Ce qui est nécessaire, c’est qu’advienne un tournant dans l’humanité que quelques-uns ou un grand nombre percevraient au point d’en avoir la vision, de le ressentir comme un besoin impérieux et une possibilité, d’avoir la volonté de le réaliser en eux-mêmes et d’en découvrir la voie
Sri Aurobindo, The Life Divine, Chap XXVIII (Traduction de l’auteur).
Introduction
Dans ce monde, nombreux sont ceux qui, d’une manière ou d’une autre, se sentent asphyxiés, ne perçoivent rien de « réel » et aspirent au fond d’eux-mêmes à un puissant changement. Plus nombreux encore ceux qui sentent que l’humanité s’est engagée dans une impasse, en souffrent, et savent confusément que la solution ne peut plus être extérieure.
Certains, conscients de leur impuissance, dégagés de tous les « ismes » aussi bien politiques, philosophiques que religieux, ayant laissé derrière eux l’humanitaire et les tentations révolutionnaires, parfois détruits dans leur âme ou dans leur corps, quittent les chemins de l’extérieur pour tenter l’aventure intérieure.
Ils se mettent alors en quête d’un guide ou d’une voie, pour comprendre et tenter de se transformer, afin d’atteindre un idéal qu’ils se sont construit. Chacun, selon sa nature et les « synchronicités » de la vie, s’oriente dans une voie ou dans une autre, errant souvent bien longtemps avant de « reconnaître » la sienne, par quelque mystérieuse adéquation.
Cependant, celui qui ne veut plus se limiter à une vision partielle résultant d’une expérience particulière, et qui aspire à une synthèse plus haute et plus vaste, se trouve face aux innombrables religions et sagesses d’Orient et d’Occident, aux faux ou vrais gurus, aux pseudos ou véritables « éveillés », « illuminés » ou « libérés vivants ». Chacun d’eux propose une voie ou affirme qu’il n’en existe aucune. Certains entraînent sur le chemin des « pouvoirs », d’autres les évitent à tout prix. Les uns ne jurent que par la montée de la « Kundalini », les autres mettent en garde contre elle. D’aucuns rejettent le mental, tandis que d’autres exigent sa pleine maturité. Nombre de voies n’annoncent de salut que dans les hauteurs de l’esprit, hors de ce monde ou après la mort, tandis que d’autres, de plus en plus nombreuses, aspirant à une transformation humaine en profondeur, se réorientent vers le corps, jusqu’à envisager une mutation de la « conscience cellulaire » comme seule issue possible pour la survie de l’humanité.
Le chercheur doit bientôt faire le constat que, si tous les véritables éveillés approchent la même Réalité, souvent à travers des expériences similaires, chacun d’eux, selon sa « couleur », l’exprime à sa façon et transmet un enseignement qui lui est propre.
Il doit se rendre à l’évidence qu’une pluralité de voies est nécessaire, même si un grand nombre d’entre elles doivent encore évoluer afin d’abandonner toute prétention à détenir LA « vérité ». Il semble même évident que chacun, ultimement, doive suivre sa propre voie d’évolution.
Il doit aussi admettre que toute expérience particulière de la Réalité vécue et transmise par un maître – rapidement déformée et codifiée par ses disciples – perd le souffle qui l’anime et devient rapidement lettre morte, ou bien, qu’emprisonnée dans les carcans des dogmes religieux, une vérité qui se voulait vivante et donc toujours fluctuante a été vidée de sa substance.
Reconnaissant comme dénominateur commun que ces voies ne visent qu’à accélérer ou perfectionner le mouvement évolutif – que ce soit à des fins personnelles, collectives ou divines, aussi hautes soient-elles – on peut se demander s’il est possible de concevoir une vaste synthèse et dégager les orientations communes qui permettraient d’éclairer le chemin de ceux qui aspirent à « autre chose », et pourquoi pas, aussi, celui de l’humanité.
C’est à une telle démarche que se livrèrent les maîtres de sagesse grecs, à la suite des initiés de l’ancienne Égypte et des rishis de l’époque Védique. Non pas un inventaire des voies et enseignements spirituels – ce qui devait être, même dans l’antiquité, une gageure irréalisable – mais une vision de l’aventure humaine, en particularisant les grandes étapes de son évolution et en signalant les obstacles qui jalonnent le parcours.
Le présent ouvrage se propose donc de montrer que la mythologie grecque est, en son essence, la tentative de réaliser une telle synthèse.
Pour différentes raisons que nous examinerons plus loin, les anciens furent obligés de crypter leurs connaissances sous formes de mythes afin qu’elles ne soient accessibles qu’aux seuls initiés possédant les clefs. Cette étude n’aurait aucun fondement si nous ne commencions par expliciter celles que nous avons retrouvées.
Cette synthèse ne fut pas, chez les premiers poètes grecs, le résultat de spéculations intellectuelles, mais le fruit d’expériences. Homère en est bien sûr la figure la plus grandiose. De nos jours, et à notre connaissance, seul Sri Aurobindo réalisa une synthèse équivalente, donnant même accès à de nouvelles possibilités évolutives. C’est donc bien évidemment sur un rapprochement entre les œuvres de ces deux géants de la spiritualité que sera construite cette étude.
Une telle tentative oblige à un total pragmatisme et à écarter dans un premier temps les expériences particulières et croyances de toutes sortes.
Si évolution il y a – et toute démarche dite « spirituelle » doit s’inscrire dans cette évolution – alors il est nécessaire de plonger dans ses archives, d’en dégager le scénario passé, la phase présente, et d’y intégrer les expériences de ceux qui en poursuivent le mouvement, afin d’ouvrir les chemins du futur.
Deux moyens sont privilégiés pour mettre à jour les lignes directrices de l’évolution passée et présente : l’observation de la nature animale et du développement de l’homme (depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte) et l’investigation intérieure des couches de la conscience.
De cette synthèse, les « initiés » grecs ont fait ressortir trois grands mouvements
– Une évolution propre à l’homme, faisant suite à l’évolution animale dont nous conservons les mémoires, qui suit une progression mentale – celle de l’« intellige