Ulysse et Pénélope (Chant XIX)

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À la demande d’Ulysse, Télémaque éloigna les femmes. Puis, tandis qu’Athéna les éclairait de sa lampe d’or, tous deux emportèrent au trésor casques, lances et boucliers. Télémaque fit part à son père du prodige dont il était témoin : il voyait scintiller les murs, les poutres et les hautes colonnes comme une flamme vive. Ulysse lui intima l’ordre de ne pas questionner, car c’était, dit-il, la manière qu’ont les dieux de se manifester.

Tandis que Télémaque partait se reposer pour la nuit, Pénélope descendit dans la grande salle où se trouvait Ulysse. L’une des femmes qui s’affairaient à la remise en ordre de la salle, Mélantho, insulta à nouveau Ulysse-mendiant, tentant de le chasser. Ce dernier lui conta ses richesses passées et l’avertit de redouter le retour du maître des lieux. Puis à son tour Pénélope la rabroua et fit asseoir le mendiant, le questionnant sur ses origines. Le mendiant évita de répondre afin, dit-il, de ne pas aggraver sa peine.

Pénélope lui dit alors qu’elle restait indifférente à tout sauf à son époux. Elle lui parla de la ruse à laquelle elle avait eu recours pendant plus de trois années pour duper les prétendants qui avaient finalement été avertis par ses servantes. Elle narra aussi la pression de tous pour son remariage et renouvela sa question. 

Ulysse dit alors que son père était Deucalion, lui-même fils du grand Minos que Zeus consultait tous les neuf ans. Il avait donc pour frère Idoménée et prétendit se nommer Aithon. En l’absence de son frère qui venait de partir pour Troie, il avait accueilli pendant douze jours Ulysse et ses hommes qu’un vent de Borée empêchait de prendre la mer.

Pénélope lui demanda de prouver ses dires en décrivant les vêtements d’Ulysse. Le mendiant détailla un splendide manteau et donna le nom du héraut qui l’accompagnait, Eurybatès, à la peau noire et au dos vouté. Puis il dit que le roi Phidon de Thesprotie lui avait donné des nouvelles d’Ulysse. Après avoir été sauvé par les Phéaciens, celui-ci revenait avec beaucoup de richesses. Mais son navire et son équipage avaient sombré au retour de l’île du Trident (Thrinaquie) parce qu’ils avaient mangé les vaches d’Hélios. Tandis qu’un bateau du roi Phidon se tenait prêt à le ramener, Ulysse était parti pour Dodone entendre la voix de Zeus parlant par le grand chêne afin de savoir s’il devait se cacher pour rentrer au pays. Le mendiant affirma pour conclure qu’Ulysse serait de retour sous peu.

Pénélope ordonna alors à ses suivantes de laver les pieds du mendiant, de préparer un lit et de prévoir le bain du lendemain matin. Ulysse refusa le lit et refusa aussi qu’aucune des servantes de Pénélope ne lui lave les pieds sauf s’il s’en trouvait une, vieille, sage et réservée, ayant souffert autant que lui.

Pénélope appela alors Euryclée qui, se lamentant du destin d’Ulysse, affirma qu’elle n’avait jamais rencontré quelqu’un qui lui ressemblât autant.

Le mendiant s’écarta du foyer et Euryclée vint à ses pieds pour les lui laver. Elle reconnut aussitôt la cicatrice à la cuisse d’une blessure faite par un sanglier lorsqu’Ulysse suivait au Parnasse ses oncles, les fils d’Autolycos (grand-père maternel d’Ulysse). C’est ce dernier qui avait suggéré le nom Ulysse car tant de gens en chemin avaient « ulcéré » (Odussomai) son cœur.

Comme Euryclée voulait prévenir Pénélope, Ulysse l’empêcha de parler alors qu’Athéna détournait le regard de la reine.

Puis la reine demanda conseil au mendiant à propos d’un songe qu’elle avait fait : « Un aigle venait de la montagne et brisait le cou à ses vingt oies. Comme elle se lamentait, l’aigle revenait, et prenant voix humaine, lui disait que le rêve n’en était pas un mais plutôt l’annonce d’un accomplissement à venir. L’aigle symbolisait son époux qui revenait au manoir tuer les prétendants. » À son réveil, ses oies étaient bien vivantes.

Le mendiant lui confirma la validité de l’interprétation donnée dans le songe lui-même.

Pénélope, connaissait la nature des songes – trompeurs quand ils viennent de l’ivoire scié et véridiques quand ils sont issus de la corne polie – mais elle ne pouvait dire l’origine de celui qu’elle venait de raconter.

Puis elle annonça qu’elle allait proposer aux prétendants un jeu qui consisterait à tendre l’arc d’Ulysse et, à bonne distance, lancer une flèche à travers douze haches alignées, comme son époux avait coutume de le faire. Elle épouserait celui qui réussirait.

Ulysse-mendiant approuva ce choix et lui annonça que son époux serait de retour avant le début du jeu, puis elle regagna ses appartements pour dormir.

Alors que l’on approche du moment décisif, il semblerait que le renversement doive se faire en phases successives : d’abord celle des travaux de yoga (la mort des prétendants) puis celle des buts et des aides au yoga qui ne sont plus adaptées (la mort des femmes, des suivantes et des servantes qui ne sont pas restées fidèles).

Le chercheur a alors l’expérience de la nature lumineuse des structures de la matière, ce qui advient à partir d’un certain niveau dans le surmental (Selon le plan initial, les armes des prétendants sont emmenées au trésor où Télémaque a une expérience étrange : il voyait scintiller les murs, les poutres et les hautes colonnes). (Cf. ce qui a été dit à propos d’Autolycos au début du chapitre. À de très nombreuses occasions, Mère mentionne l’expérience du pointillement lumineux dans la matière ou du rayonnement de la matière. Voir par exemple Agenda du 30 octobre 1961.)

Ce qui en lui a travaillé à l’union esprit-matière impose l’arrêt de tout questionnement car la transformation doit opérer selon des modes qui dépassent le mental (Ulysse intima l’ordre à Télémaque de ne pas poser de questions).

Puis pour la seconde fois, la perversion qui s’est développée suite à une illusion mais qui paraissait la plus réelle de toutes les aides au yoga, dénigre le mouvement qui travaille à la transparence. Mais celui-ci, associé à la vision d’une plus grande liberté, donne au chercheur la certitude que cette illusion parvient à son terme (alors que pour la seconde fois Mélantho, qui par son éclat surpasse toutes les servantes, injurie le mendiant, celui-ci et Pénélope la menacent de mort).

Comme les manières d’intégrer le chemin sont différentes pour chaque partie de l’être – ici pour celle qui a la vision d’une plus grande liberté (d’une vision plus large de la Réalité) et pour celle qui gouverne et entretient l’énergie vitale de base – le récit d’Ulysse à Pénélope est assez différent de celui fait à Eumée au chant XIV.

Ce que le chercheur affirme dans le cadre de l’évolution vers une plus grande liberté,  c’est la nécessité d’une parfaite « soumission » dans le processus de purification et d’un « feu intérieur brûlant », un « besoin » qui a marché de concert avec le « désir d’union » (Ulysse prétend se nommer Aithon « celui qui brûle », être un petit-fils de Minos « l’évolution de la consécration » et avoir pour frère Idoménée « celui qui se soucie de l’union » ou « le voyant »).

Dans le cadre de la vision d’une plus grande liberté, il prend acte que le yoga de la transparence est plus que jamais actif en lui, et qu’il poursuit l’élargissement de la conscience – la quête de Connaissance puisqu’il s’agit d’un héraut – bien qu’il n’en fasse pas état (à la demande de Pénélope, le mendiant décrit les vêtements d’Ulysse et celui qui l’accompagnait, le héraut Eurybatès « celui qui accède à un large espace », à la peau noire et au dos voûté).

Puis il explique sa complète dévastation, non pas en punition du « pillage » des très anciens yogas (égyptiens) mais de l’utilisation des dons du supramental (son navire et son équipage avaient sombré au retour de l’île du Trident parce qu’ils avaient mangé les vaches d’Hélios).

Puis, s’étant remémoré l’expérience d’union avec l’Absolu en l’esprit, il constate qu’il est parvenu de manière presque inaperçue à recevoir « inspiration » et « révélation » (ayant mentionné sans s’attarder son séjour chez les Phéaciens, il relate, comme à Eumée, le voyage récent chez le roi Phidon des Thesprotes, celui qui dans « la discrétion » règne sur ceux « qui mettent en avant ce qui parle selon les dieux »).

Enfin, il sait qu’il cherche, par le plus haut du supraconscient capable de plonger aux racines de la vie, le chemin qui conduit vers « une grande unité dans la matière », mais qu’il a besoin d’en connaître les modalités (Ulysse est parti demander conseil au feuillage divin du grand chêne de Zeus à Dodone « une grande unité tournée vers la matière » pour connaître la manière d’organiser son retour).

Il doit éviter à ce moment-là tout ce qui pourrait affaiblir sa détermination (le mendiant refuse les draps moirés) et n’accepter d’être aidé que par ce qui a le même degré de purification, et donc la même vibration (il refuse qu’aucune servante lui lave les pieds sauf une qui aurait souffert autant que lui).

« Une grande gloire », avec l’idée sous-jacente « d’une grande volonté de faire partager », a contribué à la croissance aussi bien du désir de transparence que du yoga futur (Euryclée a été la nourrice d’Ulysse et de Télémaque). Ce « partage » est « compassion », ce qui explique la souffrance d’Euryclée. Cette « compassion » va de pair avec « l’humilité » représentée par la mère d’Ulysse, Anticlée.

Rappelons que c’est Autolycos « celui qui est à soi-même sa propre lumière », le grand-père maternel d’Ulysse, lui-même fils d’Hermès, qui avait donné le prénom Ulysse (Odysseus, celui qui est « blessé ») car « Tant de gens en chemin lui avaient ulcéré le cœur ».

(L’histoire de la blessure à la cuisse d’Ulysse a été traitée à la fin du Chapitre 3, avec l’étude de la lignée de Déion.)

C’est par la compassion que le chercheur reconnaît que la réalisation de la transparence a été menée à bien, mais le moment n’est pas encore venu d’en activer les conséquences (Ulysse fait taire Euryclée qui l’a reconnu).

Ce qui a « la vision d’une liberté plus totale » est alors informé par une vision qu’une puissance venant des hauteurs de l’esprit, résultat de la réalisation de la transparence, allait mettre fin aux anciennes réalisations, aussi vraies et pures puissent-elles paraître (Pénélope rêva qu’un aigle venant de la montagne tuait ses vingt oies qui symbolisaient les prétendants). Mais le chercheur est encore quelque peu attaché à ces réalisations et ne peut s’empêcher d’avoir quelque nostalgie de leur disparation (Dans son rêve-vision, Pénélope a plaisir à regarder ses oies et se lamente de leur mort).

Une courte digression est faite sur l’origine des rêves et la valeur que le chercheur doit leur accorder : ceux qui ont très belle apparence sont souvent trompeurs  alors que ceux qui ont l’air d’être insignifiant sont les plus porteurs de vérité (ceux qui viennent par l’ivoire scié ou par la corne polie). Peut-être aussi peut-on remarquer que les défenses en ivoire sont des dents et sont donc en rapport avec les mémoires ou les « nœuds », tandis que la corne polie est en rapport avec l’affinement de l’intuition. Homère fait ici un jeu de mots en grec avec le verbe « tromper par de vaines espérances » (ελεφαιρομαι)  construit à partir du mot éléphant ou dent d’éléphant (ελεφας).

La décision intérieure d’entrer dans le nouveau yoga ou de renoncer devant la difficulté est alors prise, sachant qu’au fond de lui, le chercheur sait déjà quelle en est l’issue (Pénélope décide du jeu de tir à l’arc qui doit déterminer son sort, ce que le mendiant approuve).

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