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Si dans l’Odyssée, Télémaque, le fils d’Achille, s’étonne que Ménélas ait laissé le meurtre d’Agamemnon si longtemps impuni – pendant les sept années du règne d’Égisthe – c’est tout simplement que Ménélas n’était pas encore rentré chez lui à Sparte.
À son départ de Troie, lorsque Ménélas arriva au cap Sounion, il dut endurer la colère d’Apollon qui frappa son pilote Phrontis, fils d’Onétor. Puis, alors qu’il passait le cap Malée, Zeus envoya une tempête qui éparpilla la flotte. Ménélas en conduisit une partie en Crète où nombre de vaisseaux se fracassèrent sur un rocher lisse, mais les hommes survécurent.
Seuls cinq navires parvinrent en Égypte où Ménélas accumula quantité de vivres et d’or. Il erra chez des peuples aux langues étrangères, visitant Chypre, la Phénicie, les Éthiopiens, les Sidoniens, les Érembes et la Libye où les agnelets ont des cornes dès leur naissance et où l’opulence règne. (C’est lors du début de cette errance qu’Agamemnon fut tué.)
Puis sur sa route de retour, il fut retenu faute de vent sur l’île de Pharos au large du delta du Nil. Alors qu’il était bloqué depuis vingt jours et que ses hommes commençaient à manquer de nourriture et à se décourager, son désespoir émut Idothée qui vint le trouver. C’était la fille de Protée l’Égyptien, un vieillard de la mer, infaillible, immortel, qui connaît les abîmes de toute mer, gardien des phoques de Poséidon, les rejetons de la Belle des Mers (Amphitrite). Elle lui conseilla de se saisir du vieillard qui lui indiquerait alors la route du retour, la longueur du chemin et comment naviguer, ainsi que ce qui s’était passé en son manoir pendant son absence.
Elle lui indiqua aussi comment surprendre Protée lorsqu’il sort de l’onde quand le soleil atteint le milieu du ciel. Il va alors se coucher à l’abri d’antres creux, passe en revue et compte cinq par cinq la multitude de phoques qui l’accompagnent, exhalant l’âcre et mortelle odeur des profonds abîmes. Elle avertit aussi le héros que Protée pouvait prendre les formes d’animaux rampants sur terre, d’eau ou de feu au divin flamboiement.
Ménélas et trois de ses compagnons suivirent ses recommandations. Ils se recouvrirent de peaux de phoques, protégés de leur mortelle odeur par un nectar d’ambroisie que leur avait donné Idothée. Ils saisirent le vieillard de force et le maintinrent malgré les formes qu’il prit pour s’échapper : lion, dragon, panthère, porc, eau limpide et arbre. Quand ils l’eurent maîtrisé avec l’aide de la déesse, le vieillard, de guerre lasse, reprit sa forme initiale. Suivant les recommandations d’Idothée, le héros relâcha son étreinte et le questionna.
Protée informa Ménélas qu’il avait été retardé par les dieux parce qu’il avait omis de leur offrir les hécatombes rituelles. Il devait donc retourner aux eaux du fleuve Egyptos qui « viennent des dieux » et sacrifier aux dieux immortels.
Bien qu’endurer à nouveau un voyage dangereux dans les brumes des mers lui pesât, le héros accepta de retourner en Égypte. Avant son départ, le vieillard lui conta le sort du « petit » Ajax, celui d’Agamemnon ainsi que l’errance d’Ulysse.
Et c’est seulement le jour même où Oreste offrait aux gens d’Argos le repas funèbre pour la mort d’Égisthe et de Clytemnestre qu’il revint d’Égypte.
Après la grande bascule, et sur le chemin de la quête de la croissance intérieure (le cap Sounion est le promontoire au sud d’Athènes), le chercheur ne sait plus comment procéder pour progresser dans le processus de libération (Ménélas perd son pilote). C’est la « lumière » de l’âme (Apollon) qui en est la cause, car le chercheur doit subir des épreuves qui le conduiront vers une connaissance supérieure.
Les premières épreuves concernent uniquement les structures de la personnalité : d’abord une dissociation de ses éléments (l’éparpillement des vaisseaux) puis une destruction de nombre d’entre eux sans aucune perte d’énergie fondamentale (sans toutefois qu’il y eut mort d’homme).
La Crète est la contrée du labyrinthe et du Minotaure, mais surtout celle de Minos, du juste discernement et de la juste consécration.
La confrontation a lieu autour d’un « nœud » essentiel sur lequel le chercheur n’a aucune prise, qu’il n’a pas encore les moyens de dissoudre (les navires se fracassent en Crète, sur un rocher lisse). Mais sa « mise en présence » provoque la fin de nombre de ses structures personnelles (remise en question des structures de la personnalité établies sur des croyances désormais dépassées).
Le cinq étant le nombre lié aux formes, les cinq navires parvenus en Égypte peuvent être considérés comme la structure de base du chercheur, dépouillée de tous ses masques et artifices.
Le chercheur rassemble alors les éléments nécessaires à son futur yoga pour la quête de liberté dans le corps : d’une part ce qui maintiendra en lui l’énergie et d’autre part les outils pour cette quête de liberté (Ménélas accumula en Égypte quantité de vivres et d’or).
Ce voyage en Égypte peut être considéré de deux façons.
Soit en considérant ce pays comme la terre dépositaire de l’ancienne connaissance des temps de l’Intuition. Comme il s’agit ici d’un texte de l’Iliade, il serait fait référence à une période antérieure de plusieurs siècles à sa composition, période qui serait contemporaine de celle des Védas. Ce passage évoquerait alors une plongée occulte dans les Mémoires de l’humanité, sans doute étayée par la compréhension de textes anciens, tels ceux qui furent gravés dans la pierre en ancienne Égypte.
Soit ce voyage peut être interprété avec le seul sens du mot Égypte « Αιγυπτας », « celui qui est conduit par Ptah » et donc « l’aspiration pour le Divin ».
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