LA CHASSE AU SANGLIER DE CALYDON

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La chasse au sanglier de Calydon représente une purification avancée des couches profondes du vital, seulement possible avec la réalisation de l’égalité symbolisée par Atalante.

Atalante luttant avec Pélée

L’Atalante béotienne luttant avec Pélée -Staatliche Antikensammlungen

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Aéthlios

La lignée d’Aéthlios, fils de Protogénie et de Zeus, constitue une clef essentielle pour la bonne compréhension de la guerre de Troie car elle comporte plusieurs personnages de première importance : Léda, la mère d’Hélène, ainsi que Méléagre, Déjanire et Diomède, enfants d’Œnée (Oineus) « le vigneron » ou « le travail pour acquérir la Joie, l’ivresse divine ».

Voir Arbre généalogique 9

Aéthlios est selon Apollodore et Pausanias le fils de Protogénie « ceux qui marchent en avant », fille de Deucalion et donc sœur d’Hellen. C’est cette généalogie que nous suivrons bien que nous ayons suggéré qu’il aurait pu avoir sa place comme l’un des fils d’Éole.
Le nom Aéthlios « qui concerne le prix de la lutte » semble désigner une réponse du Divin au chercheur qui a beaucoup lutté pour Le connaître et s’unir à Lui.
Le but de cette lutte est l’éclosion de la fleur psychique (Calycé « un bouton de fleur »).
De l’union d’Aéthlios et de Calycé naquit Endymion « celui qui est empli de conscience consacrée ». Apollodore affirme que Zeus fut son père divin.

Endymion et les trois générations suivantes

Endymion emmena les Éoliens hors de Thessalie et fonda l’Élide (ou bien succéda sur le trône d’Élide à son père humain Aéthlios) : il marque donc un tournant du yoga, la fin de sa première étape qui se déroule en Thessalie, et l’entrée dans un travail approfondi de libération que consacre la victoire à Olympie en Élide.
Comme il se distinguait par sa beauté, certains disent que Séléné en tomba amoureuse et qu’elle était si éprise qu’elle venait contempler son amant tandis qu’il dormait.
Qu’il y ait eu ou non intervention de Séléné (Cf. l’étude de ce personnage dans le Tome 1), presque tous les auteurs s’accordent pour dire qu’Endymion demanda à Zeus de lui accorder un sommeil éternel, exempté des ravages de l’âge.
Aéthlios est le symbole d’un chercheur qui a déjà longtemps lutté pour une consécration de l’ensemble de sa nature.
Son fils est Endymion « celui qui est totalement consacré » : le chercheur à ce stade demande à son être supérieur un « endormissement éternel » de l’ego qui doit permettre au pouvoir d’action du supramental, à la personnalité vraie (Séléné) d’être enfin actif. En effet, si Hélios symbolise le pôle illuminateur du supramental qui intervient dans les histoires des grands héros par l’entremise de ses enfants (Circé, Aiétès et chez des auteurs plus tardifs Pasiphaé), Séléné est le symbole de son action réalisatrice, une nature extérieure totalement transparente et dédiée à l’action divine. Comme cette transparence est très loin d’être réalisée, Séléné est quasiment totalement absente des mythes. L’acte pur ne peut en effet être réalisé en présence de l’ego, même s’il ne subsiste que dans le corps.

Selon Pausanias, Séléné aurait eu cinquante filles avec Endymion, chiffre qui confirme une totalité dans le monde des formes, et donc l’accomplissement de la consécration.
Comme ce héros appartient à la lignée de Japet, l’immobilisation donnée par le supraconscient (le sommeil accordé par Zeus) peut être considéré comme la réalisation du silence mental. Cette réalisation est définitive car le sommeil est « éternel ».
Et si Endymion est « exempté des ravages de l’âge », c’est que le chercheur est à tout moment « neuf », disponible et vierge dans l’instant présent.
Certains ajoutent qu’Hypnos l’endormit en lui laissant les yeux ouverts, signe du maintien de la conscience active, une réalisation de « la pleine conscience », dans le silence du mental.

Si Aéthlios ouvre une lignée de chercheurs avancés (il est uni à Calycé « le bourgeon »), son fils Endymion, comme fondateur de l’Élide, ne doit pas être considéré comme le symbole de la libération totale mais seulement comme la réalisation psychique et celle du silence mental.

Endymion eut trois fils qui caractérisent trois modalités de yoga : Aitolos (ou Étolos) « celui qui appelle la libération », Paeon « le guérisseur » (ce nom est aussi celui d’un chant en l’honneur d’Apollon « la lumière psychique ») et Épeios « la conscience stable ». La seule légende les concernant rapporte une course organisée à Olympie par leur père pour la succession au trône d’Élide, course remportée par Épeios. Aitolos monta sur le trône à la mort de son frère et fonda l’Étolie « la province de la liberté sur le plan de l’esprit » et lieu de la purification vitale.
(Endymion eut aussi une fille, Eurycyde qui s’unit à Poséidon et lui donna Éléios, symbole du travail qui se poursuit dans le subconscient avec probablement le même objectif. Nous n’avons toutefois aucun élément pour en donner une interprétation).

Les trois générations qui suivent Aitolos ne font l’objet d’aucune histoire remarquable. Seuls les noms des personnages peuvent indiquer une certaine progression dans la libération. Malheureusement leurs sens précis nous échappent le plus souvent et ceux qui sont indiqués ici doivent être considérés avec prudence.

Aitolos s’unit à Pronoé « celle qui met en avant l’esprit » qui lui donna deux fils, Pleuron « celui qui navigue de façon juste » et Calydon « celui qui appelle l’union ».

Pleuron épousa Xanthippé « une énergie dorée » (cette couleur étant le signe d’une énergie ou force plus affinée sur le plan vibratoire que celle représentée par Leucippé « l’énergie blanche » donc purifiée). Celle-ci lui donna quatre enfants : Laophonté, Stratonice « la victoire au combat », Stéropé « une vision large » et Agénor « qui conduit l’évolution ». Ce dernier épousa sa cousine germaine Épicaste « celle qui avance vers l’intégrité », la fille de Calydon « qui appelle l’union » et d’Aiolia « celle qui est toujours en mouvement », elle-même fille d’Amythaon « celui qui est sans parole ».

D’Agénor « celui qui conduit l’évolution » et d’Épicaste « celle qui avance vers l’intégrité » naquirent deux enfants, Demodiké et Porthaon, père d’Oineus « le vigneron ou celui qui œuvre pour avoir la joie ».
Agénor ouvre donc deux lignées distinctes mais qui se développent nécessairement en parallèle :
Celle de Demodiké « la juste manière d’agir dans l’être extérieur » qui permet que s’exprime la juste force au niveau des formes : le dieu Arès la prend en effet pour amante et elle lui donnera Thestios « la sincérité ou la rectitude intérieure ».
L’autre lignée, celle de Porthaon « celui qui est saccagé », marque davantage une évolution intérieure : seule une dévastation totale de la nature égotique permet l’installation de la Joie.

La lignée de Demodiké : Thestios et ses enfants Léda, Althaia, Hypermnestra et les Thestiades

Demodiké « une juste manière d’agir dans l’être extérieur » fut selon certains la fondatrice de l’Élide « la province de la libération », fondation habituellement attribuée à son aïeul Endymion (ou même à Aéthlios). Elle représente donc une exactitude dans chaque pensée, chaque sentiment et chaque geste.
Elle était très belle mais refusa tous les prétendants qui se présentaient, hormis le dieu Arès à qui elle donna deux enfants : elle ne peut représenter un objectif que pour un mouvement de yoga qui s’inscrit dans une exactitude couvrant tous les aspects de l’être, car seule une force appartenant à la non-dualité peut conduire à l’acte juste. C’est donc Arès, le fils de Zeus en charge du juste renouvellement des formes, qui fut le père de ses enfants Euénos « une bonne évolution » et Thestios « la rectitude qui vient de l’intérieur, la sincérité ».
Euénos fut le père de Marpessa, courtisée par Idas et Apollon, dont nous avons vu l’histoire ci-dessus. Il représente donc une étape dans laquelle le chercheur ne peut encore abandonner totalement les rênes à l’être psychique.

Thestios « la sincérité » était le roi de Pleuron, la cité de ceux « qui naviguent de façon juste ». Il s’unit à Eurythémisté « une grande loi supérieure » et engendra trois filles célèbres, Léda, Hypermnestra et Althaia, ainsi que plusieurs fils, les Thestiades. Ces derniers ne sont connus que pour avoir été tués par Méléagre durant la chasse au sanglier de Calydon. Nous pouvons alors comprendre qu’à ce stade, la volonté personnelle n’est plus en mesure de diriger seule le yoga et les trois filles de Thestios représentent en conséquence « les buts » des chercheurs avancés qui travaillent dans la consécration.

Hypermnestra incarne « une aspiration pour ce qui est le plus élevé » dans le mental. Elle s’unit à Oiclès « une conscience renommée », petit-fils de Mélampous, le devin « aux pieds noirs » dont la perception est seulement mentale (ce qui est confirmé par son appartenance à la lignée de Créthée dans l’ascension des plans du mental). D’Hypermnestra et d’Oiclès naquit le célèbre devin Amphiaraos « celui qui s’approche de la perception juste » : il symbolise celui qui tente d’exprimer « la connaissance en vérité ». Il sera surtout actif dans les guerres purificatrices de Thèbes, prévoyant la mort des héros lors de la première expédition.

Léda représente « l’union par la libération ». Bien que sa fille Hélène « l’évolution de la libération » soit sans ambigüité une fille de Zeus, son histoire et celle de ses enfants seront étudiées avec celle de Tyndare, roi de Sparte, qui appartient à la lignée de Taygète (la sixième Pléiade représentant le stade du mental intuitif).

Le troisième mouvement représenté par Althaia concerne la volonté de « croître » et celle de « se guérir » (et peut-être aussi « la liberté intérieure »). Elle s’unit à Oineus (Œnée) « celui qui travaille à la joie », le fils de Porthaon, dont la lignée suit.

La lignée de Porthaon, de son fils Oineus et de ses petits-enfants, Déjanire, Tydée et Méléagre.

Porthaon « celui qui est saccagé » est uni à Euryté « un esprit large ». Celle-ci est la fille d’Hippodamas « la maîtrise vitale » et la petite-fille du fleuve Achéloos « le mouvement de conscience qui travaille à l’accomplissement de la libération » et de Périmédé, fille d’Éole. Porthaon représente donc le chercheur « anéanti » dans son être extérieur mais avec une conscience vaste acquise par la maîtrise du vital.
De son union avec Euryté naquirent plusieurs fils dont seul Oineus « le vigneron, celui qui travaille à la joie » revêt une importance majeure. (Les autres fils semblent indiquer des mouvements contradictoires dans l’être, un surgissement simultané de l’ombre et de la lumière du chercheur : Agrios « violent », Alcathoos « grande rapidité  », Mélas « noir », Leucopeus « bon équilibre, bonne égalité »).
Porthaon eut aussi d’une autre union, selon le Catalogue des Femmes, plusieurs filles, compagnes des Nymphes et des Muses, parmi lesquelles Stéropé « une vision étendue » qui s’unit au fleuve Achéloos et fut la mère des Sirènes. Cette filiation confirme que les illusions spirituelles représentées par les Sirènes, êtres mi femmes-mi oiseaux, perdurent jusqu’à un stade avancé du chemin.

Oineus

Le nom Oineus « le vigneron » indique que le chercheur aspire et travaille à obtenir « la joie divine ». Il semblerait qu’il faille distinguer cette joie qui résulte d’une profonde purification vitale et du détachement – ses enfants sont Méléagre et Déjanire – de celle qui sera incarnée par Ganymède dans la descendance de la cinquième Pléiade, Électre « le mental illuminé ». Ganymède devenant l’échanson de Zeus, il symbolise en effet davantage une joie dans l’esprit, tandis que l’aboutissement ultime du travail d’Oineus est la joie dans le corps.

Oineus (Œnée) engendra avec une première épouse Althaia « celle qui guérit » deux personnages célèbres, Méléagre « celui qui poursuit l’exactitude » et Déjanire « le détachement ». Arès fut le père divin de Méléagre et Dionysos celui de Déjanire.
(D’autres enfants sont mentionnés, sans destins particuliers, mais leurs noms sont tout de même porteurs de sens : Toxeus « tir à l’arc », Agélaos « qui est conduit par la vision ou la volonté », Thyreus « la porte », Clymenus « célèbre ». Une autre fille est aussi mentionnée dans le Catalogue des femmes, Gorgé « l’impétueuse », que l’on peut comprendre comme étant la contrepartie du détachement. Elle est parfois considérée comme la mère de Tydée.)

Une seconde femme nommée Périboia « tout ce qui concerne l’incarnation », fille d’Hipponoos « la force de l’esprit » lui donnera le héros Tydée « celui qui aspire à l’union » qui sera lui-même le père de Diomède « celui dont le dessein est d’être divin », l’un des très grands héros de la guerre de Troie.

Oineus « celui qui travaille à la joie » tient donc un rôle capital dans la lignée d’Aéthlios. Il représente l’état d’un chercheur qui ayant conquis un certain calme mental (Endymion) et une bonne maîtrise de sa nature vitale, poursuit la purification dans les profondeurs (Méléagre) et le détachement (Déjanire) afin d’accéder à la Joie et à la perfection de sa nature. Il s’agit donc ici du rejet des éléments indésirables de la nature archaïque (ou qui ne sont plus nécessaires au développement), d’un « détachement » de tout ce qui entrave la progression et de la préparation à la transformation.

Oineus accueillit chez lui pendant vingt jours Bellérophon, le vainqueur de la Chimère, et échangea avec lui de nombreux présents : ce travail de purification et de détachement ne peut se faire sans un nettoyage simultané des illusions.

Les Anciens établirent un pont avec les enseignements théoriques dans la voie de purification-libération en faisant de Déjanire « le détachement » la seconde épouse d’Héraclès, une fois les travaux accomplis. Après le mariage, ce héros demeura chez Oineus quelques années. Nous étudierons donc Déjanire avec la fin de la vie d’Héraclès.

Tydée

Tydée dut quitter Calydon suite au meurtre de membres de sa famille (son oncle Alcathoos, ou plusieurs de ses oncles, ou même son frère) qui avaient essayé d’arracher le pouvoir à Oineus. Il se fit purifier par Adrastos, roi d’Argos, qui lui donna sa fille Déipyle pour épouse. De cette union naquit le grand héros Diomède.

Tydée « celui qui aspire à (la joie de) l’union » est un fils d’Oineus « celui qui travaille à la joie », non par Althaia, mais par Périboia « tout ce qui concerne l’incarnation ». Il ne s’agit plus ici du processus de croissance et de guérison qui doit permettre le détachement et la libération sur le plan vital par l’élimination du désir et des autres mouvements qui perturbent l’union (Déjanire et Méléagre), mais de la tentative d’incarner cette joie par la puissance de l’esprit (la mère de Tydée est Périboia, fille d’Hipponoos « la force de l’esprit »).
(Si l’on considère la lettre structurante Tau comme symbole de maîtrise ou de pouvoir, une autre interprétation de Tydée serait « l’union par la maîtrise ou les pouvoirs de l’esprit »).

Le premier travail de yoga correspondant à Tydée est de maintenir la poursuite de la Joie au premier plan des préoccupations du chercheur : Tydée tua son oncle Alcathoos « celui qui travaille avec une grande rapidité », rapidité qui serait ici un obstacle à l’établissement de la joie. Aucun travail ne doit primer sur la quête de la joie (personne ne devait usurper le trône d’Oineus).
Cette attitude est juste et c’est pourquoi Tydée fut purifié du meurtre par Adrasté « celui qui affronte les obstacles » qui lui donna sa fille Déipyle en mariage.
Mais cette joie de l’union ne peut être réalisée lors de la première tentative de purification (ce travail s’interrompit car Tydée fut tué lors de la guerre des Sept contre Thèbes). C’est son fils Diomède qui mènera le processus à terme lors de la seconde guerre de Thèbes, celle des Épigones, dix ans plus tard.

Méléagre et sa troupe de chasseurs

Selon la plupart des auteurs, Méléagre eut pour père humain Oineus et pour père divin Arès, le dieu qui détruit les formes périmées afin de faire place aux nouvelles.
Il participa, dit-on, à la quête de la Toison d’Or alors qu’il était à peine sorti de l’adolescence. Apollonios ajoute qu’aucun des Argonautes ne lui était supérieur sauf Héraclès lui-même.
Artémis était furieuse contre Oineus qui l’avait oubliée dans ses sacrifices aux dieux. Elle envoya alors un gigantesque sanglier solitaire, sauvage, aux blanches défenses, qui venait chaque jour ravager le verger d’Oineus dont il jetait à terre les grands arbres en fleurs.
Oineus rassembla alors les héros de toutes les provinces de Grèce. Comme il était vieux, ce fut son fils Méléagre qui prit le commandement de la troupe. Ce dernier était alors marié à Cléopâtre, la fille d’Idas et de Marpessa.
Parmi les héros figuraient un grand nombre des plus célèbres Argonautes : Jason, Thésée et son ami Pirithoos, Pélée et son frère Télamon (fils d’Éaque), Ancaios et Céphée d’Arcadie (fils de Lycurgue), Idas et Lyncée de Messénie (fils d’Apharée), les Dioscures Castor et Pollux de Sparte (fils de Zeus et Léda), Admète (fils de Phérès) et Eurytion de Thessalie, Iphiclès de Thèbes (fils d’Amphitryon), Amphiaraos d’Argos (fils d’Oiclès), les fils de Thestios ainsi qu’Atalante venue d’Arcadie. Cette chasse eut lieu avant les guerres de Thèbes.

Cette chasse au sanglier représente un processus au même titre que le troisième travail d’Héraclès, car elle appartient à la série des grandes épopées panhélleniques.
Le sanglier a ici presque la même signification que celui que nous avons vu lors du quatrième travail d’Héraclès où il représentait les mouvements archaïques du vital que le chercheur devait repousser comme ne lui appartenant pas, tandis que le travail de la Biche de Cérynie était le travail complémentaire de purification active, de suppression des mélanges. S’il s’agissait alors surtout de prise de conscience et de purification, car Héraclès devait ramener le sanglier vivant, c’est davantage ici un travail de maîtrise et même de dépassement qui est demandé.
Le sanglier représente les manifestations de l’énergie vitale primaire, instinctive, grossière, sauvage, brutale, faite d’insensibilité, au plus profond de la nature vitale. Ce sont les pulsions animales et les désirs primaires soutenus par un mental répétitif à tendance obsessionnelle.
Mais si nous avons attribué au Sanglier d’Érymanthe aussi bien les énergies vitales primaires que leur mélange et leurs perversions, la description que fait ici Homère du sanglier semble limiter ces énergies aux pulsions naturelles (le sanglier est dans sa « verdeur »), facilement identifiables car non mélangées à d’autres éléments (il est solitaire) et non perverties (il a des défenses blanches), celles qui sont liées à la racine du désir, au mouvement de saisie instinctif. Ce combat exige une sincérité importante qui permette au chercheur de voir son « sanglier » en vérité dans ses actes, ses sentiments et ses pensées.
Même si cette énergie primaire est masquée la plupart du temps chez les hommes civilisés, elle reste gravée dans la mémoire subconsciente : ce peut être ce qui veut jouir sans délai et sans entrave, la volonté d’accaparer, etc. On pourrait donc lui attribuer, entre autres chsoses, aussi bien les manifestations de la colère que celles d’une sexualité et d’une alimentation compulsives.
Tout le monde est porteur de ces mémoires et il est vain de penser pouvoir les ignorer. De plus, il est évident que ces énergies doivent trouver leur juste exutoire et maîtrise au cours de la croissance de la personnalité et que le combat dont il est question ici ne peut être conduit ni prématurément ni par principe.
Mais lorsqu’il se présente, c’est avec suffisamment d’insistance pour ne pouvoir être écarté du travail (le sanglier revient chaque jour abattre de grands arbres).
Pour ce qui concerne l’une de ces pulsions primaires associées au désir sexuel, peut-être s’agit-il ici seulement de sa maîtrise mais on ne peut écarter l’idée que ce mythe traite également de la totale abstinence. En effet, la sexualité ne constitue pas pendant longtemps un obstacle sur le chemin si elle est vécue de façon juste. Elle s’éteint progressivement lorsque le chercheur dépasse l’animalité, mais le chercheur peut aussi choisir d’accélérer le processus.
Sri Aurobindo met en garde contre une justification de l’inclusion de la sexualité dans le yoga. Il prévient aussi du risque encouru en s’ouvrant à l’amour universel avant que la réalisation de l’unité avec le divin ne soit confirmée dans sa suprême pureté, car il subsiste toujours le risque que l’amour universel ne devienne le désir universel. Enfin, il énonce que la vibration sexuelle est totalement incompatible avec le supramental lorsque le chercheur aborde le stade de la « transformation » par les forces du Divin, étape qui suit la « psychisation » et la « spiritualisation ».

Le travail de purification correspondant à cette chasse au sanglier sous la direction de Méléagre doit permettre de parvenir au parfait détachement qui suppose une victoire sur le désir (la sœur de Méléagre est Déjanire « le détachement » qu’Héraclès épousera à la fin des travaux). Il trouvera son accomplissement dans les guerres de Thèbes.

Le sanglier est envoyé par Artémis car le chercheur est toujours confronté à ce qu’il a laissé en arrière, à ce qu’il a omis de purifier par négligence ou désintérêt (Artémis était furieuse contre Oineus qui l’avait oubliée dans ses sacrifices aux dieux).

Le chef de l’expédition est Méléagre « celui qui travaille à l’exactitude », fils d’Oineus « celui qui travaille en vue de la Joie ».
Homère ne cite aucun des héros rassemblés par Oineus pour accompagner son fils. En revanche, des listes de chasseurs sont fournies par Hygin, Apollodore, Ovide et Pausanias, comprenant entre seize et trente-six noms. Nous n’avons gardé ici que les noms communs à toutes les listes. Pour la plupart, ce sont des héros que nous avons déjà rencontrés dans l’étude de la quête de la Toison d’Or, incluant bien sûr Thésée et Pirithoos.
Jason « celui qui se guérit » ou le premier « renversement de la conscience ». Sa présence dans cette chasse n’est pas toujours en cohérence avec les récits de la fin de sa vie mais pourrait indiquer que ce n’est pas encore l’être psychique qui gouverne.
– Échion « l’évolution de la concentration » (fils d’Hermès, le dieu du surmental).
– Thésée « la conscience humaine qui se tourne vers l’intérieur ou agit depuis l’intérieur » ou « la lumière qui pénètre progressivement dans l’être intérieur » (fils d’Égée) et son ami Pirithoos « un effort aigu » ou « celui qui expérimente rapidement » (fils de Zeus et de Dia, la femme d’Ixion).
– Pélée « celui qui plonge dans les profondeurs de l’humain » et son frère Télamon « celui qui supporte, endure » (fils d’Éaque).
– Idas « la vision d’ensemble » et son frère Lyncée « la vision de détail » ou « celui qui discerne » (fils d’Apharée).
– les Dioscures : Castor « le mouvement juste vers la pureté dans l’incarnation par la maîtrise » ou « l’ouverture à la rectitude dans l’incarnation » et Pollux « celui qui combat dans la douceur » car Castor est un dompteur de chevaux et Pollux un boxeur. Ils incarnent la fermeté et la souplesse, la force qui s’impose et celle qui harmonise. (Ce sont des fils de Zeus et Léda).
– Admète « celui qui cherche la liberté (l’insoumis) » ou « une puissante maîtrise » (fils de Phérès).
– Eurytion « une vaste conscience sur le plan de l’esprit » et/ou « une grande maîtrise ».
– Amphiaraos « celui qui s’approche de la perception juste » (fils d’Oiclès).
– Il faut aussi ajouter les fils de Thestios « la rectitude qui vient de intérieur, la sincérité » dont les noms varient. Selon certains, ils seront tués par Méléagre, ce qui provoquera la fureur de sa mère Althaia et en retour la mort de ce héros.

Et pour la première fois apparaît une combattante dans une liste de héros participant à une grande épopée, Atalante « l’égalité d’âme ou équanimité ».

Atalante

La mythologie connaît deux Atalante, l’une Béotienne, l’autre Arcadienne, qui doivent donc être distinguées selon leurs régions d’origine car elles indiquent des moments différents de la quête.

La première, l’Atalante béotienne, concerne la période située autour de la première grande expérience de contact avec le Réel (la conquête de la Toison d’Or) car elle participa aux jeux funèbres en l’honneur de Pélias où elle l’emporta sur Pélée. C’est cette Atalante-ci qui est représentée sur l’image en haut de page.
Sa présence à l’ouverture de cette étape indique que le chercheur doit déjà vouloir établir une certaine base de paix ou d’équanimité au lieu d’aspirer à descendre trop tôt dans les profondeurs de l’humain.
Le Catalogue des Femmes en fait une fille de Schoineus, lui-même fils du roi Athamas de Béotie et de sa troisième épouse Thémisto. Cette Atalante-là appartient donc à la voie de spiritualisation du mental (celle de Japet dans l’ascension des plans de conscience) lorsque le chercheur s’engage dans une voie de rectitude (Thémisto).
Certains auteurs font déjà participer cette Atalante à la conquête de la Toison d’Or, mais ils sont contestés sur ce point par nombre d’autres : cela semble en effet erroné d’affirmer que la volonté d’établir la paix s’installe si tôt sur le chemin, avant même la première grande expérience, alors que le chercheur est toujours en quête de son maître, de sa voie de yoga propre. A moins que ce ne soit dans le cadre d’un enseignement donné par un maître. Pour Apollonios, Jason redoutait même des ennuis s’il la laissait monter à bord : en effet, une insistance prématurée sur l’équanimité peut donner lieu à des déviances telles que l’auto-surveillance ou la perte de sensibilité.
Le mythe correspondant se déroule comme suit :
Atalante tuait tous les prétendants qui ne pouvaient la rattraper à la course, ce dont aucun n’était capable. Son père Schoineus voulut alors la marier à Hippoménès à qui il avait promis de nombreux cadeaux s’il réussissait à gagner la course.
Alors qu’Atalante refusait habituellement les présents d’Aphrodite, Hippoménès laissa tomber par ruse trois pommes que lui avait données la déesse. Atalante s’arrêta pour les ramasser, ce qui la ralentit. Elle perdit la course et dut s’unir à Hippoménès.

Le travail de pacification et d’égalité de l’être a progressé dans le mental mais il est réticent à s’étendre jusqu’au vital là où s’enracine l’amour humain (Atalante refuse les présents d’Aphrodite). Mais la détermination dont est issue cette égalité veut poursuivre le travail dans le vital (son père Schoineus « la concentration de l’énergie mentale, la détermination » veut qu’elle épouse Hippoménès, le travail de « la volonté dans le vital »). Pour atteindre son but, l’âme de volonté se sert de dons dans le domaine de la connaissance reçus de la force qui gouverne l’évolution de l’amour (Aphrodite).
Le mouvement de pacification « ralentit » dans le mental car il est encore dans un mouvement de captation, n’ayant pas commencé à installer la paix dans le vital : les pommes sont symboles de connaissance et aussi d’union, de non-dualité et de capacités créatrices (Atalante est retardée et se laisse séduire par les pommes d’Aphrodite qu’Hippoménès a laissé tomber par ruse). La partie du chercheur qui a déjà acquis une certaine égalité dans le mental ne peut donc faire l’impasse du travail d’égalité dans le vital, alors même que le travail de la croissance de l’amour appelle cette transformation. Il s’agit de permettre au vital de collaborer au yoga afin de réaliser l’égalité parfaite.
Chez certains auteurs, ce n’est pas Hippoménès mais Mélanion « une conscience noire », qui gagna la course et épousa Atalante. Mais tous deux furent changés en lion car ils s’étaient unis dans un enclos sacré de Zeus : cette version laisse entendre que le chercheur n’est absolument pas prêt pour la pacification du vital et que le mouvement de pacification se perd à nouveau dans l’ego.

La seconde Atalante appartient à la lignée royale d’Arcadie que nous étudierons plus loin. Le nom de cette lignée dérive de celui du héros Arcas « l’endurance ».

C’est cette Atalante-là qui participa à la chasse au sanglier de Calydon. Elle est alors la fille d’Iasos « celui qui se guérit de tous ses nœuds », la petite-fille de Lycurgue « celui qui désire passionnément la lumière », et par sa mère Clymène, la petite fille de Minyas « l’évolution du mouvement de consécration du mental »

Voir Arbre généalogique 27

Elle représente donc une phase beaucoup plus avancée que l’Atalante béotienne.
En effet, selon Callimaque, dans le conflit qui opposait les Lapithes aux Centaures, Atalante tua avant la chasse, apparemment sans aucune difficulté, deux Centaures qui tentaient de la violer. Le chercheur a donc déjà effectué un travail important de sincérité dans les couches inférieures du vital.

À sa naissance, son père qui ne voulait que des enfants mâles, « l’exposa ». Mais une ourse l’allaita jusqu’au jour où des chasseurs la découvrirent et l’élevèrent parmi eux. Lorsqu’elle fut adulte, Atalante choisit de rester vierge, passant son temps à chasser dans les lieux sauvages. Elle participa à la chasse au sanglier de Calydon.
Le chercheur est encore exclusivement orienté dans un yoga de l’action et ne prétend à aucune réalisation (Iasos ne veut que des fils). Mais il génère, en quelque sorte malgré lui, une égalité d’âme qui grandit à son insu. Toutefois, le chercheur ne veut pas encore que cette équanimité naissante devienne un but de la quête, même si elle œuvre à pacifier le vital (Atalante choisit de rester vierge et chasse les bêtes sauvages, à l’instar d’Artémis).

Atalante finit toutefois par succomber aux avances de Méléagre (ou du dieu Arès ou encore de Talaos) et elle eut un fils, Parthénopée « celui qui travaille pour une vision virginale (c’est-à-dire purifiée de toute déformation) ». Ce dernier participera à la première guerre de Thèbes dans le processus d’élargissement des centres de conscience qui ne peut être réalisé sans une équanimité de plus en plus profonde, mais il y trouvera la mort.

Le déroulement de la chasse

Oineus fêta ses hôtes pendant neuf jours. De nombreux héros étaient réticents à la participation d’une femme, mais Méléagre imposa la présence d’Atalante.
Beaucoup de chasseurs furent tués par le sanglier.
Atalante les surpassait tous en vaillance à l’exception du seul Méléagre. D’une flèche, elle fut la première à atteindre le sanglier dans le dos. Puis Amphiaraos le blessa à l’œil, et Méléagre l’acheva en lui perçant le flanc.
Chez Homère qui ne mentionne pas Atalante, il s’ensuivit une guerre entre les Courètes et les Étoliens. Elle avait été suscitée par Artémis que la mort du sanglier n’avait pas suffi à apaiser. (Rappelons qu’Oineus avait omis de lui offrir des sacrifices.) Tant que Méléagre combattit, les Courètes étaient en mauvaise posture. Mais bientôt le héros se retira auprès de sa femme Cléopâtre, la fille de Marpessa dont le grand-père était Idas.
Sa mère, affligée du meurtre de ses frères (voir ci-dessous), invoqua Hadès pour qu’il donne la mort à son fils, et l’Érinye l’entendit.
La guerre prit fin avec la victoire des Étoliens lorsque Méléagre qui avait refusé longtemps de combattre s’impliqua enfin.
Homère n’ajoute rien de plus concernant la mort de Méléagre.

Chez d’autres auteurs, ce héros succomba devant les remparts de Calydon. Il avait en effet reçu les dépouilles du sanglier et les avait données à Atalante. Ses oncles – les Thestiades, frères de sa mère Althaia – contestèrent ce cadeau, jugeant qu’il leur revenait. Méléagre se mit alors en colère et les tua, ce qui créa un fort ressentiment chez sa mère Althaia.
Celle-ci avait été informée par les Moires peu après la naissance de son fils que celui-ci mourrait lorsque le tison qui brûlait dans l’âtre serait consumé. Elle s’était alors empressée de le retirer du feu et de le mettre à l’abri dans un coffre.
Dans un accès de colère causée par la mort de ses frères, elle alla le rechercher et le mit dans le feu, ce qui provoqua la mort de Méléagre au combat.
Puis, terrassée par le chagrin, elle se suicida.

À ce stade, le chercheur ne peut encore accepter totalement la voie de l’abandon au Réel – la voie de la consécration ou surrender – aussi nombre de héros refusaient-ils la présence d’une femme. Mais il veut cependant obtenir des résultats dans le domaine de « l’égalité » (Apollodore affirme que Méléagre voulait un enfant d’Atalante, aussi imposa-t-il la participation de cette dernière).

Les qualités essentielles qui permettent de maîtriser et transformer ces énergies instinctuelles (la mort du sanglier) sont alors en tout premier lieu « l’égalité » (Atalante), puis « la perception juste » (Amphiaraos) et enfin « le travail d’exactitude » (Méléagre).
Sri Aurobindo consacre trois chapitres du Yoga de la Perfection de Soi à « l’égalité » qui doit être établie progressivement dans toutes les parties de l’être. Cette égalité est aussi appelée « équanimité » lorsqu’il s’agit du mental et du vital, mais Sri Aurobindo lui donne un sens plus large, car il considère qu’elle doit être aussi établie jusque dans la conscience physique : l’égalité parfaite, c’est être libéré de toutes préférences mentales, vitales et physiques, et avoir établi en soi une paix solide et une absence de toute perturbation et de tout trouble. Ultimement, « être égal, c’est être infini et universel ».

La guerre des Courètes « les jeunes guerriers » contre les Étoliens de Calydon « ceux qui aspirent à l’union », générée par Artémis et donc découlant du processus de purification, semble indiquer que le combat par le mental doive céder la place à l’aspiration et à la consécration. Mais ceci ne peut se faire que lorsque le travail « d’exactitude » s’unit à l’aspiration.

Homère ne s’appesantit pas sur la fin de la vie de Méléagre car elle présente peu d’intérêt en regard de la chasse. Il mentionne simplement la malédiction appelée sur lui par sa mère et la réponse des Érinyes, forces spirituelles qui s’assurent de l’accord de l’évolution avec la loi supérieure. On peut simplement supposer que le héros mourut dans le combat qui s’ensuivit.

Dans l’autre version (celle de la mort de Méléagre à la suite du tison remis dans le feu), le chercheur veut attribuer la victoire sur le sanglier à ses propres efforts au lieu d’en faire crédit à une réalisation qui provient d’une soumission à l’Absolu (le refus des Thestiades de donner les dépouilles à Atalante).
La mort des Thestiades et celle de Méléagre implique alors que dans le cadre de la réalisation progressive de l’égalité, l’effort d’exactitude fait d’abord cesser celui de la rectitude et prend sa suite (Méléagre tue les Thestiades), puis l’effort d’exactitude lui-même cesse lorsque vient la réalisation de l’égalité (la mort de Méléagre tuée par Althaia). Ce qui d’abord a protégé la croissance de l’effort de l’exactitude (Althaia en tant que liberté intérieure) provoque sa fin lorsque l’égalité est acquise. C’est aussi la fin du processus « d’auto-guérison » (le suicide d’Althaia « celle qui se guérit »).
Là encore, il s’agit d’un processus, et la victoire finale sur le sanglier ne peut se produire qu’à une phase très avancée du chemin.