LE LION DE NÉMÉE

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Le lion de Némée qu’Héraclès doit vaincre lors de son premier travail symbolise la victoire sur l’ego, depuis l’égoïsme habituel jusqu’à l’ego corporel.

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Héraclès luttant avec le Lion de Némée

Héraclès luttant avec le lion de Némée – Musée du Louvre

Le Lion de Némée ravageait l’Argolide, dévorant troupeaux et habitants. Il régnait en maître sur le Trèton Néméen et sur l’Apésante. C’est Héra qui l’avait élevé.
Pindare ajoute qu’il était invulnérable à l’acier, et Bacchylide qu’il ne pouvait être attaqué qu’à mains nues.Eurysthée ordonna au héros de lui rapporter la peau de l’animal.

Ceci constitue, semble-t-il, les seuls éléments du mythe d’origine. Les détails qui suivent furent ajoutés par la suite, surtout à partir du début de notre ère.
Certains affirment que le lion était né sur la lune et que Séléné le projeta sur la terre à la demande d’Héra.

Héraclès, en se rendant sur les lieux, fut hébergé par un pauvre paysan, Molorchos, dont le fils avait été tué par le lion. Le paysan voulut honorer son hôte en lui offrant le seul bélier qu’il possédait, mais Héraclès l’en dissuada et lui demanda de patienter trente jours et d’attendre son retour. S’il ne revenait pas, alors il pourrait sacrifier le bélier à sa mémoire.
Héraclès continua sa route et poursuivit le lion pendant vingt-huit jours. Il essaya d’abord de le tuer avec ses flèches et son épée (ou parfois sa massue) mais en vain car sa peau était impénétrable. Comme le lion habitait une caverne à deux issues, le héros ferma l’une d’elles, le saisit à bras le corps et l’étrangla de ses mains nues. Puis il se revêtit de sa peau.
Il s’en retourna ensuite chez le paysan qui s’apprêtait à lui sacrifier le bélier car trente jours s’étaient déjà écoulés. Le bélier fut alors offert à Zeus « sauveur ».
Avant de s’en retourner, Héraclès, couronné de persil sauvage, réorganisa les jeux de Némée qui avaient été fondés par Adrastos lors de la guerre des Sept contre Thèbes.
Puis il rapporta la dépouille du lion à Eurysthée. Épouvanté, ce dernier exigea d’Héraclès que ses trophées soient désormais déposés devant les portes de Mycènes. Et ce fut dès lors Copreus, un fils de Pélops, qui transmit les ordres au héros.

Si ce travail a été placé en tête, c’est parce qu’il est la clef de voûte de l’édifice des travaux, du moins des six premiers si l’on considère seulement ce qui était accessible aux chercheurs ordinaires.

Le symbolisme du lion, roi des animaux, évoque ici le point culminant de la personnalité animale égotique dans l’homme – le « petit moi » qui ramène tout à lui-même – issue de l’évolution dans l’ignorance et du sentiment d’être séparé (Apesante signifie « séparé »), autrement dit ce que nous appelons « l’ego » mental-vital.
Symbole de puissance, il est la volonté de puissance de l’ego de son propre droit et non du droit du Divin.
Ce lion, selon Hésiode, est le fils d’Orthros et d’Échidna (ou de la Chimère) et selon Apollodore, celui de Typhon.

Nous avons étudié ces monstres dans un chapitre précédent mais nous redonnons ici brièvement leur signification.

Voir Arbre Généalogique 1

Orthros est la fausseté (le mensonge ou la perversion) qui s’introduisit dans la vie lors de l’irruption du mental par une combinaison de « l’ignorance » (Typhon « qui enfume, aveugle ») et de « l’arrêt de l’évolution dans l’union » (Échidna, la vipère qui marque l’entrée dans le processus de séparation).
(L’orthographe Orthos « ce qui est droit » et donc de signification exactement opposée à Orthros, provient des corrections apportées sur les manuscrits, selon la note du II.106.4 de la Bibliothèque d’Apollodore, selon J.C. Carrière et B. Massonie.)
Dans tous les cas, le lion est donc le résultat de l’évolution dans l’ignorance (fils ou petit-fils de Typhon). Hésiode ajoute dans ses ascendants une « perversion » (Orthros) alliée à une séparation du Réel, l’ensemble résultant en une identification de l’être à l’action de ses instruments (mental, vital et corps), générant le mouvement centralisateur de l’ego.

Selon Hésiode, Échidna est fille de Phorcys et Céto, et donc contemporaine de l’apparition de l’ego animal. Cet ego plonge ainsi ses racines aux origines de la sensation qui est elle-même mensongère. Selon Apollodore, elle est fille du Tartare « la Nescience » : l’arrêt de l’évolution dans l’union serait alors pour cet auteur une conséquence de ce qui s’oppose au principe d’existence-conscience représenté par Gaia.

Ce lion a pour sœur la Sphinge, la forme la plus élaborée et pernicieuse de l’ego, « l’ego spirituel ». Œdipe devra la vaincre afin de régner sur Thèbes.
Pour que le mensonge Orthros soit éradiqué dans le dixième travail (celui des Troupeaux de Géryon), ses deux enfants – le Lion de Némée et la Sphinge – devront au préalable avoir été vaincus : le chercheur devra avoir éliminé l’ego aussi bien dans son expression la plus sournoise (l’idée d’une âme séparée représentée par Phix) que dans ses racines vitales.

L’ego n’est pas en soi une erreur ou une « chute » dont l’homme porterait toute la responsabilité car le lion fut élevé par Héra. Selon les auteurs qui en font un fils de Séléné projeté sur la Terre à la demande d’Héra, il serait une formation du vrai Moi projetée dans la conscience mentale humaine limitée (Héra) aux fins de l’évolution. Il doit être vu comme le procédé utilisé par la nature pour développer le sens d’une existence individuelle limitée et séparée, procédé qui permet à l’animal de s’extraire de « l’âme groupe » du troupeau et de ses fonctionnements collectifs, puis à l’homme-animal de poursuivre son individuation.

Les ascendants du lion du Cithéron qu’Héraclès combattit avant le début des travaux ne sont pas mentionnés dans la mythologie. C’est pourquoi nous n’avons pas associé ce dernier lion à l’ego mais seulement à certaines de ses manifestations dans l’intellect et le mental vital liées à l’arrogance et à la suffisance de surface.
En revanche, le Lion de Némée représente l’ego jusque dans ses racines et comporte des éléments de résistance au yoga plus archaïques et difficiles à combattre, car ils sont ancrés dans le noyau de l’ego qui dut se construire comme élément séparé. Ce qui est illustré par les ravages causés aux alentours de Némée, c’est-à-dire dans « l’évolution de la réceptivité et de la consécration ».

La première difficulté rencontrée provient de l’identification de l’être intérieur avec l’ego. Nous nous identifions par les sens, les émotions et la pensée à l’action du mental, de la vie et du corps, et sommes sans cesse projetés au dehors : c’est le mouvement d’extériorisation de l’ego dont nous devons nous libérer en remportant la première victoire sur le lion. Dans ce but, le chercheur doit opérer un renversement de conscience afin de contacter sa vérité intérieure.

L’histoire ajoutée tardivement du paysan Molorchos peut apporter un éclairage complémentaire sur ce premier travail.
Elle insiste tout d’abord sur la qualité essentielle que doit développer le chercheur, à savoir l’humilité.
D’autre part, elle souligne une impulsion prématurée et mal orientée (même si elle témoigne d’une bonne volonté prête à offrir tout ce qu’elle possède à la quête), la proposition refusée par le héros du sacrifice de l’unique bélier : en effet, le chercheur doit travailler longtemps avant de pouvoir réaliser le don juste.
Enfin, elle indique par la patience exigée du paysan que la lutte contre l’ego sera longue. Ce que confirme le nom Molorchos qui signifie « avancer en s’agitant ». Dans le chercheur, l’agitation ne peut produire de fruits et c’est pourquoi Molorchos est « pauvre ».
Le chercheur doit cependant prendre en compte cette donnée de sa nature, l’impatience du sacrifice, lequel ne peut trouver son juste accomplissement qu’à la mort de l’ego (au retour du héros). S’il y a échec (si Héraclès meurt) le chercheur doit quand même honorer la tentative effectuée et poursuivre le yoga sans s’affliger.

Dans les représentations les plus anciennes, Héraclès semble pouvoir attaquer le lion avec son épée. Mais les textes ultérieurs mentionnent que sa peau ne peut être percée ni par le fer, ni par les flèches. Or la peau a déjà été mentionnée comme symbole de la sensibilité, laquelle est étroitement liée à la conscience. L’ego est donc muni d’une carapace faite d’insensibilité sur laquelle les armes habituelles de la volonté qui tranche et de la tension vers le but seraient sans effet. C’est plutôt par une étroite union consciente avec lui que l’on peut s’en débarrasser, en « embrassant l’ombre » selon l’expression consacrée. Le héros est donc obligé de le saisir à bras le corps après avoir fermé l’une des deux entrées de la caverne : le chercheur « empoigne » l’ego après s’être assuré que celui-ci n’a aucun échappatoire, car il trouve toujours un moyen détourné de s’esquiver.

Dès le VIIe siècle avant J.-C., Héraclès est décrit revêtu de la peau du lion.
Selon l’enseignement spirituel classique, cet accoutrement pourrait signifier que le chercheur doit « garder l’habit du pays » afin de passer aussi inaperçu que possible quel que soit son niveau de réalisation. Cela pourrait aussi indiquer que le héros a embrassé son ombre et que l’énergie correspondante peut désormais être utilisée de façon juste.

Avant de rapporter la dépouille à Eurysthée, Héraclès réorganisa les jeux de Némée. Ces jeux avaient été fondés par Adrastos en l’honneur de la mort de l’enfant Opheltès lors du départ en guerre des Sept chefs contre Thèbes. Mais le chercheur n’était pas alors suffisamment préparé car le devin annonça que cette guerre serait un échec. Elle ne devait être gagnée que beaucoup plus tard par les descendants des Sept, les Épigones. La mort d’Opheltès (renommé alors Archémoros) marquaient l’arrêt d’une « volonté de servir » prématurée : le chercheur doit patienter longtemps et se purifier suffisamment pour que sa volonté de servir ne soit pas en fait au service de son ego. Les jeux fondés en l’honneur de l’enfant montrent toutefois que ce n’est pas une grave erreur de yoga, mais plutôt un passage presque obligé. Il est courant que nombre de chercheurs débutants commencent le chemin en voulant œuvrer pour l’humanité. Mais c’est seulement lorsque le psychique se manifeste que le « service » peut être réellement tourné vers le Divin. Héraclès peut alors « réorganiser » les jeux et se parer de la couronne du « deuil » de l’ego faite de persil sauvage.

Le héros rapporta la dépouille du monstre à Eurysthée qui fut pris de terreur et lui interdit désormais l’entrée dans Mycènes avec ses trophées : cette « peur » d’Eurysthée évoque peut-être la peur du chercheur de lâcher son ego, car l’homme est amoureux de ses chaînes.
Ce serait désormais Copreus « le bouseux », un fils de Pélops « la vision de l’ombre », qui lui transmettrait les ordres : à un certain moment du chemin, le travail que doit accomplir le chercheur lui est indiqué non plus directement par un sentiment intérieur (Eurysthée) mais par les obstacles qu’il rencontre dans la vie, par l’« ombre » ou la « boue ».

L’équipement d’Héraclès

L’origine des armes du héros ainsi que les matériaux dont elles sont composées sont très variables selon les sources. Il est généralement admis qu’Héraclès tailla sa célèbre massue dans un olivier sauvage lors de ce premier travail, ici symbole du combat pour la purification de sa nature.
Car les armes du chercheur de vérité (ses aides sur le chemin) sont celles qu’il crée lui-même selon sa nature, ses dons et ses capacités afin de suivre sa propre méthode de yoga.
La massue était déjà un instrument « préhistorique » au temps des Grecs. Son utilisation par Héraclès signifie donc sans doute que le travail sur soi ne nécessite pas des outils sophistiqués. La matière du travail, ce sont nos peurs, nos replis, nos mensonges, nos insincérités et toutes choses qui se sont inscrites dans nos mémoires émotives et corporelles et qu’il faut prendre à bras le corps.
Certains auteurs mentionnent également une épée offerte par Hermès, l’arme la plus commune du combattant ici octroyée par le plus haut du mental et signe probable d’une capacité à « trancher ». Il reçut aussi d’Apollon un arc et des flèches, symboles d’une volonté unifiée et éclairée tendue vers le but, lequel est révélé par l’être psychique (Apollon). Hésiode, qui décrit longuement le bouclier du héros, mentionne aussi des cnémides (jambières) d’orichalque offertes par Héphaïstos et une cuirasse d’or offerte par Athéna : c’est le feu intérieur qui donne la force et c’est la force qui veille à l’évolution intérieure – le maître intérieur – qui offre la protection.