Ulysse et les sirènes (Chant XII)

Print Friendly, PDF & Email

 

<< Précédent : Le départ de l’île de Circé et l’invocation des morts (fin du Chant X et Chant XI Nekuia)

Le vaisseau d’Ulysse fut à nouveau entraîné vers l’île de Circé où sans tarder, le héros s’acquitta de la promesse faite à Elpénor de l’enterrer dignement.

Tandis que ses hommes dormaient, Ulysse fit à Circé un récit complet de son voyage au royaume d’Hadès, ce que la déesse entérina comme la fin d’une étape.

Puis elle décrivit au héros en détail les épreuves auxquelles il allait être soumis et la manière d’éviter le pire : tout d’abord la séduction des Sirènes, puis la route dangereuse qui passait soit par les Planctes soit entre le repaire de Charybde et celui de Scylla, et enfin l’île du Trident où paissaient les vaches du soleil et à propos de laquelle elle donna les mêmes consignes que Tirésias.

Lorsque l’Aurore apparut, Circé s’éloigna, et Ulysse rapporta à ses compagnons les paroles de la déesse concernant les Sirènes qui charmaient tous ceux qui s’approchaient : celui qui succombait à leur séduction jamais ne regagnait son foyer, trouvant la mort sur ce rivage enchanté couvert d’ossements et de débris humains en décomposition.

Quand le navire approcha des terres où elles demeuraient, le vent tomba brusquement et les flots se figèrent sous l’action d’un dieu.

Ulysse suivit les instructions de la déesse. Il boucha avec de la cire les oreilles de ses compagnons qui prirent les rames. Lui-même se fit attacher solidement au mât, mais choisit de ne pas mettre de cire dans ses oreilles.

Lorsque le vaisseau passa à portée de voix, les Sirènes firent entendre leur chant, assurant qu’elles connaissaient tout du passé et du présent. Comme Ulysse exigeait qu’on le libère de ses liens, Eurylochos et Périmède vinrent les resserrer comme il leur en avait donné l’ordre plus tôt.

Les marins faisant force de rames, le vaisseau s’éloigna et l’île des Sirènes disparut au loin.  

Le passage chez Circé, la rencontre de Tirésias et l’évocation des morts marque une étape décisive dans le yoga, à la fois un bilan de ce qui a été accompli et une compréhension intuitive du travail futur dans le corps et les précautions à prendre. Le chercheur retrouvera dans ce yoga nombre d’éléments déjà conquis sur les autres plans. (Circé écoute le récit des aventures d’Ulysse puis lui détaille les épreuves à venir et la façon d’éviter le pire).

Il est important de noter que les descriptions des épreuves et mises en garde lui viennent à la fois de l’intuition liée au processus de purification-libération dans le corps et de la vision de vérité supramentale dans la matière (Ulysse est prévenu à la fois par Tirésias et Circé).

Selon Apollodore, Tirésias « celui qui reçoit des signes de sa nature humaine » est le fils d’Eueres « une juste évolution selon l’Absolu » et de Chariclo « la joie » : les indications issues d’un juste travail en vue de la joie permettent un travail de purification exact.

La première épreuve est une puissante « tentation » à laquelle peut succomber n’importe quelle partie de l’être engagée dans le yoga. Si c’est la partie centrale qui cède à la séduction, le chercheur n’aura plus aucun espoir de poursuivre sa quête (Ulysse informa ses compagnons de l’épreuve à venir, précisant que celui  qui succombait ne pouvait regagner son foyer).

De plus, le chercheur n’a aucun moyen d’éviter l’épreuve car les puissances de l’esprit cessent toute action (le vent tomba complètement et les flots s’endormirent sous l’effet d’un dieu).

Nous avons déjà rencontré les Sirènes lors de l’étude de la Quête de la Toison d’Or. Représentées comme des oiseaux à tête de femme, ce sont des expressions d’un mental réceptif-intuitif. Elles n’ont donc aucun rapport avec les sirènes de la tradition nordique. Si dans la Toison d’Or, elles symbolisaient quelques expériences lumineuses du mental supérieur, peut-être même du mental illuminé, il s’agit ici des expériences des plus hauts plans du mental – mental intuitif, surmental – qui donnent accès à la mémoire du passé et à la connaissance de ce qui est, en quelque point que se focalise la conscience (elles connaissent tout du passé et du présent en tous lieux).

Ce test ou avertissement est à distinguer des deux précédents que nous avons rencontrés, celui des Lotophages et celui des Lestrygons.

Le test des Lotophages concernait essentiellement les expériences des sens liées à l’ingestion de « nourritures », c’est-à-dire de pratiques spirituelles : les suavités spirituelles, les extases, etc.

L’épreuve des Lestrygons concernait les Nirvana, les paradis blancs de l’immobilité impersonnelle.

L’épreuve des Sirènes est ici en rapport avec les séductions des paradis du mental telles que les illuminations et autres joies des hauteurs du mental. Si la première dépendait du sens du goût, celle-ci est liée à l’ouïe, c’est-à-dire à la plus haute capacité de perception de l’essence.

Mais lorsque l’on aborde le yoga du corps, il s’agit de tout autre chose. Dans l’Agenda de Mère du 28 Août 1962, Mère explique : « C’est un travail très humble en apparence, qui ne fait pas de bruit. Ce ne sont pas des illuminations qui vous emplissent de joie et de… Tout ça, c’est bon pour les gens qui cherchent les joies spirituelles – ça appartient au passé.

C’est un travail très modeste, très modeste. Et même modeste au point de vue purement intellectuel, n’est-ce pas; cette sensation de savoir, de connaître les choses parce qu’on EST les choses alors on les connaît, c’est un autre genre: ça vous donne de la joie, le sentiment du progrès – ce n’est même pas comme cela! C’est TRÈS humble. C’est un travail très humble, sans éclat. Mais qui se continue d’une façon très régulière, très régulière, très OBSTINÉE.

Ça s’étendra certainement sur très longtemps.

Et à chaque pas, c’est comme s’il fallait faire très attention pour que rien ne bascule. Surtout les associations nouvelles de vibration, ça, c’est très difficile pour le corps: il faut qu’il soit bien-bien tranquille et bien maintenu, bien paisible, pour qu’il ne s’affole pas.

Parce qu’il est habitué à ce que les conséquences des vibrations suivent une courbe régulière, et puis si ça change, il a une sorte de surprise apeurée. Alors il faut éviter ça, il faut le tenir comme ça, tout doucement.

Et ce que le mental pense, ce que le mental s’attend à voir, ça paraît comme un enfantillage en comparaison, parce que c’est… oui, tiens, ça paraît comme une représentation de théâtre. C’est la différence entre une pièce à grand spectacle et puis la très modeste vie de chaque minute. C’est comme cela.

Tous les pouvoirs, toutes les siddhis, toutes les réalisations, toutes ces choses-là, c’est… c’est le grand spectacle – le grand spectacle spirituel. C’est pas comme cela! Très modeste, très modeste, très effacé, très humble, qui ne montre rien. »

Le chercheur ne doit donc pas s’arrêter là, car cette expérience, si haute soit-elle, arrête l’évolution (les prairies des Sirènes sont jonchées de cadavres en décomposition).

Chez certains auteurs, les Sirènes sont des filles du fleuve Achéloos « le courant de conscience qui accomplit la libération » et d’une muse, soit Terpsichore « la plénitude », soit Melpomène « le chant de l’âme ». Les muses étant filles de Zeus et de Mnémosyne, cette filiation rattacherait cette expérience à la mémoire totale de l’être, et donc aux souvenirs des vies antérieures.

Pour d’autres, elles symbolisent des expériences tournées vers l’union qui étaient initialement hors du champ mental mais sont descendues avec le temps dans le mental (filles de la muse Terpsichore, les Sirènes auraient été jadis au service de la puissante fille de Déo, mais évoluèrent, devenant mi-oiseaux mi-jeunes filles).

Pour éviter de tomber dans ce piège, le chercheur doit accepter de s’y confronter afin de garder une trace de l’expérience, tout en prenant d’importantes précautions.

Il doit faire en sorte qu’aucune partie susceptible de succomber ne se rende disponible, mais ce qui en lui travaille à l’union esprit-matière doit en avoir l’expérience, tout en ne se permettant aucun écart, quelle que soit la tentation (Ulysse se fit attacher solidement au mât, mais choisit de ne pas mettre de cire dans ses oreilles).

Il doit compter sur l’aide de sa prudence et de sa réflexion qu’il a sollicitées au préalable en se préparant à la confrontation (Eurylochos et Périmède viennent resserrer ses liens comme il le leur avait ordonné).

Suivant : Ulysse et Scylla (Chant XII) >>

<< Sommaire et Introduction : Les Retours de Troie