L’île de Circé, ou l’accès à « la vision en Vérité » (Chant X)

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Ulysse arriva sur l’île d’Aiaié où demeurait Circé à la belle chevelure,
déesse redoutable douée de voix. C’était une fille d’Hélios et de la nymphe Persès, et donc une sœur d’Aiétès, le roi de Colchide
.

Un dieu pilota le héros jusqu’au fond du mouillage. Après deux jours de récupération, il monta sur une hauteur d’où il aperçut la fumée du manoir de Circé. Toutefois, il décida avant de s’y rendre de prendre un repas avec son équipage puis d’envoyer des éclaireurs. En redescendant, il croisa un énorme cerf à la magnifique ramure, le tua et le rapporta au vaisseau.

Le lendemain, il s’adressa à l’équipage en ces termes  « nous ne savons où est le couchant, ni où est l’aurore, ni où le soleil qui éclaire les mortels va sous la terre, ni où il revient », et nous ne pouvons faire aucun véritable projet. Il répartit ses hommes en deux groupes de vingt-deux, le premier sous ses ordres, le second conduit par Eurylochos au visage de dieu. Le sort désigna ce dernier groupe pour s’aventurer chez Circé. Lorsqu’ils y parvinrent, ils trouvèrent tout autour du manoir des lions et des loups des montagnes qui leur firent bon accueil. Ils avaient été ensorcelés par les drogues de la magicienne qui chantait à l’intérieur de sa demeure et tissait une toile divine.

Politès, le plus sensé de la troupe, invita ses compagnons à manifester leur présence. La déesse apparut alors et les convia à entrer, ce qu’ils firent à l’exception d’Eurylochos qui flairait un piège. Elle leur offrit une boisson à laquelle elle avait ajouté sa drogue. Dès qu’ils eurent bu, elle les frappa de sa baguette et les enferma dans sa porcherie, car ils avaient désormais l’aspect de porcs, bien qu’ils eussent conservé leur esprit.

Eurylochos rentra au vaisseau et rapporta qu’il n’avait vu personne ressortir du logis. À ces mots, Ulysse décida de s’y rendre à son tour malgré les supplications d’Eurylochos qui refusa de l’accompagner.

En chemin, il rencontra Hermès « à la baguette d’or » qui avait pris les traits d’un jeune homme à qui la barbe pousse pour la première fois. Ce dernier lui dit que sans la drogue bienfaisante et puissante qu’il allait lui fournir, le héros ne pourrait revenir de chez Circé. Puis il lui indiqua la conduite à tenir : sachant que sa drogue rendait inopérante celle de la déesse, il devait faire mine d’occire celle-ci après qu’elle l’eut touché de sa baguette. Et quand elle lui proposerait de partager sa couche, il devait accepter après lui avoir fait jurer qu’elle ne lui ferait aucun mal ni ne le priverait de sa force et de sa virilité.

Hermès tira alors du sol une herbe dont la racine était noire et la fleur blanc de lait, et enseigna au héros ses propriétés. Les dieux l’appelaient « Molu » et les mortels avaient grand mal à l’arracher.

Le héros se rendit alors chez Circé et tout se déroula comme l’avait prédit Hermès.

La déesse devina alors qu’il était le fameux Ulysse dont Hermès lui avait annoncé la venue.

Elle avait à son service quatre nymphes qui préparèrent le bain du héros et dressèrent la table. Mais Ulysse ne pouvait manger car il avait l’estomac noué. Il pria donc la déesse de libérer ses gens, ce qu’elle fit sans tarder : les porcs redevinrent des hommes plus jeunes, plus beaux et plus grands. Circé convia alors le héros et tout son équipage à demeurer chez elle.

Ulysse retourna au vaisseau où les hommes restés à bord pleurèrent de joie de le revoir. Il leur transmit l’invitation de la déesse, les conviant à rejoindre leurs compagnons en train de  festoyer. Tous furent d’accord à l’exception d’Eurylochos que le héros faillit occire avant qu’il ne se décidât finalement à les suivre.

Ils restèrent chez Circé toute une année. Comme le désir du retour se faisait pressant, la déesse informa le héros qu’il devait se rendre chez Hadès pour demander conseil à l’âme du devin Tirésias,  devin aveugle, dont l’intelligence avait gardé toute sa force ; à lui seul, bien qu’il soit mort, Proserpine avait donné la sagesse, car les autres âmes voltigeaient comme des ombres vaines. Il lui enseignerait la route, les mesures du chemin, et lui dirait comment il pourrait accomplir son retour sur la mer poissonneuse. Elle indiqua à Ulysse ce qu’il devait faire pour une telle expédition. 

 

Circé et Aiétès sont des enfants d’Hélios, lui-même fils d’Hypérion, et donc des manifestations du pouvoir de rayonnement du supramental. Nous avons déjà mentionné qu’Homère ne cite que ces deux enfants-là, Persès et Pasiphaé ayant été ajouté par des auteurs plus tardifs. (Cf. Planche 4)

Si Hélios-panoptes « qui voit tout » représente le pouvoir de Connaissance en Vérité du supramental, ses enfants Aiétès et Circé en sont deux aspects complémentaires, respectivement celui de « la vision en Vérité de l’ensemble » et celui de « la vision en Vérité dans le détail ». Aiétès « une conscience supérieure » est « oloophronos, à l’esprit redoutable », avec un probable jeu de mots avec « olo (ολος), total ». Nous l’avons déjà rencontré lors de l’étude de la quête des Argonautes.

Circé est donc le symbole d’une manifestation de la conscience supramentale, « la vision discernante dans tous les détails en Vérité » dans la matière alors qu’Aiétès est plutôt une vision globale en Vérité depuis les hauteurs de l’Esprit.

Elle peut sans doute être rapprochée de la « vision pénétrante » (Vipassana) du bouddhisme, sans que nous puissions établir avec certitude une identité. Cette dernière est définie comme une perception claire de la nature intrinsèque des choses : connaissance de la totalité des choses dans et à travers leur profondeur ultime et leur essence spirituelle une, sans aucune distorsion, à la fois dans leur unicité et leur identité.

La « vision pénétrante » inclut la réalisation des Cinq connaissances : celle de la totalité des choses dans et à travers leur essence, celle de toutes les choses exactement comme elles sont, sans aucune subjectivité (la Connaissance du miroir), celle de leur identité absolue, celle de leur différence dans l’unicité, celle qui accomplit da