LES JEUX OLYMPIQUES: Leur véritable signification en Grèce ancienne

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Conférence donnée par Claude de Warren, Février 2024

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Oublions les images des Jeux Olympiques et les idées que l’on se fait aujourd’hui à ce sujet pour nous plonger dans la Grèce antique au second millénaire avant notre ère, bien avant la construction du Parthénon au Ve siècle avant J.-C., bien avant qu’un stade ne soit construit à Olympie en un lieu qui était, depuis longtemps déjà, un sanctuaire spirituel.

Les Jeux Olympiques, de même que les trois autres grands Jeux célébrés à Corinthe, Némée et Delphes, n’étaient pas à l’origine destinés à célébrer des athlètes mais des chercheurs spirituels à des étapes clefs de leur progression.

Les épreuves sportives furent introduites dans ce qui était à l’origine une succession de cérémonies initiatiques. Des historiens réputés – Moses Finley et H.W. Pleket – ont écrit à propos des Jeux Olympiques : « Ainsi, des jeux sont instaurés dans le programme olympique parce que le sanctuaire est réputé et non l’inverse : les cérémonies religieuses précèdent les jeux sportifs et restent prédominantes dans le programme des jeux. ». Et l’on peut affirmer sans grand risque de se tromper qu’il en fut de même pour les autres grands jeux. En témoigne le fait qu’il s’écoula parfois trois cents ans dans certains de ces sites entre l’instauration des cérémonies initiatiques et la construction des stades.

Au fur et à mesure que le sens profond des mythes et la possibilité de connexion avec les mondes de l’Esprit se perdaient – ce qui était déjà le cas au temps des trois grands Tragiques Sophocle, Eschyle et Euripide, au Ve siècle avant J.-C., 300 ans après Homère –, des épreuves sportives profanes furent introduites.

Ces jeux sportifs n’impliquaient très probablement pas les chercheurs spirituels eux-mêmes mais des athlètes venus pour participer aux célébrations. 

Les VIe et Ve siècle avant J.-C. marquent un tournant au cours duquel les célébrations dans les sanctuaires perdirent leur vraie raison d’être – la célébration des initiations – et furent progressivement remplacées par des fêtes profanes, essentiellement sportives.

On ne peut pas comprendre ce que signifient les grands jeux de la Grèce antique si l’on ne prend pas en compte ce qui se passait dans les écoles initiatiques. C’est en effet les mythes à l’origine des quatre grands jeux qui expliquent les rapports entre les jeux et ces Écoles de Mystères.

Car il y avait, d’une part, une religion extérieure et, d’autre part, des centres spirituels d’initiation, comme en ancienne Égypte. Là était dévoilé le chemin spirituel tel que transcrit de façon codée dans la mythologie grecque, et enseigné la signification profonde des mythes, des pratiques et des rituels. On y transmettait aussi des initiations donnant accès à certains pouvoirs, comme en Inde dans le Tantrisme.

L’initié est « celui qui connaît les mystères des dieux ».

Il y avait deux grands centres initiatiques principaux en Grèce. Le premier, sur l’île de Samothrace, était plus particulièrement destiné aux chercheurs qui voulaient s’engager sur le chemin spirituel. Le second, à Éleusis, était réservé aux chercheurs plus avancés.

On sait très peu de choses sur ces écoles de Mystères et sur les initiations qui y étaient données car il était interdit aux futurs initiés d’en parler sous peine d’être mis à mort, les anciens Grecs étaient très stricts sur ce point.

Eschyle, un dramaturge du Ve siècle avant J.-C., faillit perdre la vie car on l’accusait d’avoir révélé dans l’une de ses pièces des choses que seuls les initiés pouvaient connaître. Il dut jurer qu’il n’en était pas un afin d’avoir la vie sauve.

D’autre part, le sens profond des mythes se perdit assez rapidement sous l’influence des cycles qui gouvernent l’évolution, en particulier ceux de 2.160 ans (cycles du mental) et de 26.000 ans (précession des équinoxes).

SAMOTHRACE

 

L’île de Samothrace se situe au Nord de la mer Égée à environ 300 km à vol d’oiseau d’Athènes.

Y parvenir par mer n’était pas forcément chose aisée avec les bateaux de l’époque, les vents n’étant favorables qu’une partie de l’année, d’avril à octobre, et les tempêtes imprévisibles. Le trajet par voie de terre en passant par la Thrace n’était pas sans danger non plus, sans doute à cause des brigands de grands chemins.

Il fallait donc un certain courage – qualité essentielle requise de tous les aspirants au chemin spirituel – pour entreprendre le voyage depuis l’Attique et le Péloponnèse. Ce fut même certainement la raison de l’établissement de cette école de Mystères sur cette île si loin d’Athènes et d’un accès aussi difficile.

Le nom Samothrace – Samos (Σ+Μ) + Thrace (ΘΡ+Κ) – indique une ouverture (Κ) vers une juste évolution (Ρ) de l’être intérieur (Θ) par l’ouverture équilibrée entre raison et intuition (Μ) de l’intelligence (Σ).

Les traces les plus anciennes d’une activité spirituelle remontent au VIIe siècle avant J.-C. Les rituels étaient adressés aux « Grands Dieux » (Theoi Megaloi en grec). L’identité et la nature de ces « Grands Dieux » demeurent énigmatiques car il était interdit de prononcer leur nom dans le monde profane, sans doute pour habituer les postulants au secret.

C’est seulement après Hérodote (Ve siècle avant J.-C.) qu’ils furent assimilés à tort aux Cabires, divinités priées à Lemnos et Thèbes.

L’accès au sanctuaire était interdit aux non-initiés. Tous les postulants étaient admis, sans considération d’origine, de sexe, d’âge, de rang social – du moins à partir du moment où l’on possède des traces écrites, c’est-à-dire le Ve siècle avant J.-C.

Il y avait deux catégories de Mystères : les Petits et les Grands Mystères. Il y a tout lieu de penser que seuls les Petits Mystères – ceux qui correspondaient au début du chemin spirituel – aient été célébrés à Samothrace.

Les cérémonies initiatiques se déroulaient sur une période prolongée, impliquant des préparatifs, des rituels d’initiation au cours desquels les initiés étaient censés acquérir des connaissances sacrées, ainsi que des festivités.

La seule indication symbolique sérieuse qui nous soit parvenue est que « l’initiation aux Mystères de Samothrace fournissait une protection contre les tempêtes en mer ».

Les progressions sur le chemin spirituel étaient en effet généralement décrites en Grèce ancienne par des voyages par mer, les plus connus étant ceux de Jason et Ulysse. Il était donc nécessaire d’avertir les futurs disciples des dangers encourus sur le chemin et de leur donner des moyens pour se protéger.

Ainsi Apollonios de Rhodes nous dit que Jason et son équipage reçurent sur Électra – l’île de l’Atlantide – des enseignements « pour connaître par d’étonnantes initiations les rites secrets qui leur permettraient de naviguer avec sûreté sur la mer qui glace d’effroi ». Il précise qu’il ne lui est pas permis d’en dire davantage, mais il s’agissait très probablement d’une explication des épreuves symboliques de Jason sur les débuts du chemin.

Les Maîtres de Sagesse de Samothrace devaient auparavant juger de la préparation des disciples car les dangers, y compris mortels, sont réels sur le chemin. C’est la raison pour laquelle les Maîtres avaient établi une liste de prérequis représentés par les compagnons de Jason.

Les « protections » fournies aux candidats à l’initiation devaient être des exercices particuliers, des mantras, des prières et tout ce que l’on peut trouver à ce sujet dans la littérature spirituelle – tels par exemple Les Entretiens de Mère – ainsi que des avertissements concernant les pièges sur le chemin.

Le candidat à l’initiation était aussi informé qu’en fonction de sa sincérité, il recevrait des protections de l’Invisible, en particulier pour ce qui concerne son corps physique.

ÉLEUSIS

 

Éleusis était le centre initiatique le plus célèbre de la Grèce antique.

Le site est situé non loin d’Athènes, ce qui a généré à certaines périodes des luttes d’influence entre Éleusis et Athènes pour la gouvernance du site.

Éleusis était déjà un centre religieux durant la période mycénienne, entre 1500 et 1100 avant J.-C. Certains auteurs disent que le culte de la déesse Déméter y fut probablement établi vers la fin de cette période et il est certain que les Mystères d’Éleusis furent dédiés à Déméter et à sa fille Perséphone dès la période archaïque, au VIIIe siècle avant J.-C.

L’hymne homérique à Déméter, daté de la fin du VIIe siècle avant J.-C., est notre principale source pour comprendre la nature des initiations qui s’y déroulaient. Ce mythe fondateur des Mystères d’Éleusis concerne le but du chemin.

Cet hymne raconte tout d’abord l’enlèvement de la fille de Déméter, Perséphone, par Hadès, le dieu du monde souterrain et la révélation à Déméter du nom du coupable par le soleil, le dieu Hélios.

Éperdue de douleur d’avoir perdu sa fille, Déméter erra de par le monde et s’arrêta à Éleusis chez le couple royal qui lui demanda de s’occuper de Démophon, leur dernier enfant. Ce que fit la déesse en le frottant d’ambroisie. Mais chaque nuit, à l’insu des parents, elle le couchait dans un feu ardent. Une nuit, la mère de l’enfant surprit la déesse, prit peur, et la renvoya.

Malgré sa déception et sa colère, Déméter les informa qu’elle « enseignerait ses Mystères » en ce lieu. Puis elle fit passer une année terrible et funeste aux mortels, ayant rendu la terre stérile. Zeus délégua en vain plusieurs dieux auprès d’elle pour la ramener sur l’Olympe, mais elle refusait toujours de revenir, disant qu’elle ne le ferait qu’après avoir retrouvé sa fille. Hadès accepta finalement de rendre Perséphone à sa mère mais lui fit manger en secret un pépin de grenade, ce qui obligea à un accord : Perséphone passerait le tiers de l’année avec Hadès, et les deux autres tiers auprès de sa mère. 

Hadès est le dieu des royaumes souterrains, de l’inconscient corporel où doit se réaliser l’union Esprit/Matière. Déméter est la déesse de la nature domestiquée, celle qui veille sur le yoga en tant que voie de l’union, car c’est la mère de l’union (Δ + meter) obtenue par la maîtrise de la nature extérieure. Le nom de sa fille Perséphone signifie « celle qui détruit la mort », soit « la mort de la mort ». Elle représente dans le chercheur la force qui aide à faire le lien entre le conscient et l’inconscient corporel.

Ainsi le temps était-il venu pour le chercheur (et pour l’humanité) de s’attaquer à la mort, de travailler à l’immortalité, laquelle ne signifie pas l’immortalité du corps tel qu’on le connaît actuellement mais la fin de la division Esprit/Matière et la transformation de la matière pour la rendre divine.

C’est pourquoi une force spirituelle veut très rapidement purifier et illuminer les différentes parties de l’être (Déméter plongeant Démophon dans le feu), mais le chercheur n’est pas prêt pour une transformation aussi rapide et prend peur. Il faudra que s’établisse une progression par des initiations successives.

Pour réaliser cette transformation, il ne suffit pas que l’inconscient s’unisse à une partie consciente qui fasse le travail – qu’Hadès épouse Perséphone  –, il faut aussi qu’une force fasse la liaison entre le conscient et l’inconscient corporel car, à partir d’un certain moment, l’homme est appelé à participer à son évolution. Ceci put être fait grâce au pépin de grenade, symbole de l’essence de l’amour.

Ce mythe concerne donc une initiation destinée aux chercheurs les plus avancés, ceux qu’on appelle les aventuriers de la conscience qui s’attaquent au yoga du corps après avoir réalisé la libération de l’Esprit et sans doute les deux transformations que Sri Aurobindo appelle transformation psychique et transformation spirituelle.

Mais le centre d’Éleusis devait aussi délivrer des initiations intermédiaires. Les initiations proprement dites se faisaient par degrés, les Petits puis les Grands Mystères.

Il semblerait qu’initialement, seuls les Grands Mystères aient été célébrés à Éleusis, les Petits Mystères ayant lieu soit à Samothrace, soit plus tard près d’Athènes.

Le premier degré de l’initiation était celui de myesis (μύησις), le plus haut degré celui d’épopte (εποπτεία), conféré à celui qui accède à la contemplation.

On a quelques indications sur les rituels des célébrations qui duraient huit jours mais absolument aucune sur les enseignements qui devaient durer des mois si ce n’est des années, ni sur les initiations elles-mêmes. On ne sait pas non plus comment s’opérait la sélection des candidats à l’initiation.

Déclin : Au Ve siècle, les Mystères d’Éleusis devinrent panhelléniques et d’un accès plus facile. Vers 300 avant J.-C., l’état prit le contrôle des Mystères ; les seules conditions d’adhésion étaient de ne pas être un « barbare » (c’est-à-dire de ne pas savoir parler grec). Les hommes, les femmes et même les esclaves étaient admis.

On peut donc imaginer que dès le Ve siècle avant J.-C., c’est-à-dire au temps des trois grands tragiques Eschyle, Sophocle, Euripide et de l’historien Hérodote, les écoles de Mystère ne pouvaient plus dispenser d’initiations dignes de ce nom.

Beaucoup d’autres célébrations de Mystères furent instaurées plus tardivement en Grèce ancienne, telles les Grandes Dionysies au Ve siècle avant J.-C. sans doute centrées sur des expériences de transe allant jusqu’à l’extase, les Mystères d’Artémis à Éphèse au Ie siècle avant J.-C., et aussi ceux de Cybèle ou d’Hécate…

Les initiations données à Samothrace et à Éleusis correspondent à quatre grandes étapes sur le chemin spirituel. Il semble très vraisemblable que des liens soutenus aient existé entre les Maîtres des écoles d’initiations et les responsables des sites où étaient célébrés les chercheurs de Vérité et auxquels furent par la suite associés les Grands Jeux, bien que nous n’en ayons pas trouvé de traces.

LES JEUX

 

Il y avait quatre grands jeux formant le cycle des Jeux sacrés. Ils étaient célébrés tout à tour dans quatre lieux différents sur une période de 4 ans et consacraient chacun la fin d’une étape du parcours du chercheur. Certains auteurs disent que les deux premiers, les Jeux Isthmiques et Néméens, avaient lieu tous les deux ans, sans doute pour qu’au début du chemin la période d’attente entre deux initiations ne soit pas trop longue.

Les Jeux étaient des concours panhelléniques, c’est-à-dire qu’ils concernaient tous les Hellènes, nom donné dans la mythologie à ceux qui cherchent ce qu’on appelle aujourd’hui « l’éveil ».

Ils ont été instaurés dans une période comprise entre le VIIIe siècle et le VIe siècle avant J.-C., et même, pour les Jeux Olympiques, probablement bien avant le VIIIe siècle.

Il faut les distinguer des Panathénées – les jeux de « ceux qui consacrent tout à la quête intérieure » – qui concernaient seulement les Athéniens et ont pris leur forme définitive au milieu du VIe siècle avant J.-C., à l’époque de Pisistrate.

Dans les descriptions les plus anciennes des jeux chez Homère et les auteurs de cette époque, reprises par Apollodore, ce sont des héros de la mythologie qui s’affrontent, laissant entendre que telle ou telle qualité ou pratique de yoga, exprimée aussi par l’épreuve sportive particulière dans laquelle en général le héros excelle, conduit plus vite vers le but recherché.

Par exemple, si la course de chars représente la maîtrise de la puissance dans le yoga, alors elle peut être acquise plus rapidement avec le développement de « l’égalité » symbolisée par le vainqueur, Adraste. L’égalité, au sens de Sri Aurobindo, est atteinte lorsqu’aucun évènement extérieur ne peut altérer la paix profonde intérieure.

Ou encore si la course à pied symbolise le meilleur moyen de progresser rapidement dans le yoga, le chercheur s’identifiera à Diomède, « celui qui se préoccupe de l’union en conscience », qui fut le vainqueur de cette épreuve lorsque les Grecs organisèrent des jeux en l’honneur d’Achille.

Pindare est le premier à avoir célébré dans ses odes des athlètes grecs célèbres à l’époque, encore vivants ou morts depuis peu.

À travers les quatre grands Jeux, nous allons suivre un chercheur depuis ses premiers pas sur le chemin, alors qu’il ne peut encore se déclarer comme un chercheur, jusqu’à l’étape la plus avancée. 

JEUX ISTHMIQUES 

 

Les Jeux Isthmiques avaient lieu à Corinthe. On sait qu’ils furent restaurés en 582 avant J.-C. mais on ignore quand ils furent organisés pour la première fois.

Le stade a été construit au cours du Ve siècle avant J.-C., soit au moins cent ans après la réorganisation des jeux et en tout cas à une période où la signification des mythes était déjà presque perdue. 

Corinthe est la ville de Sisyphe qui représente « l’effort ». Comme il est uni à Mérope, la troisième Pléiade, il s’agit d’un effort intellectuel. Les sept plans de conscience dans le mental, décrits par Sri Aurobindo, sont illustrés par les Pléiades, filles d’Atlas, le dieu qui, à la fois, sépare l’esprit de la matière et permet leur réunion.

Le mythe de Sisyphe au royaume d’Hadès concerne le yoga du corps, donc la dernière étape du chemin. Nous ne le mentionnons ici que pour information.

Après sa mort, son châtiment dans l’Hadès est de rouler une énorme pierre au sommet d’une colline mais dès qu’il approche du sommet, le poids de la pierre l’entraîne vers le bas et tout est à recommencer.

Ce mythe montre que l’effort soutenu par la volonté, nécessaire dans les étapes précédentes du yoga, n’est plus opératif dans le yoga du corps, car une totale soumission est alors nécessaire.

L’intellect a pour rôle essentiel de classer et ordonner afin de détruire les illusions. Cette lutte contre les illusions est illustrée par le combat de Bellérophon, le petit-fils de Sisyphe, contre la Chimère. La représentation de ce monstre illustre une aspiration reposant sur l’ego : il s’agit donc pour le chercheur de se débarrasser en particulier des illusions spirituelles, c’est-à-dire des aspirations fondées sur l’ego et des constructions égotique de ses conceptions du Divin. Car, jusqu’à un certain point du chemin, le chercheur se construit une image d’un « divin » qui doit répondre à ses propres conceptions et satisfaire ses demandes et préférences, souvent subconscientes, puisque Bellérophon a pour père divin Poséidon.

Rappelons que les trois dieux Zeus, Poséidon et Hadès, se sont partagés le monde : Zeus règne sur le ciel nuageux (le supraconscient), Poséidon sur la mer (le subconscient) et Hadès sur le monde souterrain (l’inconscient matériel et corporel).

Sisyphe instaura « les Jeux Isthmiques », c’est-à-dire l’entrée sur la voie étroite, en l’honneur de Mélicerte. L’histoire de ce dernier est racontée par le Pseudo-Apollodore, un mythographe du Ier ou II e siècle après J.-C. Elle est liée aux débuts du chemin illustrés par les trois mariages d’Athamas.

De son premier mariage avec Néphélé, « nuage, nuée », Athamas eut un fils nommé Phrixos, « frémissement ». Cette étape correspond à une première expérience au cours de laquelle le chercheur vit pendant quelques instants un état totalement inhabituel où tout est parfait, à sa place, joyeux, dans une paix immuable dans le repos comme dans l’action. Un état où, comme le dit Satprem, « Ça existe ».

Maltraité par la seconde femme d’Athamas, Phrixos s’enfuit sur le dos d’un bélier à la toison d’or pourvu d’ailes qui l’emporta jusqu’au bout de la Mer Noire. Phrixos sacrifia le bélier à Zeus et sa toison fut accrochée à un arbre par le roi de ce lieu. C’est là que Jason devra aller la chercher avec ses Argonautes.

Ceci marque le début d’un développement de la sensibilité (la Toison d’or) car la conscience est tout d’abord sensibilité.

La seconde femme d’Athamas, Ino, marque une entrée dans l’incarnation et un début d’intérêt pour la quête spirituelle. Elle mit deux enfants au monde. Son premier fils, Léarchos, « l’ordre établi », exprime la nécessité de quitter le chemin commun à tous pour s’engager sur la voie étroite. Son second fils, Mélicerte, « qui s’ouvre à l’Esprit en douceur », alors un très jeune enfant, représente un chemin spirituel fait en douceur, en suivant la « Voie Ensoleillée » dont parlait Mère.

Athamas devenu fou, tua son fils aîné, Léarchos, puis poursuivit Ino qui, après avoir immergé son fils Mélicerte dans une bassine d’eau bouillante, symbole de purification émotionnelle, se jeta dans la mer avec lui. C’est de là que Mélicerte, renommé Palaimon, le « lutteur » ou le « guerrier spirituel », aidera les marins en perdition. Le chemin du surrender ou « Voie Ensoleillée » – c’est-à-dire confier la responsabilité de sa vie au Divin –, agissant depuis le subconscient, Palaimon le « guerrier spirituel » devient un secours pour surmonter les difficultés du chemin.

Si finalement, Ino et ses deux enfants meurent, c’est qu’à un moment donné, le processus d’individuation et d’ancrage dans la vie est suffisamment avancé pour que la quête puisse commencer. Mais on ne peut tirer un trait sur toute une phase d’évolution sans exprimer sa gratitude envers les forces qui ont permis que cela se passe dans les meilleures conditions possibles. C’est pourquoi Sisyphe instaura les Jeux Isthmiques – Jeux « du passage » – afin d’honorer symboliquement sous le nom de Palaimon, « le lutteur », le chercheur qui persévéra à travers les épreuves durant cette période préparatoire éprouvante.

Les Jeux Isthmiques marquent donc la première victoire de la quête, lorsque le chercheur s’engage sur un « chemin étroit », (isthme), puis laisse derrière lui les ascèses excessives et les idées préconçues sur la manière de diriger son chemin.

Il vaut de noter que les initiations se déroulaient à l’intérieur du sanctuaire, dans le Poséidonion, montrant ainsi la grande importance de l’action du subconscient à cette étape du chemin.

Que veut dire : « l’entrée sur le chemin étroit » ?

  • Il y a eu au préalable, souvent dans l’enfance, une expérience inhabituelle de « Ça existe » (Phrixos, fils de Néphélé).
  • Ce ne sont plus les buts du monde : réussite matérielle, pouvoir, richesses, etc. qui attirent le chercheur mais une forte aspiration, un puissant besoin d’« autre chose », qui peut se traduire par un rejet des structures sociales, une perte de confiance ou de sens – souvent par des excès – car le futur chercheur ne sait pas encore ce qu’il veut.
  • Le futur chercheur a une personnalité bien construite, bien incarnée (les Argonautes).
  • Il s’est débarrassé de beaucoup d’illusions, tel le besoin d’aider les autres qui est le plus souvent un mouvement de l’ego.

Le chercheur est maintenant prêt à faire un saut dans l’inconnu : il décide de partir pour Samothrace et d’effectuer ce voyage dangereux qui, après bien d’autres expériences, met à l’épreuve son courage.

Les Sages de Samothrace peuvent alors juger de ses expériences. Si le candidat est prêt pour l’initiation, ils l’envoient à Corinthe pour qu’il soit admis parmi les chercheurs de Vérité, non sans lui avoir fait quelques recommandations pour la suite du chemin telles que : « Suis ton propre chemin, ne contrains pas ta nature outre mesure, pas de tiédeur, etc. ».

A Corinthe, les vainqueurs se voyaient attribuer une couronne tressée dans un rameau de pin, signe d’ouverture à la connaissance. 

LES JEUX NÉMÉENS

 

La fin de la seconde étape est célébrée par les Jeux Néméens, attestés depuis 573 av J.-C. Le stade dédié à ces jeux ne fut construit qu’au IVe siècle, soit deux cents ans plus tard.

On ne sait pas de quelle nature étaient les premiers jeux, car aucun théâtre n’a été trouvé sur le site.

Ils se déroulaient à Némée : Ν+Μ, l’évolution de la réceptivité et du don de soi dans une nature équilibrée. Némée est une ville d’Argolide, province symbolique de la purification (Argos signifie lumineux, pur).

Voyons quelle est l’histoire selon le Pseudo-Apollodore.

Il s’agit de la première guerre de Thèbes qui oppose les armées des deux fils d’Œdipe. Polynice « celui qui mène de nombreux combats (de yoga) » veut reprendre le trône de Thèbes à son frère Étéocle « de vrais verrous » qui l’a usurpé. Une expédition est organisée, celle des sept chefs contre Thèbes.

Thèbes a également sept portes qui correspondent aux sept chakras. A chaque porte correspond un défenseur (un nœud de l’ego) et un attaquant (une qualité ou une pratique).

Thèbes signifie « concrétisation de la vie intérieure », par un travail de purification/libération puisque l’on est en Argolide.

Cette guerre a lieu très longtemps avant la guerre de Troie.

Les armées des sept chefs en route vers Thèbes passaient par Némée. Les héros demandèrent à la nourrice du fils du couple royal de Némée, Opheltès, de leur indiquer une source et pour les guider, elle posa l’enfant à terre. Or, un oracle avait ordonné de ne pas le poser au sol avant qu’il puisse marcher ; un dragon-serpent vint alors vers lui et l’étouffa.

Un devin leur révéla la signification du présage : la guerre serait un échec. Les héros fondèrent alors des jeux en l’honneur de l’enfant.

Que nous dit ce mythe ?

Le roi de Thèbes s’appelle Lycurgue, « celui qui désire la lumière, la connaissance ». L’histoire a lieu lors de la transition de la quête mentale, intellectuelle et intuitive, vers une aspiration à un yoga de purification qui demande dans un premier temps de mettre chaque chose à sa place. En effet, Lycurgue avait migré de Thessalie, province de la quête mentale, vers l’Argolide, province de ceux qui veulent la pureté.

Son très jeune fils Opheltès, « celui qui veut aider, secourir », est le petit-neveu de Jason, donc né deux générations après lui. Cela signifie qu’ayant poursuivi sa quête suite à l’initiation de Corinthe, le chercheur, après bien des errances, a rencontré son maître ou sa voie, puis a vécu une première grande expérience spirituelle illustrée par la quête de Jason. Il a développé sa sensibilité (la Toison d’or du Bélier), c’est-à-dire sa conscience.

À la suite de cette grande expérience, le chercheur ressent le besoin d’être « utile au monde », de transmettre sa connaissance, croyant en savoir assez alors qu’il n’a fait que les premiers pas sur le chemin. Mais il a été averti intérieurement qu’il ne devait pas chercher à incarner son expérience – être posé à terre – avant d’avoir plus de lumière dans son mental, avant d’être plus indépendant sur le chemin – savoir marcher. Car la nourrice Hypsipylé, « la porte haute », indique un but et donc une nécessaire progression du chercheur dans les hauteurs du mental.

Bien qu’il ait eu une grande expérience spirituelle, le chercheur ne connaît pas encore son svadharma, la « tâche » que son âme s’est fixée pour cette incarnation, même s’il la devine vaguement. En fait, il lui manque un mental plus éclairé.

Il veut aider alors qu’il n’est pas prêt. Il tombe dans le piège de l’ego spirituel illustré par le mythe du Minotaure que devra affronter Thésée.

Peut-être cet échec est-il la raison pour laquelle les magistrats responsables de l’organisation des jeux de Némée revêtaient des vêtements de deuil.

Une tradition tardive dit qu’Héraclès donna à ces jeux une célébrité encore plus grande avec sa victoire sur le lion de Némée. L’épreuve du lion de Némée est le symbole de la mort de l’ego. C’est le premier des douze travaux d’Héraclès (ou Hercule), qui marque un très grand accomplissement mais ne peut bien évidemment être accompli en une fois.

En résumé, les premiers pas du chercheur le conduisent vers une grave chute spirituelle.

Il a déjà eu une première expérience spirituelle importante, qui dure environ un mois mais, autour de cette expérience, il a construit une structure mentale qui fait illusion. C’est le « palais-labyrinthe » du Minotaure.

Il a encore un ego bien trop important et se croit suffisamment avancé pour enseigner le chemin aux autres. Mais surtout, il n’est pas conscient qu’en voulant aider l’humanité, il travaille pour son ego. C’est Thésée qui, après plusieurs purifications indispensables, mettra fin à cette erreur.

Toutefois, l’échec de cette tentative est célébré car il s’agit d’une victoire sur l’ego, incitant à plus d’humilité.

Le plus probablement, après l’épreuve « du Minotaure », le chercheur se rendait à Éleusis. S’il était jugé digne, et après une période d’enseignements et de pratiques, il était envoyé à Némée pour y recevoir l’initiation « officielle ».

Les vainqueurs étaient couronnés d’ache, une sorte de céleri sauvage.

Sa signification symbolique est difficile à déterminer. Le céleri étant dépuratif, il est peut-être le signe d’une première tentative de purification. 

LES JEUX PYTHIQUES

 

Après les jeux Néméens, le chercheur de Vérité poursuit son chemin. S’ensuit une très longue période de purification des chakras correspondant symboliquement aux dix années qui s’écoulent entre les deux guerres de Thèbes. Ces dix années peuvent tout aussi bien représenter dix ans que dix vies, voire quelques centaines. Très probablement, une grande insistance a été mise sur la purification des chakras supérieurs par les Maîtres qui guident le chercheur. Tout d’abord le Sahasrara Chakra ou Chakra de la couronne, ou encore « Lotus aux mille pétales » qui contrôle le mental pensant et communique avec les royaumes au-dessus de celui-ci. Puis Ajna Chakra aussi connu comme « le troisième œil », centre de la volonté et du dynamisme de notre activité mentale, représentant la connaissance et la conscience éveillée.

Les Jeux Pythiques étaient presque aussi célèbres que les Jeux Olympiques.

Ils se déroulaient à Delphes dans la province de Phocide (Φ+Κ) qui marque « une ouverture de la conscience (Κ) pour la descente de la lumière dans l’être(Φ) ».

Le sanctuaire était situé sur les flancs du Mont Parnasse.

La période historique des Jeux Pythiques commence en 582 avant J.-C. quand sa célébration passa de huit à quatre années. Toutefois il semblerait qu’ils aient existé bien avant cette date comme en témoigne l’« Hymne à Apollon Délien » [1] qui remonterait à la fin du VIIIe siècle. Certains auteurs disent qu’à l’origine, les Jeux Pythiques étaient seulement musicaux.

La construction du stade remonte au IVe siècle avant J.-C., soit au minimum 200 ans plus tard.

Les jeux sont célébrés en l’honneur d’Apollon et en commémoration de l’anéantissement du serpent monstrueux Python.

Voyons l’histoire :

Héra, la femme de Zeus, demanda à ses parents, Gaia et Ouranos, qu’ils lui donnent un fils au moins égal à Zeus, mais sans avoir à s’unir à lui.

Elle enfanta le cruel et horrible Typhon et donna le monstre à un Dragon femelle qui apporta de grands maux et même la mort aux hommes.

Apollon tua ce Dragon femelle et l’infatigable Hélios, le soleil, le fit pourrir, raison pour laquelle ce lieu fut nommé Pythô, et Apollon fut nommé Pythien.

Alors Apollon songea dans son esprit quels hommes il initierait à ses mystères, afin qu’ils fussent ses ministres dans la rocheuse Pythô.

Que raconte ce mythe ?

Héra, la puissance de limitation qui s’oppose au principe d’expansion de la conscience ou de la connaissance – celle qui fait en sorte que rien n’évolue avant que tout ne soit prêt, permettant ainsi que rien ne soit laissé en arrière –, enfanta Typhon « l’ignorance » qui est bien sûr l’obstacle essentiel qui s’oppose à l’acquisition de la connaissance.

Cette ignorance était protégée par une force immobilisante, le Dragon femelle.

Dans le récit le plus ancien, le serpent-dragon n’est pas nommé et il est femelle. Il sera identifié comme mâle à partir d’Euripide (Ve siècle avant J.-C.) et nommé Python selon Diodore de Sicile (IVe siècle avant J.-C.)

Le serpent mâle ou dragon est le symbole de la force évolutive. Son opposé féminin, le dragon femelle, est une puissance qui immobilise. Ce qui veut dire que Python est comme la Sphinge de Thèbes, un gardien du seuil.

La disparition de ce gardien du seuil se passe peu après la naissance d’Apollon. Ce dieu veille sur le développement de ce que Sri Aurobindo appelle « le mental de Lumière », probablement associé à une certaine transformation psychique. C’est pour cela qu’Apollon est le dieu de la Lumière, de la Vérité et des Arts.

Ce mental de Lumière peut se développer dès le « mental illuminé », cinquième plan de la conscience mentale selon la classification de Sri Aurobindo.

Ce mythe marque très clairement le franchissement d’un nouveau seuil – celui du mental supérieur vers le mental illuminé – qui permet l’irruption de connaissances par le biais de l’inspiration, de la révélation et du discernement intuitif. Ce n’est plus un mental de pensée mais un mental de Lumière qui, une fois le seuil franchi, s’installe progressivement. C’est un véritable saut qui explique pourquoi les Jeux de Delphes et d’Olympie avaient même renommée. Il faut en effet que le chercheur soit arrivé, si ce n’est au silence mental complet, à une certaine capacité de silence.

Le nom Python peut être rapproché du verbe pourrir, mais il indique surtout ce qui fait obstacle à la croissance intérieure. Comme la lettre Π (Pi) a un double sens, on peut aussi considérer que le nom d’Apollon Pythien indique « la force qui fait le lien avec l’être intérieur ».

Python est aussi appelé le dragon « Delphyné » (Δρακαινα Δελφυνη), que l’on peut comprendre de deux manières. Soit au sens de l’évolution du dauphin : δελφίς+N, soit au sens d’une matrice (δελφύς) dans laquelle grandit la Lumière. En tuant Python, Apollon permet la manifestation de l’inspiration et de la révélation qui étaient auparavant du domaine de Thémis, « la loi divine » mais aussi du dauphin, symbole d’ouverture et de réceptivité dans le monde vital. Ils deviennent les outils de l’homme en route vers la libération de l’Esprit.

Souvent, lors de la première grande expérience (durant la quête de Jason), le chercheur est informé d’une tâche à accomplir, sans toutefois savoir de quoi il s’agit. Par exemple, il fut dit à Sri Aurobindo durant son séjour en prison qu’il aurait quatre grandes tâches à réaliser dans les domaines politique, artistique, littéraire et spirituel.

Après le passage des Jeux Néméens, le chercheur a découvert progressivement la nature de cette tâche. Avec cette nouvelle transition, il ne poursuit plus par le seul mental la tâche qui lui a été révélée peu à peu depuis les Jeux Néméens. Il a accès à une connaissance de plus en plus large par l’intuition, des éclairs plus fréquents de révélation et d’inspiration.

Mais il n’est pas encore parvenu à la « libération de l’Esprit » telle qu’elle est décrite par Sri Aurobindo car celle-ci suppose la mort de Typhon qui sera le fait de Zeus après un terrible combat. La mort de Typhon – la fin de l’ignorance – est décrite dans Savitri, Livre 1, Chant 3, Le Yoga du Roi.

Les vainqueurs de ces Jeux étaient coiffés d’une couronne de laurier, probablement symbole d’immortalité et de Connaissance. L’immortalité ne doit pas être comprise comme celle du corps, mais comme une expérience qui donne au chercheur la certitude que son essence, son être profond, est immortel.

LES JEUX OLYMPIQUES

 

Nous en venons finalement aux Jeux Olympiques.

Le chercheur a encore cheminé longtemps après les Jeux Pythiques, dans une consécration croissante (surrender), effectuant sa tâche et, selon les deux premières injonctions de la Bhagavad Gita, s’étant déjà détaché de l’œuvre et des fruits de l’œuvre, puis ayant accepté de ne plus être l’auteur de ses actes, tout en œuvrant à l’annihilation de l’ego. Il a ainsi réalisé la première des deux libérations, celle de l’Esprit.

Ces Jeux étaient célébrés tous les quatre ans au sanctuaire d’Olympie en Élide.

Assez curieusement, il ne s’agit pas du sommet d’une montagne comme on pourrait s’y attendre, mais d’une plaine. Puisqu’il était, entre autres, question de la mort de l’ego, le choix de ce site était sans doute un rappel à une totale humilité.

Le sophiste Hippias fut chargé par la cité d’Élis d’écrire l’histoire des premiers Jeux Olympiques en 400 av. J.-C. Il a fixé arbitrairement la date des premiers jeux en 776 av. J.-C., ce qui correspond à 75 olympiades (périodes de quatre ans) en remontant dans le temps à partir de 476 av. J.-C., date des premiers jeux qui suivirent la victoire grecque de Salamine contre les Perses. Les détails fournis par Hippias pour le premier et le deuxième siècle des jeux sont probablement inventés : aucune trace écrite n’était en effet conservée à l’époque.

Le site d’Olympie semble avoir été un sanctuaire dès le milieu du IIe millénaire av. J.-C. et le culte de Zeus s’y est développé dès 1000 ans av. J.-C. L’archéologie a retrouvé à Olympie des vestiges datés de 900 à 700 ans av. J.-C. et a montré qu’un culte héroïque était rendu sur la tombe de Pélops. Vers 700 av. J.-C., le festival en l’honneur de Zeus Olympien gagne en renommée, conduisant à la création d’un stade qui, on le sait, fut (ré)aménagé vers 540 av. J.-C.

Les deux versions les plus anciennes et les plus fiables concernant la fondation des jeux sont toutes deux dues au poète lyrique Pindare, au Ve siècle av. J.-C.

Dans la Première Olympique de Pindare, la fondation des jeux est attribuée à Pélops. Voyons l’histoire :

Tantale était un familier des dieux et dînait à leur table. Il fut puni dans l’Hadès pour avoir servi à ses hôtes mortels, le nectar et l’ambroisie qui l’avaient rendu lui-même immortel.

Son fils Pélops naquît avec une épaule d’ivoire. Mais les dieux le rejetèrent dans la courte vie des hommes, tel un mortel.

Oinomaos ou Œnomaus ne voulait donner sa fille Hippodamie qu’à celui qui pourrait le vaincre à la course de chars. S’il arrivait à rattraper les prétendants, il les tuait. Pélops conquit Hippodamie avec l’aide de Poséidon qui lui offrit son char d’or et ses coursiers aux ailes infatigables. Il gagna la course, tua Oinomaos et s’unit à Hippodamie qui lui donna six fils qui devinrent tous rois. L’un d’eux, Atrée, était le père d’Agamemnon et de Ménélas, les héros de la guerre de Troie. Il instaura alors des courses à Olympie.

L’histoire se passe en Élide, province qui symbolise l’accès à la liberté (Λ, lambda). Nous sommes ici dans la lignée de « l’aspiration » représentée par Tantale.

Tantale représente un chercheur qui est parvenu au surmental, le plus haut niveau du mental, puisqu’il prend ses repas à la table des dieux, il a ainsi contacté sa part d’immortalité. Il a réalisé la libération de l’Esprit.

Plus tard, sa punition dans l’Hadès aura trait au yoga dans le corps, pour atteindre des réalisations que l’on voit proches mais qui s’éloignent toujours : Il se trouvait à côté d’un arbre dont les fruits se dérobaient chaque fois qu’il tentait de les cueillir.

Le nom de son fils Pélops signifie « la vision de l’ombre ». Les épaules ou les clavicules représentent, dans la tradition ésotérique, « la porte des dieux », celle qui donne accès au monde des dieux, donc au surmental. Pélops n’a qu’une seule épaule en ivoire, c’est-à-dire que la purification/libération n’est faite qu’à moitié, à travers la seule libération de l’Esprit. Il reste à effectuer ce que Sri Aurobindo appelle la « Libération de la Nature ».

Le chercheur doit donc poursuivre son yoga dans le monde de la dualité pour parfaire sa purification.

Pour cela, il doit s’unir à Hippodamie « ce qui dompte la force » – plus particulièrement la force vitale. C’est une fille d’Oinomaos, symbole de l’ivresse que procure le don de soi au Divin.

La fondation des jeux par Pélops correspond donc à ce qui conduira plus tard à un grand retournement du yoga, illustré par la guerre de Troie, dont Agamemnon et Ménélas, descendants de Pélops, sont les héros. Par leurs unions respectives avec Clytemnestre et Hélène, ils indiquent un yoga qui s’applique à stabiliser le mental intuitif, tandis que la lignée royale troyenne stabilisait le mental illuminé.

La première histoire de Pindare nous dit que le vainqueur à Olympie est donc celui qui a réalisé la « Libération de l’Esprit », c’est-à-dire rendu l’esprit libre des contraintes imposées par la nature inférieure mentale, vitale et corporelle. Pour cela, il a fait taire son mental, pacifié son vital et arrêté tout mouvement du corps.

Mais l’aventurier de la conscience s’est aussi aperçu que cette libération est insuffisante. Il ne veut pas d’une libération pour lui seul mais pour l’humanité entière. Le premier travail sera donc la transformation et l’universalisation du vital représentée par Hippodamie.

Cette libération de l’Esprit est appelée « la seconde naissance » dans la spiritualité. C’est un changement radical et définitif dans l’être qui précède le retournement du yoga. Ce n’est pas une expérience qui s’estompe avec le temps. À partir de ce moment, peut commencer « la libération de la Nature ». C’est pourquoi les dieux ont rejeté Pélops parmi les mortels. Ce qui avait été seulement maîtrisé par une volonté imposée d’en haut doit être complètement illuminé et transformé, successivement dans le mental, le vital et le corps.

Sri Aurobindo a dit que son yoga, le yoga intégral, ne pouvait commencer qu’après cette réalisation. La caractéristique essentielle de cette réalisation est la prise de conscience par le chercheur qu’il n’a plus besoin de son ego. (Cf. Entretiens de Mère, 4 Juin et 26 Novembre 1958).

Le début du travail de disparition de l’ego avec le Lion de Némée tué par Héraclès connaît ici son aboutissement.

L’autre version est celle figurant dans la Xe Olympique de Pindare. Elle développe le second aspect de cette réalisation, la mort de l’ego. Voyons l’histoire :

Dans le cinquième travail, Héraclès devait nettoyer les écuries d’Augias remplies de fumier. Ce travail semblait impossible à réaliser dans les délais impartis. Pour y parvenir, Héraclès détourna le fleuve Alphée vers les écuries, ce qui les nettoya en peu de temps. Mais Augias refusa de payer le prix convenu. Héraclès revint pour se venger après la fin des travaux. Il dut d’abord affronter les Molions, deux puissants géants avec chacun deux têtes, quatre bras et autant de jambes, mais un seul corps. Il les tua puis tua Augias et fonda une fête quinquennale avec la première Olympiade et les Jeux.

Là encore, l’histoire prend racine en Élide, la province de la libération de l’Esprit.

Elle se passe après les travaux, c’est-à-dire après de nombreuses réalisations dont la victoire sur l’ego – le Lion de Némée – et sur les désirs – l’Hydre de Lerne.

Le chercheur a atteint la libération personnelle, la libération de l’Esprit. Il est un « saint » et un « sage », mais il est parvenu à ces réalisations par un yoga qui sépare l’Esprit de la Matière.

Le fumier qui s’était accumulé dans les écuries d’Augias, – nom qui signifie « éclats de lumière » – représente les scories dues à l’ego des « expériences passées lumineuses ».

Ces dernières peuvent être de toutes sortes : illuminations, visions, nirvanas, etc. Le fumier symbolise tout ce qui en découle : toutes sortes de vanités, telles par exemple se croire plus avancé que les autres, l’importance exagérée attachée aux expériences, etc. Une première purification a eu lieu durant la quête. C’est pourquoi ce travail figure en cinquième place dans les travaux.

Mais ici, il ne s’agit plus des scories dues aux expériences, mais de l’attachement à ces expériences de lumière elles-mêmes. C’est en effet le combat contre les Molions qui tient la place principale. Le nom des deux Molions, Ctéatos et Eurytos, indique des expériences d’élargissement de la conscience à la fois dans les hauteurs de l’Esprit et dans l’universalisation de la conscience.

L’aventurier de la conscience qui a non seulement « nettoyé les écuries » mais qui a aussi tué symboliquement les Molions et Augias, est libéré de tout attachement aux expériences passées d’illuminations elles-mêmes. Dans l’Agenda, Mère, plongée dans le yoga du corps, dit que les « expériences d’en haut » lui apparaissent désormais comme des amusements pour enfants.

Les deux versions ont donc trait, pour l’une, à la libération de l’Esprit et à la préparation de la transformation vitale dans le but de réaliser l’universalisation du vital donnant accès à la force de Vie, pour l’autre, à une purification radicale de tout attachement aux expériences d’en haut et à la mort de l’ego.

L’aventurier est prêt pour le grand renversement et la descente dans le corps. Il peut commencer le yoga intégral de Sri Aurobindo.

Les vainqueurs de ces Jeux étaient coiffés d’une couronne d’olivier.

Pindare affirme qu’Héraclès ramena le feuillage de l’olivier de chez les Hyperboréens. Ces derniers symbolisent un yoga qui est au-delà de toute ascèse et pratique, uniquement conduit par le Divin dans une soumission intégrale de l’être extérieur mental et vital. La Thrace, où souffle Borée, le vent du Nord, est le symbole d’un yoga très consacré. L’olivier est donc le symbole d’une consécration (surrender) totale dans la pensée, les sentiments et l’action, la réalisation à la fois du sage, du saint et de l’homme d’action parfaitement détaché de tout, libre de tout attachement à l’action et à ses fruits, libre de l’attachement à l’œuvre elle-même, devenu un parfait instrument du Divin.

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Sites géographiques des jeux :

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Map_greek_sanctuaries-fr.svg

 

[1] NDLR : l’étude se réfère uniquement à la première partie de l’hymne dénommé « Hymne à Apollon Délien », et non à la seconde partie qui concerne l’Apollon Pythique, laquelle fait l’objet de disputes érudites sans fin quant à l’identification de son auteur et de son époque.