CRONOS : LES DIEUX DE L’OLYMPE ET HADÈS

Hadès est le frère de Zeus et Poséidon. En effet, Cronos engendra avec Rhéa les six dieux principaux qui gouvernent la conscience humaine, Hestia, Héra, Déméter, Hadès, Poséidon et Zeus.

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Hades tenant la corne d'abondance

Hades tenant la corne d’abondance – Musée du Louvre

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Rappelons que la supra-conscience s’identifia avec la conscience mentale lorsque Zeus, le supraconscient, avala Métis « l’intelligence tournée vers le discernement », imposant au vital la domination du mental.
Rhéa, femme de Cronos, faisait l’objet d’un culte sur le mont Thaumasion, nom formé sur la base de celui du deuxième fils de Pontos, Thaumas, symbole du plan du « vital vrai » : ceci confirme le nom donné au règne de Cronos, « l’âge d’or », durant lequel le mental réflexif, qui apporte des déformations et des limitations à la vie, n’était pas encore agissant.

Nous avons déjà étudié les dieux qui font partie de l’Olympe. Au cours de son évolution, l’homme doit intégrer les forces qu’ils représentent, devenant leur égal. Les héros de la guerre de Troie en témoigneront, car ils pourront parfois infliger des blessures aux dieux. L’homme parvenu à ce niveau d’évolution n’est plus soumis aux forces mentales qui parcourent le monde de façon cyclique. Il a atteint le plan du Surmental, celui de la Pléiade Maia, mère d’Hermès, et les réalisations correspondantes avec le sixième fils d’Éole, Périères « celui qui agit de façon juste » ou encore « celui qui est passé au-delà des cycles ».

Il nous faut étudier le sixième enfant de Cronos et Rhéa, Hadès, qui a été jusque-là laissé de côté, car il ne figure pas parmi les Olympiens, du moins aux temps homériques. (Nous aborderons Dionysos plus tard car il tient une place à part, n’ayant pas le rang de dieu dans l’œuvre d’Homère et y étant même à peine mentionné. Cet initié considérait sans doute la voie dionysiaque comme l’un des chemins possibles, mais sans la privilégier, probablement en raison des mélanges toujours possibles avec les énergies du vital.)

HADES

Rappelons que lors de la victoire sur les Titans, Zeus, Poséidon et Hadès se partagèrent le monde, Hadès héritant du monde souterrain, le royaume de l’invisible.

Le nom Hadès, Αιδης, a pour lettres structurantes ΙΔ : c’est donc le lieu de réunification (Δ) de la conscience (Ι) dont l’étape ultime est dans le corps (une fois l’union réalisée dans le mental et le vital). Les Anciens considéraient Hadès comme « α-ίδε(ιν), celui qui n’est pas visible » : son royaume est un lieu où ne peut encore pénétrer la conscience, où l’union se fait dans l’inconscient. Pour y parvenir, il faut avoir vaincu Cerbère – et non pas seulement l’avoir ramené au conscient comme Héraclès le fit -, puis avoir traversé le Styx, ce qu’aucun héros n’a jamais accompli. Lorsque le Styx pourra être franchi, lorsque le travail de Perséphone sera achevé, l’Homme abordera le monde « éternel » (Αιδιος), de l’Unité totale.

Son domaine est celui de ce que nous nommons ici « l’inconscient » selon la définition de Sri Aurobindo, et donc du corps qui renferme la bibliothèque des mémoires de l’évolution. C’est aussi la résidence des « ombres », symboles des expériences qui ont rempli leur rôle.
Cet « inconscient » n’est en aucune façon équivalent à celui de la psychologie moderne qui, lui, concerne les couches peu profondes de ce que nous nommons ici le subconscient, domaine de Poséidon où s’accumulent les moindres sensations ainsi que les « nœuds » résultant de traumatismes émotionnels. Nœuds que le dieu réveille le moment venu, générant des coups de vent ou des tempêtes tumultueuses qui malmènent le chercheur et dont les causes peuvent être ramenées à la conscience sans trop de difficulté.
Il ne faut donc en aucun cas réduire les incursions au royaume d’Hadès des grands héros à la découverte par les hommes ordinaires des contenus de leur subconscient, quel que soit le moyen d’investigation.

Selon Homère, les seuls héros descendus dans l’Hadès de leur vivant (en conscience) sont Héraclès et Ulysse. Héraclès appartenant à la description théorique du chemin, seul Ulysse représente une expérience qui aborde le yoga du corps. Des auteurs plus tardifs ont ajouté Thésée et son ami Pirithoos, ou encore évoquent des héros morts revenus pour une plus ou moins longue période dans le domaine des vivants, tels Sisyphe ou Alceste. (Le mythe d’Orphée est un peu particulier car il comporte de nombreuses versions qui seront traitées plus tard.) Ces auteurs, permettant à des héros imparfaitement purifiés et libérés d’y accéder, soit étendaient abusivement l’Hadès aux régions du subconscient profond, soit semblaient admettre la possibilité d’un travail dans le corps avant que la « libération » ne soit parfaite. Ainsi peut se comprendre le mythe dans lequel Sisyphe, ayant délibérément choisi de ne pas de se faire inhumer selon le rituel, fut autorisé à ressortir des mondes souterrains : tant que le vital n’est pas totalement purifié, l’effort et l’intellect doivent servir au discernement, même si un travail dans le corps a déjà commencé.

Rappelons aussi que le contraire de la conscience est la Nescience, symbolisée par le Tartare et non par l’Hadès (même si certains auteurs tardifs ont inclus le premier dans le second) : l’Hadès est un lieu de ré-union, et non de négation. Et c’est Thanatos et non Hadès qui est associé à la mort du corps physique.

Perséphone, vivant en alternance avec sa mère Déméter et son époux Hadès, montre que la réalisation vers la plus haute union incarnée par Déméter – laquelle appartient aux plus grandes hauteurs de la conscience humaine car elle est la sœur de Zeus – est effectuée par des allers-retours entre l’inconscient et le conscient. Elle « informe » le corps des évolutions de la conscience et inversement. Mais le corps n’est pas – ou du moins n’était pas au temps d’Homère – un lieu évolutif pour l’humanité : Hadès ne se manifeste donc jamais dans la vie des mortels et ne séjourne pas sur l’Olympe parmi les autres dieux. C’est pourquoi Achille dit qu’il préfère être « le plus insignifiant des vivants, un serf, même celui d’un pauvre, plutôt que le roi des morts. »
(Si le corps témoigne de l’unité de la matière, l’apparente immobilité d’Hadès conjuguée au va-et-vient de Perséphone pourrait aussi indiquer qu’une avancée d’un chercheur particulier se répand dans toute l’humanité, par résonnance.)

L’Hadès n’est donc en aucun cas le lieu de l’au-delà de la vie même si les mythes évoquent des « morts », mais un monde de la conscience matérielle où les expériences passées sont intégrées et conservées, et où certains processus poursuivent leur travail, soit qu’ils aient été achevés dans le conscient et le subconscient ordinaire, soit qu’ils aient été chassés de ces plans.

Si ces expériences évolutives sont appelées « ombres » ou « psychai, Ψυχαι » par Homère (avec les lettres structurantes, « ce qui pénètre au centre »), c’est parce qu’elles contribuent à la croissance de l’être intérieur. Ce terme ne désigne aucune des facultés humaines, exprimées par des mots tels que Phrenes (l’esprit), Thymos (l’être vital, principe de volonté) et Noos (l’être mental, la pensée). Il s’agit bien plutôt de ce que nous appelons dans cet ouvrage « l’être psychique », ce corps en formation autour de l’âme comprise comme l’étincelle divine en chacun, et de même nature qu’elle. Ces « ombres » contribuent donc à la croissance de l’être psychique en s’agglutinant au noyau déjà existant. Toutefois, une « ombre » ne peut être assimilée à l’être psychique si le héros n’a pas été enterré chez les vivants selon les rites prescrits, c’est-à-dire tant que le « travail » en question, qu’il semble bénéfique ou maléfique à nos yeux humains, n’a pas épuisé son rôle dans la conscience active. C’est ce qui permit à Sisyphe, représentant de « l’effort » dans le mental, de retourner dans le monde d’en haut.
Un processus évolutif qui a terminé son travail n’a plus de raison de se maintenir dans la conscience. Aussi le chien Cerbère empêche-t-il logiquement le retour des « ombres » vers la lumière, laissant s’en revenir seulement de rares héros, ceux qui retrouvent leur passé évolutif et celui de l’humanité, et peuvent en contempler les évènements comme un tout absolument cohérent.

Cette conception de l’Hadès n’est pas commune à tous les textes mythologiques car il se produisit un lent glissement de sens et le « monde souterrain » qui décrivait tout d’abord une zone particulière de la conscience en vint à désigner la destination des défunts.
Ni « paradis », ni « purgatoire », ni « enfer », il n’a initialement aucune de leurs caractéristiques qui lui furent plus tardivement attribués. Si certains auteurs en différencièrent les régions, c’est sans doute pour distinguer les expériences qui perduraient d’une vie à l’autre (les îles des Bienheureux) et donc liées à l’être psychique, de celles liées à l’existence en cours (le champ des Asphodèles).

C’est là que travaillent les aventuriers de la conscience afin de permettre un jour à l’humanité de franchir le Styx, c’est-à-dire de réaliser l’union dans le corps. Si Hadès lui-même n’est pas hostile, les gardiens de la frontière ultime, Cerbère et le Styx, « glacent d’effroi », car le chercheur y rencontre les puissantes forces des commencements de l’évolution, alors qu’il ne dispose plus des protections liées à la présence de l’ego.

Hadès a différents surnoms tels « le riche » (celui qui comble tous les manques) ou « l’autre Zeus » ou encore « Zeus Katachtonios » (καταχθονιος ΧΘ), c’est-à-dire le supraconscient des profondeurs ou encore « le supraconscient qui se concentre vers l’intérieur de la matière ».
Divinité du monde souterrain, il est par là-même celle des « mines », des potentialités enfouies dans la matière et dans le corps.

Son attribut est logiquement le casque d’invisibilité, et désigne le domaine dont l’homme ne peut être conscient. Ce casque est peut-être aussi le symbole du silence mental qui doit être installé pour celui qui commence la descente dans le corps. Dans l’imagerie, il est souvent représenté avec une clef et une corne d’abondance : il détiendrait la « clef » de la vie, et la « ré-union » offrirait tout ce qui est imaginable.

Si en général c’est un lieu « en dessous », Homère le situe aussi en extrême occident, car l’accès aux mémoires inconscientes les plus profondes exige un long voyage dans le passé évolutif. Ainsi, les âmes des morts se rassemblèrent et vinrent à Ulysse, le plus avancé des chercheurs dans le processus d’union, après qu’il eut remonté le cours du fleuve Océanos qui rassemble les courants évolutifs.

Afin de bien marquer à la fois les étapes de la progression et les possibilités de la conscience dans ce monde souterrain, Homère mentionne différents fleuves : l’Achéron – et son passeur Charon mentionné dès le sixième siècle avant J.-C. par d’autres auteurs – le Cocyte, le Pyriphlégéton et bien sûr le Styx.
Dans sa barque, Charon faisait traverser les ombres contre tribut. Il était décrit comme un génie brutal et tyrannique. Le nom de Charon comporte les mêmes lettres symboliques (Χ+Ρ) que ceux du fleuve Achéron et de Chara « la joie ». Il est donc aussi le symbole du « juste mouvement du rassemblement de l’être ».
Ils délimitent plusieurs régions, différentes selon les auteurs : le champ des Asphodèles, les Champs Élysées aussi nommés « Iles des Bienheureux », auxquels s’ajoutent (dans les récits de Pausanias) les « Iles blanches » réservées semble-t-il aux héros de la guerre de Troie. Ces différentes régions ont pu servir à illustrer les enfers, purgatoires et paradis des conceptions chrétiennes.
Certains ont décrit le champ des Asphodèles comme un lieu morne, conception que ne semble pas partager Homère qui en fait notamment le territoire de chasse d’Orion. Ce dernier y poursuit « les fauves qu’il avait tués lui-même dans les monts solitaires » car une habitude ou un comportement chassé du conscient doit ensuite l’être du subconscient (par exemple dans les rêves) et enfin de ses derniers retranchements dans le corps.

De même, si le royaume d’Hadès est un monde inexorable au sens où la loi de l’Unité ne souffre rien de « vrillé » ou de « mensonger », il n’est en aucun cas un lieu de punition ou de récompense. Ceux qui y endurent des châtiments exemplaires ne sont donc que des éléments indispensables à l’évolution qui prolongent leur « travail » dans l’inconscient, avant d’être définitivement détruits (ou plutôt « épuisés »). Ils n’ont donc strictement rien à voir avec le comportement moral.
Nous voyons par exemple dans l’Odyssée les âmes des « prétendants » de Pénélope, décrits par ailleurs comme de sinistres personnages, gagner le champ des Asphodèles. Ils y sont conduits par Hermès alors même qu’ils représentaient de leur vivant de sérieux obstacles sur le chemin : cela se comprend mieux lorsque l’on sait qu’ils représentent le meilleur de l’ancien, la sagesse et la sainteté. Dans les mythes, le « bien » comme le « mal » apparent concourent à l’évolution.
Dans le même ordre d’idées, le fait que des crimes puissent être punis dans les enfants ou la descendance signifie seulement que les éléments correspondants doivent être redressés à une autre étape du chemin. Ce qui n’est pas incompatible avec le karma transgénérationnel, comme cela semble se confirmer dans les sciences actuelles – psychologie, génétique, etc. – qui découvrent que les enfants doivent intégrer et/ou résoudre ce qui ne l’a pas été par les générations précédentes.

Les idées de réincarnation et de métempsychose n’apparaissent pas dans les textes d’Homère et d’Hésiode. Elles semblent avoir été introduites à la charnière des périodes archaïque et classique (entre le 6e et 5e siècle avant J.-C.), charnière marquée par les tragiques, (Eschyle, Sophocle, et Euripide), les Pythagoriciens, Platon et les premiers Orphiques. C’est de cette époque que date la confusion entre « l’au-delà » de la vie et l’inconscient, « royaume d’Hadès », laquelle peut cependant s’expliquer si l’on considère que l’au-delà était – et demeure encore – un royaume de l’inconscient.

En décrivant l’Hadès comme « la région où se jette dans l’Achéron le Pyriphlégéthon et le Cocyte dont les eaux viennent du Styx », Homère précise la relation entre les courants de conscience qui y sont actifs. La littérature eschatologique, interprétant ces noms, y a vu « l’effroi », « les lamentations » et « les flammes brûlantes », mais on cernera mieux leur sens véritable avec les lettres structurantes.

Le Styx, celui « qui fait horreur et qui glace d’effroi » ou « qui est détestable, haïssable » est le symbole de la barrière ultime pour réaliser la réunion dans le corps. C’est le courant de conscience-énergie le plus ancien, car Styx est « la fille ainée » d’Océanos, père des fleuves et des rivières. Il « redresse tout selon la Vérité, ΣΤ+Ξ », ou « la rectitude (ou l’intégrité) sur tous les plans de l’être ». Cette absolue mise en ordre est la nécessité fondamentale pour celui qui s’aventure dans le yoga du corps au niveau cellulaire.
Les eaux du Styx alimentent le Pyriphlégéthon « le feu qui brûle à l’intérieur » et le Cocyte, ΚΩ+Κ+Τ, un « élargissement de la conscience vers l’esprit et vers la matière.
Ces deux derniers fleuves se déversent à leur tour dans l’Achéron, « le mouvement juste au centre (de la matière) » Χ+Ρ », qui est le fondement. Ces deux fleuves qui « coulent en sens opposé » sont en relation avec les deux courants du Caducée. Ils se rejoignent devant « la roche de basalte noir » tout au fond de la conscience dont parlent les Védas, Sri Aurobindo, Mère et Satprem, qui rend inaccessible à l’homme les formidables pouvoirs divins tapis au creux de la matière.
L’aventurier de la conscience doit descendre dans les marais nauséeux où se rejoignent les deux courants qui alimentent le processus évolutif, celui du feu brûlant de l’union et celui glacé de la séparation.

Selon Hésiode, le Styx est constitué d’un dixième du fleuve Océanos, tandis que les neuf autres « s’enroulent en tourbillons argentés autour de la terre et du vaste dos de la mer ». Cette description confirme que c’est un courant de conscience immédiatement au contact du corps. Premier né d’Océanos, il témoigne que la cessation du « fonctionnement vrai » fut le premier élément perturbateur qui se manifesta dans l’évolution et le Styx constitue donc l’ultime barrière sur le chemin du retour permettant la « libération » du corps, après celles du mental et du vital.

C’est donc par l’eau du Styx que les dieux prononcent leurs serments solennels, car elle ne peut souffrir le moindre mensonge. (Les dieux ne peuvent jurer par un élément au-delà du Styx, car ils n’ont pas accès au monde supramental.) « Et si un dieu se parjurait, il était privé de parole et de souffle, de nectar et d’ambroisie, et plongé dans une grande torpeur pendant une année des dieux. Cette peine purgée, il était banni de la compagnie des dieux pendant neuf ans. » Le parjure d’un dieu, et donc d’un représentant d’un monde avoisinant le monde de Vérité, le Supramental, semble chose impossible, sauf à considérer les dieux comme des forces en croissance. Leurs « parjures » correspondent donc à des ordres de notre être le plus haut ou le plus profond qui n’ont pas été suivies d’effet. Ce qui a pour conséquence une suspension de l’action de la force correspondante pendant une longue période (une année des dieux). Cette phase terminée, le chercheur aura encore beaucoup de difficulté pour réintégrer cette force à sa quête de façon coordonnée, le temps d’une gestation symbolique (neuf ans). Par exemple, si le chercheur ne « tranche » pas alors qu’il sait devoir le faire à un moment donné – fonction représentée par le dieu Arès – non seulement il n’en aura plus l’occasion pendant longtemps, mais encore, par la suite, il aura du mal à le faire de façon juste. Les « éveillés », que l’on a décrit comme « ceux qui ne s’arrêtent jamais », sont aussi ceux qui suivent exactement les ordres intérieurs et évoluent très vite.

Cette mise en garde contre les conséquences de la négligence des ordres intérieurs semble assimiler celle-ci aux seules fautes vraiment graves sur le chemin, celles qui sont punies par les Érinyes « les gardiennes du mouvement juste ». Ces dernières punissent les crimes familiaux, les pires d’entre eux étant ceux commis envers les parents et les descendants, ceux qui coupent de la source divine (meurtre contre les parents) ou ceux qui empêchent certaines évolutions (infanticide).
Cette négligence peut aller jusqu’au refus de la tâche que l’âme s’est fixée pour cette l’incarnation, tâche qui implique la Volonté profonde et non celle de l’ego. Trahir cet engagement est la seule « faute » que l’homme puisse vraiment se reprocher à lui-même, dans la mesure où il en est devenu conscient.
Zeus et les divinités de l’Olympe sont donc obligés d’obéir aux Érinyes. Nées du sang d’Ouranos, elles ont à peu près même rang que les Titans si ce n’est un rang supérieur. Ce sont les gardiennes de l’ordre divin le plus haut, à l’origine de la manifestation, au-delà même de la création.

Notons que Léthé « l’oubli » a été mentionné beaucoup plus tard parmi les fleuves du royaume d’Hadès, dans la littérature eschatologique où il représenta sans doute la conscience humaine oublieuse de son origine. Le chercheur accédant à l’inconscient retrouvait par le franchissement du Léthé toute sa « mémoire ». Chez Hésiode, Léthé est seulement fille d’Éris « la discorde » (sens obtenu avec la valeur inversée du Rho, symbole du mouvement de séparation) elle-même fille de Nuit : c’est la séparation de l’origine qui génère l’oubli.
Avec les lettres structurantes, Λ+Θ, ce fleuve représente le courant de conscience énergie qui conduit vers « la liberté par la croissance intérieure ».

Cerbère, posté à l’entrée du royaume d’Hadès, est l’un des quatre monstrueux enfants d’Échidna « la cessation de l’évolution dans l’unité » et de Typhon « l’ignorance ». Il veille donc sur l’illusion de la séparation. Il a pour frère Orthros « le mensonge ».
Le moment de l’apparition des quatre monstres dans l’évolution est sujet à controverse dans la mythologie. Selon Hésiode, l’ignorance (Typhon) est issue de la Nescience originelle (le Tartare), et elle précèderait donc la création. Mais selon Homère, elle est concomitante du début de la formation de la conscience humaine car Typhon est pour cet auteur fils d’Héra, épouse de Zeus.
D’autre part, Apollodore fait d’Échidna une fille du Tartare, posant la perversion fondamentale – l’arrêt de l’évolution dans l’unité – aux origines de la manifestation, tandis qu’Hésiode la donne pour une fille de Phorcys et Céto, le troisième niveau de la vie, et elle ne serait donc pour lui apparue que lors de la constitution du moi animal avec la formation du cerveau limbique.
Quoiqu’il en soit, l’action de Cerbère se situe (ou plutôt se situait) aux limites des possibilités d’investigation de la conscience humaine dans les couches archaïques. En effet, il empêche tout échange entre le conscient et l’inconscient matériel, gardien du phénomène que nous appelons « mort ».
Il possède cinquante têtes (ou trois selon d’autres auteurs) signe d’un processus bien établi dans ses formes, et une queue de serpent symbole de sa participation au processus évolutif.
Il représente une barrière considérée par les Anciens comme infranchissable, mais que notre époque commence à ébranler. Héraclès ayant ramené Cerbère à son oncle dut le reconduire chez Hadès : le chercheur le plus avancé, si tant est qu’un travail se passant en un lieu mythique fut réalisable, pouvait amener à sa conscience (au jour) la nature réelle de l’obstacle qui empêchait de réaliser l’union parfaite, y compris dans le corps, mais il ne pouvait encore s’y attaquer.
En tant que chien, Cerbère représente aussi le flair, l’intuition subtile qui peut sans doute être associée à la conscience des cellules qui est nécessaire avant de commencer le yoga dans le corps.

Si le monde souterrain est seulement un réservoir des mémoires de l’évolution, il ne peut abriter de lieu pour les damnés. Selon la tradition tardive, trois juges, Éaque, Minos et Rhadamanthe y siègent pour orienter les ombres selon leurs mérites. Mais, selon Homère « Rhadamanthe séjourne en un endroit où la vie est douce et facile pour les hommes, et Minos rend la justice aux ombres qui le demandent » ne faisant ainsi que poursuivre la tâche entreprise dans le conscient, c’est-à-dire un travail de discernement intuitif aux fins d’intégration de l’expérience.
Quittant la vision de l’évolution réservée aux seuls initiés dans les écoles de mystères, les prêtres du culte officiel jugèrent sans doute nécessaire, dès la période classique, d’introduire dans l’eschatologie destinée au peuple, la notion d’une justice post-mortem sanctionnant une conduite plus ou moins exemplaire durant la vie. La menace de la punition devait servir de garde-fou à une humanité encore en enfance et susceptible de comportements débridés.

Les châtiments exemplaires dans l’Hadès : Tityos, Tantale et Sisyphe

Il n’y a chez Homère que trois personnages qui subissent dans l’Hadès des châtiments exemplaires : le géant Tityos, Tantale et Sisyphe.
Selon ce qui a été exposé ci-dessus, ils doivent exprimer des attitudes ou fonctionnements fondamentaux qui ont terminés leur travail ou ont été rejetés du mental et du vital, mais doivent encore, dans l’inconscient corporel, œuvrer ou disparaître.

Tityos

Tityos était un géant, fils de Gaia. Il gisait sur le sol du monde souterrain et couvrait neuf arpents ; deux vautours posés à ses flancs lui déchiraient le foie et il ne les écartait pas de ses mains ; il fut tué par Apollon et Artémis, juste après leur naissance, car il avait fait violence à leur mère Léto, la glorieuse épouse de Zeus, tandis qu’elle se rendait à Pytho (Delphes) à travers Panopée, la ville des beaux chœurs.

Comme tous les géants issus de Gaia, le principe d’Existence-Conscience, Tityos représente une nécessité évolutive qui doit être vaincue à plusieurs niveaux.
Il symbolise l’éloignement fondamental de l’homme de sa source divine, le sentiment ou la conscience « d’être séparé » ou encore « conscience d’ego ». Cette « conscience de séparation » doit être vaincue, non seulement dans le mental par l’union en l’Esprit, mais dans le vital et dans le cœur par la réalisation psychique, et aussi dans le corps au niveau cellulaire même.
Avant d’être tué par Apollon, il avait fait violence à Léto, combattant ainsi le pouvoir d’union apporté par le psychique. Il est donc d’abord éliminé dans la personnalité mentale-vitale lorsque l’être psychique apparaît, puisque l’être psychique est incompatible avec la séparation (mais non avec la différenciation). Puis, par une « vision élargie qui voit tout » (Pan-opeus Παν+οψ) il établit en l’être une harmonie progressive (les beaux chœurs).
Mais il maintient son emprise au niveau du corps, le « couvrant » largement, bloquant ainsi l’accès à la transformation corporelle.

L’étymologie de son nom est obscure. Il a la même structure que le mot Titans, signifiant « tendre vers, faire effort » et aussi « étendu, couché », mais nous avons retenu la valeur de la lettre Τ, ici redoublée (ou associée à la racine Τυ « être gros ») autrement dit l’expression d’une « forte séparation ». Si l’union a été réalisée sur les plans du mental et du vital, si le chercheur est devenu un « libéré » vivant, il lui reste encore à vaincre cette croyance en la séparation dans le corps.
Et s’il « n’empêche pas les vautours de lui déchirer le foie » c’est que cette puissance de « séparation » accepte, au niveau du corps, que ce qui la fonde, la croyance en sa permanence ou indestructibilité, soit usée peu à peu. Autrement dit, la résolution de la « séparation » dans le corps, même si elle semble longue et laborieuse est totalement acceptée.

Une autre compréhension de Tityos pourrait être la « tension » qui s’oppose à la détente et se maintient jusque dans les cellules qui sont persuadées qu’elle est nécessaire. Cette tension est également incompatible avec l’être psychique.

Tantale

Le second « damné » est Tantale, l’arrière-grand-père d’Agamemnon et de Ménélas.
Homère ne donne ni sa généalogie, ni la raison de sa condamnation.
Il représente « l’aspiration », et Homère décrit son plus célèbre descendant, Agamemnon, comme l’homme « le plus cupide parmi les grecs ».
Selon l’historien Pausanias, Tantale serait un fils de Zeus et de Plouto « la richesse, l’abondance » et selon d’autres, un roi de Lydie « le lieu de l’individuation et de l’union ». Il régnait aux abords du mont Sipylos, « la porte du mental humain » représentant de ce fait un chercheur arrivé aux plus hauts sommets du mental. C’est pourquoi il était réputé pour ses richesses, celles obtenues par un mental vaste et puissant.
« Certains affirment que la présomption fut la cause du châtiment. En effet, tandis qu’il avait la faveur des dieux et était invité à leur table, ceux-ci promirent de satisfaire son plus grand désir. Il demanda alors à jouir de la même vie qu’eux. Zeus, ennuyé, lui donna satisfaction, mais seulement de façon formelle, lui faisant miroiter dans l’Hadès des choses excellentes en de telles conditions qu’il ne pouvait jamais en profiter.
D’autres disent qu’il avait dérobé du nectar et de l’ambroisie pour la donner à ses amis mortels.
D’autres enfin prétendent qu’il avait servi aux dieux un repas constitué des morceaux de son fils Pélops. Mais les dieux, découvrant la nature du mets, s’abstinrent d’y goûter, sauf Déméter, distraite par le chagrin que lui causait la disparition de sa fille Perséphone. Puis ils ressuscitèrent Pélops, et Déméter (ou, selon les versions, les dieux ou encore Hermès) lui mit une épaule en ivoire à la place de celle qu’elle avait mangé. Plus beau que jamais (il était beau dès l’origine de l’histoire, car vrai), Pélops épousa Hippodamie. »
Quelle qu’en fut la raison, le châtiment dans l’Hadès est ainsi décrit par Homère :
« Debout dans un lac, Tantale avait de l’eau jusqu’au menton. Mais dès qu’il se penchait pour étancher sa soif, l’eau s’échappait, absorbée dans un sol noir que desséchait un dieu. De même, lorsqu’il tendait les bras pour saisir des fruits magnifiques, le vent rejetait les branches vers les sombres nuées. »

Ces différentes versions confirment que le chercheur est parvenu aux plus hauts sommets de la conscience humaine mentale, à « sa porte supérieure » puisqu’il partage le repas des dieux.
Selon la variante dans laquelle il peut goûter au nectar et à l’ambroisie, il a en partage l’expérience de l’immortalité (la non-dualité), parvenu à « l’éveil » ou à la « libération » en l’esprit. Mais cette conscience d’immortalité n’a pas pénétré dans le corps.

L’histoire du sacrifice de son fils Pélops, « la vision de l’ombre », offert comme repas aux dieux, est une légende contestée à la fois par Pindare et Euripide. Rien d’étonnant à cela car les dieux ne se nourrissent jamais que de nectar et d’ambroisie. Toutefois l’auteur inconnu de cette version a sans doute voulu exprimer que le chercheur est parvenu à un niveau où il peut « offrir l’ombre au Divin ». Il peut se croire parvenu au niveau des dieux et dispensé de vaincre cette ombre, c’est-à-dire d’opérer la totale soumission du vital. C’est seulement après avoir été reconstitué par les dieux que Pélops pourra épouser Hippodamie « celle qui dompte les chevaux » et donc que le chercheur peut réaliser ce travail de complète maîtrise. (Rappelons que le yoga suit un processus d’ascension/intégration et que plus la conscience s’élargit et s’illumine, plus elle perçoit l’étendue de l’ombre. Mais percevoir n’est pas dominer.)
L’offrande de l’ombre ne suffit donc pas pour franchir la barrière du surmental, aussi les dieux refusèrent-ils le plat qui leur était offert. Cette parfaite offrande de soi-même, à travers le sacrifice de sa propre descendance – la prolongation de soi-même – permet toutefois un accès partiel au monde des dieux. Car Déméter « la puissance œuvrant à l’union » offre une épaule en ivoire, de nature plus « fine » que l’os, symbole d’un demi-franchissement (une seule épaule) de la barrière qui sépare du plan des dieux. L’épaule, ou la clavicule « la petite clef », correspond au « voile » de l’arbre de vie appelé « porte des dieux » dans la Kabbale. Pour certains, c’est Hermès, le dieu qui œuvre à la croissance du « surmental », qui offrit la clavicule.
Cette puissance œuvrant à l’union maintient donc son aide sans se soucier des « réclamations » du chercheur, favorisant même un certain niveau d’union sans que la purification du vital soit achevée. Même pour les chercheurs très avancés, les « réclamations » faites à l’Absolu, telles par exemple les demandes d’expériences, sont encore le signe d’une présence de l’ego.

Le châtiment imposé à Tantale dans l’Hadès montre là encore que la seule aspiration n’est plus suffisante pour accéder aux réalisations lorsque l’on fait le yoga du corps. Même si l’aventurier de la conscience « voit » les « richesses » futures à sa portée, elles ne lui sont pas accessibles. Il ne trouve consolation ni dans l’esprit (les sombres nuées) ni dans l’existence (le sol noir).

Sisyphe

Le dernier héros qu’Ulysse vit subir un châtiment dans l’Hadès est Sisyphe.
C’est l’un des fils d’Éole, et donc un petit-fils d’Hellen. Il représente l’un des travaux de yoga travaillant sur le mental par l’effort.
Il est uni à la Pléiade Méropé, « ce qui est humain (au sens de due ou mortel) », ou « une vision partielle », ou encore « une pensée stable », laquelle représente le plan de l’intellect.
Nous étudierons ce personnage en détail plus loin car il est le grand-père d’un autre très grand héros, Bellérophon, le vainqueur de la Chimère symbole de « l’illusion ».

« Dans l’Hadès, Sisyphe, souffrant de violentes douleurs, s’arc-boutait des mains et des pieds pour hisser une énorme pierre vers le sommet d’une colline. Mais à peine allait-il l’atteindre que la pierre retombait en arrière dans la plaine et il devait recommencer sans cesse son labeur. »
Ni Homère ni aucun autre auteur ne précise la nature de son crime.
Sisyphe « l’habileté intellectuelle » étant l’un des fils d’Éole, nous avons toute raison de penser qu’il a rempli sa tâche avant de descendre dans l’Hadès, autrement dit que « l’effort » a porté ses fruits durant la très longue période qui précède le yoga dans le corps, au niveau cellulaire.

Toutefois, à la suite de Sri Aurobindo, on peut aussi y voir l’effort de l’intellect qui échafaude à grand peine des théories qui s’effondrent sous leur propre poids alors qu’elles s’approchent d’une vérité qu’elles ne peuvent jamais atteindre. L’intellect est un outil précieux qui contribue au discernement par ses capacités de tri, de mise en ordre et de distanciation. Cependant, il n’est pas destiné à dominer le mental, mais doit seulement exécuter ce qui est perçu par l’intuition. Il ne peut accéder au royaume de Vérité. Quoi qu’il fasse, quelles que soient les améliorations qu’il puisse imaginer, il doit sans cesse recommencer. C’est un outil qui ne peut posséder, de par sa nature, une vision totale. S’il doit être un outil de l’âme c’est uniquement dans sa capacité d’exécution.
Mais lorsque l’intellect a fini son travail, que toutes les illusions sont vaincues dans le mental et le vital, et que le chercheur descend dans le corps, il s’aperçoit que les résultats ne sont jamais acquis, et qu’il faut recommencer indéfiniment un labeur épuisant. Il lui faut alors avoir une endurance à toute épreuve. Sri Aurobindo posait cela comme l’un des fondements du yoga : « Endure and you shall conquer ».

Des auteurs plus tardifs ont ajouté d’autres personnages subissant des tourments au royaume des ombres : Ixion qui par orgueil s’est cru l’égal d’Héra. Et aussi, parfois, les Danaïdes dont nous parlerons plus loin. Mais dans ces deux cas, il ne s’agit pas du tout des mêmes processus de conscience et nous nous en tiendrons donc aux versions primitives dans laquelle Ixion tourne éternellement dans le ciel attaché à une roue ailée et non dans les airs du monde souterrain, tandis que les Danaïdes sont purifiées de leur meurtre par Athéna et Hermès, et mariées à de jeunes athlètes. Avec Ixion, il nous est dit que la prétention spirituelle est bien souvent « punie » par un esprit qui s’enferme pour une période indéterminée dans des processus mentaux qui « tournent sur eux-mêmes ».

Pour terminer cette description du royaume d’Hadès, notons que c’est Hermès, représentant du plan mental le plus élevé, maître du yoga de la connaissance, qui est le plus à même de descendre profondément dans le subconscient, jusqu’aux portes de l’inconscient. D’où son rôle de « psychopompe », de « guide » vers les royaumes de l’inconscient corporel.