LES ENFANTS DE TYPHON ET D’ÉCHIDNA

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Typhon, symbole de l’ignorance, s’unit à Échidna « la vipère », la force d’évolution pervertie,  et engendra quatre grands monstres : Orthros, Cerbère, l’Hydre de Lerne et la Chimère – représentant respectivement le mensonge, le gardien de l’immortalité, le désir et l’illusion

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Typhon combattu par Zeus sur une poterie grecque antiqueTyphon combattu par Zeus sur une poterie grecque antique – Staatliche-Antikensammlungen

Voir Arbre Généalogique 1

Hésiode donne Échidna pour une fille de Phorcys et Céto, ce qui situe l’origine de cette déviance lors de la constitution du moi animal. Lorsque la force évolutive est « juste », les mythes mentionnent simplement un serpent et non une vipère.
Pour Apollodore, elle est fille du Tartare, résultat de la Nescience, comme Typhon. Cette filiation, toutefois, n’indique pas le moment où ces forces d’opposition entrent en action.
Mais elle ne devient vraiment « perverse » en l’homme que lors de son union avec Typhon, c’est-à-dire lors de l’apparition du mental réflexif humain.
Nous avons déjà rencontré les enfants de ce couple terrible qui provoqua la chute de la vie lorsque nous avons parlé des enfants de Phorcys et Céto : le chien Orthros, Cerbère, l’Hydre de Lerne et la Chimère. Ils se révèlent être des obstacles d’autant plus redoutables que le chercheur est plus engagé dans la voie.

Orthros

C’est le chien à deux têtes de Géryon. Ce dernier est le fils de Chrysaor « l’homme au glaive d’or » apparu, comme le cheval Pégase, lorsque Persée trancha le cou de la Gorgone Méduse. Géryon est donc le symbole des richesses du « vital vrai » libérées par la victoire sur la peur. C’est pourquoi « ses bêtes étaient pourpres » : elles représentent les pouvoirs divins de la vie.
Des corrections ont été faites par les scribes dans les manuscrits, changeant Orthros en Orthos, et il est donc assez difficile de rétablir le nom primitivement utilisé par chaque auteur.
Si l’on retient l’orthographe peu probable Orthos, mot signifiant « dressé, non dévié, droit », ce ne peut donc être « La Vérité » (sinon son meurtre ne serait bien évidemment pas nécessaire) mais seulement une vérité « transitoire » qui doit être dépassée lorsque le temps est venu. Ce monstre représenterait alors les « vérités établies » qui apparaissent comme irréelles ou même mensongères aux aventuriers de la conscience, notamment les lois physiques (que ce soit par exemple celles des sens, de la maladie, ou même de la mort).
Si l’on considère l’autre orthographe, beaucoup plus probable, Orthros, (avec le Rho P utilisé dans son sens d’inversion), ce nom peut signifier « celui qui est présent dès l’aube » (selon les dictionnaires) et donc ce qui est à la racine de la vie consciente, mais aussi « l’inverse de la Vérité, le mensonge, l’insincérité fondamentale », c’est-à-dire tout ce qui éloigne de l’unité avec le Réel.
Toutefois, à un stade très avancé du yoga, l’aventurier s’aperçoit qu’un infime mouvement de la conscience suffit pour passer du monde de Vérité à son envers, ce qui expliquerait l’utilisation proche des deux noms, Orthos/Orthros, ainsi éventuellement que la représentation d’Orthros avec deux têtes.
Géryon, on le verra dans l’étude du dixième travail d’Héraclès, est un monstre à trois têtes et trois corps dont l’un est muni d’une paire d’ailes qui peut être associé aux trois modes de la nature ou gunas. Leur transcendance était traditionnellement considérée comme impossible. En effet, selon les Anciens, toute action appartenait à leur jeu et leur parfait équilibre entraînait automatiquement le chercheur dans la cessation de l’action et l’immobilité. Une délivrance quiétiste pouvait être obtenue en imposant une « inertie (tamas) illuminée » à la nature extérieure.
C’est pour cette raison qu’Héraclès dressa les fameuses colonnes qui marquent à l’Ouest les limites de la terre habitée, aux confins de la Libye et l’Europe, avant même d’avoir atteint le repaire de Géryon. C’était une limite extrême que nul chercheur ne pouvait prétendre franchir selon les Anciens.
Le dixième travail était alors seulement une prévision du yoga futur.
Avant de vaincre Orthros, Héraclès dut d’abord immobiliser Nérée, c’est-à-dire maîtriser les mouvements les plus archaïques à la racine de la vie.
Orthros peut donc être considéré comme la perversion fondamentale introduite par l’ignorance et la conscience séparative à la racine de la vie.

Orthros engendra avec sa propre mère Échidna deux autres monstres, conséquences de cette perversion, qui peuvent aussi expliquer les deux têtes :
Phix ou la Sphinge, à laquelle Œdipe devra se confronter, symbole de la sagesse pervertie, du mensonge déguisé en vérité. Son nom indique une réceptivité déformée par le mental. Les Grecs connaissaient le sphinx égyptien, lui, symbole de la vraie sagesse, sous le nom d’androsphinx / ανδροσφιγξ.
le lion de Némée, image de l’orgueil égotique qui se maintient jusque dans la sainteté – Némée où réside le lion peut en effet être compris comme la consécration dans le surrender N+M -, qui empêche la consécration intégrale et dont l’extermination fera l’objet du premier travail d’Héraclès.
Chez Hésiode, ces deux monstres sont fils de la Chimère et du chien Orthros, ce qui est à peu près équivalent à la filiation indiquée plus haut.

Cerbère

C’est le terrible chien à multiples têtes (deux, trois, ou, selon certains, cinquante ou même cent) qui accueille les « ombres » à l’entrée du monde souterrain, le royaume d’Hadès, mais les empêche de le quitter. Sur son dos se dresse une multitude de têtes de serpent et sa queue est aussi celle d’un serpent.

Cerbère interdit donc la continuité de la conscience à travers ce voile que nous appelons la mort. Il masque la réalité de celle-ci, afin qu’elle apparaisse comme négation de la vie, et preuve de son échec flagrant.
Il est donc le premier gardien du secret que les Anciens cherchaient, « l’immortalité » qui est non-dualité intégrale, non seulement en l’esprit mais aussi dans le vital et dans le corps (la victoire sur la mort ne signifiant pas un corps éternel mais une matière soumise à la conscience).
Son nom pourrait signifier « le principe d’incarnation de la mort » ou encore, avec les lettres structurantes « l’ouverture de la conscience à l’exact processus de l’incarnation ».
Cette négation de la vie, l’homme est appelé à la surmonter, non seulement en réalisant la continuité de la conscience par-delà la naissance et la mort, mais aussi en transformant la rigidité de la substance corporelle pour la rendre suffisamment plastique afin qu’un jour elle puisse être modelée par la conscience.
Cette idée n’est pas nouvelle mais trouve un commencement de réalisation avec la découverte de la possibilité de transformation de la conscience des cellules.
Héraclès ira chercher Cerbère dans l’Hadès, non pour le tuer car il n’en a pas le droit, mais pour le remonter à la lumière (à la conscience), c’est-à-dire pour comprendre l’exact processus et signification de la mort et surtout de l’unité dans la matière.
Ses cinquante têtes montrent qu’il est totalement actif dans le monde des formes, qu’il en garde toutes tes issues.
S’il empêche de ressortir de l’Hadès, c’est que tout ce qui est parvenu à l’unité essentielle dans la matière ne peut retomber dans la dualité.
Seule Perséphone peut passer d’un monde à l’autre, car elle est celle qui a accompli « le meurtre de la destruction ».

L’Hydre de Lerne

Ce monstre vit dans les marais et donc opère depuis le bas vital. Il est doté de quantité de têtes dont les gueules soufflent une haleine mortelle et repoussent à peine coupées.
Il symbolise le désir (ou la convoitise) et l’attachement qui proviennent de l’illusion de la séparation ainsi que la souffrance qui en résulte.
A peine a-t-on satisfait un désir qu’il en surgit un autre. A peine a-t-on mis fin à une souffrance due au manque qu’il en advient une autre.
L’Hydre est donc la négation de la joie.
Dans le deuxième des travaux d’Héraclès, elle sera assistée par un crabe géant, symbole de la « saisie » ou du « mouvement captateur primordial », de ce qui veut s’emparer de ce qu’il croit ne pas posséder.

La Chimère

Le quatrième enfant de Typhon est la Chimère, symbole de l’illusion qui résulte de la séparation. Elle est lion par devant, chèvre au milieu et serpent par derrière, ayant une tête de chacun d’eux. Elle symbolise donc le plus haut de l’aspiration vitale, pleine de bonne volonté, sensible à l’évolution, mais dont l’orientation est vrillée par l’ego.
Son nom désigne habituellement une jeune chèvre, mais sa signification doit plutôt être établie à partir de la lettre structurante khi (Χ), soit « l’arrêt de l’instinct/intuition ».
Et la plus grave de toutes les illusions est sans doute celle qui sévit dans le cadre de la recherche spirituelle. La vaincre nécessite un vital purifié (le cheval Pégase) et un mental puissant (le héros Bellérophon).
Homère rappelle qu’elle est, par ses parents, « de race divine », c’est-à-dire processus incontournable de l’évolution.

Ainsi, à la Vérité s’est insidieusement substitué le mensonge, la Vie s’est recouverte du masque de la mort, le désir et la souffrance ont annihilé la Joie et la conscience naissante a été pervertie par l’illusion.
Zeus identifié à Métis et victorieux des Titans, a imposé la conscience mentale dans l’humanité. Typhon, vaincu lui aussi, n’en reste pas moins actif, même s’il n’est plus « visible » à la conscience : ses enfants, issus de l’ignorance, agissent désormais comme ses bras armés.