible est Ă©galement incluse dans le nom Argos.

Certains auteurs ont ignorĂ© les gĂ©nĂ©rations entre Inachos et Io, ne situant l’entrĂ©e dans la quĂȘte que lors de la premiĂšre ouverture de conscience (Io) ou lors du premier « attouchement » de l’Absolu (Épaphos « l’attouché », petit-fils ou arriĂšre-petit-fils d’Argos).

Les mythes n’offrent ici que peu d’élĂ©ments pour dĂ©terminer les signes prĂ©alables Ă  l’entrĂ©e du chercheur sur le chemin : une capacitĂ© progressive Ă  « se rassembler » (Inachos), un mouvement pour « incarner ce dont on est conscient » (NiobĂ©), c’est-Ă -dire une certaine facultĂ© d’accorder ses actes Ă  sa conscience intĂ©rieure, ainsi qu’un dĂ©veloppement suffisant de la personnalitĂ© (les cinquante fils de Lycaon).
Les maĂźtres de sagesse anciens ont davantage insistĂ© sur les aptitudes nĂ©cessaires pour les Ă©tapes plus avancĂ©es, par le biais de listes de hĂ©ros participant aux grandes Ă©popĂ©es. Mais les conditions requises Ă  l’abord du chemin dĂ©pendent trop des individus – certains chercheurs sont rebelles, d’autres soumis, certains vivent dans une insatisfaction ou un perpĂ©tuel malaise, d’autres dans une certaine joie de vivre, etc. – et de la spĂ©cificitĂ© des voies pour tenter d’en dresser une liste.

Argos n’a pas de lĂ©gende particuliĂšre. Il a seulement pour fonction d’introduire la lignĂ©e des chercheurs de vĂ©ritĂ©.

Il fut remplacĂ© sur le trĂŽne par son fils Iasos « la conscience humaine », ou Peiren, ou Peiras, ou Peirasos, ou Peiranthos, tous noms qui expriment « l’effort » et « l’expĂ©rience » (ΠΔÎčραω, s’efforcer). Le chemin spirituel est en effet marquĂ© pendant trĂšs longtemps par la nĂ©cessitĂ© de l’effort personnel jusqu’à ce que la transformation soit prise en main directement par l’Absolu. Peiren, dans la tradition la plus ancienne, est le pĂšre d’Io. Mais Ă  partir des Tragiques, Sophocle, Eschyle et Euripide, Io est directement la fille d’Inachos et les anciens s’y rĂ©fĂšrent comme telle.
DĂ©terminer pour chacun la nature de cet « effort » et la discipline nĂ©cessaire au regard des buts que l’on se donne (contact du Divin intĂ©rieur par la sincĂ©ritĂ©, extension de la conscience
), n’est pas chose aisĂ©e si l’on veut Ă©viter les piĂšges et excĂšs de toutes sortes. C’est pour cela que les grands initiĂ©s recommandent le plus souvent de suivre les directives d’un maĂźtre ou « guru ». Pour guider ses disciples, ce dernier est censĂ© avoir rĂ©alisĂ© l’union avec son Ăąme, la RĂ©alitĂ© intĂ©rieure, afin de pouvoir diriger le disciple selon « l’ordre juste ». La recherche du maĂźtre constitue le plus souvent une Ă©tape importante au dĂ©but du chemin.
Mais il semblerait qu’à notre Ă©poque, au maximum de l’influence des forces de sĂ©paration dans le mouvement cyclique, il soit de plus en plus difficile de rencontrer un maĂźtre vivant authentique. L’alternative est alors de suivre son propre chemin en prenant la vie et le non-moi comme guide. Jiddu Krishnamurti a engagĂ© chacun Ă  prendre « l’attention totale » comme guide, la vie elle-mĂȘme Ă©tant alors le maĂźtre. L’idĂ©al serait selon Sri Aurobindo que chacun puisse progressivement Ă©laborer sa propre mĂ©thode de perfectionnement de soi (yoga).

Io Ă©tait une belle et innocente jeune fille. Son pĂšre en fit une prĂȘtresse d’HĂ©ra. Zeus la sĂ©duisit et fut surpris par sa femme HĂ©ra tandis qu’il l’étreignait. Jurant qu’il n’avait pas couchĂ© avec elle, il transforma aussitĂŽt Io en une gĂ©nisse d’une magnifique blancheur. HĂ©ra exigea cependant que celle-ci lui soit confiĂ©e. Elle en donna la garde Ă  Argos-Panoptes (Argos qui-voit-tout) qui Ă©tait rĂ©putĂ© ne jamais dormir. Ce dernier Ă©tait aussi appelĂ© Argos-aux-Cent-Yeux car il avait selon certains des yeux sur tout le corps lui permettant une vision panoramique (ou selon d’autres, deux autres yeux Ă  l’arriĂšre du cou). Zeus aurait alors ordonnĂ© Ă  HermĂšs d’aller dĂ©livrer son amante, ce que fit ce dernier, tuant mĂȘme Argos-aux-Cent-Yeux selon certains auteurs.
HĂ©ra, voyant son plan dĂ©jouĂ©, envoya contre Io un taon fĂ©roce qui s’attachait Ă  ses flancs et la piquait sauvagement. Aussi Io dut-elle fuir perpĂ©tuellement. Elle traversa ainsi l’EubĂ©e, la Thrace, le golfe « Io-nien » et le Bosphore (le « passage de la vache »). Finalement, elle se rĂ©fugia en Égypte oĂč Zeus lui rendit sa forme humaine. LĂ , elle mit au monde Épaphos, fruit de ses amours avec le dieu.

L’histoire d’Io, comme la plupart des mythes, peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une expĂ©rience isolĂ©e ou comme un processus se renouvelant de nombreuses fois dans le cadre d’une progression vers la libĂ©ration. C’est pour cela que certains auteurs donnĂšrent Ă  Io un « époux humain » du nom de TĂ©lĂ©gonos « ce qui naĂźt au loin ».

Io (ΙΩ) symbolise « l’existence-conscience (Ι) », non celle qui s’élĂšve vers les plans de l’esprit, mais celle qui s’ouvre au rĂ©el, Ă  l’incarnation, Ă  la matiĂšre, car la deuxiĂšme lettre de son nom est un omĂ©ga ().
Son pĂšre en fit une prĂȘtresse d’HĂ©ra : le chercheur est initiĂ© « au mouvement juste » (HĂ©ra) nĂ©cessaire Ă  son dĂ©veloppement et Ă  la purification de sa personnalitĂ©.
AppelĂ©e par les anciens « la fille d’Inachos », elle incarne le « rassemblement de l’ĂȘtre » qui attire une rĂ©ponse des plans supĂ©rieurs (Zeus), mĂȘme si le futur chercheur ne peut faire le lien Ă  ce moment du chemin avec la façon dont il conduit sa vie. Par rassemblement il faut entendre une certaine capacitĂ© Ă  faire fonctionner conjointement mais indĂ©pendamment les diffĂ©rentes parties de son ĂȘtre, ce qui Ă©vite d’ĂȘtre le jouet des multiples influences extĂ©rieures.

La réponse des plans supérieurs se manifeste par une premiÚre « expérience » dans le domaine de la « connaissance éclairante». Dans les Védas, la vache est en effet le symbole de la « connaissance illuminatrice ».
C’est un moment dont on peut dire « Ça existe », perçu comme Ă©tant de l’ordre de « l’existence vraie », du « Vivant ». Le chercheur vit un accord total entre l’extĂ©rieur et l’intĂ©rieur. Il n’est plus tirĂ© par les Ă©vĂšnements hors de lui-mĂȘme, mais renforcĂ© au contraire dans un sentiment d’unitĂ© et de totale cohĂ©rence.
Tous les hommes ont probablement vécu au moins une fois cette expérience, si fugitive soit-elle, que ce soit dans la nature, en écoutant une musique ou lors de toute autre activité.

Le mensonge de Zeus Ă  HĂ©ra montre que le chercheur sait qu’il s’est passĂ© quelque chose (la conception d’Épaphos « l’attouché ») en relation avec le plus haut de sa conscience, mais qu’il ne peut en connaĂźtre l’origine ni intĂ©grer cet Ă©vĂšnement dans son Ă©volution.
Toutefois, si la tendance de Zeus est d’accĂ©lĂ©rer le mouvement Ă©volutif, celle d’HĂ©ra, la puissance qui en supervise le juste dĂ©roulement, est d’en garder le total contrĂŽle. Et comme Io est sa prĂȘtresse, et donc une partie qui lui est intimement consacrĂ©e, HĂ©ra contrecarre aisĂ©ment les effets de son auguste Ă©poux. Pour cela, elle dĂ©ploie dans le chercheur un cadre puissant sous la forme d’un Argos homonyme, Argos-qui-voit-tout (Argos « Panoptes »). Ce n’est pas une force nĂ©gative d’opposition, mais une puissance lumineuse (Argos) qui oblige Ă  la « vigilance » dans toutes les directions, sur tous les plans de l’ĂȘtre.
Selon certains, la gĂ©nisse Io fut attachĂ©e Ă  un olivier, symbole d’une nĂ©cessaire purification.

La vigilance des dĂ©buts doit inciter le chercheur Ă  devenir conscient de ses mouvements intĂ©rieurs. Cette premiĂšre exigence du chemin spirituel est aussi exprimĂ©e par l’un des cadeaux de Zeus Ă  Europe, un chien qui ne laisse Ă©chapper aucune proie. A la fin du processus, cette vigilance sera une attention totale Ă  ce qui est.
Argos-aux-Cent-Yeux appartient le plus souvent Ă  la lignĂ©e royale d’Argos. Certains disent qu’il acquit sa renommĂ©e en accomplissant plusieurs exploits.
Tout d’abord, il dĂ©livra l’Arcadie d’un taureau qui ravageait le pays puis il mit fin aux mĂ©faits d’un satyre qui causait de grands dommages.  Un taureau blanc ou « magnifique » est le symbole du pouvoir du mental lumineux. Mais lorsqu’un taureau ravage la contrĂ©e environnante, on doit l’associer simplement Ă  un mental puissant non purifiĂ© qui travaille donc pour l’ego et fait obstacle Ă  l’engagement sur le chemin.
AprĂšs sa mort, HĂ©ra disposa les yeux d’Argos sur le plumage du paon, son animal symbolique. La dĂ©esse proclamait ainsi qu’elle veillait sur la totalitĂ© de l’évolution et que rien ne pouvait lui Ă©chapper : on ne peut prĂ©tendre passer certains seuils et atteindre Ă  ce qu’elle reprĂ©sente, l’exactitude en toutes choses, si une purification correspondante n’est pas rĂ©alisĂ©e.

Avec Argos-aux-Cent-Yeux, le chercheur qui s’engage sur le chemin dĂ©couvre qu’il doit devenir conscient de ce qui se passe en lui sur tous les plans : quelles sont les Ă©motions, les sentiments, les pulsions, les dĂ©sirs, les pensĂ©es qui l’agitent ou le traversent Ă  tout moment, quelles sont ses attitudes, ses habitudes, ses attachements, etc.
Il ne s’agit pas d’une auto-surveillance fondĂ©e sur une quelconque morale, ce qui n’aurait pour consĂ©quence que de renforcer l’ego, mais d’un regard sincĂšre sur les mouvements intĂ©rieurs.
Le chercheur s’aperçoit alors que son mental est un capharnaĂŒm ou s’agitent en tous sens des pensĂ©es souvent incongrues dont il ne connaĂźt ni la source ni la raison.
Il dĂ©couvre bien vite l’ambiguĂŻtĂ© des sentiments qui peuvent Ă  tout moment s’inverser, comme si une mĂȘme vibration Ă©tait porteuse, sur un certain plan, des opposĂ©s. De mĂȘme, il s’aperçoit qu’une pensĂ©e ou attitude « positive » Ă  l’égard d’un autre peut soulever chez lui une rĂ©action inverse. En approfondissant sa recherche, il verra en lui-mĂȘme la potentialitĂ© de tous les mouvements humains. Il cessera alors progressivement de se croire vertueux et de s’indigner de mĂ©faits dont il est fondamentalement solidaire.

Lorsqu’Argos-Panoptes a suffisamment ƓuvrĂ©, Zeus envoie HermĂšs (la connaissance surmentale qui symbolise ici une intĂ©gration, une prise de conscience) afin de libĂ©rer Io sans toutefois lui rendre sa forme humaine.

Cependant, HĂ©ra maintient son opposition en envoyant un taon, ce qui provoque une fuite dĂ©sordonnĂ©e de la gĂ©nisse Io en de nombreux pays : le chercheur doit encore « éclairer » les nombreux territoires de son ĂȘtre, sans ordre prĂ©Ă©tabli (une errance), sous l’effet d’un harcĂšlement mental intĂ©rieur qui ne lui laisse aucun rĂ©pit (le taon), afin de se prĂ©parer Ă  l’expĂ©rience initiale (le temps de la gestation d’Épaphos).
Cette action d’HĂ©ra permet que rien ne soit laissĂ© en arriĂšre, que l’action supĂ©rieure se manifeste dans la totalitĂ© de l’ĂȘtre et porte ses fruits avec le fils d’Io, Épaphos « celui qui a reçu l’attouchement du RĂ©el ».

Cette pĂ©riode d’intĂ©gration laisse le chercheur dans un Ă©tat d’insatisfaction qui lui donne toujours l’envie d’ĂȘtre ailleurs, de poursuivre quelque chose qu’il ne peut dĂ©finir. Si tout le monde vit dans le sentiment flou d’un manque, avec l’espoir toujours déçu que le futur apporte un remĂšde, le chercheur vit cette situation encore plus intensĂ©ment que les autres. C’est ce besoin qui nourrit son aspiration, laquelle le soutiendra tout au long du chemin. Une aspiration qui n’est pas un dĂ©sir, mais une soif. Non pas une volontĂ© de prĂ©dation, mais un mouvement d’ouverture.
Son insatisfaction le conduit Ă  ĂȘtre toujours en mouvement, sans pouvoir s’arrĂȘter dans les situations confortables de l’existence.

Dans le mythe primitif, l’errance d’Io semble s’ĂȘtre limitĂ©e Ă  l’Argolide (depuis la ville d’Argos jusqu’à une colline nommĂ©e Euboia), Ă  tout le moins Ă  l’EubĂ©e, province d’une « bonne incarnation ».
Les auteurs tardifs ont Ă©largi le pĂ©rimĂštre de son errance jusqu’en Égypte oĂč elle accoucha d’Épaphos.
Les lieux du passage de la vache indiquent la direction vers laquelle le chercheur doit se diriger : le golfe Io-nien « lieu (protĂ©gĂ©) de l’évolution de la conscience », le Bosphore « le passage de la vache » qui marque les portes de l’Orient, c’est-Ă -dire la direction du « Nouveau » et le dĂ©but de l’engagement dĂ©finitif sur le chemin. (Car l’Orient, lieu oĂč le soleil se lĂšve, a toujours Ă©tĂ© le signe du nouveau.)

Épaphos prit pour femme Memphis, une fille du dieu Nil, le dieu-fleuve ou courant de conscience qui soutient « l’évolution de l’individuation ».

La ville de Memphis Ă©tait la capitale de l’Ancien Empire Ă©gyptien et la rĂ©sidence des pharaons. Elle fut fondĂ©e trois mille ans environ avant notre Ăšre et rassemblait l’hĂ©ritage de la connaissance spirituelle de l’humanitĂ©. Elle Ă©tait le centre du culte du dieu Ptah, lequel fut adorĂ© comme le crĂ©ateur du monde.
Le mot Égypte aurait alors Ă©tĂ© construit Ă  partir de ΑÎčÎł+Ptah, avec le sens de « qui est conduit selon l’ordre divin par le dieu Ptah ». En Ă©gyptien, il trouverait son origine dans Hwt-ka-pth « le lieu de l’ñme de Ptah ». Ce nom semble avoir Ă©tĂ© utilisĂ© par les seuls Grecs. Pour les Égyptiens, leur pays s’appelait Kemet (KMT) au temps des Pharaons et il est nommĂ© de nos jours MISR.

Cette introduction de noms Ă©gyptiens dans la gĂ©nĂ©alogie semble Ă©tablir une filiation entre les spiritualitĂ©s grecque et Ă©gyptienne. Les initiĂ©s grecs prĂ©sumaient sans doute que la premiĂšre expĂ©rience d’ouverture psychique eut lieu en Égypte. Pour eux, Épaphos fut en effet le grand fondateur des citĂ©s de l’Égypte primitive, c’est-Ă -dire Ă  l’origine de « constructions cohĂ©rentes » des principes Ă©volutifs. Une ville peut en effet ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme le symbole « d’une Ă©laboration cohĂ©rente », principalement mentale.

Épaphos eut de Memphis deux ou trois enfants selon les auteurs, mais seule Libye a une importance pour nous en tant que continuatrice de la lignĂ©e.
Avec Io et Libye, nous avons deux exemples de filiations qui se poursuivent par les femmes. Ceci, rappelons-le, ne peut se produire que si l’union a lieu avec un dieu.
En mĂȘme temps qu’une description symbolique de l’évolution, le mythe semble indiquer les civilisations qui furent tĂ©moins de ces premiĂšres rĂ©alisations. Plusieurs gĂ©nĂ©rations de souverains, aprĂšs Io, rĂ©gnĂšrent sur l’Égypte. La ville qui porte le nom de Memphis, femme d’Épaphos, placĂ©e sous la protection du dieu Ptah, en Ă©tait la capitale sous l’Ancien Empire.
Selon la tradition, son fondateur, le roi MĂ©nĂšs, unifia pour la premiĂšre fois « les deux terres » : il s’agit selon la comprĂ©hension courante, de l’unification de la haute et de la basse Égypte, mais peut-ĂȘtre pouvons-nous y voir le symbole d’une premiĂšre unification de la matiĂšre et de l’esprit ou des pĂŽles opposĂ©s. Dans les VĂ©das, le Rishi (le Voyant) est « le fils des deux mĂšres », de la vache lumineuse Aditi, la crĂ©atrice des mondes, et de la vache noire Diti, la MĂšre de l’infini tĂ©nĂ©breux et de l’existence divisĂ©e.

Son nom indique « l’incarnation () du processus d’individuation () ».
AprĂšs la concrĂ©tisation de la premiĂšre expĂ©rience d’« attouchement » de l’Absolu (Épaphos), le chercheur retombe dans une Ă©volution presque totalement subconsciente, car Libye eut pour amant PosĂ©idon.
Il faudra attendre cinq générations pour que se produise avec Danaé une nouvelle impulsion lumineuse des plans supérieurs.

Des amours de Libye et PosĂ©idon naquirent des jumeaux, AgĂ©nor et BĂ©los, Ă  l’origine des trois grands mythes qui feront l’objet de prochains chapitres, ceux d’ƒdipe, HĂ©raclĂšs et Europe-DĂ©dale.
Comme jumeaux, ils illustrent des enseignements que nous devrons considĂ©rer en parallĂšle, mĂȘme si nous les traitons successivement.

La premiĂšre branche est issue d’AgĂ©nor « courageux, hĂ©roĂŻque », ou avec les lettres structurantes « la poussĂ©e de l’évolution ». Il Ă©pousa TĂ©lĂ©phassa, « la colombe au loin ». Plus encore que de paix, cet oiseau est symbole de puretĂ©, au sens de « non mĂ©lange ». Les mythes de cette branche – ceux d’ƒdipe et des guerres de ThĂšbes, d’Europe et du Minotaure – exposent donc la progression du travail de purification.
Cette orientation revĂȘtit dans la GrĂšce ancienne une telle importance qu’elle imprĂ©gna toute la civilisation et en particulier les arts : puretĂ© des lignes, des formes, des idĂ©es, etc. Elle correspond de maniĂšre gĂ©nĂ©rale Ă  l’entrĂ©e dans le mental supĂ©rieur avec le dĂ©veloppement de l’intuition (le mental supĂ©rieur est le stade qui suit l’intellect et dont la description figure dans le tome 1). Toutefois, il ne peut y avoir d’équivalence prĂ©cise entre les mythes d’enseignement, ceux qui traitent des expĂ©riences, et les plans de conscience. En effet, des ouvertures partielles ou temporaires peuvent se produire, les transitions entre les plans sont progressives, et les mythes dĂ©crivent le plus souvent des processus rĂ©pĂ©titifs plutĂŽt que des Ă©tapes, des directions dans lesquelles le chercheur doit progresser et qui s’approfondiront et s’élargiront au cours des annĂ©es et peut-ĂȘtre des vies.

La descendance d’AgĂ©nor, par ses deux enfants principaux Cadmos et Europe, dĂ©crit le processus de purification et « d’ouverture de la conscience au processus d’union par la rĂ©ceptivité » (Cadmos) et « d’extension de la conscience » (Europe), ainsi que l’obstacle majeur rencontrĂ© dans ce processus (le labyrinthe et le Minotaure).
Les quatre ou cinq gĂ©nĂ©rations issues d’Io donnent aussi probablement des indications gĂ©ographiques sur la succession des centres spirituels les plus influents. D’Égypte, la spiritualitĂ© aurait essaimĂ© en Libye avant de s’implanter en IsraĂ«l, Liban et Syrie : en effet, AgĂ©nor, fils de Libye, Ă©tait roi de PhĂ©nicie, contrĂ©e qui regroupe IsraĂ«l, Liban et Syrie d’aujourd’hui. Puis elle aurait quittĂ© les contrĂ©es considĂ©rĂ©es autrefois comme appartenant soit Ă  l’Afrique, soit Ă  l’Asie, pour aborder l’Europe, comme en tĂ©moigne le nom de la fille de PhƓnix (ou d’AgĂ©nor), sans doute en longeant les cĂŽtes sud et ouest de l’actuelle Turquie. Puis simultanĂ©ment, comme l’indiquent les noms des frĂšres et sƓurs d’Europe, la spiritualitĂ© aurait essaimĂ© en CrĂȘte (Minos), en GrĂšce centrale (en BĂ©otie oĂč Cadmos fondera ThĂšbes), en Thrace (Thassos est une ville au large de la Thrace), et en Turquie orientale (Cilix).
(HomĂšre ajoute une gĂ©nĂ©ration intermĂ©diaire avec Phoenix, pĂšre d’Europe.)
Nous reprendrons l’étude de cette branche dans un prochain chapitre pour nous intĂ©resser ici Ă  l’autre branche, celle qui est issue de BĂ©los et dĂ©crit le processus thĂ©orique de la libĂ©ration, au travers des histoires des deux grands hĂ©ros PersĂ©e et HĂ©raclĂšs.

Les ancĂȘtres de PersĂ©e et d’HĂ©raclĂšs. Le mythe des DanaĂŻdes

Entre BĂ©los et Électryon, fils de PersĂ©e, les anciens ont intercalĂ© des personnages qui forment deux « boucles », initiĂ©es par des couples de jumeaux, que nous comprenons comme des processus rĂ©pĂ©titifs entrelacĂ©s qui se dĂ©veloppent tout au long des travaux d’HĂ©raclĂšs.
En effet, la victoire sur la peur qui est l’un des enjeux du combat de PersĂ©e contre la Gorgone ne peut en aucune façon ĂȘtre l’objet d’une expĂ©rience unique, Ă  l’instar de la victoire contre l’illusion qui sera d’ailleurs insĂ©rĂ©e dans la seconde boucle puisque BellĂ©rophon combat la ChimĂšre lors d’un sĂ©jour chez ProĂŻtos.
La premiĂšre boucle insiste sur le nĂ©cessaire dĂ©veloppement de tout ce qui « unit » (Danaos et ses filles les DanaĂŻdes) tandis que des rĂ©sultats du processus mental de sĂ©paration (Égyptos) ne survit que le « discernement » (LyncĂ©e est le seul des cinquante fils d’Égyptos qui Ă©chappe Ă  la mort).
La seconde boucle est introduite par une nĂ©cessaire « incarnation » (Abas) – au sens oĂč le mental et le vital travaillent dĂ©jĂ  ensemble dans la direction du but de l’ñme – qui implique deux nouvelles directions possibles illustrĂ©es par le second couple de jumeaux. D’un cĂŽtĂ© la participation au monde et Ă  ses obscuritĂ©s dans une certaine confusion et manque de discernement (Acrisios), de l’autre un refus de la matiĂšre par celui qui « met au premier plan les mondes de l’esprit » (ProĂŻtos).
La seconde boucle se termine ici non par des meurtres mais par un Ă©change de trĂŽne entre PersĂ©e, dĂ©jĂ  vainqueur de la Gorgone, et MĂ©gapenthĂšs, fils de ProĂŻtos, qui annonce une poursuite douloureuse du chemin lorsque le chercheur s’est dĂ©barrassĂ© de l’illusion et de la peur.
Bien que les deux boucles semblent traiter de façon successive du dĂ©veloppement et de la maitrise du mental puis du vital, elles reprĂ©sentent en fait des processus concomitants. Cependant, la structure de la mythologie nous oblige Ă  les considĂ©rer l’un aprĂšs l’autre.
Lors de l’étude dĂ©taillĂ©e qui suivra, il sera donc nĂ©cessaire de toujours garder Ă  l’esprit que les mythes correspondants dĂ©crivent des processus qui se dĂ©veloppent parallĂšlement aux travaux d’HĂ©raclĂšs, mĂȘme si les actions des hĂ©ros n’en dĂ©crivent que la phase ultime.

Le nom BĂ©los est formĂ© autour des lettres +, lettres qui sont identiques Ă  celles du nom de sa mĂšre Libye +, mais dans le sens inverse. Elles indiquent la poursuite du processus d’individuation () dans ou par l’incarnation (). Hormis l’indication donnĂ©e par son nom, BĂ©los n’est reliĂ© Ă  aucun mythe.
Par son mariage avec AnchinoĂ© « la vivacitĂ© d’esprit, l’intelligence », fille de Nilos « l’évolution de l’individuation de la conscience », il indique une voie d’évolution dans laquelle le perfectionnement du mental va tenir une large place. Il ne s’agit pas ici de l’intellect mais de l’intelligence qui « comprend » tout (qui prend tout en elle), s’approche du RĂ©el et tend Ă  s’unir Ă  lui par un nĂ©cessaire Ă©largissement et assouplissement. Dans le travail de libĂ©ration tel qu’il est exposĂ© ici, l’homme est donc considĂ©rĂ© comme un esprit dans un ĂȘtre mental, mĂȘme si les voies individuelles peuvent mettre un accent plus particulier sur la dĂ©votion ou sur les Ɠuvres.

BĂ©los, comme AgĂ©nor, est le pĂšre de jumeaux qui expriment deux dĂ©veloppements simultanĂ©s dans l’ĂȘtre (ou deux voies parallĂšles) dont les rĂ©alisations essentielles se « rejoindront » Ă  la gĂ©nĂ©ration suivante pour la poursuite de la quĂȘte.

BĂ©los eut d’AnchinoĂ© des jumeaux, Égyptos et Danaos. Il installa Danaos en Libye et Égyptos en Arabie, lequel soumit en outre le territoire des MĂ©lampodes et donna Ă  son royaume le nom d’Égypte. Des nombreuses femmes d’Égyptos naquirent cinquante fils, et de celles aussi nombreuses de Danaos cinquante filles, les DanaĂŻdes. Plus tard, les deux frĂšres se disputĂšrent le pouvoir. Certains disent que Danaos craignait la puissance de ses cinquante neveux ou refusait de leur donner ses filles en mariage, ou encore qu’il fut averti par un oracle de s’éloigner s’il ne voulait ĂȘtre tuĂ© par l’un d’eux. Toujours est-il qu’il s’enfuit avec ses filles sur un bateau Ă  cinquante rangs de rame qu’il avait fait construire sur les conseils d’AthĂ©na. (Pour certains, ce fut le premier « grand bateau » jamais construit.) Il aborda dans le PĂ©loponnĂšse, puis parvint Ă  Argos oĂč rĂ©gnait un certain GĂ©lanor, fils de SthĂ©nĂ©las. Un signe des dieux – l’apparition d’un loup dans un troupeau – convainquit GĂ©lanor de cĂ©der sa couronne Ă  Danaos. Ce dernier fonda la citadelle d’Argos. En signe de gratitude, il institua le culte d’Apollon Lykaios. Ses filles retrouvĂšrent alors des sources qui avaient Ă©tĂ© taries par PosĂ©idon car Inachos avait tĂ©moignĂ© que le pays appartenait Ă  HĂ©ra.
Les sujets de Danaos abandonnĂšrent alors leur ancien nom de PĂ©lasges pour prendre celui de Danaens.
Peu de temps aprĂšs Danaos fut rejoint par son frĂšre Égyptos accompagnĂ© de ses fils qui lui demanda instamment d’oublier ses ressentiments et d’accepter les unions de leurs enfants respectifs. Danaos ne croyait pas Ă  cette proposition de rĂ©conciliation mais fit mine d’accepter devant l’insistance de son frĂšre.
Mais ayant offert Ă  chacune de ses filles une dague en cadeau de mariage, il leur ordonna de tuer leurs maris (chacune le sien) dĂšs le soir des noces.
Ce qu’elles firent, sauf l’une d’entre elles, Hypermnestra, qui Ă©pargna son Ă©poux LyncĂ©e car disait-elle, il l’avait respectĂ©e (ou selon d’autres parce qu’elle en Ă©tait tombĂ©e amoureuse).
Elles rendirent les derniers honneurs Ă  leurs Ă©poux devant la ville d’Argos. Elles enterrĂšrent les corps en cette ville mais leurs tĂȘtes Ă  Lerne.
Sur l’ordre de Zeus, elles furent ensuite purifiĂ©es du meurtre par HermĂšs et AthĂ©na. Selon certaines sources, leur pĂšre les maria Ă  des gentilshommes du voisinage qui choisirent chacun leur Ă©pouse au terme d’une course Ă  pied. Pindare prĂ©cise que deux des filles ne se mariĂšrent pas Ă  cette occasion : Hypermnestra, dĂ©jĂ  unie Ă  LyncĂ©e, et AmymonĂ© qui Ă©tait enceinte de PosĂ©idon.

Ici prend fin le mythe tel qu’il est rapportĂ© par Apollodore, lequel expose les versions les plus gĂ©nĂ©ralement admises. Des variantes beaucoup plus tardives ajoutent la punition exemplaire des DanaĂŻdes au royaume d’HadĂšs.

Ce mythe dĂ©crit la nĂ©cessitĂ© de porter « la vivacitĂ© d’esprit, l’intelligence » (AnchinoĂ©) Ă  son plus haut degrĂ© de perfectionnement possible. Comme on vient de l’exprimer, ce n’est pas une Ă©tape Ă  franchir, mais un processus rĂ©pĂ©titif associĂ© aux mythes de PersĂ©e et d’HĂ©raclĂšs, une progression composĂ©e de nombreux cycles. Comme de coutume dans les mythes, c’est le dernier stade du processus qui est dĂ©crit.

Deux voies s’ouvrent au chercheur, celles de Danaos et d’Égyptos. L’histoire ci-dessus pourrait laisser entendre qu’il n’y a pas grand-chose Ă  garder de la seconde Ă  la fin du processus, Ă  l’exception du seul survivant, LyncĂ©e, « la vision pĂ©nĂ©trante,Â Î›Ï…ÎłÎșΔυς», c’est-Ă -dire « le discernement » (le nom LyncĂ©e est souvent interprĂ©tĂ© comme « celui qui guĂ©rit la vue »). Mais, en fait, nous allons voir que non seulement toutes les composantes de l’ĂȘtre doivent ĂȘtre portĂ©es Ă  leur plus haut niveau de dĂ©veloppement, mais encore, que toute progression doit ĂȘtre conservĂ©e, mĂȘme s’il y a un changement de positionnement dans la conscience.

BĂ©los installa Danaos en Libye (Λ+Β) dans le lieu de « l’incarnation du processus de libĂ©ration » ou lieu de la quĂȘte de LibertĂ©. Le nom mĂȘme de Danaos est formĂ© par les lettres structurantes Δ+Ν et indique une « évolution naturelle dans ou vers l’union ».
Les accomplissements possibles de cette voie qui travaille sur la totalitĂ© de l’ĂȘtre, dans une acceptation et une rĂ©ceptivitĂ© intuitive (voie fĂ©minine), sont donnĂ©s par les noms des cinquante filles. Il en existe deux listes, celle d’Apollodore et celle d’Hygin. Nous ne les dĂ©taillerons pas ici, car d’une part elles ne sont pas confirmĂ©es par des initiĂ©s et d’autre part leur Ă©tude mĂ©riterait pour chacune d’elles de longues discussions. Leurs noms Ă©voquent la noblesse, l’impeccabilitĂ©, la maĂźtrise, l’aspiration, l’ardeur, ou encore « des accomplissements cĂ©lĂšbres, des intĂ©grations (acquises par l’entendement) » et « une quĂȘte du passage (la porte) ».

Concernant leurs mĂšres, seuls quelques noms sont indiquĂ©s, donnant la direction gĂ©nĂ©rale recommandĂ©e au chercheur dĂ©butant : Europe « une large vision » (citĂ©e quatre fois), Polyxo « celle qui reçoit beaucoup d’en haut » (citĂ©e douze fois), et Pieria « une abondance de dons ». Ils expriment un nĂ©cessaire Ă©largissement de la conscience au-delĂ  des dogmes, opinions et prĂ©jugĂ©s, le maintien d’un Ă©tat de claire rĂ©ceptivitĂ© intuitive, et insistent sur le dĂ©veloppement des capacitĂ©s les plus hautes (la PiĂ©rie est le lieu de sĂ©jour des Muses).

Ces DanaĂŻdes sont au nombre de cinquante, c’est-Ă -dire qu’elles reprĂ©sentent une totalitĂ© de rĂ©alisation dans le plan des formes, celui de la personnalitĂ©.
La plus cĂ©lĂšbre d’entre elles qui peut Ă  elle seule rĂ©sumer le moteur de cette voie est Hypermnestra « celle qui recherche ce qui est au-delà », autrement dit « l’aspiration » Ă  un autre Ă©tat d’ĂȘtre , Ă  une union avec le RĂ©el.

À l’opposĂ© de Danaos, une autre partie du chercheur est davantage centrĂ©e sur le dĂ©veloppement du mental logique, de la pensĂ©e organisatrice. Elle est reprĂ©sentĂ©e par Égyptos que son pĂšre installa en Arabie (ÎĄ+Β), province qui symbolise Ă  la fois le « juste mouvement de l’incarnation » et « le choc des objets » (ou choc des idĂ©es par lequel s’opĂšre la construction de la pensĂ©e).
Comme nous l’avons vu, le mot Égyptos a peut-ĂȘtre Ă©tĂ© formĂ© Ă  partir de la racine αγ associĂ© au nom Ptah et dĂ©crirait « ceux qui sont conduits selon l’ordre de Ptah ».
En Égypte ancienne, Ptah Ă©tait le dĂ©miurge, le dieu crĂ©ateur et organisateur qui a « pensé » le monde et gouvernait l’architecture, la menuiserie, la sculpture et en gĂ©nĂ©ral toutes les formes de « constructions ». Il Ă©tait donc un symbole de l’organisation du mental. Son lieu de culte principal se trouvait Ă  Memphis.
Les fils d’Égyptos sont Ă©galement au nombre de cinquante et reprĂ©sentent une totalitĂ© de rĂ©alisation dans l’élaboration d’une pensĂ©e libre et vaste.

Cette partie du mythe insiste sur le fait que la recherche spirituelle doit commencer sur la base d’une personnalitĂ© accomplie et dĂ©jĂ  bien individualisĂ©e, douĂ©e d’un bon discernement, et dont l’aspiration Ă  l’union avec l’Absolu a remplacĂ© celle de l’affirmation de soi. Tout ce qui n’a pas Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ© correctement obligera le chercheur Ă  revenir en arriĂšre pour y remĂ©dier.

Ces deux chemins, ceux de la rĂ©ceptivitĂ© intuitive et de l’intellect, peuvent apparaĂźtre longtemps inconciliables ou du moins se dĂ©velopper selon des directions qui semblent totalement Ă©trangĂšres l’une Ă  l’autre. C’est pourquoi les deux frĂšres jumeaux se battaient pour le pouvoir. De plus, la pensĂ©e logique tendant de par sa nature Ă  imposer sa vision, Égyptos n’avait de cesse de marier ses fils Ă  leurs cousines.

Cette pression s’accentua lorsqu’il annexa Ă  son royaume le territoire des MĂ©lampodes « les pieds noirs », distanciant ainsi de plus en plus le mental logique de la rĂ©alitĂ© matĂ©rielle et corporelle. MĂ©lampous « celui qui a les pieds noirs » Ă©tait en effet un cĂ©lĂšbre devin dont les oreilles avaient Ă©tĂ© purifiĂ©es par des serpents, ce qui lui permettait de comprendre le langage des oiseaux. (Il y a plusieurs lignĂ©es de devins. Celle dont il est question ici concerne l’intuition et les capacitĂ©s divinatoires qui se dĂ©veloppent dans « l’ascension des plans de conscience » et sont donc issues des plans de l’esprit.)

Au dĂ©but, la dĂ©marche de consĂ©cration doit se protĂ©ger de la pression de l’intellect. Puis « l’aspiration Ă  l’union » (Danaos), sous l’influence de la puissance qui veille Ă  la croissance de l’ĂȘtre intĂ©rieur (sur les conseils d’AthĂ©na), s’affirme comme la plus apte Ă  diriger la quĂȘte en s’appuyant sur une personnalitĂ© pleinement construite (Danaos a construit le premier grand bateau Ă  cinquante rangs de rames). Danaos prit en effet la direction de la ville d’Argos, Ă  la place de GĂ©lanor dont le nom signifie « celui qui brille ». Ce GĂ©lanor, fils de SthĂ©nĂ©las « une forte individuation », est le symbole d’une personnalitĂ© accomplie.
Le signe de ce renversement est la capacitĂ© de l’ĂȘtre psychique Ă©mergeant Ă  commencer Ă  mener la quĂȘte. Le « signe » qui est donnĂ© – un loup faisant irruption dans le troupeau de GĂ©lanor et tuant le taureau dominant – illustre la lumiĂšre psychique naissante (le loup) qui dĂ©trĂŽne la puissance mentale (non illuminĂ©e). Un culte est alors fondĂ© en l’honneur d’Apollon « Lykaios », la premiĂšre lueur de la manifestation de la lumiĂšre psychique. À partir de ce moment, l’ĂȘtre psychique commence Ă  prendre progressivement la direction de la quĂȘte (la citadelle d’Argos), revivifiant au passage des Ă©nergies anciennement disponibles – mais qui s’étaient retirĂ©es Ă  l’arriĂšre-plan au cours de l’évolution – pour emprunter le chemin : les DanaĂŻdes redĂ©couvrent en effet les sources que PosĂ©idon (le subconscient) avait taries. Le travail de rassemblement de l’ĂȘtre (Inachos) s’était en effet soumis au mouvement du devenir gouvernĂ© par HĂ©ra, la force qui veille au juste mouvement Ă©volutif (Inachos avait tĂ©moignĂ© que le pays appartenait Ă  HĂ©ra).
Le chercheur quitte l’obscuritĂ© et se dĂ©termine pour un abandon au RĂ©el (les PĂ©lasges deviennent les Danaens).

Mais la pensĂ©e a maintenu jusqu’au bout sa prĂ©tention Ă  tout gouverner. Aussi la partie consacrĂ©e de l’ĂȘtre doit-elle admettre finalement de prendre acte de la pleine rĂ©alisation du mental logique juste avant d’y mettre un terme : quarante-neuf unions sont prononcĂ©es tandis que Danaos a dĂ©jĂ  scellĂ© leur fin toute proche.
Cette intĂ©gration n’est en rien une annihilation, mais seulement un changement de gouvernance et de mode opĂ©ratoire du mental. L’intuition doit prendre les rĂȘnes et les capacitĂ©s organisatrices du mental se mobiliser si besoin. Il n’est plus indispensable d’utiliser la pensĂ©e logique pour prĂ©voir.
AprĂšs avoir expĂ©rimentĂ© d’innombrables fois ce transfert progressif, le chercheur ne garde au premier plan que l’acquis essentiel de sa rĂ©alisation mentale, le « discernement », LyncĂ©e. Celui-ci permet que « l’aspiration » reprĂ©sentĂ©e par Hypermnestra prenne toute sa force. Celle-ci fut en effet la seule Ă  Ă©pargner son mari LyncĂ©e « la vue perçante, le discernement » Ă  qui elle donna un fils, Abas, qui poursuivit la lignĂ©e.

Les anciens soulignaient ainsi la nĂ©cessitĂ© de soutenir « l’aspiration » (par un Ă©largissement de la conscience, un dĂ©ploiement des capacitĂ©s, etc.) – aspiration qui alimente le feu intĂ©rieur -, et simultanĂ©ment celle de dĂ©velopper un « discernement aiguisé » afin d’éviter les piĂšges infiniment subtils qui ne manquent pas de se dresser devant les pas du chercheur.
Celui-ci reconnait l’utilitĂ© du dĂ©veloppement du mental logique (les DanaĂŻdes rendirent les derniers honneurs aux corps de leurs Ă©poux devant la ville d’Argos). Mais l’enterrement des tĂȘtes Ă  Lerne indique que ce qui animait le chercheur et dirigeait le chemin jusque-lĂ  n’était autre que l’ego mental soutenu par le dĂ©sir (elles devaient donc ĂȘtre « restituĂ©es » Ă  Lerne, lieu symbolique du dĂ©sir dans le deuxiĂšme travail d’HĂ©raclĂšs).
Mais tant que le chercheur n’a pas pleinement dĂ©veloppĂ© son discernement – c’est en effet LyncĂ©e qui prend le titre de roi d’Argos Ă  la suite de Danaos – il ne peut prĂ©tendre se dispenser de l’aide du mental logique sĂ©parateur.

Comme ce dĂ©veloppement complet du mental logique puis son abandon-intĂ©gration fait partie intĂ©grante du processus Ă©volutif juste, les DanaĂŻdes furent naturellement purifiĂ©es de leur meurtre par HermĂšs et AthĂ©na, les forces qui contribuent Ă  la croissance dans le mental et Ă  la construction de l’ĂȘtre intĂ©rieur.

Cette purification Ă©limine donc d’emblĂ©e toute punition ultĂ©rieure. Selon Apollodore, Danaos donna ses filles aux vainqueurs d’un concours gymnique, exprimant ainsi la nĂ©cessitĂ©, en sus du discernement et de l’aspiration, d’un assouplissement et d’une endurance accrue.

Cependant, dans la tradition tardive, les DanaĂŻdes durent subir un chĂątiment exemplaire dans l’HadĂšs. Selon les uns, il leur fallait puiser de l’eau avec des cruches percĂ©es, et selon d’autres, elles devaient essayer de remplir un tonneau lui aussi percĂ©, ce qui dans les deux cas se rĂ©vĂ©lait un processus sans fin.
Selon les plus anciennes traces connues, cette vaine tĂąche Ă©tait le lot « d’ombres ailĂ©es » dans le Tartare ou dans l’HadĂšs, et fait donc rĂ©fĂ©rence Ă  des mĂ©canismes mentaux qui se rĂ©pĂštent indĂ©finiment dans l’inconscient corporel et auxquels se heurtent les aventuriers de la conscience. Il semblerait donc qu’elle fut abusivement attribuĂ©e aux DanaĂŻdes.

Avant de poursuivre l’étude de la lignĂ©e principale, il faut noter la seule descendance mentionnĂ©e d’une autre DanaĂŻde, AmymonĂ© « l’irrĂ©prochable ». Elle s’unit Ă  PosĂ©idon prĂšs de Lerne et lui donna un fils, Nauplios « le marin », « celui qui navigue habilement sur le chemin » ou « l’intelligence de la voie », lui-mĂȘme pĂšre de PalamĂšde « l’artisan de l’union ». (Ce dernier dĂ©jouera les stratagĂšmes d’Ulysse lorsque le hĂ©ros tentera d’échapper Ă  l’enrĂŽlement pour la guerre de Troie.)
Cette filiation souligne les effets Ă  long terme, et d’abord subconscients, d’une certaine rectitude ou impeccabilitĂ© (il ne faut pas confondre cette rectitude, qui est de faire au plus juste ce que l’on sent devoir faire, avec ce qu’on appelle couramment la vertu). Elle se manifeste en premier lieu par une « intelligence de la voie » issue du subconscient, une facultĂ© de progresser rapidement malgrĂ© les embĂ»ches et les impasses (Nauplios est un grand navigateur), puis par une force lĂ  encore grandement subconsciente (PalamĂšde, « l’artisan de l’union ») qui ramĂšne toujours le chercheur sur le chemin, malgrĂ© ses Ă©carts ou ses refus.

Parmi les fils d’Égyptos, LyncĂ©e fut le seul survivant du massacre perpĂ©trĂ© par les DanaĂŻdes. Il s’unit Ă  Hypermnestra qui l’avait Ă©pargnĂ© avec l’assentiment de Danaos, pĂšre de la jeune fille, qui lui offrit son royaume.
De ce couple royal naquit un garçon, Abas, hĂ©ritier Ă  part Ă©gale du sang des deux frĂšres, Danaos et Égyptos. LyncĂ©e lui offrit Ă  cette occasion un bouclier qui avait appartenu Ă  son propre pĂšre Danaos dans sa jeunesse. Des jeux quinquennaux furent cĂ©lĂ©brĂ©s, appelĂ©s « Jeux du Bouclier d’Argos ».
Devenu adulte, Abas épousa Aglaia, fille de Mantineus, dont il eut des jumeaux nommés Acrisios et Proïtos.
Si Danaos et Égyptos furent des frĂšres ennemis, la rivalitĂ© fut bien pire entre leurs arriĂšres petits-enfants qui se dĂ©chiraient dĂ©jĂ  dans le sein de leur mĂšre.
À la mort de leur pĂšre Abas, ils en vinrent aux armes pour rĂ©gler l’hĂ©ritage du royaume. (Une lĂ©gende avance que ProĂŻtos gagna le soutien du roi de Lycie qui lui donna Ă  la fois sa fille SthĂ©nĂ©boia et des troupes pour assurer l’égalitĂ© des forces entre les deux armĂ©es.) Le combat n’ayant pu les dĂ©partager, un compromis fut trouvĂ© qui sĂ©parait le royaume en deux parts Ă©gales : Acrisios rĂšgnerait sur Argos tandis que ProĂŻtos construirait une nouvelle citĂ©, Tirynthe. Celle-ci fut fortifiĂ©e pour lui par les Cyclopes.

Sur la base du discernement (LyncĂ©e) et de l’aspiration (Hypermnestra) commence une seconde boucle qui implique davantage d’incarnation, comme l’indique la lettre structurante du nom de leur fils Abas (Β). Ce dernier hĂ©rita du bouclier de Danaos, reprĂ©sentant une « protection » que le chercheur Ă©labore durant la premiĂšre boucle, rĂ©sultat du travail symbolisĂ© par le nom des filles de Danaos et surtout par celui de leurs mĂšres : un « rassemblement » des Ă©lĂ©ments disparates de la personnalitĂ©, un Ă©largissement de la conscience (Europe), un accroissement de la rĂ©ceptivitĂ© intuitive (Polyxo) et un dĂ©veloppement des capacitĂ©s les plus hautes (Pieria). Cette transmission du bouclier marque une Ă©tape importante, la fin de la structuration d’une pensĂ©e libre et vaste (les fils d’Égyptos) dont ne reste finalement que la capacitĂ© de discernement – protection dĂ©sormais indispensable sur le chemin – qui fut donc cĂ©lĂ©brĂ©e par les « Jeux du Bouclier d’Argos ».

Abas Ă©pousa Aglaia « celle qui brille », fille de Mantineus « l’évolution des capacitĂ©s intuitives » : la seconde phase, qui travaille sur des plans plus profonds de l’ĂȘtre (Abas) nĂ©cessite le dĂ©veloppement de la rĂ©ceptivitĂ© du chercheur.

Avec leurs fils jumeaux, ProĂŻtos et Acrisios, est mise en lumiĂšre une deuxiĂšme opposition intĂ©rieure, et cela dĂšs le dĂ©but du chemin, car ils se battaient dĂ©jĂ  dans le sein de leur mĂšre : d’un cĂŽtĂ© ce qui « met au premier plan les mondes de l’esprit », (ProĂŻtos, Pro+Ι΀) en nĂ©gligeant la transformation de la nature infĂ©rieure, de l’autre une implication dans la « confusion » du monde afin de le transformer. Cette opposition se manifeste d’autant plus que le chercheur s’applique Ă  toujours davantage d’incarnation (Abas). Des deux frĂšres, c’est Acrisios qui prit la succession sur le trĂŽne d’Argos car la prioritĂ© doit ĂȘtre donnĂ©e au travail dans l’incarnation. ProĂŻtos rĂ©gna sur Tirynthe mais dut encore cĂ©der une partie de son royaume (Ă  Bias et Ă  son frĂšre MĂ©lampous), et ses filles subirent divers dĂ©rĂšglements : il est le symbole de celui qui cherche l’union avec l’Absolu dans les mondes de l’Esprit et risque en consĂ©quence des dĂ©sordres mentaux et vitaux suite au manque d’ancrage dans la rĂ©alitĂ©.
En fait, le combat se poursuit tout au long de la quĂȘte tant que PersĂ©e n’a pas vaincu dĂ©finitivement la Gorgone. Il reprend aprĂšs chaque victoire dans une conquĂȘte progressive de la libertĂ© dont les travaux d’HĂ©raclĂšs sont le guide.

Acrisios s’unit Ă  Eurydice « une juste maniĂšre d’agir » (une des douze Eurydice homonymes Ă  ne pas confondre avec la femme d’OrphĂ©e). Cette Eurydice Ă©tait une fille de LacĂ©daemon « la divinitĂ© qui retentit (dans l’ĂȘtre) avec force », lui-mĂȘme fils de Zeus et de la PlĂ©iade TaygĂšte. Cette alliance exprime le but recherchĂ© (et donc le moyen mis en Ɠuvre) qui est l’intĂ©gritĂ© (accord des actes et du sentiment intĂ©rieur). Elle indique d’autre part que la victoire finale sur la dĂ©formation de l’énergie de vie ne pourra ĂȘtre acquise qu’à l’étape du mental intuitif (TaygĂšte), dernier plan avant le surmental.
De cette union naquit une fille célÚbre, Danaé, la mÚre de Persée, que nous retrouverons plus loin.

ProĂŻtos

ProĂŻtos fut chassĂ© d’Argos par son frĂšre et s’enfuit en Lycie chez le roi IobatĂšs dont il Ă©pousa la fille AntĂ©ia (nommĂ©e SthĂ©nĂ©bĂ©e chez les Tragiques). Son beau-pĂšre lui apporta l’assistance nĂ©cessaire Ă  son retour en Argolide et lui permit de s’emparer de Tirynthe que les Cyclopes fortifiĂšrent pour lui (ou bien il construisit cette nouvelle citĂ©). D’AntĂ©ia, ProĂŻtos eut d’abord deux filles, Lysippe et Iphianassa (auxquelles certains ajoutent IphinoĂ©) puis beaucoup plus tard un fils MĂ©gapenthĂšs.
MĂȘme si la voie que reprĂ©sente ProĂŻtos exclut l’évolution dans l’incarnation, elle tend cependant vers une union nĂ©cessaire avec les mondes de l’esprit, avec le Divin impersonnel. En effet, selon HomĂšre, ProĂŻtos Ă©pousa la divine AntĂ©ia « celle qui a rencontrĂ© la conscience-existence (le Divin impersonnel ou Soi) ». Celle-ci Ă©tait la fille du roi de Lycie, symbole du plus haut de la lumiĂšre naissante.
Toutefois cette lumiĂšre doit s’appliquer dans l’incarnation. Aussi le roi de Lycie offrit-t-il son assistance pour reconduire ProĂŻtos en Argolide, lequel s’installa alors Ă  Tirynthe. Ce dernier nom (΀ÎčρυΜς) pourrait provenir de ΀+ÎĄ+Ν, « l’évolution d’un juste mouvement vers l’Esprit », ce que confirmerait l’intervention des Cyclopes qui fortifiĂšrent pour lui la ville, fournissant ainsi la base d’une puissante vision unifiĂ©e. (Rappelons que les Cyclopes sont les symboles d’une vision totale.)

Le rĂšgne de ProĂŻtos fut marquĂ© par deux Ă©vĂšnements d’importance : la visite de BellĂ©rophon et la folie de ses filles.

Bellérophon vint se faire purifier par Proïtos du meurtre accidentel de son frÚre DéliadÚs.
La femme de ProĂŻtos se plaignit alors auprĂšs de son mari de prĂ©tendues avances de BellĂ©rophon qui en rĂ©alitĂ© avait seulement repoussĂ© les siennes. Celui-ci la crut, mais ne pouvant chĂątier un hĂŽte que de surcroĂźt il venait de purifier, il envoya BellĂ©rophon chez le roi de Lycie, lui demandant d’exĂ©cuter pour lui la sentence de mort. Ce dernier pensa s’en acquitter en envoyant le hĂ©ros combattre la ChimĂšre.

BellĂ©rophon, comme nous le verrons en dĂ©tail dans le prochain chapitre, est le hĂ©ros vainqueur de « l’illusion ». C’est un descendant de Sisyphe et son symbolisme concerne une fonction particuliĂšre de l’intellect. SymbolisĂ©e par la ChimĂšre, fille d’Échidna et de Typhon, l’illusion est profondĂ©ment enracinĂ©e dans la matiĂšre et dans la vie.
Lorsque Proïtos accueillit Bellérophon, celui-ci venait de succomber à une illusion car il avait tué accidentellement son frÚre DéliadÚs « la clarté, la vision claire ».
S’il y a purification, c’est que l’obscurcissement Ă©tait nĂ©cessaire. Mais le chercheur ne comprend pas son erreur pour autant. Car lorsque lui est fournie une opportunitĂ© nouvelle d’élargissement de la conscience (l’union proposĂ©e par AntĂ©ia) Ă  un degrĂ© suffisant pour lui Ă©viter le combat contre l’illusion dans l’incarnation (la ChimĂšre), il refuse. Il n’accepte pas « la grĂące » qui lui est offerte car, dĂ©pendant des habitudes gĂ©nĂ©rĂ©es par les millĂ©naires de l’évolution, l’intellect ne se fie qu’à sa propre lumiĂšre. Le chercheur ne peut imaginer que l’Absolu, pour peu qu’il accepte de s’y soumettre, puisse ĂȘtre mieux Ă  mĂȘme que l’intellect de le diriger.

C’est alors « le plus haut niveau de la lumiĂšre naissante » (le roi de Lycie) qui envoie le hĂ©ros combattre la ChimĂšre.

Cet Ă©pisode de la vie de ProĂŻtos fait le lien avec la branche de Sisyphe (les rĂ©alisations du mental logique) et indique que la victoire sur la peur est Ă©troitement liĂ©e Ă  celle sur l’illusion (cf. chapitre sur BellĂ©rophon). Pour commencer, le chercheur ne peut plus considĂ©rer que les Ă©vĂšnements extĂ©rieurs sont « fortuits », justifier ses imperfections par son hĂ©rĂ©ditĂ©, son Ă©ducation ou son environnement, accepter les yeux fermĂ©s dogmes et -ismes en tous genre, etc.

Le second Ă©vĂšnement marquant du rĂšgne de ProĂŻtos fut la folie de ses filles, LysippĂ© et Iphianassa (auxquelles s’ajoute parfois IphinoĂ©), errant en Arcadie et dans le PĂ©loponnĂšse. Pour les uns, leur faute Ă©tait d’avoir refusĂ© les rites de Dionysos. Pour d’autres, elle Ă©tait d’avoir prĂ©tendu que le palais de leur pĂšre Ă©tait plus opulent que celui d’HĂ©ra.
Afin de les guĂ©rir, ProĂŻtos demanda l’aide du cĂ©lĂšbre devin MĂ©lampous (fils d’Amythaon) qui rĂ©clama en paiement une partie du royaume. Leur folie dura dix ans.
Selon Apollodore, ProĂŻtos refusa tout d’abord les exigences du devin. Puis il dut cĂ©der et mĂȘme abandonner une part plus importante du royaume, MĂ©lampous demandant finalement un tiers pour lui et un tiers pour son frĂšre Bias.
Lors de l’intervention du devin, IphinoĂ© mourut. Les deux autres filles furent purifiĂ©es et s’unirent, Iphianassa Ă  MĂ©lampous et LysippĂ© Ă  Bias.

L’Argolide fut ainsi divisĂ©e en quatre royaumes oĂč rĂ©gnĂšrent respectivement Acrisios (roi d’Argos), ProĂŻtos (roi de Tirynthe), MĂ©lampous et Bias. Les descendants de Bias et MĂ©lampous joueront un rĂŽle important dans les guerres de ThĂšbes. L’Argolide ne retrouvera son unitĂ© que bien aprĂšs la guerre de Troie, avec un petit-fils d’Agamemnon.

La premiĂšre fille de ProĂŻtos, LysippĂ©, est le symbole d’une « énergie (vitale) libĂ©rĂ©e » et la seconde, Iphianassa, celui d’un « grand pouvoir ».
Si les directions ici dĂ©crites mĂšnent Ă  diffĂ©rents dĂ©sordres et errances, c’est parce que le chercheur refuse d’appeler le Divin et d’inclure dans son yoga plus de dĂ©votion (les rites de Dionysos) ou se laisse sĂ©duire par une voie qui semble apporter plus de « richesses » que celle de la voie juste (le palais de ProĂŻtos prĂ©tendument plus opulent que celui d’HĂ©ra, c’est-Ă -dire les expĂ©riences rĂ©alisĂ©es dans les mondes de l’esprit plus significatives que celles rencontrĂ©es sur la voie juste).
Les dĂ©sordres et dĂ©viances peuvent ĂȘtre de toutes sortes mais semblent s’expliquer, en accord avec le nom des deux filles, par une intrusion du vital trop importante et incontrĂŽlĂ©e. Peut-ĂȘtre les noms font-ils aussi rĂ©fĂ©rence Ă  un usage erronĂ© des « connaissances » obtenues, source parfois de « pouvoirs » que symboliseraient les « richesses » du palais de ProĂŻtos.

La plupart des auteurs considĂšrent que le seul pouvoir mental qui « met au premier plan les mondes de l’esprit » (ProĂŻtos) n’est pas suffisant pour remettre de l’ordre et qu’une mobilisation aussi tardive soit-elle (dix annĂ©es symboliques) d’une « intuition » supĂ©rieure issue de l’esprit (ici reprĂ©sentĂ©e par le devin MĂ©lampous) est nĂ©cessaire.
Pour certains auteurs dont Apollodore se fait l’écho, lors de la remise en ordre, IphinoĂ© dut mourir car la domination de « la facultĂ© de penser » doit cesser.

Il faut nous arrĂȘter ici un moment pour parler du devin MĂ©lampous, car c’est l’un des exemples oĂč des personnages de la voie de l’ascension – MĂ©lampous et Bias, descendants d’Éole par son cinquiĂšme fils, CrĂ©thĂ©e – interviennent dans la voie de la purification. MĂ©lampous est en effet en rapport avec ce qui est reçu des plans de l’esprit. Ses pouvoirs de divination se rĂ©vĂšlent aux alentours de la premiĂšre grande expĂ©rience de contact avec l’Absolu – MĂ©lampous est en effet cousin germain de Jason (cf. planche 12), le hĂ©ros de la Toison d’Or – et ne feront que s’amplifier par la suite.

MĂ©lampous rendit les honneurs funĂšbres Ă  des serpents dont le nid se trouvait dans un chĂȘne devant sa maison et qui avaient Ă©tĂ© tuĂ©s par ses serviteurs. Il nourrit leurs petits qui, devenus grands, purifiĂšrent ses oreilles avec leur langue tandis qu’il dormait. Il devint alors capable de comprendre les cris des oiseaux. Instruits par eux, il se mit Ă  prĂ©dire aux hommes l’avenir et il Ă©tait rĂ©putĂ© pour avoir Ă©tĂ© le premier mortel Ă  disposer de tels pouvoirs. Il apprit ensuite Ă  pratiquer la divination sacrĂ©e. Et lorsqu’il eut rencontrĂ© Apollon sur les bords de l’AlphĂ©e, il fut dĂ©sormais le meilleur devin.

Le chercheur a intĂ©grĂ© l’évolution des capacitĂ©s les plus hautes de sa personnalitĂ© vitale-mentale (les serpents nichĂ©s dans un chĂȘne qui l’arbre le plus noble, le plus accompli : Ulysse consultera « la chevelure d’un divin chĂȘne ») et va s’ouvrir Ă  un autre mode de perception. MĂ©lampous est le premier de la lignĂ©e de devins issus d’Amythaon « celui qui entre dans le silence, qui est sans histoire personnelle », lequel est uni Ă  EidomĂ©nĂ© « celle qui voit ». Il est donc le symbole de la progression vers une vision libĂ©rĂ©e des influences de l’histoire personnelle et obtenue des hauteurs de l’esprit (il est en effet l’homme aux « pieds noirs », et donc Ă©loignĂ© de l’incarnation, de la matiĂšre).
Ces nouvelles capacitĂ©s « d’entendement » s’installent dans le chercheur sans qu’il puisse en comprendre le processus (car MĂ©lampous « dormait »). Cependant, c’est lui-mĂȘme qui avait prĂ©parĂ© cette Ă©volution en modifiant son processus Ă©volutif. Il avait Ă©tĂ© aidĂ© pour cela en dĂ©veloppant de nouvelles « mĂ©thodes de yoga » qui purifiĂšrent son intuition supĂ©rieure (les serviteurs de MĂ©lampous avaient tuĂ© les parents serpents mais il avait nourri leurs petits, et ceux-ci lui lavĂšrent les oreilles).

Les premiĂšres capacitĂ©s de perception concernent les plans de l’esprit : « la parole des oiseaux ». Puis sa comprĂ©hension du sacrĂ© s’élargit toujours plus, dans un rapport toujours plus Ă©troit entre ce qui est perçu et la VĂ©ritĂ©. Il devient alors capable de connaĂźtre sa tĂąche et l’utilitĂ© des diffĂ©rentes « formations » de son incarnation prĂ©sente « MĂ©lampous peut prĂ©dire aux hommes l’avenir »,
Enfin, le contact avec son ĂȘtre psychique (Apollon) dans la province de l’union (l’Élide oĂč coule l’AlphĂ©e), renforce les perceptions intuitives mentales par la connaissance exacte de ce qui est et de ce qui doit ĂȘtre, aussi bien dans l’action, le sentiment que la pensĂ©e (MĂ©lampous fut dĂ©sormais le meilleur devin).

Nous pouvons alors poursuivre l’histoire de Proïtos
AprĂšs le partage de l’Argolide, ProĂŻtos eut un fils MĂ©gapenthĂšs. Selon Apollodore, lorsque PersĂ©e tua la Gorgone, son grand-pĂšre Acrisios qui craignait la rĂ©alisation de la prophĂ©tie s’enfuit Ă  Larissa.
PersĂ©e qui dĂ©sirait le voir remonter sur le trĂŽne d’Argos le tua accidentellement alors qu’il participait Ă  des jeux. Refusant de monter sur le trĂŽne d’Argos dont il devait lĂ©gitimement hĂ©riter, il proposa un Ă©change de royaumes Ă  son oncle MĂ©gapenthĂšs. Il s’installa Ă  Tirynthe et fortifia MidĂ©a et MycĂšnes (Tirynthe l’avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© par les Cyclopes sous le rĂšgne d’Acrisios).

MĂȘme s’il a cheminĂ© dans la « confusion » et « le manque de discernement », le chercheur a toujours recherchĂ© la voie juste (Argos), la juste maniĂšre d’agir (Acrisios est uni Ă  Eurydice) jusqu’à obtenir la victoire sur la convoitise vitale, la peur et l’illusion, avec l’aide apportĂ©e par l’union au Soi (la divine AntĂ©ia unie Ă  ProĂŻtos).

Les victoires de PersĂ©e et de BellĂ©rophon mettent fin Ă  la « confusion » et au manque de discernement, mĂȘme si le chercheur a encore une certaine attirance pour les fonctionnements anciens (PersĂ©e veut remettre son grand-pĂšre Acrisios sur le trĂŽne mais le tue accidentellement). Au terme de chaque progression dans les boucles, la souffrance du chercheur augmente soit du fait de sa sensibilitĂ© croissante Ă  la douleur du monde qui vit dans la sĂ©paration : c’est MĂ©gapenthĂšs « une grande souffrance » qui monte alors sur le trĂŽne d’Argos.

En Ă©loignant PersĂ©e du trĂŽne, les anciens pouvaient alors crĂ©er une lignĂ©e distincte consacrĂ©e aux grandes orientations du travail de libĂ©ration (les exploits d’HĂ©raclĂšs, arriĂšre-petit-fils de PersĂ©e), en Ă©vitant au chercheur toute tentative de recherche d’équivalences avec sa progression sur le chemin.

Le mythe nous dit que l’Argolide Ă©tait dĂ©sormais sĂ©parĂ©e en trois royaumes – ceux de MĂ©gapenthĂšs (voie de la purification), de Bias, et de MĂ©lampous (voie de l’ascension) – qui ne seront rĂ©unis que bien aprĂšs la guerre de Troie : le chercheur ne pourra concilier en lui ces trois voies qu’aprĂšs avoir orientĂ© son yoga vers la rĂ©alisation d’une transparence totale et le yoga du corps.

Le chercheur travaille donc dĂ©sormais dans trois registres bien diffĂ©rents dont il ne perçoit pas l’unitĂ© ou qu’il n’est pas capable de faire progresser ensemble de façon cohĂ©rente.

D’un cĂŽtĂ©, l’essentiel de sa quĂȘte est entre les mains de MĂ©gapenthĂšs, le nouveau roi d’Argos dont le nom « grande souffrance » exprime chez le chercheur la conscience croissante et douloureuse d’ĂȘtre « sĂ©paré », d’abord pour lui-mĂȘme, ensuite pour l’humanitĂ© lorsque l’union au Soi a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e. C’est l’expression d’une sensibilitĂ© toujours plus vive, d’une consĂ©cration et d’une aspiration toujours plus forte Ă  s’unir avec l’Absolu et toute forme d’existence.

Le royaume de MĂ©lampous est celui du dĂ©veloppement progressif d’une capacitĂ© intuitive et perceptive, commençant par les intuitions mentales auxquelles vont s’adjoindre progressivement celles du psychique. Cela permet une perception croissante de la vĂ©ritĂ© aussi bien en soi que dans les autres. Le chercheur est de moins en moins sujet Ă  l’illusion et peut se garder de voies ou d’influences trompeuses.

Enfin, celui de Bias « la force » exprime une Ă©nergie croissante au service de la quĂȘte. Tout d’abord avec sa premiĂšre femme LysippĂ©, ce sera « une force (vitale) libĂ©rĂ©e (pour le yoga) ». Puis, avec sa seconde femme PĂ©ro, et leur fils Talaos « celui qui supporte », se dĂ©veloppera un Ă©lĂ©ment essentiel Ă  la poursuite du yoga, « l’endurance ».

Le royaume de MycĂšnes fondĂ© par PersĂ©e appartient Ă  l’Argolide et constitue donc en quelque sorte un quatriĂšme royaume, bien qu’il semble plutĂŽt avoir Ă©tĂ© considĂ©rĂ© par les anciens comme « coiffant » les trois autres, car MycĂšnes domine l’Argolide. Le nom MycĂšnes est en rapport avec le « mugissement » du taureau, et donc avec « le pouvoir agissant du mental lumineux ».
AprÚs Persée, il sera gouverné par son fils Sthénélos puis par Eurysthée, Atrée, Agamemnon, Oreste et enfin Tisaménos qui réunira les royaumes de MycÚnes, Tirynthe, Argos et Sparte.

Le mythe de Persée

AprĂšs l’étude de la lignĂ©e de ProĂŻtos, nous abordons ici la descendance de son frĂšre jumeau et ennemi de toujours, Acrisios « celui qui avance dans la confusion », sans discernement.

Acrisios roi d’Argos, Ă©pousa Eurydice, fille de LacĂ©dĂ©mone roi de Sparte, prĂȘtresse du culte d’HĂ©ra. Ils eurent une fille DanaĂ© mais ne purent concevoir d’hĂ©ritier mĂąle. Aussi, Acrisios consulta-t-il l’oracle qui lui annonça que sa femme ne lui donnerait pas de fils. En revanche, sa fille en aurait un qui le tuerait.
Pour Ă©chapper Ă  la prĂ©diction, il fit construire une chambre souterraine en bronze et y emprisonna DanaĂ©. Zeus, amoureux de la jeune fille, y pĂ©nĂ©tra sous la forme d’une pluie d’or par une fissure du toit et la fĂ©conda. Certains disent que ProĂŻtos fut l’amant humain.
Quelque temps plus tard, DanaĂ© mit au monde PersĂ©e qu’elle Ă©leva en secret. Mais bientĂŽt Acrisios le dĂ©couvrit. Ne voulant pas croire Ă  son origine divine, il l’enferma avec DanaĂ© dans un coffre qu’il jeta Ă  la mer.
Le coffre dĂ©riva jusqu’à l’üle de SĂ©riphos oĂč rĂ©gnait le tyran PolydectĂšs, fils de MagnĂšs. Ils furent recueillis dans les filets du frĂšre du roi Dictys, un pĂȘcheur de tempĂ©rament opposĂ© Ă  celui de son frĂšre, qui veilla sur eux jusqu’à la maturitĂ© de l’enfant.
C’est alors que le roi aperçut DanaĂ© et en tomba amoureux mais il ne savait comment obtenir ses faveurs. Il chercha donc un moyen pour se dĂ©barrasser de PersĂ©e qui veillait sur sa mĂšre.
Il fit donc savoir qu’il Ă©tait dĂ©sireux d’obtenir la main d’Hippodamie, fille d’Oinomaos. Selon certains, il avait besoin de contributions pour constituer la dot. Selon d’autres, il lui fallait les meilleurs chevaux pour l’emporter sur Oinomaos. Celui-ci obligeait en effet les prĂ©tendants Ă  la main de sa fille Ă  concourir contre lui dans une course de chars et tuait les perdants. Or, comme les chevaux des prĂ©tendants ne pouvaient rivaliser avec les siens qui Ă©taient d’origine divine, aucun concurrent n’en rĂ©chappait.
PersĂ©e dĂ©clara au roi qu’il lui donnerait non seulement un cheval mais aussi la tĂȘte de la Gorgone s’il le fallait. Le roi le prit au mot et lui demanda de rapporter la tĂȘte de MĂ©duse, sachant qu’il serait ainsi dĂ©barrassĂ© de lui car quiconque regardait la Gorgone Ă©tait instantanĂ©ment changĂ© en pierre.

La Gorgone MĂ©duse

Une Gorgone – MusĂ©e du louvre

Bien qu’il avance avec un « manque de discernement » (Acrisios), le chercheur est en quĂȘte de « la juste maniĂšre d’agir » (Eurydice). Cependant, cette confusion ne peut dĂ©boucher sur aucune voie active de yoga (Acrisios ne peut avoir d’hĂ©ritier mĂąle) et le chercheur sait intuitivement que cette confusion disparaĂźtra lorsqu’il se sera dĂ©barrassĂ© de ses peurs et de la convoitise vitale (Acrisios est prĂ©venu que son petit-fils le tuera).
Selon des scholiastes de PhĂ©rĂ©cide, mythologue du Ve siĂšcle avant J.-C., Acrisios Ă©pousa Eurydice « une juste maniĂšre d’agir ». C’est l’une des Eurydice homonymes, Ă  ne pas confondre avec la femme d’OrphĂ©e. Elle est fille de LacĂ©daemon « divinitĂ© retentissante », lui-mĂȘme fils de TaygĂšte et de Zeus : cette filiation laisse entendre que ce que reprĂ©sente la Gorgone – les perturbations apportĂ©es Ă  la racine de la vie par la peur, etc. – ne peut ĂȘtre vaincu qu’au niveau du mental intuitif (TaygĂšte est la sixiĂšme PlĂ©iade) afin que l’aventurier de la conscience puisse progressivement s’installer dans le surmental (plan de Maia).

Aussi doit-il d’abord cheminer dans une attitude rĂ©ceptive vers l’union et le don de soi reprĂ©sentĂ©e par DanaĂ©. Mais l’ego sait qu’une telle attitude doit conduire Ă  sa disparition. Il fait donc en sorte que la partie rĂ©ceptive de son ĂȘtre qui travaille Ă  l’union (DanaĂ©) soit Ă©cartĂ©e de sa conscience en l’enfermant dans une partie cachĂ©e de son ĂȘtre (une chambre souterraine en bronze). Il s’arrange pour que la consĂ©quence (DanaĂ©) de « la juste maniĂšre d’agir » vers laquelle il tendait (Eurydice) reste inopĂ©rante (ne puisse ĂȘtre fĂ©condĂ©e), sachant qu’une telle fĂ©condation produirait le moyen de sa perte (la naissance de PersĂ©e). Comme le souligne Sri Aurobindo « Le monde entier aspire Ă  la libertĂ©, et pourtant chaque crĂ©ature est amoureuse de ses chaĂźnes. Tel est le premier paradoxe et l’inextricable nƓud de notre nature ».

IndiffĂ©rent au conflit intĂ©rieur (Acrisios et ProĂŻtos), le plus haut de la conscience (Zeus) rĂ©pond Ă  l’aspiration pour l’union avec le Divin Ă  l’insu du chercheur (DanaĂ© est fĂ©condĂ©e Ă  l’insu d’Acrisios). Il se produit une « imprĂ©gnation » de la conscience que rien ne peut empĂȘcher (une pluie d’or qui passe Ă  travers les barreaux).

Suite Ă  cette union, DanaĂ© mit au monde PersĂ©e « celui qui dĂ©truit (l’ego animal) » et l’éleva en secret : les forces nĂ©cessaires croissent Ă  l’insu du chercheur. Lorsque la partie « confuse » du chercheur prend conscience que sa destruction se prĂ©pare, il tente de l’empĂȘcher, refusant de considĂ©rer que c’est un rĂ©sultat de son aspiration (Acrisios enferme PersĂ©e dans un coffre en niant l’origine divine de l’enfant).

L’üle de SĂ©riphos sur laquelle Ă©choue le coffre est le symbole de ce qui dans l’ĂȘtre reste « attachĂ© Ă  ce qui est descendu », la fĂ©condation par Zeus. Cette Ăźle est gouvernĂ©e par PolydectĂšs « celui qui reçoit beaucoup ». C’est un fils de MagnĂšs « l’aspiration », lui-mĂȘme fils d’Éole. Il est donc normal que les forces nĂ©cessaires Ă  la lutte grandissent sur son territoire.
Mais ce n’est pas lui qui recueille l’enfant et sa mĂšre, et veille sur eux, mais son frĂšre (ou demi-frĂšre), un pĂȘcheur qui trouve le coffre dans ses filets, Dictys « celui qui prend au filet ». Le roi, semble-t-il, n’en fut pas mĂȘme informĂ©.

Le roi PolydectĂšs reprĂ©sente la partie rĂ©ceptive du chercheur, qui continue Ă  recevoir « d’en haut », tandis que son frĂšre Dictys, « le pĂȘcheur au filet », Ă©voque le labeur, l’humilitĂ© et l’incarnation dans le monde. Peut-ĂȘtre aussi une forme d’investigation du subconscient (la pĂȘche au filet).
Lorsque le temps est venu et que le chercheur a accumulĂ© par l’incarnation suffisamment de forces ou « une force irrĂ©sistible » (Diktys est fils de PĂ©risthĂ©nĂšs), alors peut se rĂ©aliser un progrĂšs dans l’union : le roi tombe amoureux de DanaĂ©.
Mais ce progrÚs implique la disparition de la peur correspondante : aussi le roi doit-il envoyer Persée combattre la Gorgone.
Le chercheur, dans sa partie rĂ©ceptive (PolydectĂšs) pense ĂȘtre apte Ă  accĂ©der Ă  une certaine maitrise de la force vitale (concourir pour la main d’Hippodamie « qui a domptĂ© le cheval, la force vitale » ) obtenue par l’aspiration Ă  la joie (Oinomaos « celui qui cherche l’ivresse divine ») alliĂ©e Ă  une installation dans le mental supĂ©rieur (StĂ©ropĂ©, femme d’Oinomaos). Mais cela ne peut se faire tant qu’il y a des obstacles dans l’ego vital.

Toutefois, PersĂ©e ne part au combat ni sur ordre du roi, ni selon quelque autre obligation, mais seulement suite Ă  ce qui semble une simple fanfaronnade. Ainsi, la lutte et la victoire sur la peur ne pourraient ĂȘtre programmĂ©es mais viendraient seulement couronner une prĂ©paration laborieuse et une sorte d’engagement « par dĂ©fi » le moment venu. En effet, la lutte contre la peur organisĂ©e par le mental est inopĂ©rante tant que le chercheur ne peut mettre fin Ă  l’identification quasi automatique Ă  l’ego vital. La seule volontĂ© de l’ĂȘtre extĂ©rieur est le plus souvent incapable de dĂ©passer les peurs qui sont ancrĂ©es profondĂ©ment dans l’ĂȘtre. Il s’agirait davantage alors de prendre une dĂ©cision irrĂ©vocable comme « par dĂ©fi ».

GuidĂ© par HermĂšs et AthĂ©na, PersĂ©e se rendit auprĂšs des trois GrĂ©es « les vieilles », filles de Phorcys et CĂ©to, et donc sƓurs des Gorgones. A elles trois, elles n’avaient qu’un seul Ɠil et une seule dent qu’elles se passaient Ă  tour de rĂŽle. PersĂ©e s’en empara au moment oĂč elles se les Ă©changeaient et refusa de les rendre tant que les GrĂ©es ne lui auraient pas rĂ©vĂ©lĂ© le chemin qui conduisait vers les Nymphes. Ces derniĂšres Ă©taient en effet dĂ©positaires des objets indispensables pour vaincre les Gorgones : le casque d’HadĂšs qui rend invisible, les sandales ailĂ©es et la « kibisis » qui Ă©tait, dit-on, une besace d’argent frangĂ©e d’or.
PersĂ©e rĂ©cupĂ©ra auprĂšs des Nymphes ces accessoires magiques et HermĂšs lui donna de plus une faucille adamantine (HarpĂ©). Il s’éleva dans les airs grĂące Ă  ses sandales ailĂ©es et franchit l’ocĂ©an, accompagnĂ© d’HermĂšs et d’AthĂ©na. Il rampa ensuite jusqu’à la demeure des Gorgones qu’il trouva endormies.
Les deux divinitĂ©s lui indiquĂšrent laquelle des trois Ă©tait MĂ©duse, seule Ă  ĂȘtre mortelle, et lui recommandĂšrent d’éviter son regard lorsqu’il lui trancherait la tĂȘte. (Certains auteurs ajoutent qu’AthĂ©na guida sa main et qu’il usa d’un bouclier comme d’un miroir afin de ne pas croiser son regard).
De son cou tranchĂ© jaillirent PĂ©gase « le cheval ailé » et Chrysaor « l’homme Ă  l’épĂ©e d’or », que MĂ©duse avait conçus de son union avec PosĂ©idon.
Les deux autres Gorgones poursuivirent le hĂ©ros mais il s’échappa, rendu invisible par le casque d’HadĂšs, et portant la tĂȘte de MĂ©duse cachĂ©e dans sa « kibisis » (besace).

Le cheval ailé Pégase issu du cou tranché de la Gorgone Méduse

Le cheval ailĂ© PĂ©gase montĂ© par BellĂ©rophon lors de son combat contre la ChimĂšre – MusĂ©e du Louvre 

En dĂ©pit de son apparente simplicitĂ©, ce mythe fait appel Ă  des notions complexes, en particulier dans ses rapports de complĂ©mentaritĂ© avec celui de l’Hydre de Lerne.
Cependant, nous ne saurions nous en Ă©tonner au vu de la difficultĂ© des sciences de l’homme Ă  Ă©tablir une nomenclature commune des fonctionnements humains primaires.

L’énergie de vie, elle-mĂȘme limitĂ©e dans ses premiĂšres manifestations animales par l’inconscience, s’est tout d’abord manifestĂ©e par « l’instinct de vie » qui veut possĂ©der et se satisfaire, la convoitise vitale.
Une dĂ©viance se produisit alors au moment oĂč le moi animal s’orienta vers l’individuation aux troisiĂšme et quatriĂšme stades de dĂ©veloppement de la vie, ceux de Phorcys et CĂ©to. Cet arrĂȘt de l’évolution dans l’union (Échidna est la fille de Phorcys et CĂ©to) contribua Ă  la formation de l’ego animal, source dans le plan vital de la souffrance, de la peur, du plaisir et de la douleur, et du besoin de satisfaire aux nĂ©cessitĂ©s de la survie aussi bien individuelle que collective.

Lorsque cette Ă©nergie de vie limitĂ©e, rassemblĂ©e autour d’un premier ego vital animal, s’immisce dans les plans infĂ©rieurs du mental humain, elle gĂ©nĂšre :
– dans le mental sensoriel : la soif des sensations, le penchant naturel Ă  aller vers ce que nous aimons et Ă  fuir ce qui nous dĂ©plaĂźt, les dĂ©gouts et rĂ©pulsions. Mais elle dĂ©veloppe aussi Ă  sa racine un mĂȘme attrait pour l’excĂšs dans la sensation, et donc aussi bien pour le plaisir violent que pour la souffrance, pour la perfection et l’harmonie que pour leurs opposĂ©s.
– dans le mental Ă©motif : les Ă©motions fausses et troubles, la colĂšre, les peurs et les espoirs liĂ©s aux affects, la honte et la culpabilitĂ©, et de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, les attachements du cƓur, les passions, le besoin d’affirmation de soi, de domination et de possession, celui de satisfaire les impulsions du sentiment, de cultiver antipathies et sympathies, d’assouvir l’amour (sa caricature prĂ©datrice) et la haine.
– dans l’intelligence : le dĂ©sir sous toutes ses formes (y compris l’ambition, la recherche de pouvoir, etc.) qui est une dĂ©formation de la VolontĂ© pure par laquelle ce sont les objets eux-mĂȘmes qui deviennent le but de la jouissance et de la possession, et non l’Absolu Ă  travers eux.

Ce sont toutes ces manifestations de « l’arrĂȘt de l’évolution dans l’union » alliĂ©e Ă  « l’ignorance fondamentale » qui, dans l’homme, surgissent des « marais » de la nature vitale sous la forme de l’Hydre.

En effet, pour HomĂšre, deux monstres de la mythologie semblent couvrir l’ensemble de ce processus : « Gorgo » dont il ne donne pas la filiation et l’Hydre de Lerne.

C’est HĂ©siode qui nous propose une gĂ©nĂ©alogie cohĂ©rente pour les diffĂ©rents monstres. De la dualitĂ© apparue dans la vie avec le couple Phorcys/CĂ©to, il fait naĂźtre les GrĂ©es (les rudiments de mĂ©moire et de conscience), les trois Gorgones dont une seule est mortelle (seule MĂ©duse appartient Ă  l’état duel) et la vipĂšre Échidna (l’arrĂȘt de l’évolution dans l’union).
Gorgo est donc concomitante de « l’arrĂȘt de l’évolution dans l’union ». Elle reprĂ©sente le mouvement centralisateur qui caractĂ©rise et construit l’ego animal, avec comme expressions et consĂ©quences la prĂ©dation instinctive et la peur.
Rappelons que dans la conscience humaine, l’alliance de cette dualitĂ© naissante ou perversion de l’évolution (Échidna) et de l’ignorance issue de la Nescience (Typhon issu du Tartare ou d’HĂ©ra) gĂ©nĂ©ra les quatre grands monstres propres Ă  l’homme, le chien Orthros, CerbĂšre, la ChimĂšre et l’Hydre de Lerne.
Les Gorgones prĂ©cĂšdent donc l’Hydre dans l’évolution (la peur prĂ©cĂšde le mouvement de captation, la « saisie » et le dĂ©sir).

Les Gorgones vivent en ExtrĂȘme-Occident et donc Ă  la racine de la vie consciente tandis que l’Hydre habite les marais de Lerne, zone qui peut ĂȘtre associĂ©e au dĂ©sir humain.
D’autre part, nul ne peut s’approcher des Gorgones sans prĂ©caution car elles pĂ©trifient celui qui les regarde, tandis qu’HĂ©raclĂšs pourra empoigner l’Hydre dans son second travail.
Notons Ă©galement que l’Hydre fut Ă©levĂ©e par HĂ©ra, c’est-Ă -dire par le juste mouvement d’évolution de la conscience humaine.

Si les Gorgones sont d’apparence humaine tandis que l’Hydre est un serpent de mer Ă  une ou plusieurs tĂȘtes (alors qu’on s’attendrait plutĂŽt Ă  l’inverse), c’est sans doute parce que la Gorgone, symbole d’une consĂ©quence du dĂ©veloppement de l’ego animal devant ĂȘtre abandonnĂ© le temps venu, est insĂ©parable du processus d’individuation animal dont l’homme a hĂ©ritĂ© dans ses mĂ©moires corporelles.
À l’inverse, le dĂ©sir, qui ne doit pas ĂȘtre confondu avec le besoin ni avec la VolontĂ© vraie, est une intrusion de cette mĂȘme Ă©nergie de vie pervertie dans l’intelligence et ne serait donc pas indispensable Ă  une Ă©volution juste.
C’est pourquoi, selon certains auteurs, l’Hydre est dĂ©pourvue d’ailes alors que celles des Gorgones sont en or : ce qui confirmerait que ces derniĂšres correspondent Ă  un juste mouvement de la mentalisation absolument nĂ©cessaire Ă  l’individuation.
Enfin, lorsque la Gorgone est dĂ©capitĂ©e par PersĂ©e, une Ă©nergie de vie libĂ©rĂ©e de la nature infĂ©rieure (le cheval PĂ©gase) et une VolontĂ© pure et inflexible (Chrysaor) apparaissent, tandis que rien ne surgit Ă  la mort de l’Hydre.

Tous ces Ă©lĂ©ments nous conduisent Ă  attribuer Ă  la Gorgone MĂ©duse les processus les plus archaĂŻques de l’individuation dans la vie, le plus souvent rĂ©flexes et instinctifs, liĂ©s Ă  la peur, aux attractions/rĂ©pulsions, aux couples plaisir/douleur vital ou domination/soumission, ainsi qu’à leurs consĂ©quences.
Et l’Hydre serait davantage le symbole du dĂ©sir, dĂ©formation de la VolontĂ© dans l’intelligence qui veut se saisir de ce qu’elle croit ne pas possĂ©der, et son associĂ© le crabe qui symbolise le mouvement de captation ou « saisie » qui ne peut lĂącher prise. Sans doute peut-on aussi associer Ă  l’Hydre la honte et la culpabilitĂ©. La souffrance mentale et le doute sont davantage des consĂ©quences de Typhon et d’Échidna.
Toutefois, si l’on considĂšre que l’extinction de tout dĂ©sir est Ă©galement celui de la peur, que l’on cesse de craindre lorsque l’on cesse d’espĂ©rer, alors on voit comme il peut ĂȘtre difficile de distinguer entre les deux monstres et l’on comprend les variantes de la mythologie Ă  leur sujet.
En particulier, il est Ă©vident de par la multiplicitĂ© des gĂ©nĂ©alogies que les Anciens, dans leurs Ă©crits comme dans leurs reprĂ©sentations, n’ont pas toujours attribuĂ© exactement la mĂȘme signification aux symboles, ce qui peut expliquer certaines diffĂ©rences dans les images et leurs descriptions.
Si l’on ignore les descriptions qui ont Ă©tĂ© proposĂ©es par HĂ©siode ainsi que celles des rĂ©cits tardifs en retenant uniquement les reprĂ©sentations de l’art figurĂ©, on voit que la Gorgone a la plupart du temps forme humaine. Seule sa tĂȘte de laquelle jaillissent de nombreux serpents prĂ©sente une apparence hideuse tandis que l’Hydre est un monstre marin, un serpent de mer aux multiples tĂȘtes.
La Gorgone pourrait sur cette seule base ĂȘtre alors associĂ©e aux perturbations purement mentales dans l’humain – le doute, la honte et la culpabilitĂ© – toutes trois Ă©galement paralysantes et consĂ©quences de la sĂ©paration dans le mental. Et l’Hydre serait plutĂŽt l’image de cette mĂȘme sĂ©paration dans le vital, avec ses consĂ©quences, la peur et le dĂ©sir.

Si la Gorgone reprĂ©sente un processus plus archaĂŻque que l’Hydre, elle sera logiquement vaincue en totalitĂ© bien aprĂšs l’Hydre, mĂȘme si elle vient en premier dans l’arbre gĂ©nĂ©alogique d’HĂ©raclĂšs. Rappelons, en effet, qu’il s’agit de processus qui s’enchevĂȘtrent et se rĂ©pĂštent.
Hygin combine les deux approches : pour lui, les Gorgones sont filles de Gorgon et CĂ©to, Gorgon Ă©tant lui-mĂȘme un fils de Typhon et d’Échidna. Il fait ainsi intervenir dans leur origine « l’ignorance » et « l’arrĂȘt de l’évolution dans l’union », ce qui permet d’intĂ©grer la dĂ©formation due Ă  l’ignorance lors de l’irruption de la dualitĂ© dans la vie animale.

La Gorgone serait donc l’expression du mouvement centralisateur de l’ego vital, qui, mettant un terme Ă  l’évolution dans l’unitĂ©, introduit – lorsqu’on perd le contact avec le RĂ©el (la matiĂšre, le corps) – la peur dans le vital et le doute dans le mental, les deux processus « paralysants » de l’action. Ainsi, la seule vue de la Gorgone peut-elle pĂ©trifier.

Le mythe dans lequel le grand guérisseur Asclépios (Esculape) ressuscite les morts peut donner un éclairage complémentaire.
AsclĂ©pios avait reçu d’AthĂ©na le sang qui avait coulĂ© du cou de la Gorgone. Avec le sang s’écoulant des veines gauches, il faisait pĂ©rir les hommes, tandis qu’avec celui des veines de droite, il parvenait Ă  ressusciter les morts. Zeus en fut contrariĂ© et le foudroya.
PrĂ©cisons qu’il ne s’agissait pas de n’importe quels « morts », mais seulement de « ceux qui Ă©taient morts Ă  Delphes », c’est-Ă -dire les Ă©lĂ©ments incorporĂ©s Ă  l’ĂȘtre psychique en cette vie ou durant les vies passĂ©es.
La Gorgone peut alors ĂȘtre associĂ©e au voile d’inconscience sĂ©parant la soi-disant vie de la soi-disant mort, et son sang du cĂŽtĂ© droit reprĂ©senterait le courant de conscience qui traverse le voile de bas en haut, rendant possible le retour Ă  la conscience de vĂ©cus psychiques. En ce voile qui crĂ©e la premiĂšre sĂ©paration (et que l’on peut associer au premier voile de l’arbre des Sephiroth) se trouve l’origine de la plus grande peur, celle de la mort. Nombre d’initiĂ©s ont proclamĂ© que regarder Ă  travers ce voile peut ĂȘtre terrifiant pour qui n’est pas prĂ©parĂ©.

C’est sur cette base que nous allons Ă©tudier les diffĂ©rentes histoires concernant les Gorgones.
Filles de Phorcys et CĂ©to, elles se manifestent donc lors de la constitution du « moi animal » Ă  partir d’embryons de mĂ©moire et de conscience (les GrĂ©es). Elles ne concernent donc pas les processus archaĂŻques de la vie (mĂ©canismes de survie, reproduction, etc.) depuis le stade de la cellule jusqu’à celui des « sens pensants » (Thaumas), non gĂ©rĂ©s par un cerveau central.

Fondamentalement, Gorgo (ou les Gorgones : MĂ©duse, SthĂ©no et EuryalĂ©) reprĂ©sente l’énergie de vie qui soutient les activitĂ©s mentales (elle est ailĂ©e) et qui subit une dĂ©formation lors du dĂ©but de la polarisation mentale (CĂ©to), lorsqu’apparut le mouvement d’individuation nĂ©cessaire pour sortir du fonctionnement de groupe animal.

L’expression la plus haute de cette Ă©nergie de vie, libĂ©rĂ©e de ses limitations et purifiĂ©e, sur le chemin de la jouissance et de la possession du Divin, se manifestent par une VolontĂ© pure et un pouvoir libres de toute limitation (Chrysaor « l’homme Ă  l’épĂ©e d’or » ou acte juste, et le cheval ailĂ© PĂ©gase, l’énergie de vie libĂ©rĂ©e de ses limitations) qui deviennent disponibles lorsque meurt la Gorgone.
Cette Ă©nergie est dĂ©formĂ©e lorsque la jouissance et la possession ne s’épanouissent plus dans le cadre de l’UnitĂ© mais sont recherchĂ©es pour elles-mĂȘmes. Son Ă©mergence dans le cadre de l’ignorance et des limitations imposĂ©es par la nature l’a orientĂ©e dans une direction dans laquelle toute forme de vie s’apprĂ©hende comme sĂ©parĂ©e. À la place de la jouissance et de la possession du RĂ©el se sont installĂ©es la souffrance et le manque, ainsi qu’une tension pour y remĂ©dier.
Cette Ă©nergie se manifeste alors en l’animal par la convoitise vitale, un instinct ou besoin qui veut possĂ©der et se satisfaire, en vue d’assurer sa propre conservation et la continuation de l’espĂšce (faim, soif, reproduction, etc.), convoitise qui est Ă  l’origine du dĂ©sir humain.
Elle est Ă  la source de la peur et de l’agressivitĂ©, des pulsions primaires et des opposĂ©s plaisirs/douleurs.

Tuer la Gorgone, c’est donc libĂ©rer le mental sensoriel des limitations et obscuritĂ©s naturelles, de la colĂšre, de la peur, de la dualitĂ© des attirances et rĂ©pulsions, et des rĂ©ponses automatiques au plaisir et Ă  la douleur. Toutes choses cependant qui ont eu leur nĂ©cessitĂ© pour opĂ©rer une premiĂšre sĂ©lection instinctive. C’est atteindre un seuil oĂč peut se manifester la pure VolontĂ© du RĂ©el en nous, avec une Ă©nergie libĂ©rĂ©e de toute limitation, pour que les forces de l’Absolu puissent travailler directement dans l’ĂȘtre, et surtout dans le corps pour opĂ©rer sa transformation.
On comprend alors que le mythe de PersĂ©e se prĂ©sente comme un « chapeau »sur les travaux d’HĂ©raclĂšs, leur aboutissement logique.
Avec la mort de MĂ©duse peuvent se manifester pleinement les puissances de la Vie, une force vitale libĂ©rĂ©e de sa sujĂ©tion Ă  la nature qui est un total « dĂ©tachement » (PĂ©gase) et une capacitĂ© d’action exacte, juste et inflexible (Chrysaor « l’homme au glaive d’or ») ou la mise en action de la VolontĂ© (non troublĂ©e par le dĂ©sir, car le travail contre l’Hydre est Ă©galement accompli).
Selon HĂ©siode, PĂ©gase et Chrysaor sont fils de PosĂ©idon : ils ont alors Ă©tĂ© gĂ©nĂ©rĂ©s par le subconscient et ont poursuivis leur croissance en MĂ©duse, ce qui confirme la nĂ©cessitĂ© de ce que reprĂ©sentent les Gorgones pour la croissance de l’ego.

Le nom Gorgo est formĂ© selon la structure des mots de la forme X+RX, ici Γ+ΡΓ, c’est-Ă -dire une impulsion qui revient vers l’émetteur, un mouvement unifiĂ© qui s’inverse, qui rĂ©cupĂšre Ă  son propre compte, agissant de son propre droit et non de celui de l’UnitĂ© Divine.

Sur le bouclier d’AthĂ©na, la tĂȘte de MĂ©duse est entourĂ©e de Phobos, AlkĂ©, Éris, et IokĂ© (Crainte, Puissance, Discorde et MĂȘlĂ©e au combat), et sur celui d’Agamemnon, de DĂ©imos et Phobos (l’Épouvante et la Crainte). Chez HomĂšre, Gorgo a un regard qui inspire la crainte, et au royaume d’HadĂšs, elle est l’une des ombres les plus terrifiantes. Hector a parfois le regard de Gorgo et Ulysse, Ă  l’entrĂ©e du Royaume des ombres, craint que PersĂ©phone ne lui envoie de chez HadĂšs la tĂȘte du monstre (c’est-Ă -dire qu’il soit assailli par les peurs vitales les plus archaĂŻques Ă  peine mentalisĂ©es).

Les attributs des Gorgones sont souvent repris Ă  partir de la description d’HĂ©siode. Le nom de la seule Gorgone mortelle, MĂ©duse, Ă©voque « ce qui contient dans la juste mesure, ce qui prend soin (de la croissance) » : dans l’animal et dans l’animal en l’homme, l’aiguillon de l’évolution est la souffrance, et la peur protĂšge.
Les deux autres Gorgones, EuryalĂ© « l’évolution vers une vaste liberté » et SthĂ©nno « la puissance Ă©volutive », expriment les besoins absolus de libertĂ© et de croissance Ă  la racine de la vie.

Selon Apollodore, les Gorgones ont certaines particularités qui indiquent leur efficacité dans chacun des plans correspondants :
– la tĂȘte hĂ©rissĂ©e (d’anneaux Ă©cailleux) de serpents : une forte puissance Ă©volutive par le dĂ©but de mentalisation.
– de longues dĂ©fenses de sanglier : une bonne capacitĂ© de dĂ©fense ou d’attaque et d’agressivitĂ© dans les couches basses du vital.
– des mains de bronze : une action puissante dont on ne peut se dĂ©fendre.
– des ailes d’or qui leur permettaient de voler : une facilitĂ© pour agir dans le mental naissant.
Notons aussi que les Gorgones, pour HĂ©siode, sont apparentĂ©es Ă  des rĂ©cifs sous- marins, c’est-Ă -dire aux « nƓuds » dans le vital.

Pour rĂ©aliser l’exploit de tuer la Gorgone, PersĂ©e est aidĂ© par deux forces d’ordre supĂ©rieur, AthĂ©na « celle qui veille Ă  la progression de l’ĂȘtre intĂ©rieur » et HermĂšs « la lumiĂšre de la Connaissance par identité ».
Ces deux divinitĂ©s lui conseillent de se rendre chez les GrĂ©es, « les vieilles femmes », (ou les « impulsions pour un dĂ©veloppement juste de la conscience »), les plus anciennes « rĂ©alisations » du mental dans la vie, qui doivent lui indiquer le chemin jusqu’au repaire des Gorgones.
Les GrĂ©es n’ont Ă  elles trois qu’un seul Ɠil et une seule dent qu’elles s’échangent : le chercheur devra descendre profondĂ©ment en lui, « se saisir » des mĂ©moires archaĂŻques (la dent) et des lueurs de conscience ou de « connaissance vraie » (l’Ɠil unique) pour comprendre comment la Gorgone se manifeste dans sa vie, ce qui lui permettra d’acquĂ©rir les outils nĂ©cessaires Ă  la victoire.
Chez HĂ©siode, elles ne sont que deux : Pemphredo « la guĂȘpe qui fait son nid dans la terre », c’est-Ă -dire « le mental vrillĂ© cachĂ© dans le corps » et Enyo « l’évolution ». Elles sont vĂȘtues, l’une d’un vĂȘtement safranĂ©, l’autre d’une robe de beautĂ©. Elles reprĂ©sentent donc des processus Ă©volutifs, incontournable pour le premier, harmonieux pour le second, tous deux basĂ©s comme pour MĂ©duse sur des embryons de mĂ©moire et de conscience.

Parvenu au niveau des GrĂ©es, le chercheur n’a pas dĂ©passĂ© le stade de la prise de conscience des dĂ©viations dues Ă  l’énergie de vie dĂ©formĂ©e, mais cette prise de conscience ne suffit pas pour purifier. Il doit encore supprimer les dĂ©formations avec les outils adĂ©quats : le casque d’invisibilitĂ©, les sandales ailĂ©es, une serpe et la «kibisis ».
La serpe lui a Ă©tĂ© remise par HermĂšs, le plus haut de la Connaissance, et les trois autres objets par les Nymphes. Celles-ci, le plus souvent filles de Zeus, sont des symboles des forces de transition entre le stade vital Ă©voluant dans l’unitĂ© et celui, duel, du mental. C’est pour cela qu’elles ne sont ni mortelles, comme le sont les ĂȘtres qui Ă©voluent dans la dualitĂ©, ni immortelles comme ceux qui appartiennent au monde de l’unitĂ©, bien qu’elles aient une vie extrĂȘmement longue. Cependant, elles reprĂ©sentent des Ă©tats proches de l’unitĂ© et c’est pourquoi les Anciens en ont fait les esprits de la nature la plus sauvage. Pour vaincre la Gorgone, le chercheur doit retrouver l’unitĂ© perdue dans le vital et n’a d’autre choix que d’utiliser les outils que recommandent les Nymphes.

Le casque d’invisibilitĂ© permet de voir sans ĂȘtre vu, c’est-Ă -dire Ă©vite « l’identification ». L’affrontement direct est alors Ă©vitĂ© et la mort de la Gorgone se produit comme par surprise, simple consĂ©quence du travail de prĂ©paration rĂ©alisĂ© auprĂšs des GrĂ©es, puis des Nymphes.
Le casque d’invisibilitĂ© permet que ne soit Ă©mise aucune vibration, autrement dit que soient Ă©tablis un calme si ce n’est un silence mental, une paix Ă©motionnelle et une immobilitĂ© corporelle. Lorsque l’immobilitĂ© parfaite est rĂ©alisĂ©e, alors rien ne peut toucher le chercheur.
L’invisibilitĂ© lui Ă©vite donc de se faire « attraper » par l’élĂ©ment considĂ©rĂ©. Il ne doit pas focaliser son attention sur celui-ci car il ne ferait alors que le nourrir. Au contraire, il doit « faire un pas en arriĂšre », se dĂ©s-identifier. C’est l’image donnĂ©e par le miroir ou le reflet de la Gorgone dans son bouclier.

PersĂ©e fut ensuite pourvu par les Nymphes d’une paire de sandales ailĂ©es qui lui permirent de se rendre au repaire des Gorgones, aux extrĂ©mitĂ©s de la terre.
Ces sandales ailĂ©es Ă©taient aussi un attribut d’HermĂšs, le niveau le plus avancĂ© du mental (l’air est un attribut du plan mental). Elles symbolisent Ă  la fois une capacitĂ© Ă  s’élever « au-dessus », Ă  prendre de la hauteur par rapport aux situations, mais surtout Ă  se rendre aux limites de la conscience (aux « extrĂ©mitĂ©s de la terre ») par un dĂ©placement rapide de celle-ci jusqu’à la source de la dĂ©formation.

Puis PersĂ©e, grĂące Ă  l’aide d’AthĂ©na qui dirigeait son bras, utilisa une serpe, la « Harpé » que lui avait donnĂ© HermĂšs, pour trancher le cou de MĂ©duse. Ce mot HarpĂ© est formĂ© avec les lettres structurantes ΥΠ. Nous avons dĂ©jĂ  rencontrĂ© ce groupe de consonnes avec les Harpyes, symbole d’un « renversement d’équilibre ». L’outil dĂ©cisif qui permet la victoire (trancher le cou de MĂ©duse) serait donc le « renversement » de l’équilibre de la conscience animale la plus primitive.
Le chercheur traverse plusieurs Ă©tapes avant de toucher aux racines du plaisir et de la souffrance. Il doit se battre contre les rĂ©pulsions, les dĂ©gouts et les manques. Il ne s’agit pas ici des douleurs corporelles, car le mythe de la Gorgone, liĂ© Ă  la racine de l’élaboration du moi animal, ne concerne pas le corps et les processus associĂ©s Ă  la vie physique, tels la faim, le sommeil, etc., plongeant jusqu’aux racines du mental cellulaire. La Gorgone appartient en effet aux troisiĂšme et quatriĂšme stades de dĂ©veloppement de la vie, et le personnage de GorgophonĂ© « celui qui a tuĂ© la Gorgone », fils de PersĂ©e et d’AndromĂšde, intervient dans la descendance de la PlĂ©iade TaygĂšte au stade du mental intuitif qui prĂ©cĂšde le surmental. (Nous avons vu que DanaĂ© avait aussi TaygĂšte parmi ses ascendants.)

Enfin, le hĂ©ros dut ĂȘtre Ă©quipĂ© de la mystĂ©rieuse « kibisis ». Ce mot n’est utilisĂ© nulle part ailleurs dans les textes grecs. Il fut interprĂ©tĂ© comme dĂ©finissant une « besace » car les exĂ©gĂštes ont pensĂ© que PersĂ©e devait avoir un sac quelconque pour transporter la tĂȘte de la Gorgone.

Notons que PersĂ©e n’a pas prĂ©mĂ©ditĂ© le combat contre la Gorgone, mais dut s’y rĂ©soudre Ă  la suite d’une simple vantardise : lorsque le moment est venu, la vie offre les obstacles nĂ©cessaires au progrĂšs, et pousse le chercheur Ă  affronter ceux-lĂ  mĂȘme qu’il pense insurmontables. Lorsqu’il est mis au pied du mur, les forces intĂ©rieures (AthĂ©na) et celles du plus haut plan du mental (HermĂšs) apportent leur soutien.

Les forces qui jaillissent du cou tranchĂ© de MĂ©duse, le cheval ailĂ© PĂ©gase et Chrysaor, conçues dans le subconscient, grandissent tout au long de la quĂȘte mais ne deviennent actives qu’à la mort de leur mĂšre. Rappelons que PĂ©gase dont le nom signifie « eaux vives » et/ou « puissant » est le symbole de la force de vie libĂ©rĂ©e de sa sujĂ©tion Ă  la nature, et Chrysaor « l’homme à l’épĂ©e d’or » celui d’une capacitĂ© d’action juste et inflexible.
À la mort de MĂ©duse, ces forces opĂšrent directement dans « l’unité » de la vie, car PĂ©gase prit son vol pour rejoindre l’Olympe, tandis que Chrysaor, de son union avec CallirhoĂ© « ce qui coule bien », eut pour enfant GĂ©ryon, symbole des « pouvoirs » de la vie que le chercheur devra aussi laisser de cĂŽtĂ© (cf. le dixiĂšme travail d’HĂ©raclĂšs).

Dans les mythes tardifs, BellĂ©rophon montait PĂ©gase durant son combat contre la ChimĂšre, leurs auteurs prĂ©cisant ainsi que la victoire finale sur l’illusion ne peut ĂȘtre acquise tant que l’énergie de vie n’est pas totalement purifiĂ©e et libĂ©rĂ©e, principalement de la peur et du doute.

Sur le chemin du retour, PersĂ©e rencontra AndromĂšde. Elle Ă©tait attachĂ©e en mer sur un rocher, offerte en expiation Ă  un monstre marin, car sa mĂšre CassiopĂ©e s’était vantĂ©e que sa fille Ă©tait plus belle que les NĂ©rĂ©ides. PosĂ©idon irritĂ© avait gĂ©nĂ©rĂ© une inondation et envoyĂ© un monstre marin contre le pays.
L’oracle avait annoncĂ© que la calamitĂ© ne cesserait que si AndromĂšde Ă©tait offerte en pĂąture au monstre.
PersĂ©e tomba amoureux de la jeune fille et promit de la dĂ©livrer si son pĂšre CĂ©phĂ©e acceptait de la lui donner en mariage. Le marchĂ© fut conclu. PersĂ©e repoussa le monstre ou, selon d’autres versions, le tua avec son Ă©pĂ©e ou sa faucille. Toutefois, selon certains, avant d’épouser AndromĂšde, il dut encore affronter PhinĂ©e qui Ă©tait le frĂšre de CĂ©phĂ©e et auquel la jeune fille Ă©tait promise.

AndromĂšde, celle qui a « souci de l’humain », reprĂ©sente une « volontĂ© de servir » issue de l’intellect car elle est la fille de CĂ©phĂ©e. Cette volontĂ© est sincĂšre car AndromĂšde est belle.
Sa mĂšre CassiopĂ©e reprĂ©sente le chercheur qui a « ouvert sa conscience Ă  la vision du cheminement humain ». Cette ouverture entraĂźne ce dernier vers une prĂ©tention Ă  Ɠuvrer de façon plus efficace que ne peuvent le faire en lui les forces les plus anciennes et spontanĂ©es de la vie, c’est-Ă -dire les moins perturbĂ©es par l’intervention du mental (CassiopĂ©e prĂ©tend qu’elle-mĂȘme ou que sa fille est plus belle que les NĂ©rĂ©ides). Le chercheur intervient alors dans le chemin des autres ou dans le sien propre (par projections et introjections). Mais son « travail » est automatiquement perturbĂ© en retour par les forces vitales non maĂźtrisĂ©es de sa nature subconsciente. Avec « l’inondation », c’est le subconscient vital qui perturbe sa nature entiĂšre et toutes ses actions, et avec « le monstre marin », c’est la mainmise complĂšte d’élĂ©ments du vital subconscient non purifiĂ©s capables d’entraĂźner la fin de cette disponibilitĂ©.

Lorsque le chercheur a terminĂ© la « purification » et la « libĂ©ration » de l’énergie de vie (lorsque PersĂ©e a tuĂ© la Gorgone), il peut enfin « travailler sur l’humain » sans qu’intervienne son ego mental et vital. Il est devenu un pur canal car celle « qui prend soin de l’humain », AndromĂšde, est dĂ©livrĂ©e.
Cependant, avant que le chercheur (PersĂ©e) ne puisse se mettre entiĂšrement « au service » (Ă©pouser AndromĂšde), et mĂȘme s’il est parvenu Ă  la libĂ©ration du vital en ayant annihilĂ© toute peur en lui, il doit encore accepter que sa partie rĂ©ceptrice intuitive, contrepartie du mental logique (PhinĂ©e « l’évolution de ce qui descend d’en haut », frĂšre de CĂ©phĂ©e) abandonne Ă©galement ses prĂ©tentions Ă  diriger la maniĂšre de servir au profit de ce qui est libre de toute peur. Le vrai service qui est don de soi total ne peut se faire s’il se maintient dans l’ĂȘtre la moindre peur ou le moindre doute. Il ne doit dĂ©pendre que du psychique ou de l’ñme, de la VĂ©ritĂ© en soi. Le chercheur doit cesser de le faire dĂ©pendre de l’intuition mentale (CassiopĂ©e Ă©tait promise Ă  PhinĂ©e).

PersĂ©e revint alors Ă  SĂ©riphos oĂč, exhibant la tĂȘte de MĂ©duse, il pĂ©trifia le tyran PolydectĂšs et tout son peuple. Il confia alors le trĂŽne Ă  son bienfaiteur, Diktys, le frĂšre du roi. Il remit la tĂȘte de la Gorgone Ă  AthĂ©na qui la plaça sur son Ă©gide et partit pour Argos avec DanaĂ©, AndromĂšde et les Cyclopes. Ceux-ci lui apportĂšrent leur aide pour la fortification de MycĂšnes.

Le roi PolydectĂšs reprĂ©sente celui « qui reçoit beaucoup » (d’en haut). Cette aide a dĂ©clenchĂ© le travail nĂ©cessaire de purification et de libĂ©ration. Mais une fois l’unitĂ© rĂ©alisĂ©e dans le vital, elle n’est plus nĂ©cessaire et le chercheur doit poursuivre son travail dans le quotidien de l’incarnation avec humilitĂ©.
La tĂȘte de la Gorgone est un « trophĂ©e » majeur du chemin. PlacĂ©e sur l’égide d’AthĂ©na, elle indique que le chercheur est arrivĂ© au terme d’une Ă©tape importante : il est devenu aux yeux de tous ce que la tradition a coutume d’appeler « un libĂ©rĂ© vivant ».
Mais ce n’est pas la fin du chemin, aussi le chercheur qui est devenu « un voyant » (PersĂ©e est accompagnĂ© des Cyclopes) retourne-t-il Ă  Argos poursuivre le travail d’union (avec DanaĂ©), travail qui se dĂ©roulera dĂ©sormais dans le corps et pour l’humanitĂ© (il est accompagnĂ© d’AndromĂšde). Le travail de yoga « personnel » s’arrĂȘte ici, mais bien d’autres mythes participent Ă  dĂ©crire le chemin jusqu’à ce point, encadrĂ©s par les exploits du plus cĂ©lĂšbre des descendants de PersĂ©e, HĂ©raclĂšs.

A son retour Ă  Argos, PersĂ©e n’y retrouva pas son grand-pĂšre qui s’était enfui vers le nord, Ă  Larissa. Il craignait en effet la rĂ©alisation de l’oracle qui lui annonçait que son petit-fils le tuerait.
PersĂ©e le rejoignit dans cette ville et le convainquit de rentrer Ă  Argos avec lui. Cependant, avant de partir, PersĂ©e participa Ă  un concours athlĂ©tique et lança un disque qui tomba sur le pied de son grand-pĂšre et le tua. Rempli de douleur et ne voulant rĂ©gner Ă  la place de celui qu’il venait de tuer, il Ă©changea le trĂŽne d’Argos avec celui de Tirynthe oĂč rĂ©gnait son cousin MĂ©gapenthĂšs, fils de ProĂŻtos, qui avait eu deux enfants, Anaxagoras et Iphianira.
Persée fonda une ville nouvelle proche de Tirynthe, MycÚnes.
D’Andromùde, il eut six enfants.

La mort accidentelle du grand-pÚre de Persée, Acrisios, celui qui est « dans la confusion », indique que le travail de discernement est terminé : il consacre la fin de le peur et du doute.
PersĂ©e proposa donc un Ă©change de trĂŽnes Ă  son cousin MĂ©gapenthĂšs, symbole d’une « grande souffrance » ou compassion qui envahit l’ĂȘtre lorsqu’il est parvenu Ă  cet Ă©tat de libĂ©ration, et provenant de son intense perception du manque d’unitĂ© de l’homme avec le Divin.
La mort de la Gorgone reprĂ©sentant une Ă©tape trĂšs avancĂ©e du chemin, il faut alors considĂ©rer les transformations dĂ©crites par les travaux d’HĂ©raclĂšs dans la descendance de PersĂ©e comme des processus entrelacĂ©s, non seulement entre eux mais aussi avec les processus illustrĂ©s par les luttes contre la ChimĂšre et la Gorgone.

Peut-ĂȘtre les anciens rĂ©solurent-ils d’apporter une solution Ă  ce problĂšme par l’éloignement de PersĂ©e d’Argos et la fondation d’une nouvelle lignĂ©e Ă  MycĂšnes.
Quoi qu’il en soit, le mythe semble nous replacer dans les conditions thĂ©oriques du dĂ©but de la quĂȘte par le nom des deux enfants de MĂ©gapenthĂšs, Anaxagoras « la domination par les nombreux aspects de la personnalité » et Iphianira « un attachement puissant ».

En fondant MycĂšnes, PersĂ©e pose les bases d’une ville en rapport avec le « mugissement » du taureau, et donc avec « le pouvoir agissant du mental lumineux ». Les Cyclopes, symboles d’une « vision totale », en construisirent les fortifications, Ă©tablissant ainsi des protections puissantes par une conscience vaste qui caractĂ©risera, quelques gĂ©nĂ©rations plus tard, le maĂźtre de cette ville, l’Atride Agamemnon.

Le trĂŽne d’Argos (la direction de la quĂȘte) se maintiendra durant plusieurs gĂ©nĂ©rations dans la descendance de MĂ©gapenthĂšs (dans le processus de purification) dans laquelle figureront, Ă  la quatriĂšme gĂ©nĂ©ration, deux cĂ©lĂšbres attaquants de la guerre des Sept contre ThĂšbes, c’est-Ă -dire deux qualitĂ©s intĂ©rieures fortement mobilisĂ©es dans cette purification. Puis il passera dans la lignĂ©e de l’ascension, celle de Bias « la force », avant que l’Argolide ne soit dĂ©finitivement rĂ©unifiĂ©e par le petit-fils d’Agamemnon, Tisamenos « celui qui est sans mental » (dans le complet silence mental), roi de MycĂšnes, Tirynthe, Argos et Sparte : seront alors unifiĂ©s en vue d’une Ă©tape future du chemin « le pouvoir agissant du mental lumineux », « l’évolution d’un juste mouvement vers l’esprit », « la purification de la nature » et « le jaillissement du nouveau ».

La descendance de PersĂ©e jusqu’à HĂ©raclĂšs

D’AndromĂšde, « celle qui prend soin de l’humain » ou « celle qui sert », PersĂ©e eut de nombreux enfants dont quatre – trois fils et une fille GorgophonĂ© – revĂȘtent une grande importance. Cette derniĂšre, dont le nom signifie « le meurtre de la Gorgone », atteste du but poursuivi : la victoire sur les dĂ©viations de l’énergie de vie. Elle n’a pas de lĂ©gende propre et ne figure ici que pour indiquer par ses alliances successives avec des personnages de la branche de Japet (PĂ©riĂšres et Oibalos) l’étape correspondante Ă  cette rĂ©alisation dans le processus d’ascension des plans de conscience.
Nous n’en dirons que quelques mots Ă  ce stade de notre Ă©tude.
Avec PĂ©riĂ©rĂšs, sixiĂšme enfant d’Éole, elle engendra ApharĂ©e « celui qui est sans masque » (qui est sans ego) et Leukippos « une Ă©nergie vitale purifiĂ©e » (celui qui est sans dĂ©sir) : PĂ©riĂ©rĂšs reprĂ©sente donc dans l’ascension des plans de conscience le stade de celui qui est sans dĂ©sir et sans ego, parvenu Ă  une parfaite Ă©quanimitĂ© conduisant vers la perfection spirituelle. C’est le stade de la sagesse et de la saintetĂ©.
Avec Oibalos, roi de Sparte issu de la lignĂ©e de TaygĂšte (le plan du mental intuitif qui prĂ©cĂšde le surmental), elle engendra Tyndare. Celui-ci fut le pĂšre humain des jumeaux divins, les Dioscures Castor et Pollux (« la force » et « la totale douceur »), d’HĂ©lĂšne et de Clytemnestre (« l’évolution de la libĂ©ration » et « un mental Ă©clairé ») (cf. Planche 13).

Les trois fils notoires de PersĂ©e vont jouer un rĂŽle dĂ©terminant dans l’ascendance d’HĂ©raclĂšs. Ils dĂ©terminent Ă  la fois les bases d’un processus dĂ©jĂ  bien engagĂ© et l’objet de la quĂȘte ou son accomplissement :
– Alkaios (ou AlcĂ©e) « qui met en Ɠuvre la force de la conscience ». Il est le pĂšre d’Amphitryon et donc le grand-pĂšre d’HĂ©raclĂšs.
– Électryon, celui qui est comme « l’ambre » (mĂ©tal prĂ©cieux composĂ© de 4/5Ăšmes d’or et 1/5Ăšme d’argent), symbole d’un stade avancĂ© de la purification. Les lettres ΄ et Ω ajoutent l’idĂ©e d’une rĂ©ceptivitĂ© tournĂ©e vers la matiĂšre. Il est le pĂšre d’AlcmĂšne et donc le deuxiĂšme grand-pĂšre d’HĂ©raclĂšs.
– SthĂ©nĂ©los « celui qui travaille Ă  une puissante libĂ©ration » est le pĂšre d’EurysthĂ©e. Ce dernier est celui qui met en mouvement les transformations en exigeant d’HĂ©raclĂšs la rĂ©alisation des travaux.
Une conscience vaste, purifiĂ©e et libĂ©rĂ©e est donc la rĂ©alisation Ă  laquelle conduiront les exploits d’HĂ©raclĂšs.
(Mentionnons pour mĂ©moire les autres fils de PersĂ©e : PersĂšs, ÉlĂ©ios et Mestor que nous Ă©tudions ci-aprĂšs.)

Les sources diffĂšrent en ce qui concerne les noms des Ă©pouses de ces trois hĂ©ros, mais presque toutes s’accordent pour en faire des filles de PĂ©lops « une vision partielle (grise) ». Ce dernier est le fils de Tantale « l’endurance, le manque, l’aspiration » dont nous avons parlĂ© comme l’un des « damnĂ©s » du royaume d’HadĂšs, image de ce qui, ayant rempli son rĂŽle dans le mental, le quitte pour s’établir dans le vital puis ensuite dans le corps.
PĂ©lops s’étant uni Ă  Hippodamie « la maĂźtrise de la force de vie », ses filles reprĂ©sentent aussi ce vers quoi tend le chercheur dans le domaine de la maĂźtrise du vital.
Les noms le plus souvent citĂ©s sont LysidicĂ© « une libre maniĂšre d’agir », femme d’Électryon. Elle lui donna AlcmĂšne « la force d’ñme », laquelle fut la mĂšre d’HĂ©raclĂšs et d’IphiclĂšs. Elle symbolise l’acte libre de l’ego et du dĂ©sir.
Astydamie « qui est maĂźtre en sa demeure (qui gouverne sa nature) » fut la femme d’Alkaios et la mĂšre d’Amphitryon, lequel fut le pĂšre d’IphiclĂšs et le pĂšre humain d’HĂ©raclĂšs.
NicippĂ© « une Ă©nergie vitale victorieuse (maĂźtrisĂ©e) » s’unit Ă  SthĂ©nĂ©los « une forte (volontĂ© de) libĂ©ration » Ă  qui elle donna EurysthĂ©e « une grande Ă©nergie intĂ©rieure ».

Initialement, la répartition des royaumes entre les trois frÚres est la suivante :
Électryon « l’accomplissement d’une forte purification » (dans les plans infĂ©rieurs), le plus puissant des fils de PersĂ©e, lui succĂ©da sur le trĂŽne de MycĂšnes : le processus de purification (Électryon) dirige maintenant le lieu oĂč se manifeste l’ardeur de l’aspiration par « le pouvoir agissant du mental lumineux » (MycĂšnes).
SthĂ©nĂ©los devint roi d’Argos : le chercheur est toujours guidĂ© par le principe d’une « puissante libĂ©ration ». C’est pourquoi il s’unit Ă  NikippĂ© « la libĂ©ration vitale ».
Alkaios « une conscience large » monta sur le trĂŽne de Tirynthe, assurant « l’évolution d’un juste mouvement vers l’Esprit ». Il s’unit Ă  Astydamie « celle qui dompte la ville » ou « la maĂźtrise de la personnalité ».

L’évolution de ces royaumes d’Argolide Ă  travers les aventures entremĂȘlĂ©es des enfants et petits-enfants de PersĂ©e est relativement complexe. Elle dĂ©crit l’environnement propice Ă  la naissance d’HĂ©raclĂšs et dĂ©nonce Ă©galement une impasse. En effet, l’histoire de PtĂ©rĂ©laos avertit des dangers d’une « vision mentale » (avec une idĂ©e d’exaltation confirmĂ©e par sa filiation) qui se rĂ©vĂšle ĂȘtre une impasse mĂȘme si elle permet un vĂ©ritable accĂšs Ă  l’Absolu non-duel qui reste par ailleurs extrĂȘmement limitĂ©. Le chercheur perd alors Ă  la fois cette connexion et momentanĂ©ment la possibilitĂ© de poursuivre la purification de sa nature. Il ne pourra reprendre son chemin qu’en acceptant de renoncer Ă  cette liaison avec le RĂ©el afin de reprendre une voie juste. Mais auparavant il doit en Ă©liminer la cause.
Le mythe du renard de TeumĂšssos qui lui fait suite prĂ©cise en effet que le chercheur ne peut retrouver sa nature lumineuse sans avoir supprimĂ© au prĂ©alable la cause des dĂ©gĂąts provenant d’une Ă©nergie vitale « rusĂ©e » que la conscience ne peut « saisir ». Cette Ă©nergie crĂ©e des conflits intĂ©rieurs qui semblent insolubles au chercheur, usant ses forces vives, mais qui disparaissent le moment venu sous l’effet d’une intervention spirituelle supĂ©rieure.
Ce mythe traite le plus probablement des approches de la spiritualitĂ© par les sciences magico-occultes qui peuvent donner un contact infime avec l’Absolu non-duel mais auxquelles le chercheur doit renoncer s’il veut entrer dans une vraie voie de purification-libĂ©ration.
Nous reprenons ces deux histoires complexes ci-dessous en détail.

Le quatriĂšme fils de PersĂ©e, Mestor « celui qui conseille, inspire » s’unit Ă  LysidicĂ© « une libre maniĂšre d’agir » qui lui donna une fille HippothoĂ© « une Ă©nergie qui s’Ă©lance » ou « un vital brillant ». Celle-ci attira l’attention de PosĂ©idon, maĂźtre du vital « subconscient ».
Mestor reprĂ©sente « l’expĂ©rience » qui marche vers la libertĂ© et engendre une forte Ă©nergie vitale pour s’engager sur le chemin. Fils de PersĂ©e, il reprĂ©sente un chercheur qui a dĂ©jĂ  fait un travail important pour se libĂ©rer de ses peurs sans avoir pour autant rĂ©alisĂ© une purification correspondante de l’ego.
Le dieu entraĂźna la jeune fille jusqu’aux Ăźles Échinades, lieu de « l’arrĂȘt de l’évolution » situĂ© Ă  l’entrĂ©e du golfe de Corinthe. LĂ , elle lui donna un fils, Taphios « celui qui ensevelit (la conscience) » qui devint le roi de ces Ăźles et en gouverna le peuple qui porta son nom par la suite, les Taphiens. Ceux-ci sont aussi appelĂ©s TĂ©lĂ©boĂ©ens : « ceux dont le cri porte au loin », c’est-Ă -dire « ceux qui recherchent la renommĂ©e ». Corinthe ayant Ă©tĂ© fondĂ©e par Sisyphe, symbole du mental logique, ce peuple vit dans des formations mentales (des petits Ăźlots) qui prĂ©cĂšdent l’intellect (Ă  l’entrĂ©e du golfe de Corinthe).
La conscience Ă©tant « ensevelie », le chercheur est « rattrapé » par PosĂ©idon, le dieu du subconscient qui ne laisse rien en arriĂšre tout en favorisant une rĂ©alisation de l’unitĂ© trĂšs limitĂ©e. En effet, Taphios eut Ă  son tour un fils PtĂ©rĂ©laos « une vision mentale (exaltĂ©e) » que PosĂ©idon avait muni d’un cheveu d’or qui le rendait immortel, c’est-Ă -dire qui conservait un contact intuitif aussi faible soit-il avec le plan de la non-dualitĂ© (sans que le chercheur en connaisse la raison car ce contact avait Ă©tĂ© provoquĂ© par PosĂ©idon).

PtĂ©rĂ©laos eut six fils et une fille. Ses fils partirent pour Argos car ils voulaient rĂ©cupĂ©rer le trĂŽne occupĂ© par Électryon. (Cette histoire dĂ©fie la chronologie car il y a quatre gĂ©nĂ©rations d’écart. Mais ce n’est pas le seul exemple d’aberration qui n’invalide en rien le contenu symbolique.)
Ce dernier s’y Ă©tant opposĂ©, ils lui dĂ©robĂšrent ses troupeaux car c’était un peuple de pirates. Les fils d’Électryon livrĂšrent combat aux fils de PtĂ©rĂ©laos et tous pĂ©rirent, sauf un dans chaque camp. Électryon prĂ©para une expĂ©dition punitive contre les Taphiens, appelant Ă  la rescousse son neveu Amphitryon « tout ce qui tourne autour d’un travail laborieux » ou « un travail d’usure », fils d’Alkaios « une conscience puissante » et d’Astydamie « celle qui est maĂźtre en sa demeure ». Mais Amphitryon le tua par inadvertance.
Dans ce passage, PtĂ©rĂ©laos « une vision mentale (exaltĂ©e) » veut s’approprier les rĂ©sultats obtenus par le travail de purification (Électryon). Il s’ensuit un conflit intĂ©rieur dans lequel le chercheur tente de se dĂ©fendre de cette vision par un travail laborieux de maĂźtrise (Amphitryon) qui entraĂźne automatiquement la cessation du travail de purification (la mort d’Électryon).

SthĂ©nĂ©los « une forte libĂ©ration », dĂ©jĂ  roi d’Argos, en profita pour s’emparer du trĂŽne de Tirynthe et MycĂšnes (il en fut le troisiĂšme roi) et exila son neveu Amphitryon qui s’installa Ă  ThĂšbes. Plus tard, SthĂ©nĂ©los transmit son royaume Ă  son fils EurysthĂ©e « une grande force intĂ©rieure » quatriĂšme roi de MycĂšnes.
Cependant, par ce travail de maĂźtrise, le processus de « libĂ©ration » s’est Ă©tendu Ă  de nouvelles parties de l’ĂȘtre, ici symbolisĂ©es par les villes-territoires de Tirynthe « le juste mouvement vers l’Esprit » et MycĂšnes « l’évolution de l’ardeur ».
« Le travail de maĂźtrise » (Amphitryon) est alors rĂ©orientĂ© vers « l’incarnation de l’ĂȘtre intĂ©rieur » (ThĂšbes).

A ThĂšbes, Amphitryon « le travail laborieux » fut purifiĂ© du meurtre accidentel d’Électryon par le roi CrĂ©on « l’incarnation » : la cessation du processus de purification Ă©tait donc inĂ©vitable dans l’impasse crĂ©Ă©e par PtĂ©rĂ©laos.
Amphitryon avait emmenĂ© avec lui la fille d’Électryon, AlcmĂšne. Toutefois, celle-ci ne voulait pas entrer dans son lit tant qu’il n’avait pas vengĂ© ses frĂšres tuĂ©s par les Taphiens. Aussi prit-il la suite d’Électryon pour organiser l’expĂ©dition punitive dont il devait revenir vainqueur.
Dans ce but, il demanda Ă  CrĂ©on de l’assister. Ce dernier accepta Ă  la condition que soit au prĂ©alable mis fin aux ravages qu’exerçait Ă  ThĂšbes le renard du mont TeumĂšssos Ă  qui les habitants devaient sacrifier chaque mois un de leurs fils. L’arrĂȘt du destin Ă©tait que personne ne pourrait jamais attraper ce renard. Amphitryon demanda l’aide de CĂ©phale, fils de DĂ©ion, qui tenait de Procris le chien qui ne pouvait rater aucune proie, chien qu’elle avait elle-mĂȘme hĂ©ritĂ© de Minos. Pour rĂ©soudre cette impossibilitĂ© (le renard qui ne peut ĂȘtre rattrapĂ© et le chien qui ne peut manquer aucune proie), Zeus pĂ©trifia les deux animaux.
Amphitryon partit alors en campagne avec l’aide de CrĂ©on, CĂ©phale, PanopĂ©e et HĂ©lĂ©ios.

Par un « travail laborieux » (Amphitryon), le chercheur veut reprendre le travail de purification afin de rĂ©aliser une « ùme forte » (AlcmĂšne, fille d’Électryon).
Mais ceci ne peut se faire avant que ne soit mis fin aux perturbations apportées par une « énergie rusée et mensongÚre » (le renard), une « ombre » que ne peut attraper la vigilance la plus grande (le chien) et qui perturbe le travail de purification (ThÚbes).
Le chercheur perd ses forces dans la lutte bien qu’il utilise les plus hautes capacitĂ©s intuitives et de vigilance possibles dĂ©veloppĂ©es au plus haut de la conscience mentale tournĂ©e vers l’union (il s’agit en effet du chien de CĂ©phale « la tĂȘte », fils de DĂ©ion « l’union en conscience », lequel est l’ancĂȘtre d’Ulysse et reprĂ©sente le plus haut niveau de rĂ©alisation possible dans le mental pour les chercheurs ordinaires). Mais les « ruses » de l’adversaire intĂ©rieur (le renard) ne peuvent ĂȘtre dĂ©jouĂ©es par la conscience mentale. Aussi est-ce Zeus, une influence issue du surmental, qui permettra de rendre inopĂ©rants Ă  la fois les obstacles et les volontĂ©s d’y mettre fin.
PtĂ©rĂ©laos ne peut ĂȘtre combattu tant que se maintient dans l’ĂȘtre engagĂ© dans un processus de purification « une tromperie » vitale.

En sus d’Amphitryon, partirent alors en campagne pour venger la disparition des fils d’Électryon : CrĂ©on « le processus d’incarnation», CĂ©phale « le plus haut du mental à ce stade de la quĂȘte », PanopĂ©e « une vision Ă©tendue » et HĂ©lĂ©ios « une conscience libĂ©rĂ©e ».
Mais PtĂ©rĂ©laos ne pouvait ĂȘtre vaincu tant que la boucle de cheveux d’or que PosĂ©idon avait implantĂ©e sur sa tempe Ă©tait en place. C’est sa propre fille Komaitho qui la lui arracha car elle Ă©tait tombĂ©e amoureuse d’Amphitryon qui combattait son pĂšre. PtĂ©rĂ©laos en mourut. Amphitryon soumit alors toutes les Ăźles des Taphiens, mais il ne fut aucunement reconnaissant envers Komaitho et, aprĂšs avoir remportĂ© la victoire, il tua la jeune fille qui avait trahi son pĂšre.
PtĂ©rĂ©laos « la vision mentale (exaltĂ©e) » ne peut ĂȘtre vaincue tant que se maintient le contact Ă  l’Absolu. C’est sa fille Komaitho « celle Ă  la chevelure rouge », symbole d’une vaste intuition issue de la spiritualisation du mental qui se chargera de le rompre.
(Komaitho semble porter le mĂȘme symbolisme que Pyrrha, femme de Deucalion. Cette histoire semble d’autre part avoir Ă©tĂ© directement inspirĂ©e de celle, beaucoup plus cĂ©lĂšbre, de Scylla fille de Nisos que nous Ă©tudierons dans le chapitre consacrĂ© au Minotaure.)

C’est la nuit prĂ©cĂ©dant le retour d’Amphitryon de cette expĂ©dition contre PtĂ©rĂ©laos que Zeus le prĂ©cĂ©da dans le lit d’AlcmĂšne, ce qui fit de lui le pĂšre d’HĂ©raclĂšs tandis qu’Amphitryon revenu au matin fut le pĂšre de son jumeau IphiclĂšs.
Plus tard, EurysthĂ©e craignant qu’HĂ©raclĂšs ne lui rĂ©clame le trĂŽne qui lui revenait de droit (en hĂ©ritage de son grand-pĂšre Électryon, fils aĂźnĂ© de PersĂ©e) tenta de le supprimer en l’envoyant accomplir les douze travaux.

Le royaume de MycĂšnes, au cours des Ă©vĂšnements dĂ©crits ci-dessus, devint pour les Ă©popĂ©es mythiques plus important que celui d’Argos qui, morcelĂ© entre MĂ©gapenthĂšs, Bias et MĂ©lampous, passera de mains en mains jusqu’à Adrastos puis DiomĂšde.
L’évolution du « pouvoir agissant du mental lumineux » prend donc progressivement le pas sur les autres dynamiques du yoga.
Finalement, le royaume de MycĂšnes et Tirynthe, selon l’oracle, sera transfĂ©rĂ© Ă  la lignĂ©e des Atrides : AtrĂ©e, puis Agamemnon, Oreste et enfin Tisamenos. Ce dernier rĂ©unira l’Argolide qui s’était agrandie avec Spartes hĂ©ritĂ©e de MĂ©nĂ©las avant qu’elle ne passe sous la domination des descendants d’HĂ©raclĂšs, les HĂ©raclides.

La conception et la naissance d’HĂ©raclĂšs

L’histoire d’HĂ©raclĂšs s’enracine donc Ă  ThĂšbes, le lieu de « l’incarnation de la vie intĂ©rieure » dans le processus de purification/libĂ©ration, mais les travaux seront tous dĂ©clenchĂ©s depuis MycĂšnes, le lieu de « l’ardeur de l’aspiration et du pouvoir agissant du mental lumineux » oĂč rĂ©side son oncle EurysthĂ©e « une grande force intĂ©rieure ». Agamemnon, le plus cupide de tous les grecs, sera Ă©galement roi de MycĂšnes.
Mais avant que ces travaux ne dĂ©butent, le postulant doit s’engager dans une sĂ©rie d’épreuves prĂ©paratoires.

Zeus profita de l’expĂ©dition d’Amphitryon contre PtĂ©rĂ©laos pour le prĂ©cĂ©der dans le lit d’AlcmĂšne. De cette union devait naĂźtre Alcide ou encore Alkaios (AlcĂ©e) appelĂ© plus tard HĂ©raclĂšs. Amphitryon, revenant victorieux au matin, donna la mĂȘme nuit un second fils Ă  AlcmĂšne, qui sera nommĂ© IphiclĂšs (ou Iphiclos).
Alors que l’accouchement approchait, Zeus se vanta devant les autres dieux qu’un fils issu de son sang naütrait ce jour et rùgnerait sur tous ses voisins.
HĂ©ra, jalouse, complota aussitĂŽt de priver l’enfant d’AlcmĂšne de cet hĂ©ritage. Elle fit jurer Ă  Zeus que le prochain enfant qui naĂźtrait ce mĂȘme jour dans la lignĂ©e de PersĂ©e (et donc issu Ă©galement du sang de Zeus) aurait le destin annoncĂ©. Puis elle fit en sorte de retarder la naissance d’HĂ©raclĂšs tandis qu’elle avançait de deux mois celle de son cousin EurysthĂ©e qui Ă©tait un fils du roi de MycĂšnes SthĂ©nĂ©los et donc appartenait aussi Ă  la lignĂ©e de PersĂ©e.
EurysthĂ©e vint donc au monde deux mois avant terme et AlcmĂšne put alors accoucher des jumeaux HĂ©raclĂšs et IphiclĂšs. C’est ainsi qu’EurysthĂ©e devint plus tard roi de MycĂšnes Ă  la place d’HĂ©raclĂšs qui lui fut subordonnĂ© jusqu’à la fin des douze travaux.

Ces récits de la naissance du héros attirent notre attention sur quelques points importants.
Tout d’abord, ce n’est pas HĂ©raclĂšs « la gloire du mouvement juste (selon l’Absolu) » qui apparaĂźt comme le premier stimulant de l’engagement dans la quĂȘte (car « le juste » ne peut ĂȘtre bien Ă©videmment qu’un aboutissement), mais « une grande force intĂ©rieure », EurysthĂ©e, elle-mĂȘme issue du travail en vue d’une « forte libĂ©ration », SthĂ©nĂ©los. (Rappelons qu’il s’agit ici de la libĂ©ration du dĂ©sir, de l’ego, des attractions et rĂ©pulsions, et de tous les « attachements »). C’est cette force intĂ©rieure qui non seulement initie les douze travaux mais aussi veille Ă  leur exĂ©cution.
Cela signifie en particulier que le chercheur doit suivre le mouvement impulsĂ© par son Ă©nergie, mĂȘme s’il ne perçoit pas ce qui est juste : en effet, l’un des pires obstacles sur le chemin est la tiĂ©deur ou le non-engagement.
Cette « force intĂ©rieure » gouverne aussi « sur tous ses voisins » tout comme MycĂšnes domine l’Argolide durant cette phase. C’est-Ă -dire qu’elle est capable de rassembler dans un mĂȘme but et sous sa direction les autres capacitĂ©s et facultĂ©s du chercheur.
Notons aussi que cette Ă©nergie est dĂ©jĂ  prĂ©sente, mĂȘme si elle est encore incomplĂšte, avant mĂȘme que ne naisse le dĂ©sir pour la quĂȘte (HĂ©raclĂšs.) Elle se manifeste le plus souvent sous la forme opposĂ©e d’un manque.

Bien qu’EurysthĂ©e soit le symbole d’une force intĂ©rieure, il est souvent prĂ©sentĂ© comme un couard dans les rĂ©cits mythologiques lorsqu’HĂ©raclĂšs lui rapporte ses trophĂ©es. En effet, les forces « rĂ©veillĂ©es » tout au long de la quĂȘte sont considĂ©rables et souvent sous-estimĂ©es au dĂ©part. Leur mĂ©connaissance peut ĂȘtre un bienfait, car peu s’engageraient sur le chemin s’ils connaissaient au prĂ©alable les difficultĂ©s.

Rappelons aussi qu’il n’est pas demandĂ© d’avoir vaincu la peur (la Gorgone) ou tout autre obstacle pour s’engager sur le chemin. Les « travaux » sont en effet des processus qui se dĂ©veloppent en spirale jusqu’à la victoire finale.
Pour chacun, les difficultés visibles sont le signe de la capacité à remporter une victoire équivalente et ce sont elles qui motivent le combat.
HĂ©raclĂšs ne sera libĂ©rĂ© dĂ©finitivement de la tutelle d’EurysthĂ©e qu’à la fin des douze travaux, ayant alors atteint la complĂšte libĂ©ration.

Le nom d’HĂ©raclĂšs Ă©tait compris par les anciens comme « la gloire d’HĂ©ra » bien que cette dĂ©esse poursuive le hĂ©ros de sa haine et que les travaux semblent ĂȘtre plutĂŽt sous l’influence de Zeus que sous celle de son Ă©pouse. Il s’agirait alors de la gloire spirituelle de celui qui parvient au « juste mouvement selon la Conscience ou l’Absolu » (en accord avec le symbolisme du Rho), ou encore Ă  la perfection de tous les Ă©lĂ©ments de son ĂȘtre Ă  laquelle contraint HĂ©ra, sans que rien ne soit laissĂ© en arriĂšre.
Ce nom pourrait aussi ĂȘtre construit Ă  partir de l’aoriste ηρα du verbe αÎčρω et signifierait alors « la gloire de celui qui est soulevĂ© (par l’Absolu) ». Mais les anciens ont pu Ă©galement jouer avec une idĂ©e de fermeture (kleio ÎșλΔÎčω) et cela signifierait alors « celui qui s’oppose Ă  HĂ©ra, au mouvement de limitation », celui qui transgresse le lent mouvement de l’évolution selon la nature.
Nous retiendrons dans cet ouvrage « la gloire du juste mouvement » ou « la gloire de la perfection humaine ».

Il y a un troisiĂšme personnage important dĂšs l’origine des travaux, IphiclĂšs, demi-frĂšre jumeau d’HĂ©raclĂšs. Il est le fils d’Amphitryon « le travail laborieux », roi de ThĂšbes. Il intervient donc dans le processus d’incarnation et de purification.
Comme HĂ©raclĂšs, il est fils d’AlcmĂšne « une Ăąme forte », rĂ©sultat du travail de « purification » (AlcmĂšne est fille d’Électryon) dont la rĂ©alisation progressive est l’objet des travaux.
IphiclĂšs s’unit Ă  AutomĂ©duse, une descendante de Tantale et PĂ©lops, et lui donna un fils Iolaos qui fut le conducteur du char d’HĂ©raclĂšs et lui porta assistance en quelques occasions.
Si HĂ©raclĂšs est le travail d’exactitude impulsĂ© et soutenu par le plan de l’esprit (Zeus), IphiclĂšs « une grande gloire » reprĂ©sente les rĂ©sultats du travail laborieux dans l’incarnation qui rĂ©ussit Ă  obtenir progressivement une totale maĂźtrise sur soi-mĂȘme, AutomĂ©duse « qui rĂšgne sur soi-mĂȘme ». Cela produit une capacitĂ© Ă  diriger les forces pour la quĂȘte, Iolaos « la voix ou la vision de la conscience » : chaque victoire remportĂ©e sur la peur jusqu’aux forces les plus archaĂŻques du vital permet de tenir en mains et diriger les Ă©nergies du chercheur.
(AutomĂ©duse est en effet une descendante de Tantale, le hĂ©ros qui frĂ©quenta les dieux, symbole d’une belle « aspiration » qui rĂ©alise l’union en l’esprit mais expĂ©rimenta ensuite un manque trĂšs douloureux dans le travail dans le corps. Son fils PĂ©lops s’unit Ă  Hippodamie « qui dompte le vital », et lui donna Alcathoos « (celui qui Ă©volue) avec grande rapidité », le pĂšre d’AutomĂ©duse.)

IphiclĂšs est dĂ©peint dans l’épisode des serpents introduits dans le berceau comme un personnage pleutre, car au dĂ©but des travaux le chercheur n’a pas encore commencĂ© son travail de maĂźtrise.
Les travaux vont donc progresser en parallùle avec l’acquisition de la maütrise.

HĂ©raclĂšs nouveau-nĂ© fut dĂ©posĂ© par HermĂšs sur le sein d’HĂ©ra qu’il tĂ©ta. Sans cela en effet, en vertu d’un dĂ©cret du destin, « aucun fils de Zeus ne pouvait accĂ©der aux honneurs divins ».
Si elle ne figure pas dans le canon mythologique, cette anecdote est cependant rapportĂ©e par de nombreux auteurs. Elle signifierait que le chercheur ne peut entrer consciemment dans la quĂȘte qu’aprĂšs une vĂ©ritable expĂ©rience du « juste mouvement de l’Absolu ». Elle indique Ă©galement qu’il entre dans le « cadre » divin.
Elle ferait rĂ©fĂ©rence Ă  une expĂ©rience, aussi fulgurante et fugace soit-elle, d’un « Ça existe », d’un premier « contact » avec le RĂ©el qui est instant de plĂ©nitude hors du temps.

Alors que les enfants avaient huit ou dix mois, HĂ©ra (ou selon d’autres, Amphitryon, qui voulait savoir lequel des deux enfants Ă©tait son fils) introduisit dans leur berceau deux Ă©normes serpents. HĂ©raclĂšs en saisit un dans chaque main et les Ă©touffa. TirĂ©sias, sommĂ© de commenter cet Ă©vĂšnement extraordinaire, prĂ©dit la grande destinĂ©e de l’enfant.
Certains disent que c’est Ă  cette occasion que le hĂ©ros reçut le nom d’HĂ©raclĂšs, ayant Ă©tĂ© d’abord prĂ©nommĂ© Alcide.

Par ses ascendants, HĂ©raclĂšs est un Argien, un chercheur de VĂ©ritĂ©. C’est pourquoi lui et sa descendance reviendront toujours vers Argos « brillant, rapide ». S’il naquit Ă  ThĂšbes, en BĂ©otie, c’est pour indiquer la nĂ©cessitĂ© de l’incarnation de la vie intĂ©rieure dans le processus de purification/libĂ©ration. Certains ajoutent qu’il naquit prĂšs des portes Électre, symbole du Chakra du cƓur, le lieu du contact avec l’ĂȘtre psychique.

Ce premier Ă©pisode se dĂ©roule alors que les deux enfants ont huit ou dix mois, c’est-Ă -dire juste aprĂšs l’entrĂ©e consciente dans la quĂȘte. Il dĂ©peint un premier test, une premiĂšre opposition d’HĂ©ra qui veille Ă  la juste Ă©volution. Il semble indiquer que le hĂ©ros est destinĂ© Ă  devenir le maĂźtre du processus Ă©volutif (ou des courants ascendants et descendants dans le corps car il y a deux serpents), ce que confirme le devin dĂ©diĂ© Ă  la purification.
Comme la quĂȘte est une rĂ©volte contre la lenteur de la Nature, l’acharnement d’HĂ©ra envers le hĂ©ros est justifiĂ©e car la dĂ©esse veille au juste mouvement de l’évolution qui doit concerner l’ensemble de l’humanitĂ© sans rien laisser en arriĂšre.
Dans la version oĂč c’est Amphitryon qui cherche Ă  connaĂźtre lequel des enfants est son fils, le chercheur veut apprendre Ă  distinguer en lui entre ce qui provient de la volontĂ© personnelle et ce qui est imposĂ© par l’ĂȘtre intĂ©rieur et qui est de l’ordre de la VolontĂ© vraie. En effet, pendant longtemps la volontĂ© de l’ego orientĂ©e vers la maĂźtrise (IphiclĂšs) ne peut ĂȘtre distinguĂ©e de celle de l’ĂȘtre intĂ©rieur (HĂ©raclĂšs).
HĂ©raclĂšs et IphiclĂšs reprĂ©sentent donc les deux pĂŽles du chercheur qui travaillent conjointement pour la mĂȘme rĂ©alisation : la maĂźtrise sur tous les plans et le juste mouvement dans la pensĂ©e, le sentiment et l’action.
Le chercheur pressent alors que sa quĂȘte de libertĂ© ne cessera jamais (TirĂ©sias prĂ©dit sa grande destinĂ©e).

La jeunesse d’HĂ©raclĂšs et le meurtre de Linos

Les deux enfants passĂšrent ensemble les premiĂšres annĂ©es de leur vie. Elles furent marquĂ©es par le meurtre involontaire de Linos, le maĂźtre de musique d’HĂ©raclĂšs, qui aurait frappĂ© le hĂ©ros parce qu’il Ă©tait un Ă©lĂšve mĂ©diocre. Cela aurait provoquĂ© en retour la colĂšre d’HĂ©raclĂšs et la mort accidentelle de Linos.
Le nom Linos Ă©voque une « évolution naturelle du mouvement d’individuation et de libĂ©ration ». Il est, selon les sources, fils d’une Muse ou d’Apollon.
La musique est dĂ©finie par plusieurs composantes (rythme, mĂ©lodie, harmonie, auxquelles on peut ajouter le timbre) qui symboliquement dĂ©finissent la « justesse » d’une action, son exact dĂ©roulement dans le temps et dans l’espace, en accord avec l’ensemble. Dans les mythes, la musique la plus accomplie est le rĂ©sultat du travail de purification, lorsque « chaque chose est Ă  sa place ».
Mais dans les dĂ©buts du chemin, l’attitude juste est recherchĂ©e par la contrainte. GagnĂ© par l’impatience devant ses Ă©checs et sa « mĂ©diocrité », le chercheur emploie alors la force contre lui-mĂȘme et rejette l’apprentissage.

Dans la tradition tardive, HĂ©raclĂšs reçut une formation approfondie de plusieurs prĂ©cepteurs, car certains maĂźtres estimaient qu’avant mĂȘme le dĂ©but des vrais travaux de yoga, le postulant devait avoir subi une prĂ©paration sĂ©rieuse. Toutefois, on peut noter ici certaines incohĂ©rences car certains hĂ©ros tels Autolycos ou Castor sont loin d’ĂȘtre apparus Ă  cette Ă©tape du chemin.

  • Eurytos, roi d’Oichalie, un petit fils d’Apollon, enseigna au hĂ©ros le tir Ă  l’arc. Il mourut de la main mĂȘme d’HĂ©raclĂšs au terme des douze travaux car il lui avait refusĂ© la main de sa fille Iole. Celle-ci Ă©tait pourtant la rĂ©compense promise au gagnant d’un concours de tir Ă  l’arc qui opposait les concurrents au roi et Ă  ses fils, et HĂ©raclĂšs l’avait emportĂ©.
    La pratique du tir Ă  l’arc dĂ©veloppe la concentration, la dĂ©tente, la capacitĂ© de s’identifier au but recherchĂ©, la persĂ©vĂ©rance, la dĂ©termination et une certaine maĂźtrise de soi.
    Eurytos, expression d’une « grande tension vers le plan de l’esprit (vers la connaissance, la maĂźtrise et le pouvoir) » est un petit fils d’Apollon et donc une manifestation de l’ĂȘtre psychique.
    Il refusa au hĂ©ros la main de sa fille Iole « la libĂ©ration » car celle-ci ne peut s’obtenir qu’aprĂšs la rĂ©alisation du dĂ©tachement intĂ©gral (reprĂ©sentĂ© par DĂ©janire « celle qui tue l’attachement »). Son arc reviendra Ă  son fils Iphitos puis Ă  Ulysse qui l’utilisera pour le massacre des prĂ©tendants.
  • Autolykos, fils d’HermĂšs et de Philonis, fut le maĂźtre d’HĂ©raclĂšs pour la lutte.
    Il s’agit lĂ  de l’apprentissage d’un « guerrier » qui doit trouver ses propres mĂ©thodes de perfectionnement de soi (yoga) car Autolykos est « celui qui est Ă  lui-mĂȘme sa propre lumiĂšre ». C’est un entraĂźnement Ă  Ă©couter sa voix et ses mouvements intĂ©rieurs. Les qualitĂ©s qui peuvent ĂȘtre associĂ©es au lutteur sont nombreuses : courage, endurance, refus de l’apitoiement sur soi, de l’auto-contemplation, indiffĂ©rence devant la victoire ou la dĂ©faite, etc. L’enseignant est ici une expression du mental le plus haut (il est le fils d’HermĂšs) tournĂ© vers un « amour de l’évolution » (sa mĂšre est Philonis).
  • Amphitryon enseigna Ă  HĂ©raclĂšs la conduite d’un char.
    Rappelons qu’Amphitryon est « le travail laborieux » du chercheur que ne dĂ©sespĂšre aucun Ă©chec. Chaque victoire permet de conduire les Ă©nergies d’une main toujours plus sĂ»re (Amphitryon est le grand-pĂšre d’Iolaos, le cocher d’HĂ©raclĂšs.)

Castor, enfin, apprit au hĂ©ros l’art de la guerre.
Castor reprĂ©sente « la puissance ou le pouvoir que confĂšre la maĂźtrise ». Descendant de la PlĂ©iade TaygĂšte, il n’intervient que dans un Ă©tat avancĂ© de la quĂȘte. Mais ici, avant mĂȘme le dĂ©but des travaux, le chercheur ne peut apprendre que les rudiments de l’art de la maĂźtrise, du « combat du guerrier ». La lutte contre le lion du CithĂ©ron sera la premiĂšre occasion de victoire.

Le lion du Cithéron

L’arrogance mentale est, de tous les facteurs, le plus dĂ©favorable Ă  l’action de la grĂące divine.
La MĂšre

Lorsqu’HĂ©raclĂšs eut atteint le seuil de l’ñge adulte, il accomplit son premier exploit en tuant le lion du mont CithĂ©ron sur la frontiĂšre sud de la BĂ©otie. Ce lion dĂ©vorait les troupeaux d’Amphitryon et de Thespios. La chasse dura cinquante jours durant lesquels le hĂ©ros rĂ©sida Ă  la cour de Thespios. Ce dernier qui avait cinquante filles fut trĂšs impressionnĂ© par HĂ©raclĂšs. Voulant que chacune de ses filles porte un enfant du hĂ©ros, il en mit une nouvelle chaque nuit dans son lit. Ce fut Ă  l’insu d’HĂ©raclĂšs, qui, nous dit-on, pensait toujours dormir avec la mĂȘme.

La chasse au lion du CithĂ©ron (Kithairon) fait encore partie des prĂ©liminaires du chemin et doit donc ĂȘtre distinguĂ© du premier vĂ©ritable travail, celui du combat contre le Lion de NĂ©mĂ©e. Notons cependant que cet Ă©pisode est peut-ĂȘtre un ajout tardif qui permettait de distinguer plusieurs Ă©tapes dans la lutte contre l’ego.

Le lion recouvre une large palette de significations symboliques dans les mythologies antiques.
Il semble ĂȘtre utilisĂ© ici comme le symbole de la personnalitĂ© vitale-mentale, de l’ego avec ses dĂ©formations les plus Ă©videntes : orgueil, vanitĂ©, arrogance et suffisance.
Celui qui sĂ©vit sur le mont CithĂ©ron dĂ©vore les troupeaux d’Amphitryon et de Thespios, c’est-Ă -dire empĂȘche le chercheur de profiter des acquis gĂ©nĂ©rĂ©s par le travail de ces deux personnages symboliques. Le CithĂ©ron ΚÎčΞαÎčρωΜ est peut-ĂȘtre le symbole de « Ι+ÎșÎčÎžÎ±ÏÎżÏ‚, la conscience dans la poitrine (dans le cƓur) ». La cithare, ΚÎčΞαρα, instrument d’Apollon, transmet la musique de l’ñme, symbole d’une harmonie supĂ©rieure. Le mont CithĂ©ron, ΚÎčÎžÎ±ÏÎżÏ‚+Ι, indiquerait le plus haut de la conscience des dĂ©butants (en BĂ©otie) qui cherchent le contact avec l’ĂȘtre psychique.
Amphitryon « le travail laborieux » reprĂ©sente l’ascĂšse du yoga et Thespios « celui qui parle selon les dieux » est l’expression de l’inspiration. Ce dernier est l’un des fils d’ÉrechthĂ©e, le sixiĂšme des rois lĂ©gendaires d’AthĂšnes qui marque la fin de l’attachement Ă  la divinitĂ© sous son aspect de force et de pouvoir et signifie donc l’entrĂ©e dĂ©finitive dans la quĂȘte. Thespios est uni Ă  MĂ©gamĂ©dĂ©e « celle qui s’occupe de grandes choses » ou « qui a de grands desseins ».
Ce lion empĂȘche donc que les fruits des efforts du chercheur puissent perdurer et que soient utilisĂ©es les premiĂšres apprĂ©hensions du « juste, du beau, du vrai » Ă©manant de l’ĂȘtre psychique.
La chasse prend place en Béotie, la province qui symbolise la voie de yoga à privilégier pour incarner la vie intérieure.

L’histoire peu attestĂ©e des filles de Thespios exprime l’impatience du chercheur Ă  mettre en Ɠuvre ses perceptions intuitives du chemin qui n’ont pas encore trouvĂ© de point d’application (elles n’ont pas encore de descendance). Le chiffre cinquante, que l’on a dĂ©jĂ  rencontrĂ©, exprime une totalitĂ© dans le monde des formes.

Si le lion de NĂ©mĂ©e concerne l’ego humain dans ses racines, ce travail prĂ©liminaire consiste surtout Ă  combattre ses expressions les plus grossiĂšres : principalement la suffisance et l’arrogance mentale (qui se dĂ©clinent aussi en amour propre excessif, habitude de se justifier, indiscipline, besoin d’avoir raison, projections sur l’extĂ©rieur ou sur les autres, sentiment d’ĂȘtre blessĂ© par les paroles ou les actes des autres, rejet de tout ce qui nous est supĂ©rieur, mĂ©pris, autosatisfaction, auto-contemplation, susceptibilitĂ©, surestimation de soi, prĂ©tention dans le domaine spirituel, etc. )
Plus subtilement, ce sont tous les comportements rĂ©sultant de la rĂ©clamation et de la justification de l’ego Ă  « ĂȘtre lui-mĂȘme » dans sa nature grossiĂšre et non transformĂ©e, hĂ©ritĂ©e des millĂ©naires de l’évolution. Ils ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© dĂ©crits dans le cadre de l’exposĂ© des types humains les moins dĂ©veloppĂ©s dans le chapitre consacrĂ© aux Titans.

L’annulation du tribut de ThĂšbes et la folie meurtriĂšre d’HĂ©raclĂšs contre ses enfants

Au retour de la chasse au lion du CithĂ©ron, HĂ©raclĂšs fut outrĂ© par l’arrogance des envoyĂ©s d’Erginos (roi d’OrchomĂšne, citĂ© voisine du CithĂ©ron situĂ©e en BĂ©otie) qui venaient rĂ©clamer le tribut annuel que CrĂ©on, roi de ThĂ©bes devait lui payer. Ce tribut avait Ă©tĂ© Ă©tabli par Erginos qui avait menĂ© une campagne contre les ThĂ©bains en reprĂ©sailles du meurtre de son pĂšre ClymĂ©nos.
HéraclÚs renvoya les hérauts à Erginos aprÚs leur avoir tranché le nez et les oreilles.

La premiĂšre partie de l’histoire traite de la disparition des premiers acquis spirituels du chercheur (le meurtre de Clymenos par les ThĂ©bains) suite au travail d’incarnation de la vie intĂ©rieure (ClymĂ©nos est un petit-fils de Phrixos qui s’enfuit sur le bĂ©lier Ă  la toison d’or vers la Colchide). Le chercheur ne peut donc plus s’appuyer sur le souvenir de ses premiĂšres expĂ©riences.
Aussi « le travail » des dĂ©butants est-il menĂ© dans « l’agitation (et/ou l’excitation) » (Erginos roi d’OrchomĂšne en BĂ©otie). Les Ă©nergies destinĂ©es en principe Ă  un juste travail d’incarnation de la vie intĂ©rieure sont dilapidĂ©es (l’imposition du tribut aux ThĂ©bains).
Selon certains, HĂ©raclĂšs fit payer double tribut Ă  OrchomĂšne : le chercheur rĂ©cupĂšre ainsi davantage d’énergie pour calmer son « agitation » et retrouver une meilleure intĂ©riorisation.
Selon d’autres, il coupa les oreilles et les nez des hĂ©rauts BĂ©otiens et les suspendit Ă  leur cou, ce qui indique Ă©galement une exigence d’intĂ©riorisation : Ă  ce moment du chemin, le « ressenti » et « l’écoute » doivent ĂȘtre tournĂ©s vers l’intĂ©rieur.

Pour remercier HéraclÚs de son aide, Créon, le roi de ThÚbes, lui donna pour épouse sa fille Mégara.
HĂ©raclĂšs et MĂ©gara eurent plusieurs enfants et vĂ©curent heureux quelques annĂ©es Ă  ThĂšbes jusqu’à ce que le hĂ©ros soit pris d’une folie meurtriĂšre suscitĂ©e selon certains par HĂ©ra. Il tua tous ses enfants de ses flĂšches ou, selon d’autres, en les jetant dans le feu. Certains ajoutent qu’il tua Ă©galement tous les enfants de son demi-frĂšre IphiclĂšs ou seulement certains d’entre eux.
Le hĂ©ros se fit purifier par Thespios puis il consulta l’oracle de Delphes qui lui ordonna de se mettre au service d’EurysthĂ©e.

Le roi de ThĂšbes, CrĂ©on, n’est pas un usurpateur et reprĂ©sente donc une direction Ă©volutive juste. D’autre part, il Ă©tait dĂ©jĂ  intervenu pour assister Amphitryon lors de l’expĂ©dition contre les Taphiens et l’avait purifiĂ© du meurtre d’Électryon. Son nom signifie « le plus fort, le maĂźtre » ou « l’ouverture de la conscience se retournant vers l’incarnation » (avec la mĂȘme racine ΚΡ que les noms des Titans Crios, Cronos).
Enfin, il est uni Ă  une Eurydice homonyme « une juste maniĂšre d’agir » qui lui donna plusieurs enfants : HaĂ©mon « le passionné », HĂ©niochĂ© « la conductrice de chars », Pyrrha « la rousse » ou « l’enflammĂ©e », LycomĂ©dĂšs «  celui qui se prĂ©occupe de la lumiĂšre », MenoĂ©cĂ©e « l’esprit habitant le corps » et MĂ©gara « le mouvement le plus juste (Mega+ÎĄ) » (ou bien les « grandes lignes du mouvement juste de la progression humaine» ou encore « un grand retour sur soi »).
Créon ne peut donc représenter une erreur de direction dans le mouvement de purification-libération, comme son histoire ultérieure aurait pu le laisser supposer.

Le chercheur qui par un renversement de conscience est entrĂ© dans un juste processus d’intĂ©riorisation, le libĂ©rant en partie des prĂ©occupations et de l’agitation du monde, cherche alors Ă  agir selon « le mouvement le plus juste » dans l’incarnation.
Mais les rĂ©alisations qui en dĂ©coulent sont Ă  ce stade les acquis du dĂ©veloppement de la personnalité (pouvoir, rĂ©ussite, etc.) et ne peuvent ĂȘtre conservĂ©es, bien qu’elles relĂšvent d’un juste mouvement : la prioritĂ© n’est plus l’affirmation de l’ego dans le monde (HĂ©raclĂšs tue les enfants de MĂ©gara).
Se détourner des réalisations extérieures est un mouvement juste. En effet le héros se fit purifier par Thespios « la parole ou le chant qui émane des dieux » du meurtre de ses enfants, lequel représente à ce stade une « folie sacrificielle » incontournable.
Il est aussi possible de comprendre cela comme l’injonction de la Bhagavad Gita « d’agir sans s’attacher Ă  l’acte ni Ă  ses fruits », formule qui peut prĂ©sider au Yoga des ƒuvres.

Les noms des enfants semblent dĂ©signer des rĂ©alisations qui furent nĂ©cessaires en leur temps mais constituent dĂ©sormais des obstacles majeurs sur le chemin. ThĂ©rimachos « celui qui combat les bĂȘtes sauvages (les Ă©nergies de sa nature indomptĂ©es) » indiquerait peut-ĂȘtre un travail entrepris trop tĂŽt. DĂ©icoon serait « ce qui tue l’ouverture de la conscience ». CrĂ©ontiadĂšs « un esprit puissant » et Ophites « une Ă©volution supĂ©rieure » signaleraient les obstacles dus Ă  un intellect trop envahissant.

Un grand hĂ©ros (peut-ĂȘtre le plus grand) ne pouvait, du point de vue du rĂ©cit mythologique exotĂ©rique, se livrer Ă  de tels meurtres sans ĂȘtre « fou ». S’agissant d’un chercheur au sommet de ses capacitĂ©s, cesser de privilĂ©gier les « rĂ©sultats » dans les affaires du monde sans pour autant nĂ©cessairement s’abstraire de celui-ci semble une folie aux yeux de tous. D’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, Ă  l’exception d’Euripide (que nous ne considĂ©rons pas comme un initiĂ© et qui dĂ©nature le plus souvent les mythes primitifs), les auteurs situent le meurtre des enfants au dĂ©but du chemin, avant les travaux

MĂ©gara reste cependant la femme du hĂ©ros durant toute la durĂ©e des travaux, car « le mouvement le plus juste sur tous les plans » ou le travail de « l’exactitude » reste bien sĂ»r le but du chercheur pendant cette phase du yoga. Lorsque l’union avec l’ĂȘtre psychique est Ă©tablie, la question ne se pose plus. À la fin des travaux, le hĂ©ros la donna pour femme Ă  son neveu et cocher Iolaos, dĂ©signant ainsi « le mouvement le plus juste » (MĂ©gara) comme partenaire idĂ©al de « la voix ou vision de la conscience » qui maĂźtrise et oriente les Ă©nergies de la quĂȘte (Iolaos est le cocher d’HĂ©raclĂšs).

MĂ©gara ne vĂ©cut pas proche d’HĂ©raclĂšs car elle resta Ă  ThĂšbes tandis qu’il parcourait le monde. Peut-ĂȘtre peut-on voir lĂ  une recommandation faite au chercheur de maintenir sa participation aux activitĂ©s du monde car c’est lĂ  que se trouvent les meilleures opportunitĂ©s pour progresser.

En quittant MĂ©gara pour s’unir Ă  DĂ©janire « celle qui tue l’attachement », le hĂ©ros-chercheur poursuit Ă  ce moment-lĂ  un processus vers le dĂ©tachement le plus total.

L’entrĂ©e dans la quĂȘte exige donc un renversement majeur, de l’extĂ©rieur vers l’intĂ©rieur.
Selon certaines sources, c’est suite au meurtre de ses enfants et non lorsqu’il Ă©touffa les deux serpents, que le hĂ©ros abandonna son prĂ©nom d’Alcide (Alkeides, le descendant d’Alkaios « un tempĂ©rament puissant, courageux » ou « une conscience vaste » (forte) ») pour devenir HĂ©raclĂšs « la gloire du mouvement juste (issu de l’intĂ©rieur) », nom qui lui aurait Ă©tĂ© donnĂ© par Apollon « la lumiĂšre de l’ĂȘtre psychique ».

C’est Thespios « la parole ou le chant qui Ă©mane des dieux » qui le purifia du meurtre de ses enfants : ce sont ses plus hautes perceptions de l’harmonie « du juste, du beau, du vrai » qui confirment au chercheur la justesse de son orientation. Il est alors prĂȘt Ă  s’engager sur le chemin : c’est ce que lui rĂ©vĂšle sa voix intĂ©rieure (la Pythie) lui ordonnant de se mettre pendant douze ans au service de son oncle EurysthĂ©e « la force intĂ©rieure », afin de rĂ©aliser la sĂ©rie de travaux que lui commanderait ce dernier. Apollon (ou AthĂ©na) prĂ©cisa qu’il obtiendrait l’immortalitĂ© pour prix de ses peines : la victoire finale serait couronnĂ©e par la sortie de la dualitĂ©.

Introduction aux travaux

A travers la vie et les travaux d’HĂ©raclĂšs, nous allons rencontrer les Ă©lĂ©ments du processus de purification et libĂ©ration du mental et du vital qui conduisent Ă  leur Ă©largissement, Ă  leur assouplissement et Ă  leur illumination. Accomplir cela pour le mental, c’est devenir un sage et accĂ©der aux pouvoirs du mental ; l’entreprendre pour le vital relĂšve de l’hĂ©roĂŻsme et permet d’accĂ©der Ă  la saintetĂ© et aux pouvoirs de la vie, c’est devenir l’égal des dieux. Au-delĂ  des Ă©tats de sagesse et de saintetĂ©, peut alors se dessiner un renversement du yoga avec la descente dans le corps.

Ces travaux ont donnĂ© lieu Ă  quantitĂ© d’ouvrages proposant des interprĂ©tations diverses. Cette Ă©tude ne prĂ©tendant en aucune façon dĂ©livrer un enseignement spirituel, nous tenterons de rester au plus prĂšs des symboles dans la cohĂ©rence globale que nous cherchons Ă  Ă©tablir.

Peut-ĂȘtre n’est-il pas inutile de rappeler que les travaux interviennent dans la lignĂ©e d’OcĂ©anos et donc participent du procĂ©dĂ© accĂ©lĂ©rĂ© d’évolution selon la nature. Il s’agit par une purification-libĂ©ration progressive de parvenir Ă  la « psychisation » de l’ĂȘtre. Se purifier des mĂ©langes et des sources d’impuretĂ© et se libĂ©rer du dĂ©sir et de l’ego sont considĂ©rĂ©s ici comme les premiĂšres Ă©tapes vers une vie divine et comme les bases de la rĂ©alisation de l’égalitĂ© parfaite.
Mais la progression spirituelle ne s’arrĂȘte pas lĂ  car aprĂšs avoir conquis la libĂ©ration personnelle sur les plans du mental et du vital, il faut encore que la nature physique soit transformĂ©e pour devenir un instrument de l’Absolu, non pas en vue d’un paradis hors de la Terre, mais bien ici-bas dans notre nature incarnĂ©e. C’est pourquoi les travaux ont Ă©tĂ© prolongĂ©s par un certain nombre de « campagnes (praxĂ©is) » pour en prĂ©ciser le chemin.
Il ne s’agit pas seulement d’obtenir une libĂ©ration de l’esprit mais aussi celle des modes de la nature et de toute dualitĂ©. Car ce que l’oracle promit Ă  HĂ©raclĂšs s’il parvenait Ă  accomplir les travaux, c’est bien l’immortalitĂ© et donc la sortie de la dualitĂ© et la maĂźtrise du processus que nous appelons mort.

S’il n’y a d’autre chemin vers la VĂ©ritĂ© que le sien propre, ces travaux ne peuvent s’envisager dans une succession logique qui suppose que l’un soit terminĂ© avant de commencer le suivant. Ils ne peuvent donc dĂ©crire une progression linĂ©aire valable pour tous, avec des Ă©tapes prĂ©cises, mais seulement un certain nombre de buts vers lesquels le chercheur doit tendre.
Il doit souvent livrer les mĂȘmes combats mais sur des plans de plus en plus profonds, dans un travail en spirale. Ainsi, les obstacles vaincus et les rĂ©alisations obtenues dans le mental doivent ensuite l’ĂȘtre dans le vital puis dans le corps. C’est pourquoi chacun des travaux peut ĂȘtre considĂ©rĂ© de bien des maniĂšres diffĂ©rentes au fur et Ă  mesure de la progression.
Ainsi s’expliquent les divergences rencontrĂ©es chez les anciens, parfois dans la liste des travaux, mais surtout dans l’ordre de leur prĂ©sentation

Une liste canonique s’est cependant constituĂ©e dĂšs le Ve siĂšcle avant J.-C., probablement sous l’influence des seuls initiĂ©s. Seul l’ordre a ensuite variĂ© selon les rĂ©cits ou les traces architecturales qui nous sont parvenus.
En fait, à la place du mot « travaux » issu du latin, une traduction plus exacte du terme grec « Athloi » serait « défis » ou « épreuves », car ce terme était lié aux jeux sportifs.

HomĂšre connaissait l’existence des « travaux » mais n’en fait jamais l’inventaire. Selon ThĂ©ocrite, Pisandre de Camiros aurait organisĂ© le cycle des travaux dĂšs la fin du VIIe siĂšcle avant J.-C. Le travail du nettoyage des Ă©curies d’Augias aurait Ă©tĂ© le dernier ajoutĂ© au Ve siĂšcle, leur nombre Ă©tant dĂšs lors figĂ© Ă  douze. Nous suivrons ici la liste d’Apollodore qui nous est apparue comme la plus cohĂ©rente. Elle est identique Ă  celle de Diodore de Sicile, Ă  quelques permutations prĂšs pour certains travaux adjacents (permutations dans les couples de travaux 3 et 4, 5 et 6, 11 et 12).

Toutefois, il y a lieu de distinguer trois sortes de travaux, les deux premiÚres étant couplées.
La liste canonique comprend en effet les travaux proprement dits dénommés « Athloi » mais aussi des épisodes qui se déroulent parallÚlement aux travaux nommés « Parerga » (« accessoires ») car certains maßtres estimÚrent nécessaire de préciser certains enseignements.
Les Ă©pisodes situĂ©s aprĂšs les travaux constituent la troisiĂšme catĂ©gorie et Ă©taient nommĂ©s « PraxĂ©is », « les actes » ou « accomplissements » : tandis que les « Athloi » sont effectuĂ©s par la volontĂ© personnelle du chercheur (sous les ordres d’EurysthĂ©e), les « praxĂ©is » relĂšvent d’une VolontĂ© supĂ©rieure qui est obĂ©issance absolue Ă  l’ĂȘtre intĂ©rieur. Ils seront donc dĂ©clenchĂ©s Ă  la seule initiative du hĂ©ros. Cette obĂ©issance suppose le passage au premier plan de l’ĂȘtre psychique.

La structure des travaux

Nous avons dĂ©jĂ  abordĂ© les diffĂ©rentes parties du chercheur mobilisĂ©es pour la quĂȘte (EurysthĂ©e, HĂ©raclĂšs, IphiclĂšs et Iolaos).
Les liaisons majeures du hĂ©ros marqueront les Ă©tapes importantes du chemin : MĂ©gara, la poursuite de « l’exactitude » ou du « mouvement le plus juste » ; DĂ©janire, celle du « dĂ©tachement » ; Iole, celle de « la libĂ©ration » totale ; et enfin HĂ©bĂ©, la dĂ©esse de « l’éternelle jeunesse », celle de la non-dualitĂ© et de l’adaptation permanente au mouvement du Devenir.

Mais il existe une autre structure, donnée par la situation géographique des travaux, qui définit trois groupes.
Le premier comprend les six premiers travaux qui se dĂ©roulent tous dans le PĂ©loponnĂšse. Les deux premiers de ce groupe, situĂ©s de part et d’autre d’Argos, en dĂ©finissent les objectifs majeurs dont certaines modalitĂ©s sont explicitĂ©es par les quatre suivants situĂ©s en Arcadie ou Ă  ses abords immĂ©diats.

Le deuxiĂšme groupe est formĂ© par quatre travaux se dĂ©roulant hors du PĂ©loponnĂšse selon une croix orientĂ©e selon les quatre directions symboliques : la CrĂšte au Sud, la Thrace au Nord, les bords de la Mer Noire Ă  l’Est, et l’Érythie « l’üle rougeoyante » en ExtrĂȘme-Occident. Ils concernent les chercheurs beaucoup plus impliquĂ©s dans le yoga.
Le dernier groupe enfin est formĂ© par les deux derniers travaux qui se dĂ©roulent en des contrĂ©es inaccessibles, l’HadĂšs et le jardin des HespĂ©rides. Ils s’adressent aux aventuriers de la conscience qui, Ă  la suite des avatars ou envoyĂ©s divins, se consacrent Ă  des rĂ©alisations jamais encore atteintes sur Terre.

C’est pourquoi la plupart des auteurs anciens avaient situĂ© l’ultime limite de la rĂ©alisation possible dans le yoga symbolisĂ©e par les fameuses « colonnes d’Hercule », Ă  la fin du dixiĂšme travail « Les troupeaux de GĂ©ryon ». Ainsi Pindare de clamer : « Plus avant ne peuvent passer ni les sages, ni les non-sages. ».
MĂȘme si les « praxĂ©is » concernent les Ă©tapes d’un yoga qui va au-delĂ  de cette limite, les anciens prĂ©sentĂšrent comme obstacle ultime la racine du dĂ©sir (le principe de sĂ©paration esprit/matiĂšre ancrĂ© dans le corps Ă  la racine de la vie) alliĂ©e Ă  un grand accomplissement humain soutenu par le vital (le sang du Centaure Nessos mĂȘlĂ© Ă  celui de l’Hydre). Il causera la mort d’HĂ©raclĂšs sous la forme de la tunique imprĂ©gnĂ©e du venin.

La liste des travaux Ă©tablie par Apollodore est la suivante. (La rĂ©partition en trois groupes n’existe que pour les besoins de l’étude.)

Premier groupe
1. Le Lion de Némée
2. L’Hydre de Lerne
3. La Biche de CĂ©rynie
4. Le Sanglier d’Érymanthe
5. Les Écuries d’Augias
6. Les Oiseaux du lac Stymphale

DeuxiĂšme groupe
7. Le Taureau de CrĂšte
8. Les Juments de DiomĂšde
9. La Ceinture d’Hippolyte, reine des Amazones
10. Les Troupeaux de GĂ©ryon

TroisiĂšme groupe
11. Le Jardin des Hespérides
12. CerbĂšre

Notons une certaine incertitude liée aux nombres dix et douze dans le compte des travaux et dans leur durée.
MĂȘme si le hĂ©ros n’en devait effectuer au dĂ©part que dix, peut-ĂȘtre mĂȘme moins, il y en eut finalement douze car EurysthĂ©e refusa d’en comptabiliser deux, « l’Hydre de Lerne » et « les Écuries d’Augias ». Peut-ĂȘtre ceci provient-il de divergences entre les initiĂ©s au sujet du symbolisme de ces deux nombres, dix et douze (totalitĂ© d’expression et perfection dans l’exĂ©cution). Nous examinerons ce problĂšme avec chacun des travaux concernĂ©s.
L’autre incertitude rĂ©side dans la durĂ©e de la servitude d’HĂ©raclĂšs : parfois dix ans, parfois douze.

Nous Ă©carterons aussi les versions de certains auteurs qui ne font pas sens ici : celle qui donne l’expiation du meurtre des enfants d’HĂ©raclĂšs comme motif des travaux, ce qui est incompatible avec la purification qui lui fut accordĂ©e, et d’autre part celle d’Euripide qui, plaçant le meurtre Ă  la fin des travaux, dĂ©nature ainsi une fois de plus les rĂ©cits initiatiques.

LES SIX PREMIERS TRAVAUX

Les six premiers travaux sont localisĂ©s dans le PĂ©loponnĂšse, les deux premiers en Argolide Ă  Ă©gale distance au nord et au sud d’Argos, les trois suivants en Arcadie selon un arc de cercle Ă  sa frontiĂšre nord, et le sixiĂšme en Élide.
Nous avons maintes fois soulignĂ© qu’Argos « la lumineuse » est la ville des chercheurs de VĂ©ritĂ©. Les deux travaux majeurs qui « encadrent » cette premiĂšre partie du chemin, le Lion et l’Hydre, ont pour objet la fin de l’ego et du dĂ©sir, les deux grands mouvements qui ne purent ĂȘtre Ă©vitĂ©s lors de la construction de la personnalitĂ© mais qui doivent ĂȘtre dĂ©passĂ©s dans la prochaine Ă©tape de l’évolution.
L’Arcadie est la province symbolique de « l’endurance » dans le yoga. Elle tire son nom de celui du hĂ©ros Arcas associĂ© Ă  celui de « l’ours », image d’une « puissance de rĂ©sistance ou d’endurance ».
Nous verrons plus loin qu’il existe deux « Arcadie » qu’il ne faut pas confondre. La premiĂšre concerne les prĂ©liminaires du chemin. Ses habitants aimaient Ă  dire qu’ils Ă©taient les plus anciens habitants de GrĂšce et tiraient leur origine de prĂ©-SĂ©lĂ©niens, avant mĂȘme que la lune ne s’élĂšve dans le ciel, c’est-Ă -dire avant mĂȘme la construction de la personnalitĂ©. Leur premier roi fut Pelasgos, nĂ© de la terre aux premiers temps de l’histoire alors qu’ils se nommaient encore le peuple des PĂ©lasges. La seconde dont il s’agit ici conduit Ă  la rĂ©alisation de « l’égalité ».

Elle conduit Ă  la rĂ©alisation de « l’égalité » avec la cĂ©lĂšbre hĂ©roĂŻne de la chasse au sanglier de Calydon, Atalante.
Elle fait la liaison avec la province de la libĂ©ration en l’esprit, l’Elide, ou les « scories » des expĂ©riences passĂ©es devront ĂȘtre nettoyĂ©es lors du sixiĂšme travail, celui des Ă©curies d’Augias.

Le monument d’Olympie place l’épisode des Ă©curies d’Augias Ă  la place d’honneur, ce qui laisserait entendre que pour l’architecte de cet Ă©difice, les vainqueurs d’Olympie Ă©taient ceux qui avaient accomplis ces six premiers travaux jusqu’à la libĂ©ration en l’esprit, et non la totalitĂ© des douze. Cette attribution nous semble la plus cohĂ©rente compte tenu du fait que nul Ă  priori ne pouvait prĂ©tendre avoir accompli la totalitĂ© des travaux.