Ulysse chez Calypso (Chant VII, 240 sq., Chant I et Chant V)

 

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Calypso était la fille du Titan Atlas qui connaissait les abîmes de la mer entière et veillait sur les hautes colonnes qui tenaient écartés le ciel de la terre.

Isolée sur son île océane, Calypso, la déesse bouclée à la terrible ruse, n’était en rapport ni avec les dieux ni avec les hommes. Elle entoura Ulysse de soins et d’amitié, le nourrit et lui promit de le rendre immortel et jeune à tout jamais. Elle brûlait de le prendre pour époux, tentant de lui faire oublier Ithaque. Mais au fond de son cœur, il refusa toujours.

Il resta là sept ans, sans cesser de verser des larmes sur les vêtements immortels que lui avait donnés Calypso. Il ne goûtait pas les charmes de la déesse, bien qu’il fût obligé de passer ses nuits dans son lit. Puis la huitième année, sur l’ordre des dieux mais à l’insu du héros, elle le pressa de partir.

Les dieux en effet avaient tenu une assemblée dont seul Poséidon était absent. Celui-ci était parti chez les Éthiopiens qui, aux extrémités du monde étaient partagés en deux groupes, les uns au levant, les autres au couchant, et il se réjouissait en leur compagnie.

Zeus annonça à tous qu’Égisthe venait de payer pour ses crimes, car il n’avait pas voulu tenir compte des avertissements qu’il lui avait prodigués par l’intermédiaire d’Hermès.

Puis Athéna fit part de sa douleur concernant Ulysse et les menaces de mort pesant sur Télémaque. Elle demanda à Zeus, son père, pourquoi il faisait durer le séjour du héros chez Calypso. Celui-ci répondit que seul Poséidon le poursuivait de sa haine et empêchait son retour parce qu’Ulysse avait rendu aveugle son fils, le Cyclope Polyphème. Mais il décréta au nom de tous les dieux le retour d’Ulysse.

Athéna suggéra alors que Zeus envoie Hermès porter ce décret à Calypso tandis qu’elle-même irait voir Télémaque pour le stimuler et le protéger. Zeus acquiesça, décrivant à l’intention d’Hermès les tribulations futures d’Ulysse : le héros devrait partir seul sur un radeau et souffrir encore vingt jours avant d’atteindre la terre des Phéaciens, parents des dieux, qui le ramèneraient enfin chez lui.

Hermès survola les flots, puis marchant sur la mer violette, il parvint sur l’île lointaine de Calypso qui était arrosée de quatre sources versant leur onde claire. Il exprima à la déesse le motif de sa venue imposée par Zeus dont il rapporta les paroles. Calypso se plaignit, comparant son idylle à l’amour d’Éos pour Orion qui mourut sous les traits d’Artémis, ou encore à celui de Déméter pour Iasion qui fut tué par Zeus. Mais elle accepta de laisser partir le héros. Elle lui prodigua force conseils pour construire un radeau, veilla à lui fournir les vivres nécessaires, le couvrit de vêtements immortels et lui promit une brise favorable. Ulysse, sachant qu’un simple radeau était peu armé pour affronter les périls de la mer, lui fit jurer qu’elle ne méditait pas quelque funeste projet contre lui. Ayant juré, la déesse ne put s’empêcher de lui dire qu’il courait au-devant de grandes épreuves, lui assurant qu’il regretterait de n’être pas resté auprès d’elle, devenant lui aussi un dieu. Mais Ulysse affirma que son seul désir était de rentrer en son logis et de retrouver Pénélope.

Calypso lui montra alors où couper les arbres et lui fournit le nécessaire pour les voiles. En quatre jours, il construisit un radeau bien conçu et solide et prit la mer le cinquième.

Calypso est « celle qui cache, qui couvre », mais aussi « celle qui appelle vers les hauteurs », la puissance spirituelle qui offre la possibilité de se retirer du jeu de l’incarnation.

En tant que fille d’Atlas, si l’on suit la généalogie donnée par Apollodore, elle contribue, au même titre que les Pléiades dont elle prend la suite, à combler dans l’esprit le gouffre créé par la conscience de la séparation. Elle symbolise le dernier état intermédiaire entre le monde des dieux – le plan du surmental – et celui de la dualité humaine (Calypso n’a de rapport ni avec les dieux ni avec les hommes).

Cet état, qui résulte d’un abandon définitif de toutes les structures de la personnalité, d’un arrachement de la racine de l’ego, entraîne une puissante tentation. En fait, il ne s’agit pas réellement d’une tentation, car le chercheur n’a plus d’ego et plus la moindre trace de désir, mais seulement d’une opportunité de choix entre une libération individuelle définitive et une volonté-aspiration inébranlable de rester solidaire du reste de l’humanité. Quelles que soient les jouissances procurées par cette perspective de libération définitive et totale, elles ne peuvent ébranler son aspiration et sa détermination, car le chercheur refuse de considérer une libération individuelle qui laisserait le reste du monde inchangé. Mais les moyens de mettre en œuvre cette aspiration sont encore inexistants (Ulysse aspire au retour mais n’a aucun moyen de quitter l’île).

Cette libération individuelle présente tous les aspects de l’accomplissement, et c’est la raison pour laquelle Calypso est « rusée ». Comblé des grâces spirituelles que procure une libération totale, le chercheur ne peut en profiter (Ulysse ne goûte pas les charmes de Calypso). S’il s’installait dans cette libération, il évoluerait vers un état permanent dans le surmental non-duel et vivrait dans le hors-temps par une adaptation incessante et spontanée au mouvement du devenir (Calypso promettait à Ulysse de le rendre immortel et jeune à tout jamais).

Tant que le  chercheur reste « prisonnier » de cet état, il participe de la non-dualité (il porte les habits immortels que lui a donné Calypso), mais une non-dualité qui n’exprime pas encore la totale unité du Divin. En effet, cette unité ne peut s’accomplir parfaitement que dans le corps. C’est pourquoi Ulysse se languit d’un « retour » à son origine (Ulysse aspire au retour à Ithaque). En effet, les « retours » représentent toujours l’infusion dans l’incarnation de ce qui a été contacté dans l’esprit, selon le processus du yoga qui est ascension-intégration.

Selon le sentiment que le chercheur peut en avoir, cette étape semble durer une éternité. Puis une autre phase s’ouvre sans qu’il prenne conscience de la force qui l’a initiée : le supraconscient impulse un nouvel élan au yoga, le maître du subconscient étant occupé à « éveiller » les profondeurs brûlantes de son domaine où ce qui doit naître par la transformation est intimement lié aux processus archaïques de l’évolution, où le haut rejoint le bas, et la fin le début (Zeus, au nom de tous les dieux, décrète la fin du séjour chez Calypso, bien que Poséidon soit absent et se réjouisse chez les Éthiopiens (« la vision de feu » ou « vision de vérité ») qui aux extrémités du monde sont partagés en deux, les uns au levant, les autres au couchant).

Pour établir le lien avec les autres processus qui se déroulent en parallèle dans la conscience du chercheur, Homère énonce par la bouche de Zeus qu’Égisthe venait d’être tué. Nous savons par ailleurs que cet épisode correspond également au retour d’Égypte de Ménélas « muni d’une antique connaissance ».

C’est donc le moment où la période d’union mystique qui suit la réalisation de l’égalité parfaite cède la place à un yoga tourné cette fois-ci  vers le corps (Oreste venge son père). D’autre part et dans le même temps, le chercheur a retrouvé en lui-même les antiques connaissances des initiés de l’ancienne Égypte qui avaient parcouru le chemin de manière individuelle (ce qui suppose un accès aux mémoires de l’humanité). Même pour Homère, l’Ancien et le Moyen Empire appartenaient à des époques très reculées.

En réalité, le chercheur n’a pu trouver lui-même les moyens de mettre fin à cette phase passive, n’ayant pas une claire conscience de ce qui l’immobilisait : il devait en fait attendre que les autres processus de yoga parviennent à leur terme.

Ce changement d’orientation est aussi un moment délicat où, s’il n’était protégé par les forces spirituelles, « le yoga futur » risquerait d’être définitivement interrompu par les plus hautes réalisations des anciens yogas (Télémaque faillit tomber dans une embuscade tendue par les prétendants).

Homère énonce par la bouche de Zeus que le supraconscient qui dirige l’évolution n’est en rien responsable des épreuves du chercheur. Si celui-ci est malmené, c’est parce qu’il a dû renoncer, du fait d’un reste d’ego, à ses pouvoirs de visions (Ulysse, voulant connaître les présents que lui ferait le Cyclope Polyphème, avait dû rendre aveugle le géant qui l’avait emprisonné, faute de quoi il serait mort). C’est cette même volonté de s’approprier les fruits de la connaissance qui provoqua « la chute » dans la Genèse et atteint son paroxysme de nos jours.

Par son accès au surmental, le chercheur prend alors conscience des épreuves qui l’attendent et se concentre sur la « protection » du yoga futur (Zeus envoya Hermès chez Calypso, l’ayant informé au préalable des aventures à venir du héros, tandis qu’Athéna se rendait auprès de Télémaque).

Peut-être les quatre sources versant leur onde claire qui arrosent l’île de Calypso peuvent–elles être rapprochées des quatre aspects de la Mère divine.

La puissance spirituelle qui a contribué au développement du surmental « sait » que sa mission va prendre fin avec le nouveau yoga, mais ne peut faire autrement que de transmettre l’impulsion évolutive (Hermès agit « contre sa propre volonté » en se rendant chez Calypso, mais doit obéir à Zeus).

Comme le chercheur doit redescendre dans l’incarnation, il ne peut se maintenir dans la passivité induite par l’égalité. Mais les puissances de l’esprit qui l’ont protégé pendant cette période d’expectative lui apportent cependant leur aide pour créer un embryon de structure pour poursuivre le chemin (Calypso se plaignit en évoquant les amours d’autres déesses eux aussi contrariés, mais conseilla le héros pour la construction du radeau). Elles donnent aussi les forces nécessaires, permettent que le chercheur se maintienne au plus haut de l’Esprit tout en étant dans le monde, et lui apportent un soutien spirituel (Calypso donna aussi des vivres, des habits divins et fit souffler un vent favorable).

Le chercheur a cependant besoin d’être assuré de ne pas faire fausse route, ce qui lui est octroyé, non sans la confirmation de grandes épreuves à venir (Ulysse fit jurer à Calypso qu’elle ne méditait pas quelque funeste projet contre lui. Celle-ci, ayant juré, ne put s’empêcher de lui annoncer de grandes difficultés.)

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