INTRODUCTION AUX SIX DERNIERS TRAVAUX D’HÉRACLÈS

Print Friendly, PDF & Email

Les six derniers travaux d’Héraclès concernent les étapes avancées du chemin spirituel. Réalisés hors du Péloponnèse, ils symbolisent la fin du processus de purification et libération.

Cette page du site ne peut être vraiment comprise qu’en suivant la progression qui figure sous l’onglet Mythes grecs interprétation et suit le cheminement spirituel.
La méthode pour naviguer dans le site est donnée sous l’onglet Accueil.

Héraclès sur l'Olympe

Héraclès sur l’Olympe – Musée du Louvre

Une voix a crié : « Va où nul n’est allé !
Creuse plus profond et encore plus profond
Jusqu’à ce que tu arrives à l’inexorable pierre de fond
Et frappe à la porte sans clef. »

Sri Aurobindo

Les six premiers travaux d’Héraclès ont décrit les conditions nécessaires de la première libération que Sri Aurobindo appelle « libération spirituelle », c’est-à-dire une cessation de l’assujettissement de l’esprit (compris comme incluant les plans situés au-dessus du mental logique) aux mouvements mélangés et ignorants de la nature inférieure.
Définie principalement par les deux premiers travaux – le Lion de Némée et l’Hydre de Lerne – cette libération spirituelle consiste en une libération de l’ego (qui est volonté d’affirmation de soi) et en celle du désir dont la racine est la convoitise vitale provenant d’une déformation de l’énergie de vie due à l’ignorance et à l’arrêt de l’évolution dans l’union.

Les quatre travaux suivants de ce premier groupe précisaient certaines modalités ou nécessités de cette libération de l’esprit :
– avec la Biche de Cérynie, une aspiration et une purification de l’intuition de ce qui la parasite, en vue de l’intégrité et de la consécration.
– avec le sanglier d’Érymanthe, le nécessaire rejet des impulsions et mouvements les plus grossiers de notre nature.
– avec le nettoyage des Écuries d’Augias, le renoncement aux « bénéfices » des premières expériences sur le chemin.
– enfin, avec les Oiseaux du lac Stymphale, la capacité de discerner la confusion des plans (mental et vital) et l’obtention d’une relative maîtrise de nos mouvements mentaux.
Ces six premiers travaux prennent place dans le Péloponnèse, de part et d’autre d’Argos pour les deux premiers, en Arcadie ou à ses frontières pour les quatre suivants.

Les six travaux suivants nous emmènent hors du Péloponnèse, et concernent donc davantage les chercheurs plus avancés qui ont au moins reçu une première réponse de l’Invisible à leur aspiration, sous la forme d’une ouverture temporaire du mental ou du psychique (illumination ou ouverture psychique), ou des deux à la fois.

Ce premier contact permet d’entrer dans ce que l’on a coutume d’appeler dans la mystique occidentale « la phase unitive » qui suit celles de la « purification » et de « l’illumination ». À l’entrée dans cette vie unitive, le chercheur doit approfondir la purification de son être. Il est alors davantage dirigé par son « guide intérieur » ou « être psychique » que par la volonté de son être extérieur, du moins en ce qui concerne les grandes orientations de sa vie.
Si l’entrée sur le chemin l’avait confronté à une première purification dénommée dans cette mystique « nuit des sens », il peut être alors confronté à une seconde nuit, celle « de l’esprit ». La durée de ces nuits, leurs modalités et leur intensité sont évidemment propres à chacun et sans doute proportionnelles à l’intensité des expériences. Cette seconde nuit conduit à contacter au fond de l’être un point de silence et de paix qui correspond à une capitulation du moi extérieur et à la fin de la souffrance psychologique. Et c’est autour de ce point que le chercheur va progressivement réunifier toutes les parties de son être afin de faire croître son feu intérieur.
Toutefois, Sri Aurobindo ne s’est pas appesanti sur ces différentes nuits ni n’a incité à les particulariser, préférant indiquer que tous les chercheurs rencontraient des périodes d’obscurité et d’aridité au cours du yoga. Comme le principe même en est une ascension suivie d’une intégration, il est évident que toute progression vers la lumière implique la descente dans l’ombre correspondante. La première nuit qui correspond à un désintérêt des affaires du monde et des jouissances ordinaires, tout comme la seconde qui plonge dans ce qui semble un abandon radical du soutien du Divin (qui peut aller jusqu’à la perte des facultés intellectuelles), ne sont que des formulations particulières de ces périodes d’intégration.

Certains maîtres anciens marquaient également cette étape par la fin du nettoyage des erreurs les plus communes de l’ascèse qui fait l’objet des travaux préliminaires de Thésée. En effet, pour eux, le Taureau de Crète qu’Héraclès dut ramener dans le septième travail était celui-là même que Thésée dut maîtriser à Marathon alors qu’il venait d’arriver à Athènes après avoir « rectifié » sur sa route nombre d’erreurs, avant même qu’il ne s’attaque au Minotaure.
Rappelons qu’après sa victoire contre ce monstre, Thésée instaura le synœcisme, unifiant l’Attique par la réunion des douze communautés afin qu’il n’y eut plus qu’un seul peuple et mettant en place les institutions centrales d’un même état.
(Rappelons que le synœcisme désigne une « communauté de maisons » et constitue l’acte fondateur d’une cité.)
À ce stade, aucune construction de labyrinthe ne devrait plus être possible, c’est-à-dire que le chercheur ne devrait plus avoir la liberté d’élaborer une forteresse mentale autour d’une expérience spirituelle soutenue par la puissance du mental lumineux mais qui a été détournée par l’ego, et donc déviée de sa consécration à la Vérité. De plus, le processus de purification a été mis en mouvement et toutes les énergies sont rassemblées sous la houlette d’une volonté supérieure. Le chercheur peut alors les orienter vers sa seule véritable « tâche » dont il perçoit déjà les contours essentiels.

Toutefois, durant cette première phase, le chercheur est loin d’en avoir terminé avec « sa volonté personnelle », car le processus de consécration ou d’abandon total entre les mains de l’Absolu prendra encore longtemps. Il doit donc rester très attentif à poursuivre sa purification et sa consécration, par une sincérité croissante, afin de ne pas tomber dans les erreurs classiques de cette phase. Les déviances qui surviennent le plus souvent à la suite des premières expériences proviennent souvent du fait que le chercheur se raccroche au « moi » tout en se croyant soumis au Divin.

Les deux premiers travaux de cette seconde série, le Taureau de Crète et les Juments de Diomède, concernent la capacité à contenir sans artifices (à mains nues) la puissance réalisatrice du mental lumineux et à dépasser l’attrait pour les ascèses excessives qui contraignent la force vitale.
Par ces deux travaux qui se situent sur deux pôles opposés (la Crète au Sud et la Thrace au Nord), il s’agit de réaliser une juste maîtrise de ses potentialités et un juste équilibre dans les travaux de yoga.
Jason dut déjà prouver sa capacité en ce domaine en maîtrisant les puissances réalisatrices du mental lumineux œuvrant dans le monde de la dualité (il dut labourer le champ d’Arès après avoir mis sous le joug deux fougueux taureaux).

La seconde phase de la progression vers l’union avec le Divin (ou « vie unitive ») est essentiellement marquée par la croissance de la flamme intérieure. Cette chaleur progressive du courant vers l’union mystique est illustrée par le fleuve Thermodon « la chaleur (ou l’ardeur) de l’union » à l’embouchure duquel les Amazones ont leur capitale.
Elle comporte deux réalisations. Tout d’abord, avec la ceinture de la reine des Amazones, le chercheur doit dépasser l’accomplissement d’une parfaite maîtrise vitale. Celle-ci marque la phase culminante du feu intérieur et ouvre grandes les portes aux pouvoirs de la vie. C’est la deuxième réalisation figurée par les Troupeaux de Géryon, qui marque l’acquisition des pouvoirs de la vie, qui sont encore de l’ordre du miracle pour la plupart des hommes. Cette réalisation correspond à l’état de sainteté.
A cette étape, le chercheur doit aborder le dépassement des trois modes de la nature (les « gunas »).
Mais ce n’est toujours pas le bout du chemin, et le chercheur devra écarter toute tentation d’user de ces pouvoirs s’il veut poursuivre sa route vers la Connaissance et vers la transformation du corps afin que l’Absolu le conduise à sa perfection. Ces réalisations font l’objet des deux ultimes travaux.

En suivant l’ordre de la liste canonique de ce second groupe de six travaux, les quatre premiers sont disposés selon les points cardinaux – la Crète au Sud (le Taureau), la Thrace au Nord (les Juments de Diomède), les bords de la Mer Noire à l’Est (la ceinture de la reine des Amazones), et l’Érythie à l’Ouest, l’île rougeoyante qui est « en Extrême-Occident » (les Troupeaux de Géryon). Cette croix peut porter divers symbolismes, tel le voyage initiatique qui toujours ramène au centre, l’extension indéfinie de la conscience ou encore l’annihilation progressive de l’ego dans tous les plans.

A l’inverse des trois premiers, le travail des Troupeaux de Géryon n’est pas précisément localisé ; on sait seulement qu’il prit place en Extrême-Occident. Il suppose une résolution des mémoires archaïques à la racine de la vie, mémoires que le chercheur devra traiter au fur et à mesure, remontant toujours plus loin vers la source jusqu’au moment où il abordera le yoga du corps, la descente chez Hadès qui fait l’objet du travail suivant.

Enfin, les deux derniers travaux se déroulent en des lieux purement symboliques, la descente dans l’Hadès et le jardin des Hespérides, ce qui exclut à priori toute possibilité de total accomplissement aussi bien pour les initiés de la Grèce antique que pour l’humanité actuelle. Ceci explique que leur place ait pu être intervertie selon les auteurs. Représentant une évolution concernant les millénaires à venir, ils peuvent cependant déjà recevoir un début de réalisation.
Ils se déroulent donc non seulement en des lieux mythiques mais également en des temps mythiques, au-delà même de tous les exploits tardifs du héros, les Praxéis – « actes » ou « accomplissements » – qui se prolongent au-delà des douze célèbres travaux.

Les Pommes du Jardin des Hespérides symbolisent « l’Union », la « non-dualité » et donc aussi la « Connaissance » dont les limites sans cesse « reculent » au fur et à mesure de l’évolution humaine. Elle ne pourra être « absolue » qu’avec l’installation définitive de l’humanité dans le Supramental.
C’est pourquoi Héraclès avait déjà cueilli les pommes lorsque Jason arriva au jardin des Hespérides, et que lui-même dut les rendre à la fin du onzième travail pour qu’elles soient replacées dans le jardin.

La tâche concernant le Chien de Cerbère représente quant à elle une première investigation de la transformation du corps, une remontée à la conscience de ce qui « garde » ou « empêche l’accès à » sa divinisation, c’est-à-dire prévient d’une transformation prématurée.
Le peu de visibilité des Anciens sur le degré d’avancement nécessaire pour entreprendre ces deux derniers travaux explique que certains initiés aient situé à la fin du dixième travail (les Troupeaux de Géryon) l’ultime limite des réalisations possibles dans le yoga, marquée par les fameuses « colonnes d’Hercule ». L’on comprend mieux que le poète Pindare se soit exclamé qu’il était impossible de traverser la mer inviolée au-delà des colonnes d’Héraclès.