Les Argonautes chez les Dolions

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Ce mythe traite des insincérités intérieures qui orientent vers des voies trompeuses

Pendant la nuit, les héros finirent de traverser l’Hellespont et avancèrent dans la Propontide. Ils abordèrent ensuite une presqu’île nommée « Mont des Ours » qui possédait un double havre. Ils amarrèrent leurs navires dans le premier bassin, le plus extérieur. Les hauteurs de cette presqu’île était habitées par des êtres féroces et sauvages, des Fils de la Terre, dotés de six bras chacun. La plaine, elle, était occupée par les Dolions qui étaient protégés des géants par Poséidon parce qu’ils étaient les descendants de ce dieu.

Les Argonautes élevèrent un autel à Apollon « dieu du débarquement » et nouèrent amitié avec les Dolions. Leur roi les invita alors à avancer leurs navires plus avant dans la deuxième crique.

Le lendemain matin à l’aurore, ils grimpèrent sur le sommet de la montagne Dindymon « pour reconnaître les routes de la mer ». Les géants se mirent alors à lancer des rochers pour obstruer le chenal de sortie des bateaux, mais ils furent massacrés à coups de flèches par les Argonautes.

Ces derniers levèrent l’ancre, mais pendant la nuit, des vents contraires les ramenèrent vers l’île à leur insu. Dans le noir, croyant se heurter à un peuple hostile, les Dolions les attaquèrent et les Argonautes massacrèrent bon nombre d’entre eux, ne s’apercevant de leur méprise que le lendemain matin. Le roi des Dolions, Kysikos, périt dans le combat.

Puis il y eut douze jours et douze nuits de tempête qui les empêchèrent de reprendre la mer. Averti par le vol de l’Alcyon, le devin Mopsos recommanda à Jason d’offrir un sacrifice à Rhéa et la déesse répondit « par l’apparition de signes clairs ».

Puis les Argonautes reprirent la mer, dépassèrent le cap de Poséidon et se dirigèrent vers de nouvelles terres.

 

La progression des Argonautes à travers la mer Égée, l’Hellespont, la Propontide, le Bosphore et le Pont-Euxin décrit la progression dans la purification du vital, de plus en plus profond.

Tout d’abord, la mer Égée concerne les chercheurs qui s’élancent sur le chemin, mais qui restent « au bord » de la purification du vital.

Puis vient le premier détroit, l’Hellespont, qui tire son nom d’Hellé, la sœur de Phrixos, lorsque les deux enfants martyrisés par leur belle-mère s’enfuirent sur le dos d’un bélier à la toison et aux cornes d’or envoyé par Zeus. C’est le lieu d’une première expérience de sensibilité lumineuse, qui peut ouvrir les portes vers un engagement plus profond dans la quête. C’est aussi la limite du processus d’individuation (Hellé). L’Hellespont est aussi appelé détroit des Dardanelles, en référence à Dardanos, le fils de la Pléiade Électre, qui marque la première expérience dans le mental illuminé.

 

Les Argonautes chez les Dolions

Puis le chercheur pénètre un peu plus avant dans la purification du vital (dans la Propontide) jusqu’au lieu qui ouvre le passage vers le mental lumineux ou illuminations, le Bosphore « qui porte la vache, l’illumination ».

Enfin, le chercheur pénètre dans les eaux profondes du vital, le Pont-Euxin ou « le vital très étrange, inhospitalier » (la Mer Noire) dont les rivages sont peuplés par des tribus sauvages dont les Amazones.

La première partie de la quête de la Toison concerne donc les débuts du chemin car « sur le visage de Jason, le duvet poussait à peine ». Elle constitue une mise en garde contre les « insincérités » génératrices d’illusions – car le mot Dolion signifie « fourbe, rusé, trompeur » – qui opèrent depuis le subconscient (les Dolions sont fils de Poséidon). Le chercheur ne les reconnait pas comme telles, car elles semblent aller dans le sens de la quête : le roi en effet procura aux Argonautes du vin et des moutons pour leur sacrifice à Apollon.

Cela l’éloigne de sa proximité avec la perception psychique du vrai, alors qu’il croit être sur le chemin de la lumière de Vérité ou s’en persuade. C’est pourquoi le sacrifice est offert à Apollon « dieu du débarquement » : le chercheur quitte le chemin. Lorsque l’on se maintient dans ces insincérités, restant sourd à la petite voix intérieure, elle se tait, souvent pour longtemps, jusqu’à ce que l’on se soit remis sur le juste chemin, parfois après de rudes confrontations. Les raisons de cette surdité peuvent être nombreuses : impatience, fascination pour les pouvoirs, volonté de sortir du lot, autojustifications automatiques, tout ce qui apporte en retour des bénéfices pour l’ego, etc.

Le chercheur s’enfonce alors sans se méfier plus profondément dans la voie illusoire qui menace de l’enfermer comme dans une nasse (les Argonautes poussent les bateaux dans la seconde crique que les géants tentent d’obstruer).

Les monstrueux géants à six bras peuvent êtres vues comme des forces hostiles avec un pouvoir d’action très étendu qui se cachent dans les hauteurs de l’aspiration. Ce sont des puissances des mondes subtils qui ne peuvent agir que dans la mesure où on leur ouvre les portes.

L’erreur, ici, provient du fait que le chercheur n’est pas conscient de forces d’opposition au chemin, nées de l’inconscience dont il est issu, qui se cachent derrière son aspiration spirituelle (les géants, fils de la Terre, accourent de derrière la montagne). Ces forces tentent d’enfermer le chercheur, « d’obstruer le goulet du Port-Clos ».

Ce qui l’induit en erreur, d’accès facile et accueillant, est ce qui présente toutes les apparences de la vérité, mais relève d’un mensonge issu du subconscient (Poséidon). Cela dissimule ce que le plus haut de la conscience nourrit comme un obstacle à l’évolution (Héra nourrit les Géants) : les obstacles se révèlent sur le chemin pour permettre au  chercheur de se purifier ! C’est une loi de l’évolution que le chercheur devra toujours garder à l’esprit.

Dans cette première confrontation aux forces d’opposition, le chercheur se purifie suffisamment pour éviter l’enfermement total, détruisant les forces hostiles sans trop de difficulté (les Argonautes tuent les géants aux six bras).

Mais ce dont il ne prend pas conscience dans un premier temps, ce sont les « insincérités » ou « illusions » qui l’ont conduit à cette situation. Pensant pouvoir continuer son chemin, il est ramené de force vers elles. Il n’est pas encore assez avancé pour que la lutte contre ses propres manques et faiblesses puisse se faire en toute conscience : le « nettoyage » a donc lieu dans l’inconscience, dans l’obscurité. Le chercheur ne peut prendre la mesure de ce dont il est venu à bout qu’après la victoire (les Argonautes ne réalisent leur méprise qu’au petit jour). Cet épisode fait comprendre qu’à ce stade, le chemin est une alliance de la volonté personnelle et de l’action divine travaillant derrière le voile.

C’est donc le piège des spiritualités trompeuses soutenues par des forces destructrices qui sont décrites ici. Leur mode opératoire est d’abord de séduire en jouant sur les faiblesses du chercheur, sans aucune agression au départ, puis de l’attirer loin à l’intérieur de leur système et de le piéger « en bloquant les issues ». Dans ce genre d’erreur, il faut détruire à la fois la fausse spiritualité à laquelle on a adhéré mais surtout prendre conscience des aspects de sa propre nature qui ont permis cet égarement. Certains exemples de ces faiblesses sont donnés avec les noms des Dolions tués : la recherche du pouvoir, l’aspiration à la gloire, etc.

Le premier chant décrit donc les deux grands écueils qui attendent le chercheur débutant et peuvent le bloquer pendant des années ou des vies dans des impasses.

La fin de cette période est marquée par une longue période de troubles émotionnels, « douze jours et douze nuits de tempête », mais la vie indique au chercheur qu’il est sur la bonne voie car Rhéa répondit « par l’apparition de signes clairs ».

C’est à la fin de ce premier chant, que l’on peut considérer comme la période préparatoire à la quête, qu’Apollonios fait débarquer Héraclès : dès l’entrée consciente dans la quête, il ne peut plus en effet y avoir aucune corrélation entre les mythes théoriques (ici, les travaux d’Héraclès) et les expériences.

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