Les Argonautes évitent Charybde et Scylla

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Puis les héros arrivèrent comme l’avait prévu Héra aux abords de Charybde et Scylla, au « carrefour des routes de la mer ».

Héra savait que, faute de l’intervention de Thétis, leur route conduirait les héros vers « la passe de la mer » où d’un côté s’élevait le rocher de la terrible Scylla et de l’autre s’ouvrait le gouffre tourbillonnant de Charybde. Scylla, depuis son repaire au creux d’un rocher, projetait ses gueules effrayantes sur tout navire qui passait à proximité et dévorait les marins.

Séparé de ce rocher par un étroit bras de mer, se trouvait le gîte de Charybde qui reposait au fond de la mer. Tantôt se formait un immense tourbillon dans lequel s’engloutissaient les bateaux et les marins étaient dévorés par le monstre tapi sur les fonds marins, tantôt celui-ci vomissait les débris de ce qu’il venait d’engloutir avec de furieux hurlements et les éléments déchiquetés jaillissaient en horribles geysers de la mer démontée. 

Aussi, ce n’était pas sans raison qu’Héra craignait pour la vie des héros. Mais si Thétis (fille de Nérée et mère d’Achille) acceptait de leur apporter son aide, leur évitant la passe de Charybde et Scylla, elle pourrait les conduire par la voie des Planctes « les Roches Errantes » où des rochers montaient et descendaient sur la mer en furie. On disait que naguère une flamme ardente en jaillissait et que la fumée obscurcissait le ciel.

 

Thétis et ses sœurs (les filles de Nérée) arrivèrent de toute part pour porter assistance aux héros. Évitant les lieux maudits, elles orientèrent le navire vers les Planctes, et jouant avec le navire comme avec une balle qu’elles se seraient renvoyée, lui firent traverser sans risque le passage dangereux.

Puis les héros longèrent la prairie de Thrinacie qui nourrit les vaches du soleil au pelage d’un blanc immaculé et aux cornes d’or.

 

À ce moment du chemin, tous les éléments sont en place pour que se produise une terrible épreuve psychique, de type schizoïde ou maniaco-dépressive (Charybde et Scylla) mais dans cette phase du chemin, le chercheur en est protégé parce que le moment n’est pas venu et il n’en a qu’un avant-goût qui peut passer presque inaperçu dans le courant de la vie.

Il a toutefois le pressentiment qu’il accomplira plus tard la « libération » dans le yoga des profondeurs du vital, et que cela sera alors en accord avec le dessein de son âme (Achille, après sa mort, deviendra l’époux de Médée).

Ces deux processus à la racine de la vie – engloutissement et destruction par le morcèlement – résultats des forces fondamentales de fusion et de séparation -, s’expriment dans le vital par ce qu’on appelle l’amour et la haine, et leur bien nommée ambivalence. En effet, comme l’explique Mère, l’un et l’autre sont la déformation d’une même vibration à leur racine. Cette déformation génère une violence intérieure de ne pouvoir absorber totalement ce qu’on aime (le soi-disant amour) et une violence extérieure qui veut détruire ce qu’il aime pour ne plus être lié (la haine).

C’est en fait seulement une première perception de grandes épreuves futures qui marqueront le périple d’Ulysse. Le chemin est en effet une progression en spirale d’ascension et de dévoilement des couches archaïques de la conscience. Le chercheur repasse donc par le même type d’expériences, mais à des niveaux de difficulté de plus en plus grande.

En revanche, il doit se confronter ici aux Planctes dont le nom signifie « errant, instable, à l’esprit égaré ». Mais là encore les Néréides – les filles du « vieillard de la mer » et donc « les forces vitales instinctuelles » du chercheur – firent en sorte que le bateau ne subisse aucun dégât lors de la traversée des Planctes « les roches errantes ». En effet, l’équipage de l’Argo n’a strictement rien à faire pour traverser les Planctes car Thétis et les Néréides non seulement guident le navire mais le portent littéralement à travers l’obstacle.

Pour le chercheur, c’est une confrontation à des nœuds mentaux (graves névroses ou psychoses) qui se présentent comme des murs infranchissables (les roches tantôt se dressaient dans le ciel telles des falaises) tantôt restent enfouis dans le subconscient tout en perturbant la personnalité de surface (tantôt reposaient au plus profond de la mer, recouvertes par la masse d’un flot sauvage).

C’est de ces états pathologiques solidifiés mais non somatisés (des roches errantes) qu’était généré, dans le passé du chercheur (ou de l’humanité), un feu mental qu’il (elle) imaginait être un feu spirituel. Mais la manifestation de ce feu mental-vital cachait en fait la lumière de vérité, en raison des confusions et des illusions qu’elle générait (naguère une flamme ardente jaillissait de la cime des écueils et la fumée obscurcissait le ciel et l’on ne pouvait apercevoir les rayons du soleil).

C’est pour cela que Sri Aurobindo a toujours dit que la purification de l’intelligence (de l’ignorance séparative et des mélanges des plans) était le premier pas de son yoga.

Le chercheur est protégé par ses puissances instinctuelles non perturbées par le mental (Thétis et les Néréides) qui non seulement guident le navire mais le portent littéralement à travers l’obstacle. De même, seul le porcher Eumée restera fidèle à Ulysse dans une phase plus lointaine du yoga.

Le chercheur expérimente alors (de façon assez superficielle puisque les Argonautes ne font que longer la prairie Thrinacie « la prairie de la fourche aux trois pointes »), un plan de conscience qui alimente les pouvoirs illuminateurs du supramental, résultats d’une sensibilité ou conscience totale et d’une réceptivité au Divin parfaite. Sans pouvoir en être sûr, je pense qu’il s’agit d’une soudaine et très brève irruption de capacités d’ordre supérieur en relation avec les quatre pouvoirs de l’intuition explicités par Sri Aurobindo (Puis les héros longèrent la prairie qui nourrit les vaches du soleil au pelage d’un blanc immaculé et aux cornes d’or).

« La prairie de la fourche aux trois pointes » est difficilement identifiable mais je pense qu’il s’agit dans l’arbre des Sephiroth, de Tiphereth dont le symbole est le soleil, qui représente aussi le mental illuminé qui nourrit les expressions du plan de l’Intuition : vision, inspiration, perception immédiate de la vérité et des rapports entre toutes ses manifestations.

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