Ilion de Sri Aurobindo
Livre Un
Le Livre du Héraut
Brise les moules du passé, mais garde intacts son génie et son esprit, sinon tu n’as pas d’avenir.
Sri Aurobindo
(Aphorisme 238)
PREFACE
Jusqu’à présent, le poème Ilion a été quasiment ignoré par tous ceux qui s’appliquèrent à étudier l’œuvre de Sri Aurobindo pour la simple raison que celui-ci ne donna jamais les clefs nécessaires à sa compréhension ni la moindre indication sur le contenu symbolique du poème.
Il pose cependant une question essentielle dans le grand tournant spirituel que vit l’humanité actuelle, à savoir ce qui peut être conservé des structures et des réalisations supportant les efforts les plus avancés des anciens yogas vers davantage de consécration, de dévotion et de connaissance du Divin et ce que seront les bases du nouveau yoga
Sri Aurobindo avait acquis lors de ses années d’études en Angleterre une connaissance très approfondie de la culture grecque et pouvait composer des poèmes en grec ancien. De plus, nous pouvons déduire de ses paroles qu’il avait acquis une compréhension intuitive profonde du sens des mythes lors de son séjour en prison à Alipore. Il entreprit alors de confirmer de façon imagée, ce qui avait été « vu » par Homère il y a près de trois mille ans : Troie devait être impitoyablement rasée et tous ses habitants tués. Or la ville de Troie représente les structures établies à partir d’un accès permanent au mental illuminé pour soutenir les yogas et les réalisations les plus avancées. En revanche, la coalition achéenne qui lui est opposée a pour base le mental supérieur, plan auquel l’humanité dans son ensemble devra accéder dans les siècles ou millénaires à venir, à commencer par la réalisation de son unité.
Pour les aventuriers se pose cependant le problème des bases du nouveau yoga. Homère y a répondu en plaçant les seuls survivants de Troie, Énée et son fils Anchise, dans la lignée d’Assarakos, dont le nom signifie « égalité ». Ils sont les ancêtres de la lignée qui devra fonder la Troie future sur la base d’une progression dans l’amour, car Énée est le fils d’Aphrodite, la déesse qui veille à la progression de l’amour dans l’humanité. Homère n’en dit pas plus dans l’Iliade, explicitant seulement dans l’Odyssée les nécessaires transformations au changement de direction.
Sri Aurobindo confirma cette vision en affirmant qu’aucun yoga ne pouvait être entrepris si n’était réalisé au préalable une parfaite égalité ou équanimité. Et pour ce faire, une purification approfondie devait être réalisée. Car, nous dit-il, l’Amour ne pourra croître que sur une base de Vérité, alors que c’est encore en grande partie le mensonge qui règne sur le monde. Ce que les humains appellent amour n’est en effet le plus souvent que son contraire ; non pas forcément la haine qu’on lui oppose mécaniquement mais la manifestation du mouvement de possession et de toutes ses expressions complexes qui vont jusqu’à prendre parfois l’apparence du dévouement, du sacrifice ou de la charité.
Sri Aurobindo a posé les bases du nouveau Yoga de façon très claire, yoga dont les grandes lignes sont :
un don de soi total entre les mains de la Mère divine ou Shakti, la puissance de réalisation du Divin ; un don de soi au Divin ou à Cela, quel que soit le nom que l’on choisisse (aussi appelé « surrender » ou consécration)
une puissante aspiration qui doit devenir progressivement constante et inébranlable (un « besoin » d’autre chose, de plus de vérité, plus de joie…)
une égalité ou équanimité
Selon Sri Aurobindo, « Posséder l’égalité, c’est avoir un mental et un vital tranquilles et immuables ; c’est n’être ni touché ni dérangé par ce qui vous arrive, ce que l’on vous dit ou vous fait, mais regarder toutes ces choses en face, sans aucune des déformations qu’engendre le sentiment personnel, et essayer de comprendre ce qui est derrière elles, pourquoi elles se produisent, ce que vous pouvez en apprendre ; ce qui, en vous-même, est l’objet de leurs assauts et quel profit, quel progrès intérieur vous pouvez en tirer ; c’est avoir la maîtrise des mouvements vitaux : colère, susceptibilité, orgueil, mais aussi désir et le reste ; c’est ne pas les laisser s’emparer de l’être émotionnel, ni troubler la paix intérieure ; ne pas parler, ne pas agir précipitamment sous leur impulsion, ne pas parler, n’agir que mû par un calme équilibre intérieur de l’esprit. L’entière et parfaite possession de cette égalité n’est pas facile à acquérir, mais il faut dans relâche essayer de fonder de plus en plus sur elle l’état intérieur et les mouvements extérieurs ».
une sincérité progressive
Sincérité que Mère a défini comme une soumission progressive de toutes les parties de l’être au Divin : « Ne permettre à rien, nulle part, de nier la vérité de l’être, c’est cela la sincérité. » (17-10-58) ; « Être sincère, c’est unifier tout son être autour de la suprême Volonté intérieure » (Agenda de Mère 14-7-1965) ; « L’unification complète de tout l’être autour du centre psychique est la condition essentielle pour réaliser une sincérité parfaite » (9-02-1972).
Les anciens initiés grecs, en sus de la lignée d’Assarakos (l’égalité), ont illustré ces bases par les héros qui revinrent vivants en Grèce : ce sont les épopées appelées « Retours » dont la plus célèbre et la seule qui nous soit parvenue est celle d’Ulysse contée dans L’Odyssée. Elle décrit le processus de réalisation d’une parfaite transparence qui doit permette aux courants de conscience-énergie divines de réaliser la transformation. Hormis ce héros, ceux qui revinrent nous sont connus. Voici les principaux : Agamemnon, roi de Mycènes (symbole d’une puissante aspiration et volonté intelligente), Ménélas, roi de Sparte (celui qui est fidèle à la vision du Nouveau), Nestor (la croissance de la sincérité et rectitude), Diomède (la volonté d’union avec le Divin), quelques devins (la croissance de la sensibilité et de la réceptivité dans différentes parties de l’être), Idoménée (celui qui désire l’union), Énée (l’évolution) et aussi bien d’autres héros secondaires.
Mentionnons également qu’en dehors des bases du nouveau yoga, Sri Aurobindo aborde