Le Cyclope Polyphème : la fin de l’attrait pour les pouvoirs de perception-vision dont l’origine est subconsciente (Chant IX)

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Puis Ulysse et ses compagnons arrivèrent au pays des Cyclopes.

Ceux-ci étaient des brutes sans foi ni loi qui accordaient tant de confiance aux Immortels qu’ils ne labouraient ni ne semaient. La terre était si féconde qu’elle leur fournissait tout en abondance. Chez eux, pas d’assemblée qui jugeait ou délibérait. Sans souci l’un de l’autre, chacun dictait sa loi à ses enfants et à ses femmes. Ils n’avaient ni navire ni charpentier. Mais s’ils avaient eu des bateaux, quelle belle ville, que de belles moissons et de vignes éternelles ils auraient.

Au large du port, il y avait une petite île couverte de forêts où les chèvres sauvages se multipliaient sans fin sans être troublées par quiconque. C’est un dieu qui pilota les douze vaisseaux jusqu’à la grève de cette île où Ulysse les amarra, car la nuit était profonde et brumeuse et ne laissait rien voir.

S’ensuivit le lendemain une chasse à la chèvre si favorable que chaque bateau en hissa neuf à son bord, dix pour celui d’Ulysse. Avec le vin que les héros avaient dérobé aux Cicones, ils festoyèrent toute une journée.

Puis Ulysse partit avec son navire en éclaireur. Il parvint au gîte d’un Cyclope, un homme gigantesque. Une caverne toute proche lui tenait lieu d’étable pour ses troupeaux de brebis et de chèvres. Ulysse avait emporté avec lui des présents, dont un excellent vin offert par un prêtre d’Apollon qu’il avait épargné lors de la razzia chez les Cicones.

Le Cyclope Polyphème étant au pacage avec ses troupeaux, Ulysse et ses compagnons entrèrent dans la caverne remplie de fromages et de jarres de lait, d’agnelets et de chevreaux parqués selon leur âge. Tandis que ses hommes le suppliaient de faire main basse sur ces richesses et de s’enfuir au plus vite, Ulysse refusa, voulant connaître les présents que lui ferait le Cyclope.

Lorsqu’en fin de journée celui-ci arriva avec son troupeau, il fit rentrer les femelles à traire, laissant les mâles dehors, et ferma l’entrée avec un énorme rocher que lui seul pouvait bouger. La traite et la préparation des fromages terminées, il aperçut le héros et son équipage et leur demanda la raison de leur présence.

Ulysse, au nom des dieux et de Zeus l’Hospitalier, lui proposa un échange de présents. Mais le Cyclope ne se souciait pas des dieux, se proclamant bien supérieur à eux. Comme il cherchait à connaître l’emplacement du mouillage du vaisseau de ses hôtes, Ulysse lui mentit, affirmant que ce dernier était détruit.

Polyphème se saisit alors de deux compagnons d’Ulysse, les fracassa sur le sol, les démembra et en fit son souper. De même, la nuit écoulée, il en prit deux autres pour son déjeuner avant de sortir avec ses bêtes en replaçant le rocher derrière lui.

Murissant un plan d’évasion, Ulysse fit tailler et polir par ses hommes un énorme pieu d’olivier dont il durcit la pointe au feu et qu’il cacha sous le fumier. Puis il leur fit part de son plan.

Lorsque Polyphème rentra le soir, il ne laissa aucune bête dehors – ce qui pour Ulysse fut un signe des dieux – et prit à nouveau deux hommes pour son souper. Le héros offrit de son vin au Cyclope qui en redemanda jusqu’à en boire trois outres pleines.

Comme Polyphème demandait à Ulysse son nom, lui promettant un présent d’hospitalité, celui-ci répondit « Personne ». Le Cyclope lui annonça alors qu’il le mangerait le dernier en guise de cadeau, puis il s’endormit sous l’effet de l’ivresse.

Après avoir rougi sa pointe dans le feu, Ulysse et ses compagnons enfoncèrent l’épieu dans l’œil unique du Cyclope qui dormait et le firent tourner. Hurlant de douleur, Polyphème l’en retira et appela au secours les autres Cyclopes. Comme ceux-ci demandaient s’il avait été agressé par la ruse ou par la force, il répondit « la ruse » et  lorsqu’ils s’enquirent de l’auteur de cette violence, il leur cria « Personne ». Le pensant frappé par Zeus de quelque maladie, les autres Cyclopes s’en allèrent, lui recommandant d’implorer leur père à tous, Poséidon. Ulysse se réjouit de sa ruse, du nom « Personne » qu’il avait trouvé et de son intelligence parfaite.

Polyphème, aveugle, enleva à tâtons le rocher qui fermait la porte et s’installa sur le seuil, tendant les mains pour saisir les prisonniers qui tenteraient de sortir mêlés aux bêtes.

Mais Ulysse inventa une autre ruse. Ayant attaché les béliers trois par trois, il demanda à ses hommes de s’agripper sous le ventre du bélier du milieu, tandis que lui-même sortirait le dernier dissimulé sous la toison du bélier le plus fort.

Aussi, lorsque parut l’Aurore aux doigts de rose, tous purent s’enfuir sains et saufs bien que Polyphème se fut étonné que le plus fort de ses béliers sorte le dernier.

Ayant fait provision de brebis, le héros et ses compagnons embarquèrent sans tarder et se mirent aux rames.

À peine éloigné du rivage, Ulysse héla Polyphème et le railla. De rage, le Cyclope arracha le sommet d’une montagne et le lança dans la mer, générant une vague qui ramena le bateau du héros vers la rive. Les hommes firent force de rames pour s’éloigner et, malgré leurs supplications, Ulysse héla à nouveau le Cyclope, lui révélant son nom véritable et sa lignée.

Polyphème se lamenta alors : un prophète des Cyclopes, Télémos l’Eurymide, lui avait prédit qu’il serait aveuglé par un certain Ulysse, mais il ne s’était pas méfié car il s’attendait à un homme de plus belle stature. Il chercha cependant à gagner l’amitié du héros, lui demandant de revenir vers lui, assurant qu’il obtiendrait ses cadeaux d’hospitalité et que son père Poséidon lui apporterait son aide pour le voyage de retour. Le Cyclope affirma d’autre part que seul ce dieu pourrait, s’il le voulait bien, le guérir de sa blessure. Ulysse lui répondit alors qu’il n’en serait jamais ainsi.

Le Cyclope pria alors son père Poséidon d’empêcher Ulysse de rentrer en ses foyers, ou du moins, de ne permettre son retour que seul, sans ses compagnons, après de terribles épreuves, sur un vaisseau étranger, et