Le pugilat des mendiants (Chant XVIII)

Print Friendly, PDF & Email

 

<< Précédent : Ulysse le mendiant (Chant XVII)

Un mendiant extrêmement glouton, sans force ni vigueur mais de très belle apparence, arriva dans la grande salle. Il s’appelait Arnée mais les jeunes gens le surnommaient Iros car il portait tous les messages. Il voulut chasser le mendiant-Ulysse et une dispute éclata. Les prétendants les excitèrent au combat, mais jurèrent, à la demande du mendiant-Ulysse, de ne pas intervenir. Comme celui-ci se dévêtait et montrait sa noble stature, Iros prit peur. Il fut aussitôt menacé par Antinoos d’être envoyé chez le terrible Échétos.

Puis Ulysse, modérant sa force pour ne pas être reconnu, lança un violent coup de poing dans le cou d’Iros, puis le traîna hors de la salle, lui interdisant de revenir mendier. Les prétendants l’acclamèrent. Antinoos et Amphinomos lui offrirent leurs meilleurs mets. Il tenta alors d’avertir Amphinomos du proche retour du maître d’Ithaque, mais en vain.

Athéna suscita alors le désir de la reine de paraître aux yeux des prétendants. Pénélope fit alors part à son intendante Eurynomé de son désir de parler à son fils Télémaque, la priant de prévenir Autonoé et Hippodamie, ses suivantes aux bras blancs par qui elle désirait être accompagnée. Athéna l’endormit alors un court moment pour l’orner de ses dons immortels, lui lavant le visage avec l’ambroisie d’Aphrodite.

À son réveil, Pénélope constata qu’elle avait été envahie d’une torpeur bienfaisante qu’elle aspirait à prolonger dans la mort.

Quand elle se présenta devant les prétendants, tous furent saisis d’amour. Comme elle reprochait à Télémaque d’avoir laissé insulter un étranger, il se défendit en se disant incapable de connaître l’attitude juste à adopter devant les prétendants qui, dit-il, n’étaient pour rien dans la dispute.

Comme Eurymaque louait la beauté de Pénélope, celle-ci se plaignit de l’attitude des prétendants contraire à tous les usages, les incitant plutôt à lui offrir des cadeaux comme c’était la coutume. Ulysse comprit alors que son épouse rusait.

Antinoos invita donc ses compagnons à offrir chacun un présent, ce qui fut aussitôt fait. Les plus beaux des cadeaux furent apportés : voile brodé aux anneaux d’or, collier d’or et d’ambre, et bien d’autres merveilles.

Ulysse-mendiant demanda alors aux servantes de se retirer auprès de la reine, disant qu’il veillerait lui-même sur les torchères qui venaient d’être allumées pour éclairer la grande salle. L’une d’elles, Mélantho, fille de Dolios (et donc sœur de Mélantheus), l’insulta car elle était l’amante d’Eurymaque. Elle n’avait aucune compassion pour Pénélope qui l’avait pourtant élevée comme sa fille et lui avait donné tout ce qui pouvait la réjouir.

Athéna ne mit pas fin aux insultes des prétendants car elle voulait qu’Ulysse fut poussé à bout. Eurymaque se moquant du mendiant-Ulysse, celui-ci lui répondit pouvoir aisément se mesurer à lui aux travaux des champs et la guerre. Eurymaque lui lança alors une escabelle mais le mendiant l’esquiva en s’asseyant aux genoux d’Amphinomos.

Comme les prétendants déploraient qu’un mendiant fût ainsi venu semer le trouble parmi eux, Télémaque leur demanda de se retirer. Ils furent surpris de ce qu’ils jugeaient être une effronterie de sa part. Mais Amphinomos, fils de Nisos et descendant d’Arétès, les invita à respecter les lois de l’hospitalité et à se reposer chacun en leur demeure. 

Le mouvement de captation à la source de l’ego, que les réalisations anciennes dans le surmental regrettent de n’avoir pu éradiquer, se manifeste clairement à la conscience (un mendiant nommé Arnée « celui qui s’efforce de prendre », extrêmement glouton, sans force ni vigueur, arriva dans la grande salle). Le surnom du mendiant  – Iros –  est semblable à celui d’Iris « la messagère des dieux », fille de Thaumas et symbole de l’information vraie non-duelle communiquée à l’esprit par le vital profond (le plan concerné se situe avant l’irruption du mental et la constitution de l’ego animal).

Avec Iros, il s’agit du même mouvement mais cette fois déformé par l’irruption du mental et de la dualité. Comme il se manifeste dans les profondeurs du vital, il est « sans force » car il n’a pas le support du mental. Il est pure « gloutonnerie » car c’est un mouvement de captation non déformé. C’est donc le symbole de la force captatrice à la racine de l’ego. Tout comme Iris « la messagère des dieux », fille de Thaumas sur le plan du vital pur, assure la cohésion des forces du surmental, de même Arnée-Iros assure la cohérence des réalisations correspondantes au niveau immédiatement inférieur à celui des dieux : il est le messager des prétendants.

Ni la sagesse ni la sainteté ne peuvent donc supprimer la force captatrice à la racine de l’ego. Seule la parfaite transparence peut réaliser cet exploit.

C’est la raison pour laquelle le chœur promet de renvoyer Iros chez le roi Échétos « la possession », car il doit retourner en son domaine.

Ce qui dans le chercheur « réalise la transparence » tente d’épargner « le mental bien ordonné qui organise » en espérant le convertir, mais sans succès (Ulysse tenta en vain d’avertir Amphinomos de son retour, mais celui-ci s’éloigna tristement).

Le maître intérieur qui dirige le processus de renversement se manifeste ensuite pour que « la vision d’une liberté plus totale », tout en stimulant le nouveau, semble céder aux anciens yogas (Athéna suscita le désir de Pénélope de paraître céder aux espoirs des prétendants mais de plaire encore plus à son mari et à son fils).

Cette « vision » veut prévenir le guerrier du futur yoga que l’ancien ne cherche qu’à le maintenir dans ses cadres tout en prétendant le soutenir (Pénélope veut prévenir son fils Télémaque afin qu’il s’éloigne des prétendants qui n’ont pour lui que belles paroles mais ne songent qu’à le perdre). Pour s’y opposer, cette « vision » doit montrer une « parfaite maîtrise » et sa « propre intelligence des choses » qui confèrent « l’acte juste » (elle demande à être accompagnée d’Hippodamie et d’Autonoé, les suivantes aux bras blancs).

Dans le cadre de la vision du futur, le chercheur vit alors une expérience particulière dans une semi-inconscience, et donc ne garde en mémoire que le sentiment associé de béatitude.

Durant cette expérience, le maître du yoga révèle en lui des capacités liées à la non-dualité, de l’ordre de l’Amour véritable, qui laissent le chercheur empli d’une immense paix béatifique dans laquelle il aspire à s’immerger définitivement. (Athéna endormit Pénélope et la revêtit de dons immortels, répandant sur son visage l’ambroisie d’Aphrodite. À son réveil, Pénélope constata qu’elle avait été envahie d’une torpeur bienfaisante qu’elle aspirait à prolonger dans la mort).

Cette expérience de l’Amour divin est si manifeste que les réalisations de l’ancien yoga ne peuvent que souhaiter l’accomplir (Tous les prétendants furent saisis d’amour à la vue de Pénélope qui rayonnait et tous souhaitaient s’unir à elle).

Le nouveau yoga toutefois ne sait encore l’attitude juste à adopter face à l’ancien yoga (Télémaque se défendit de l’accusation de sa mère en se disant incapable de connaître l’attitude juste). En revanche, « la vision d’une liberté plus totale » qui n’a jamais dévié de son but continue à « leurrer » les anciens yogas, laissant entendre qu’elle va choisir l’un d’entre eux pour son accomplissement. Elle réclame qu’au préalable chacun lui abandonne le meilleur de ce qu’il a réalisé (les prétendants doivent apporter des présents pour obtenir la main de la future épouse et Ulysse comprend que son épouse ruse).

Le mouvement qui opère la transition n’attend plus d’aide extérieure, certain de pouvoir veiller par lui-même à la clarté (Ulysse éloigne les femmes, leur disant qu’il s’occuperait lui-même des torches).

Mais le mensonge intérieur tourné vers l’incarnation, issu d’une illusion, reste lié au yoga qui lutte par la séparation (la servante Mélantho « le mensonge », fille de Dolios « trompeur », l’insulta car elle était l’amante d’Eurymaque « vaste combat »).

Au commencement du travail de transparence, lors de la préparation du yoga futur, cette illusion était nécessaire, mais le passage au nouveau yoga nécessite de tout admettre et tout intégrer, et le but doit donc changer et tout mensonge être éliminé (Pénélope avait élevé Mélantho comme sa fille, lui donnant tout ce qui pouvait la réjouir, mais celle-ci n’avait aucune compassion pour Pénélope car elle aimait Eurymaque).  

Ici comme dans le yoga en général, les mouvements doivent être menés à leur terme avant qu’un renversement ne puisse s’effectuer (Athéna ne mit pas fin aux insultes des prétendants car elle voulait qu’Ulysse fut poussé à bout).

Ce qui travaille à la transparence tente de persuader le yoga qui sépare qu’il lui est supérieur, tant pour l’ascèse que pour le travail sur l’ombre (le mendiant-Ulysse prétend pouvoir se mesurer à Eurymaque aux travaux des champs et la guerre).

Tant que le moment décisif du nouveau yoga n’est pas venu et pour éviter que ce qui travaille à la transparence ne soit affaibli, le chercheur est encore obligé d’avoir recours à son « mental bien ordonné ». C’est le mouvement de yoga dont le chercheur est le plus familier à ce stade et qui s’approche le mieux de la vision d’une plus grande liberté (Ulysse se met sous la protection d’Amphinomos qu’appréciait Pénélope).

Les « anciennes réalisations » prennent la mesure d’un changement devant lequel « le mental bien ordonné » les invite à adopter une attitude de soumission vraie (les prétendants s’étonnant de l’effronterie de Télémaque, Amphinomos les invita à se calmer et à honorer les dieux). 

Suivant : Ulysse et Pénélope (Chant XIX) >>

<< Sommaire et Introduction : Les Retours de Troie