Les Argonautes chez les Bébryces

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Le Chant 2 traitre de quelques autres erreurs du chercheur, de la clarification de l’intuition, d’une épreuve difficile et de la rencontre du maître véritable

Après la description des risques d’égarement, Apollonios détaille dans le deuxième chant quelques erreurs mineures avant d’aborder un évènement essentiel qui marque un tournant dans la quête, à savoir la rencontre du maître véritable.

 

Le passage en force

 

Les Argonautes arrivèrent en pays Bébryce sur lequel régnait l’arrogant roi Amykos, fils de la nymphe Mélia et de Poséidon. C’était le plus insolent des hommes et il imposait aux étrangers une loi indigne : nul ne devait quitter le pays avant de s’être mesuré à lui au pugilat. Il avait ainsi tué beaucoup de voyageurs.

Pollux se porta aussitôt volontaire pour l’affronter. Castor et Talaos l’aidèrent à se préparer au combat qui fut long et très violent.

Pollux ne put éviter une blessure à l’épaule. Selon certains, après sa victoire, il obtint d’Amykos la promesse que ce dernier ne maltraiterait plus les étrangers. Chez Apollonios, Amykos fut tué au cours de l’affrontement et il s’ensuivit un combat général dans lequel beaucoup de Bébryces furent tués, dont Mimas.

Au petit jour, les Argonautes reprirent la mer et s’engagèrent dans les remous du Bosphore. C’est là qu’une vague « haute comme une montagne (…) et dressée au dessus des nues » surgit devant le bateau. Les héros eurent l’impression de ne pouvoir échapper à la mort et furent épouvantés, mais la science du navigateur Tiphys les éloigna du danger.

Le roi Amykos est « le rugissant » et son pays des Bébryces celui de « l’avidité vitale ».

Dans cette étape, le chercheur se heurte à une partie de lui-même qui tente de passer les étapes en force, du fait de son puissant désir et par sa seule volonté personnelle (Amykos).

À cela, il doit opposer la force guerrière spirituelle, celle qui en lui est la plus habile dans le combat au corps à corps et sans arme, Pollux, l’un des Dioscures, celui qui combat « avec beaucoup de douceur », celui qui est « le plus habile dans le combat au corps à corps et sans arme ».

Bien sûr, il doit aussi préparer le terrain par la force intérieure ou maîtrise, l’ouverture de la conscience à la rectitude et à la sincérité (Castor) ainsi que par l’endurance (Talaos).

Dans la description symbolique du corps humain, l’épaule ou la clavicule représente « la porte des dieux ». La blessure reçue par Pollux à cet endroit montre que le chercheur a voulu forcer le passage.

Dans les récits où le roi est épargné, il s’agit de conserver l’ardeur tout en modérant la pression personnelle.

Pour Apollonios, l’orgueil et l’avidité vitale doivent être écartés de la quête sans appel.

Dans « les routes du dehors », nombreuses sont les voies qui prônent une ascèse excessive et sous prétexte d’user les résistances de l’ego, ne font que le renforcer par des gratifications sournoises. Rappelons que le vital se nourrit en effet tout autant de la souffrance que de la jouissance. Et c’est le subconscient vital qui s’exprime ici (Amykos est fils de Poséidon), avec son désir de sensations et de puissance. La nymphe Mélia « le frêne », mère d’Amykos, indique également qu’il s’agit d’une spiritualité basée sur le vital.

Cette erreur se fonde sur le présupposé naïf qu’une ascèse forcée peut accélérer la progression et attirer la bienveillance du Divin. Ces déviances peuvent aussi bien concerner les macérations, les mortifications que des formes plus subtiles dans laquelle la volonté impose des contraintes excessives au corps, à l’émotionnel ou au mental. Dans ce cadre entrent toutes les privations qui ne sont pas des maîtrises : jeûnes trop longs, abstinence sexuelle par principe, etc.

Ce récit fustige peut-être aussi la tendance du débutant à réduire son champ d’expression et à se jauger en fonction de normes censées régler le domaine spirituel, ou encore ceux qui veulent être les plus méritants aux yeux du maître.

Les attitudes combattues ici relèvent d’un ego vital trop revendicatif qui ne se soucie en aucune façon de la discipline spirituelle. La seule chose qui l’intéresse, c’est le drame, l’excitation, et les jaillissements d’énergie quels qu’ils soient. L’action dans laquelle se déploie l’énergie lui importe peu et le mental la cautionne sous couvert de vertu, de bonté, de courage ou de progrès spirituels.

A ce stade du chemin, il n’est pas demandé au chercheur une maîtrise du vital mais simplement d’éviter les leurres ou les comportements erronés et mensongers qui ne font en fait qu’alimenter son auto-contemplation et sa suffisance. La sincérité est l’outil essentiel car il s’agit de faire tomber les masques et de cesser toute posture, toute démarche qui « imite », ainsi que d’abandonner toute prétention à avancer par ses seules forces (parmi les Bébryces tués, figurent en effet Mimas, « l’acteur de Pantomime » et Itymonéus « celui qui s’élève seul »).

Cette étape se clôt par la menace d’une grande perturbation émotionnelle faisant plus de peur que de mal, et qui ne semble pas toutefois trop difficile à éviter si le chercheur connaît ses réactions émotionnelles (une vague haute comme une montagne prête à déferler, mais qui finit par s’affaisser sur elle-même grâce à l’habileté du pilote Tiphys). Cette vague symbolique, propre à chaque chercheur, se situe à l’entrée du Bosphore « le passage de la vache » qui donc conduit vers « l’expérience de la lumière », la vache étant depuis les temps védiques un symbole de la manifestation des éclairs de Vérité.

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