Le départ du navire Argo

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Le Chant 1 concerne une certaine errance du chercheur en quête de spiritualités exotiques et de pouvoirs

Rappelons qu’une grande variété d’expériences peut avoir lieu selon les chercheurs et qu’il ne faut donc surtout pas considérer ce mythe comme une description figée du chemin. D’autre part, il semblerait que la voie des femmes soit assez différente de celles des hommes.

D’autre part, comme pour toutes les grandes épopées de la mythologie, les aventures du héros, à l’intérieur de chaque grande période, doivent être considérées comme un inventaire de confrontations, d’épreuves et de nécessaires progressions dont la chronologie dépendra de chaque chercheur.

 

Le besoin ou l’aspiration

La première phase du chemin va être consacrée à la recherche du maître ou de sa voie propre. Il va y avoir bien des tâtonnements, bien des impasses, mais quand le disciple est prêt, le maître apparaît. C’est une loi occulte qui ne souffre pas d’exception. 

Dans la préparation à la quête figure bien sûr le rassemblement des Argonautes que nous venons de voir. Et rien ne peut commencer si n’est pas présent « le besoin qui pousse les hommes à naviguer sur mer », si n’est pas née « l’aspiration ».

C’est pourquoi la première escale est en terre de Magnésie « l’aimant » symbole de cette aspiration qui doit aller de pair avec une certaine bonne volonté.

Ce « besoin » de grandir, d’évoluer, est dans tous les hommes dès la naissance, mais il se heurte constamment aux forces qui ont pour mission la stabilisation, le maintien de l’existant, et se servent de la peur, du désir et de l’ignorance pour parvenir à leurs fins. Alors, l’homme s’oublie dans les apparences et la satisfaction des désirs de l’ego vital qui ne sont qu’une dérivation de ce besoin.

Quelle est cette « aspiration » et comment se traduit-elle ? C’est un manque, une insatisfaction, qui est un besoin d’autre chose, d’un autre mode de fonctionnement humain, besoin qui grandira comme un feu. Souvent, au début, ce manque pousse le chercheur à la révolte, au rejet de la société, à des engagements divers qui ne comblent jamais sa soif.

Rappelons ici le mythe de Prométhée « celui qui met en avant son aspiration pour sa croissance intérieure ». Malgré les avertissements qu’il lui prodigue, il ne peut empêcher son frère Epiméthée « celui qui reste à la surface des choses » de tomber sous le charme de la belle Pandore qui incarne les préoccupations de « l’apparence », de l’homme qui croit agir avec ses propres capacités, de son propre droit et non du droit de l’Absolu. Mais ainsi doit-il en être, car Pandore est un cadeau des dieux : l’homme doit épuiser toutes les illusions avant de pouvoir prétendre à l’Absolu. Dit d’une autre façon, rien ne peut être laissé en arrière dans l’évolution. C’est avec cette double nature que le chercheur doit avancer, car la lignée évolutive dans l’ascension des plans de conscience est issue du mariage du fils de Prométhée, Deucalion « celui qui appelle l’union », avec la fille d’Epiméthée et de Pandore, Pyrrha « un oiseau rouge », le feu mental, ce qui brûle de connaître.

Celui qui se met en chemin, dans cette voie, est donc celui qui est accroché à ce « besoin » de connaissance et d’union.

Ce besoin sera aussi, à une étape plus avancée du chemin, le moteur de la guerre de Troie, à travers la descendance de Tantale qui ouvre la lignée des Atrides.

Une fois ses compagnons rassemblés, Jason donna l’ordre du départ après avoir offert un sacrifice à Apollon « dieu de l’embarquement ».

Du haut du ciel, tous les dieux, ce jour-là, regardaient le navire et ces demi-dieux issus de leur race.

Ce à quoi le chercheur aspire, c’est bien à la lumière de Vérité perçue par le plus profond de soi, par ce qui est couramment appelé âme et que nous appelons ici « être psychique ».  C’est pourquoi Jason offrit un sacrifice à Apollon, le dieu de la lumière psychique. Bien sûr, toutes les autres forces spirituelles donnent leur assentiment, puisque les dieux assistent au départ.

Athéna, le « maître intérieur », avait déjà largement contribué, ayant donné ses instructions pour la construction du bateau et y ayant inséré la « poutre parlante ».  

Le navire, la solide nef Argo, du nom de son constructeur Argos, représente la personnalité du chercheur « bien construite » avec tout l’équipement nécessaire à un navire « complet et bien rangé » et aussi . Il traduit la nécessaire maturité de la personnalité et la clarté mentale requise. L’Argo, on l’a dit, c’est le symbole du chercheur qui tourne son regard vers son monde intérieur au lieu d’être en perpétuelle réaction, mais aussi celui d’un rassemblement des énergies pour l’action. Le nom Argo signifie « brillant » et avec les lettres structurantes « le retournement de l’impulsion (vers l’intérieur) ».

La concorde régnait, Orphée battait la mesure, Ancaios se tenait au milieu du bateau, Tiphys était au poste de pilotage et Jason dirigeait la navigation.

Achille, en ce temps-là, était encore un très jeune enfant.

Alors que s’effaçait au loin dans la brume la terre fertile des Pélasges, ils longèrent les falaises du Pélion et le cap Sépias s’effaça à l’horizon.

Puis ils arrivèrent à la côte de la terre de Magnésie et au tombeau de Dolops. Ils abordèrent sous l’effet de vents contraires et offrirent alors un sacrifice en l’honneur du défunt. Cette côte s’appelle encore « Le Départ d’Argo ».

Lorsqu’il se met en route, le chercheur quitte le monde de ceux « qui avancent dans l’obscurité » de la conscience vitale, dominés par leurs désirs et les mouvements d’une personnalité totalement dépendante des influences extérieures, les Pélasges.

(Les Pélasges dont nom signifie « conscience humaine immergée dans le vital » sont dans la mythologie, le premier peuple de Grèce. Ils venaient de la mer, et donc symboliquement représentaient le commencement de la domination mentale sur le vital.)

Il aspire à plus de liberté, à une connaissance supérieure, sans trop encore savoir en quoi elle consiste, et à rencontrer ceux qui pourront la lui donner ou le conduire vers elle. Il a déjà une perception confuse du « rythme » qui sous-tend toutes choses, c’est-à-dire le sentiment que ce qu’il fait est ou n’est pas dans un temps juste, en accord ou non avec son être intérieur, du moins dans les grandes orientations de sa vie. Car Orphée est celui qui établit l’harmonie par la soumission au rythme juste. Il faudra encore de très nombreuses années avant que cette perception ne s’affine jusque dans les mouvements du quotidien.

Au centre de ce premier élan, il y a la volonté « d’embrasser » les choses (Ancaios « celui qui étreint » est au milieu du bateau), autrement dit celle de fuir la « tiédeur », manifestation de la force d’inertie qui domine le plus souvent notre vie.

Les autres mouvements ont été examinés plus haut avec les héros qui accompagnent Jason : un début de connaissance de soi, une propension à se diriger vers le vrai ou le lumineux, une grande sincérité, quelques capacités intuitives, une attention aux signes, une bonne endurance et un développement mental conséquent.

Ce qui domine l’ensemble, c’est à la fois une certaine capacité intuitive pour les vérités supérieures, ainsi que la volonté de clarifier le rapport moi/non-moi (Jason dirige la navigation).

Même si celui qui se met en route a une bonne connaissance de ses réactions émotionnelles et une certaine faculté à se diriger plutôt vers la lumière que vers l’ombre, celui qui tient la barre indique que la purification de la nature n’est pas commencée (Tiphys « le marécageux » est le pilote).

Lorsque se manifeste cette première aspiration qui entraîne vers la quête (la Magnésie « l’aimant »), le futur chercheur remercie la vie qui lui a permis de comprendre qu’il s’était engagé au préalable dans une vision fausse, celle du sauveur ou celle de celui qui veut faire le bien de l’humanité avant de s’être lui-même transformé (Jason offre un sacrifice sur le tombeau de Dolops « la vision fausse, trompeuse »).

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