ŒDIPE ET LES GUERRES DE THÈBES

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Le mythe d’Œdipe et les guerres de Thèbes illustrent le processus de purification des centres d’énergie pour rendre le corps transparent aux forces divines.

Oedipe et la Sphinge, et Hermès à gauche - Musée du Louvre

Oedipe et la Sphinge ainsi qu’Hermès à gauche – Louvre Museum / CC BY (https://creativecommons.org/licenses/by/3.0) https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Oedipus_sphinx_Louvre_G417_n2.jpg

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Satan était visible, mais vêtu de lumière ;
Il semblait un ange secourable envoyé des cieux :
Il armait le mensonge avec les Écritures et avec la Loi ;
Il trompait avec sagesse, tuait l’âme avec vertu
Et conduisait à la perdition par le sentier du ciel

Sri Aurobindo

Si personne après Freud ne peut ignorer le nom d’Œdipe, son histoire en réalité ne fait qu’introduire, par un retournement de conscience, un processus de purification illustré par les guerres de Thèbes.
Dans le tome précédent, nous avons poursuivi l’étude des ascendants d’Œdipe jusqu’aux enfants de Cadmos et nous en rappelons ici les grandes lignes.

Voir Arbre généalogique 21 et Arbre généalogique 22

Les noces de Cadmos et Harmonie illustrent une voie d’incarnation de l’être intérieur (Thèbes) par laquelle « le travail de maîtrise » et de « purification » en vue de la « transparence » de l’être (Cadmos, fils d’Agénor et Téléphassa ou Damno) prend pour but « l’exactitude » (Harmonie, qui, avec les lettres structurantes, implique aussi « une évolution de la conscience vers le mouvement juste de la consécration »).
Ce couple engendra quatre filles et un fils :
– Ino ou l’ascèse excessive des débutants
– Autonoé ou la déviance du chercheur « trop parfait »
– Agavé et son fils Penthée, ou l’attachement à l’effort et à la souffrance (le sentier obscur)
– Sémélé, « la juste soumission » ou « l’exactitude » dans le processus de croissance de l’amour vers laquelle tend le chercheur par la voie de la purification/libération, et son fils Dionysos (la voie qui embrasse la totalité de l’être pour y réaliser la « jouissance » du Divin)
– Polydoros dont la signification est incertaine : soit « celui qui se donne beaucoup, le don de soi », c’est-à-dire le mouvement de « consécration » ou la voie du « sacrifice » au sens où l’emploie Sri Aurobindo, soit « de nombreux dons », c’est-à-dire le développement de la personnalité et de ses capacités.

Si les filles de Cadmos et d’Harmonie peuvent être associées à la voie de « la consécration passive », Polydoros peut représenter celle de « la consécration active » dans le champ de la volonté intelligente réalisatrice. Les deux mouvements doivent se conjuguer afin de réaliser « l’exactitude », c’est-à-dire apporter « la juste vision dans le mental, la juste impulsion et le juste sentiment dans le vital, le juste mouvement et la juste habitude dans le physique ». La réalisation de cette « exactitude » correspond à la soumission entière de la nature extérieure à l’être psychique.

Rien ne permet d’affirmer avec certitude que, dans les mythes primitifs, Polydoros ait eu une descendance. Ce n’est qu’à la fin du Ve siècle, avec Hérodote et les Tragiques, que la liaison avec Œdipe est établie. Toutefois, comme ce dernier héros est associé à des mythes traitant également de purification et de réharmonisation (la guerre des Sept contre Thèbes et celle des Épigones), la filiation semble cohérente.

LA FONDATION DE THÈBES ET SES PREMIERS ROIS

Il est une série de mythes, qu’aucune source ancienne hélas ne confirme, qui ont trait à la fondation de Thèbes et concernent donc les débuts du processus d’incarnation de la vie intérieure. Ils sont tantôt reliés à Polydoros lorsqu’Antiope est présentée comme sa belle-sœur, soit totalement indépendants lorsque cette dernière est la fille du fleuve Asopos. Nous allons étudier successivement les deux versions.

Dans la première version, il faut remonter aux ancêtres de Niktéis, la femme de Polydoros : soit ce sont Poséidon et Alcyoné (« une forte évolution » dont le dynamisme provient du subconscient, Poséidon), soit c’est l’un des semés Chtonios « (la profondeur de) la terre ».

Hyrieus, ou la compréhension du chemin et la préparation à l’entrée dans la quête par un premier renversement

Poséidon et Alcyoné eurent un fils Hyrieus.
Hyrieus était roi de la ville de Béotie qui portait son nom.
Il possédait un trésor qu’il conservait dans un abri fortifié par de célèbres architectes, Agamédès et Trophonios.
(Agamédès avait épousé une Épicaste homonyme qui s’était unie à Apollon dont elle avait eu Trophonios. D’autres disent que ce dernier était un fils d’Erginos, de la lignée de Minyas.)
Ces architectes auraient construit déjà la chambre nuptiale d’Alcmène à Thèbes, le temple d’Apollon à Delphes et celui de Poséidon en Arcadie. Ils puisaient dans le trésor du roi car ils avaient secrètement prévu de pouvoir y accéder en enlevant une pierre bien dissimulée. Le roi s’aperçut des vols et demanda conseil à Dédale. Celui-ci disposa un piège dans lequel Agamédès se fit prendre. Trophonios, pour éviter d’être dénoncé par son partenaire, le décapita. Mais la terre s’entrouvrit et engloutit le meurtrier.
(Il existe une variante de ce mythe dans laquelle le roi est Augias et non Hyrieus.)

« Le mouvement juste de la conscience vers un état de réceptivité », qui s’est fortifié dans le subconscient en réponse à une puissante volonté d’évolution, a permis de nombreuses « réalisations » (Hyrieus, fils de Poséidon et d’Alcyoné, avait amassé un trésor). Celles-ci sont mises en réserve pour un yoga futur et protégées de toute atteinte au moyen d’une organisation intérieure établie à la fois par « celui qui a un puissant dessein » en vue de la « purification », et par « ce qui nourrit l’évolution de la conscience » (une structure édifiée par les célèbres architectes de la lignée de Minyas « l’évolution d’un état réceptif en vue de la consécration », Agamédès et Trophonios. Le premier, Agamédès est uni à Épicaste et représente donc un mouvement qui recherche « tout ce qui rapproche de la pureté ». Dans la version où Apollon s’unit à Épicaste, cette quête de pureté est « appréciée » et fécondée par la lumière psychique, Apollon. De cette union, nait Trophonios « celui qui nourrit l’évolution de la conscience ».)

Ce mouvement de structuration de la conscience avait déjà permis de reconnaître la nécessité de mettre en avant les lumières psychiques et le travail important réalisé par le subconscient œuvrant à travers les évènements de la vie (les deux architectes avaient déjà édifié les temples d’Apollon et de Poséidon).
Ce mouvement avait aussi préparé le chercheur ayant développé « une âme forte ou une puissante personnalité » à entrer dans la quête (ils avaient construit la chambre nuptiale d’Alcmène où eut lieu son union avec Zeus dont naquit Héraclès).
Il avait également donné les moyens de ne pas gaspiller « les éclairs de vérité » ou expériences lumineuses que le chercheur avait expérimentés (ils avaient protégé le trésor d’Augias).

Malgré toutes ces réalisations, c’est encore « un puissant dessein personnel » et la volonté de retirer des fruits de ces réalisations qui dominent dans le chercheur, ce qui contribue à en diminuer la portée (les architectes puisent dans les trésors du roi Hyrieus).
Aussi les mouvements d’organisation de la conscience doivent-ils céder la place : c’est un des éléments les plus avancés qui participe de la guidance intérieure, « l’habileté dans les œuvres », qui travaille dans ce but (c’est Dédale, dans la lignée des rois d’Athènes, qui prépare un piège).
Pour cela, le chercheur doit ruser avec lui-même car il s’agit d’un renversement : les énergies qui ont édifié les structures nécessaires à la protection des acquis du yoga contribuent désormais à les amoindrir, car l’ego veut encore sa part.
L’intelligence, par son « habileté », dévoile cette perte, mais c’est « ce qui nourrit l’évolution de cette organisation de la conscience » qui met fin à ce « puissant dessein (personnel) » en lui enlevant son principe directeur (Trophonios coupa la tête d’Agamédès). Puis à son tour disparaît ce qui a permis l’organisation de cette première phase du yoga (Trophonios est englouti par la Terre).

Cette histoire illustre la nécessaire transformation d’un chemin effectué en vue de buts personnels, même s’il s’agit de la libération ou de la perfection de soi, en un yoga pour le Divin lui-même. Car le chercheur ne doit pas soumettre le yoga à ses propres conditions ni se préoccuper de son accomplissement personnel mais de celui de l’œuvre divine. La propre libération du chercheur, sa perfection et sa plénitude spirituelle seront un résultat et une partie de cette manifestation du Divin, mais non le but de son yoga.

Les enfants d’Hyrieus, Nyctéus et Lycos, et ses petits-enfants, Nyctéis et Antiope

La version étudiée ici est tardive et de seconde main. En effet, Hygin l’a rapportée à partir d’une pièce perdue d’Euripide.
Hyrieus s’unit à Clonia qui lui donna deux enfants, Nyctéus et Lycos. (Pour Apollodore, Nyctéus était directement issu de Chtonios.) Après avoir tué Phlégyas, ceux-ci arrivèrent à Thèbes. Nyctéus devint régent pour le compte de Labdacos encore enfant. Il s’unit à Polyxo qui lui donna deux filles, Nyctéis et Antiope. Son frère Lycos s’unit à Dircé.

Plus tard, Zeus séduisit ou viola Antiope qui fut enceinte de jumeaux. Pour échapper à la colère de son père Nyctéus, elle s’enfuit à l’extrémité de l’isthme de Corinthe où le roi Épopée la prit pour épouse. Nyctéus en mourut (ou se suicida selon certains). Sur son lit de mort, il demanda à son frère Lycos qui devait lui succéder comme régent de Thèbes, de veiller à ce que sa fille soit punie ainsi que son mari.
Lycos organisa donc une expédition, tua Épopée et ramena Antiope à Thèbes. En chemin, celle-ci accoucha des jumeaux Amphion et Zéthos qui furent exposés sur le mont Cithéron (ou à Éleuthère) puis recueillis et élevés par un gardien de troupeaux.

Prisonnière à Thèbes, Antiope fut maltraitée des années durant par Dircé, la femme de Lycos. Un jour, les liens qui l’attachaient tombèrent et elle rejoignit ses enfants dans leur cabane. Ceux-ci tuèrent alors Dircé et Lycos. (Dans une autre version, Lycos fut sauvé par Hermès).
Ayant hérité du pouvoir, les jumeaux Amphion et Zéthos construisirent les remparts de la ville de Thèbes dont ils chassèrent Laïos, petit-fils de Polydoros et père d’Œdipe.

C’est à la suite du renversement que nous venons de voir qu’émerge une première lueur de vérité, un premier « éveil », Lycos « la lumière qui précède l’aube », alors que tout le reste de l’être se maintient dans la nuit, est encore endormi (Nyctéus « la nuit »).
L’union d’Hyrieus « un juste mouvement de la conscience vers un état de réceptivité » et de Clonia « une poussée devant soi, un ébranlement » indique en effet à la fois une aspiration à une forte évolution et la réponse à celle-ci, un ébranlement dans la vie du chercheur.
(Dans une variante, Nyctéus et Lycos sont des enfants du « semé » Chtonios, ce qui pourrait laisser entendre que ce premier éveil est une remémoration de vie antérieure.)

Mais à ce moment du chemin, le chercheur n’est pas à même de reconnaître cette première lueur de Vérité : c’est sa partie inconsciente qui s’allie aux nombreuses « vérités reçues d’en haut » (Nyctéus s’unit à Polyxo) tandis que la lumière qui émerge s’oriente dans une fausse direction en s’unissant à Dircé (Lycos s’unit à l’opposé de « la juste manière d’agir (Δικη+Ρ) »). C’est pourquoi cette dernière martyrisera durant de longues années Antiope, la fille de son frère.

La succession sur le trône de Thèbes dans cette première période est assez confuse. L’ordre qui semble le plus souvent admis ou du moins évite au maximum les incohérences serait le suivant :
Polydoros succéda à son père Cadmos, puis fut détrôné par Penthée. Lorsque celui-ci fut tué par sa mère Agavé, Nyctéus et Lycos assurèrent la régence l’un après l’autre, d’abord pour le compte de Labdacos, puis pour celui de Laïos.
Labdacos aurait régné pendant une courte période au milieu de la régence de Lycos.
(Selon Apollodore, le règne de Penthée s’intercale entre ceux de Cadmos et de Polydoros. Et des deux frères Nyctéus et Lycos, seul le dernier monta sur le trône.)
Puis Lycos fut assassiné par Amphion et Zéthos qui s’emparèrent du trône. Durant leur règne eut lieu le massacre des Niobides qui entraîna la mort d’Amphion. Zéthos mourut peu après.
Laïos remonta alors sur le trône de Thèbes dont il était le légitime héritier.

L’histoire racontée ci-dessus résume la succession de plusieurs mouvements évolutifs.
Elle a été étudiée en détail dans le Tome précédent. Nous n’en reprenons que les grandes lignes.

Nous avons vu que le symbolisme du nom Polydoros était incertain, et donc le mouvement de yoga correspondant difficile à déterminer : il représente soit « celui qui se donne beaucoup, le don de soi, la consécration active », soit « de nombreux dons », c’est-à-dire soit le développement de la personnalité et de ses capacités.

Le deuxième mouvement est plus compréhensible : il consiste à considérer la souffrance comme le moyen préférentiel de l’évolution spirituelle. Il y est mis fin lorsqu’Agavé, sous l’influence de la voie qui ne rejette aucun élément de la nature (la voie Dionysiaque), tue son fils Penthée, l’attachement à « la souffrance » (Cf. Tome 2).

La troisième étape débute lorsque Nyctéus et Lycos arrivèrent à Thèbes après avoir tué Phlégyas « l’enflammé ». Celui-ci appartient à la lignée de Sisyphe dont il est l’arrière-petit-fils. Certain auteurs en font aussi le père de Coronis, la mère du célèbre guérisseur Asclépios (Esculape). Il s’agit donc d’une flamme mentale et non psychique, une manière d’aborder le chemin par le seul intellect. En effet, si la compréhension de la voie, de ses moyens et de ses buts est nécessaire, elle ne doit pas faire obstacle ou se substituer au travail de purification.

Le premier des enfants d’Hyrieus qui assure ensuite la régence est Nyctéus : le chercheur avance dans « la nuit » en ce qui concerne le processus de purification, mais il tend tout de même vers de « nombreuses vérités partielles » (Polyxo).
Ce travail dans la nuit a pour effet à la fois un maintien de « l’obscurité » (Nyctéis) mais surtout « une vision opposée », c’est-à-dire une capacité « d’inverser sa vision », « un renversement de conscience » (Antiope).
Ici est introduit un élément fondamental du yoga, l’action issue de l’intérieur de l’être plutôt qu’en réaction à l’extérieur.
Cette nouvelle orientation est « fécondée » par les plus hautes instances de l’être dans le supraconscient (Zeus).
(Homère fait d’Antiope une fille du fleuve Asopos, ancêtre du « divin Achille ».)

Mais ce processus doit se développer alors que le chercheur a orienté son travail dans une mauvaise direction qui s’opposera longtemps au « retournement de conscience ». En effet, Lycos « la lumière naissante » s’était uni à Dircé (dont le nom doit être compris comme celui de Diké « la juste manière d’agir » dans lequel est inséré le Rho comme symbole de l’inversion, selon une construction identique à celle du nom Orthros).

Pour fuir la colère de son père, Antiope se réfugia à l’extrémité de l’isthme de Corinthe (qui était sous la domination de Sisyphe) où elle s’unit à Épopée : « le retournement de conscience » doit se retirer à l’arrière-plan pour travailler, hors du champ d’action de l’intellect qui ne peut donc plus lui nuire. Une « vision élargie (d’au-dessus) » la prend pour but (Antiope s’unit à Épopée).
Mais la lumière orientée dans une mauvaise direction met fin à cette ouverture de conscience (ou vision élargie), empêche que se développe ce retournement et même le malmène (Lycos, uni à Dircé, tue Épopée et emprisonne Antiope ensuite maltraitée par Dircé).

Mais sur le chemin du retour vers Thèbes, avant son emprisonnement, Antiope accoucha des jumeaux Zéthos et Amphion qui furent exposés sur la montagne puis recueillis par un berger qui les éleva.
Ce retournement de la conscience permet toutefois qu’apparaissent deux mouvements de yoga qui doivent travailler de concert (ils sont jumeaux) :
avec Zéthos, « celui qui recherche », la volonté d’expérimenter et de se purifier (il se consacrait à l’élevage du bétail et s’adonnait à la chasse). Il s’unit à Thébé « l’incarnation par ce qui vient de l’intérieur ».
avec Amphion « celui qui est autour » ou « reste à l’écart », autrement dit « la conscience témoin », celle qui prend du recul (il jouait de la lyre qui lui avait été donnée par Hermès). Il s’unit à Niobé « l’incarnation par l’évolution de la conscience ».

Ces mouvements se développent en marge de ce que le chercheur considère comme le chemin juste, sous la protection de ce qui veille sur les réalisations (alors que Lycos était uni à Dircé, un berger éleva les jumeaux à leur insu).
Ils forment les bases du processus de purification/psychisation (ils érigèrent les fondations de Thèbes).

Lorsque ces deux mouvements atteignent un développement suffisant, ils peuvent rectifier l’erreur d’orientation : Amphion et Zéthos tuèrent Lycos et Dircé. (Pour l’auteur de la version dans laquelle Lycos est sauvé par Hermès, cette lueur de vérité est susceptible de s’orienter correctement une fois l’erreur redressée.)

Cette version de la fondation de Thèbes, étroitement liée à Polydoros, la situe en parallèle avec les expériences représentées par ses sœurs Ino, Autonoé, Agavé et Sémélé.
C’est l’union de Polydoros que nous considérons ici comme le symbole du « développement des dons personnels » et de Nyctéis « la nuit » qui introduit un glissement et ouvre la lignée d’Œdipe. Cette union marque une mauvaise orientation des dons personnels du chercheur, leur détournement à son propre profit au lieu de leur consécration à l’Absolu.

(Dans certaines variantes, Nyctéus est issu du « semé » Chtonios ou bien d’Alcyoné et de Poséidon. Il s’agirait alors du surgissement d’un « nœud » ou d’une puissante évolution induite par le subconscient.)

Autres versions de la fondation de Thèbes

Il existe toutefois une version plus ancienne de la fondation de Thèbes énoncée par Phérécyde : longtemps avant Cadmos, Amphion et Zéthos fondèrent et fortifièrent Thèbes pour défendre la population contre les Phlégyens. Ceux-ci, conduits par Eurymachos, détruisirent la ville après la mort des jumeaux.
Dans cette version, Antiope était fille du fleuve Asopos, lui-même ancêtre des Myrmidons « le peuple des fourmis », ceux qui se préoccupent de « l’infime », et du plus grand d’entre eux, Achille. Cette fondation n’était donc pas automatiquement liée à un yoga avancé mais impliquait tout de même la capacité de commencer à prendre conscience des plus légers mouvements intérieurs.
« L’incarnation par ce qui vient de l’intérieur » doit en premier lieu se protéger de l’excitation de l’intellect (les Phlégyens). Mais une fois passée la première impulsion pour la quête, l’intellect « enflammé » reprend le dessus et détruit les premières fondations, guidé par un puissant élément qui combat dans la dualité (Eurymachos dirige les Phlégyens au combat). C’est le mouvement de réaction qui reprend le dessus.
Il faudra attendre, avec Épaphos, un premier « attouchement » des mondes de l’esprit et l’épisode des Danaïdes pour que Cadmos procède à la seconde fondation de Thèbes.
Certains auteurs qui voulurent concilier les deux versions prétendirent qu’Amphion et Zéthos édifièrent la ville basse et Cadmos la citadelle.

D’autres auteurs disent qu’Amphion et Zéthos édifièrent les murs de Thèbes avec une lyre ou que les pierres se mettaient en place toutes seules tandis qu’ils jouaient, laissant entendre que les premières bases du processus de libération/purification et sa protection s’installent sans difficulté majeure, de manière spontanée.

Certains disent aussi qu’Amphion fut le premier mortel à jouer de la lyre, avec Hermès pour professeur : ce héros incarne la première opportunité pour le chercheur de recevoir directement l’influence du surmental (Hermès), ce qui suppose un mental réceptif, à l’opposé d’un intellect enflammé.

La mort des Niobides : la fin des réalisations liées à la conscience témoin

Amphion, fils d’Antiope et de Zeus, s’unit à Niobé, la fille de Tantale, qui lui donna de nombreux enfants (six fils et six filles selon Homère, mais en nombre et proportions variés selon les autres sources).
Niobé prétendait se comparer à Léto parce qu’elle était plus féconde que la déesse qui n’eut que deux enfants. Irrités, Apollon et Artémis tuèrent les enfants de Niobé, Apollon les fils et Artémis les filles. Les cadavres restèrent gisants dans leur propre sang pendant neuf jours car il n’y avait personne pour les mettre en terre puisque Zeus avait pétrifié tout le monde. Finalement, les dieux les enterrèrent eux-mêmes le dixième jour, et Niobé, lasse de pleurer, songea à se sustenter.
Et Homère d’ajouter : « Maintenant, toute pierre qu’elle est, elle digère ses deuils envoyés par les dieux sur le mont Sipyle où sont les couches des nymphes divines qui dansent au bord de l’Achéloos. »
D’autres auteurs font se clore la vie de Niobé en Lydie où elle se transforma en pierre.

Comme de coutume dans les mythes, la fin du héros principal, Amphion, est passée sous silence. Chez Eschyle, son palais est détruit ; Apollodore cite une source dans laquelle il meurt sous les flèches d’Apollon.

Hormis la filiation de Niobé indiquée par Eschyle où elle est fille de Tantale, cette histoire provient de l’Iliade, au chant XXIV, lorsqu’Achille tente de convaincre Priam de se nourrir malgré sa peine. Elle attire l’attention sur la nécessité de ne pas confondre les premiers résultats de la conscience-témoin, œuvrant pour infuser de la conscience dans l’incarnation, avec les manifestations de l’ouverture psychique.
Elle peut concerner les débuts du chemin, l’époque de la première fondation de Thèbes ou celle du lion du Cithéron (car selon Apollodore, les fils de Niobé furent tués sur ce mont). Mais elle s’applique en réalité longtemps, car pour la plupart, l’être psychique ne prend que très progressivement la direction de l’être.

Nous avons commencé l’étude de Tantale « l’aspiration » et « la volonté de progrès » au chapitre 4 du Tome 1 et nous étudierons en détail sa lignée dans le chapitre consacré aux protagonistes de la guerre de Troie. Rappelons ici qu’il s’agit d’un chercheur parvenu aux plus hauts sommets de la conscience humaine en l’esprit, à « sa porte supérieure », puisque Tantale peut goûter au nectar et à l’ambroisie. Mais le mental, même aux plus hauts sommets de la non-dualité, ne peut en aucun cas combler « le manque essentiel » et c’est la descendance de ce héros – Ménélas et Agamemnon – qui assurera la transition du yoga vers les profondeurs de l’inconscient.
La fille de Tantale, Niobé, symbolise cette volonté consciente de progrès. Mais comme c’est la volonté personnelle qui est ici à l’œuvre et non l’être psychique, quelles que soient le nombre des réalisations obtenues, il ne peut s’ensuivre qu’une radicale transformation, car le mental ne peut aller au-delà de lui-même.

L’union d’Amphion « la conscience témoin » et de Niobé « la conscience en évolution travaillant dans l’incarnation » marque le moment où le chercheur s’engage sérieusement sur un chemin de yoga, dans un processus d’incarnation de l’être intérieur et donc de cohérence et de purification (la première fondation de Thèbes). Mais le mental et l’ego sont encore extrêmement actifs.

Les enfants du couple expriment une totalité de réalisations aussi bien dans la partie réceptive et intuitive que dans le discernement actif au sein de l’incarnation (six filles et six fils). Mais aussi nombreuses soient ces réalisations ou ces expériences, elles ne peuvent bien sûr rivaliser en qualité avec celles de l’être psychique (les enfants de Léto).
Vient donc un moment où l’être psychique, en accord avec le supraconscient, intervient pour mettre fin à cette étape en annulant les réalisations et en « immobilisant » ce processus évolutif et tout ce qui l’accompagne (Apollon et Artémis tuent les enfants de Niobé tandis que celle-ci et le peuple d’Amphion sont changés en pierre). Même s’il n’est pas détruit, ce premier mouvement œuvrant par « la conscience témoin » n’est plus d’aucune utilité sur le chemin lorsque l’être psychique vient au premier plan. Il était dit que trente années d’un yoga soutenu étaient nécessaires pour parvenir à cette réalisation.

Toutefois, le chercheur semble avoir bien du mal à accepter la mutation, à renoncer à ses anciens acquis tout en reconnaissant leur utilité passée. Il doit faire appel pour cela à une action supérieure (les enfants ne reçoivent des dieux une sépulture que le dixième jour).
Puis, dans une première phase, le chercheur remet en route le processus d’évolution (Niobé recommence à se nourrir). Beaucoup plus tard, lorsqu’il atteint les limites de la volonté personnelle et que l’être psychique est passé au premier plan, ce processus initial d’incarnation de la conscience est immobilisé et le chercheur intègre la perte de ses premières réalisations (Niobé, changée en pierre sur le mont Sipylos « la porte de la conscience humaine », digère ses deuils imposés par les dieux).

L’union de Polydoros et de Nyctéis, et leur fils Labdacos

L’union de Polydoros, fils de Cadmos et d’Harmonie, et de Nyctéis n’est attestée que tardivement. Nyctéis ne peut ici être considérée comme un but mais doit être comprise comme un développement des potentialités ou du don de soi par une « descente dans la nuit ». Elle présenterait alors un point de passage obligé.

Nous avons évoqué dans le tome précédent une interprétation possible dans laquelle Polydoros est compris comme « celui qui se donne beaucoup, le don de soi » sans que l’on puisse écarter tout à fait le sens des « nombreux dons (que l’on reçoit) ». En tout état de cause, l’ombre surgit pour être traitée, cette ombre n’étant autre chose que les cristallisations du passé (Nyctéis est alors ici une descendante de Chtonios).
Cette union serait alors liée au travail sur l’ombre ou aux « nuits » dont parlent toutes les traditions spirituelles.
Ces nuits sont les passages obligés du processus de purification et caractérisent des périodes dans lesquelles les repères précédents sont abandonnés sans que les prochains ne soient encore établis clairement dans la conscience. Parmi les mystiques chrétiens, saint Jean de la Croix a particulièrement développé ces nuits et en a distingué deux en particulier, « la nuit des sens » et « la nuit de l’âme ». La mystique chrétienne Bernadette Roberts en ajoute une troisième qui implique l’annihilation du moi réflexif.
Sri Aurobindo, tout en reconnaissant que les périodes d’aridité sont inévitables, recommande d’éviter que le chercheur ne s’y attache ou ne lui attribue une importance exagérée, l’attention devant toujours être reportée sur une consécration joyeuse.

Il semble généralement admis que Polydoros succéda à son père Cadmos, puis qu’il fut détrôné peu de temps après par Penthée : à la première période durant laquelle le chercheur développe ses potentialités, succèderait donc une phase d’évolution dans laquelle prime l’attachement à l’effort et à la souffrance.

Polydoros eut de sa femme Nyctéis un fils, Labdacos. Les anciens semblent s’accorder sur le fait qu’il resta peu de temps sur le trône. Son règne fut marqué par une guerre de frontières qui l’opposa au roi d’Athènes Pandion I. Celui-ci, avec le soutien de Térée, l’emporta. Selon Apollodore, « Labdacos périt peu de temps après Penthée car il avait à peu près la même attitude que lui ».
Lorsque Penthée fut tué par sa mère Agavé, Nyctéus et Lycos assurèrent alors la régence l’un après l’autre, d’abord pour le compte de Labdacos puis pour celui de Laïos.
L’origine du nom Labdacos est obscure mais l’on peut faire plusieurs hypothèses sachant que la forme ancienne du lambda s’écrivait sans le M (Λαβδα). Il symboliserait alors « l’ouverture de la conscience au processus de libération ». On peut aussi considérer que l’absence du M correspond à un manque de réceptivité, ce qui produirait un déséquilibre qui fait écho à la claudication de Labda, la fille d’Amphion. Laïos, perçant les pieds d’Œdipe à sa naissance, accroitra encore cette séparation symbolique entre l’esprit et la matière.

Pandion I « celui qui se donne entièrement à l’union en conscience » appartient à la lignée des rois d’Athènes en relation avec la croissance de l’être intérieur et le développement progressif de l’action issue du centre de l’être. Nous avons vu précédemment que Térée « le guetteur » et donc « la vigilance », fils d’Arès, était une aide dans ce processus.
Mais la frontière entre ce qui doit être soumis à un processus de purification-libération par le jugement ainsi que par les moyens de l’action personnelle (Labdacos) et ce qui doit être offert au Divin afin qu’il le transforme est incertaine : c’est la guerre de frontière entre Labdacos et Pandion. Le chercheur a donc du mal à définir dans sa vie les limites entre ce qu’il doit entreprendre avec les moyens de l’ego et ce qu’il doit abandonner à l’action du Divin. La réponse du mythe est qu’une « vigilance mentale » alliée à la « consécration », permet de discerner l’attitude juste.
Cette période, encore trop teintée d’attachement à la souffrance, doit cesser (Labdacos « a la même attitude que Penthée » et meurt peu de temps après lui).
Cet attachement est aussi lié au fait que le chercheur considère encore « un dieu fort » extérieur à lui (Pandion I est uni à Zeuxippé « le dieu cheval »).

La façon dont Térée traita Procné et Philomèle indique que cette vigilance mentale doit être mutée en « attention » si elle ne veut pas détruire le processus d’évolution vers la Connaissance (cf. histoire de Térée Ch.4 – T 2).

Lorsque le chercheur cesse de prendre la souffrance comme référence du chemin, il s’ensuit une période d’incertitude où « inconscience » et « vague lueur » alternent (lorsque Penthée fut tué par sa mère Agavé, Nyctéus et Lycos assurèrent alors la régence l’un après l’autre, d’abord pour le compte de Labdacos puis pour celui de Laïos).

Laïos et Jocaste (Épicaste)

À la mort de Labdacos, Laïos avait un an et Lycos assura la régence. Plus tard, lorsqu’Amphion et Zéthos montèrent sur le trône après avoir tué Dircé et chassé Lycos, ils exilèrent aussi Laïos.

L’étymologie du nom Laïos est obscure. Il signifie « gauche » ou « à gauche ». On peut aussi le rapprocher du dorien Ληιον qui signifierait ici « champ ensemencé », soit un premier résultat du yoga. Avec les lettres structurantes Λ+Ι, ce serait « une conscience en voie de libération » (état qui est encore très peu développé à la mort de Labdacos puisque Laïos n’a qu’un an). Il faudra donc une longue période de maturation « dans la nuit » ou guidée par « une faible lueur », puis par « la conscience témoin » associée à « la volonté d’expérimenter » avant l’entrée définitive sur le chemin (la régence de Lycos, selon certains précédée par celle de Nyctéus, puis celle d’Amphion et Zéthos, avant que Laïos ne monte sur le trône).

Hormis son meurtre perpétré par son fils, une seule histoire fut rapportée assez tardivement concernant Laïos : celle du rapt de Chrysippos, fils illégitime de Pélops. Elle figure pour la première fois dans l’œuvre d’Euripide, mais aucune source ancienne ne vient la confirmer.
Laïos se serait épris de Chrysippos alors qu’il lui apprenait à conduire un char, mais ce dernier le repoussa et se suicida de honte. Cet évènement aurait été la cause de la malédiction lancée par Pélops sur la lignée des Labdacides.
Il existe une autre version rapportée par Hellanicos au milieu du Ve siècle dans laquelle Atrée prit la tête d’un complot visant à éliminer Chrysippos, fils de Pélops d’un premier lit ou fils illégitime. En effet, Hippodamie, l’épouse légitime de Pélops et mère d’Atrée et Thyeste, craignait de le voir hériter du trône dont ses propres fils auraient été spoliés.
Une autre version fait d’Hippodamie la seule meurtrière.

Le contenu symbolique de ce mythe semble avoir été détourné au profit d’une condamnation de l’homosexualité lorsque l’on retient le suicide de Chrysippos causé par la honte.
La version du complot est donc à privilégier. Elle expose le risque de placer la parfaite purification vitale comme but du chemin alors qu’elle n’en doit être qu’un moyen. En effet, si le chemin est à ce moment-là celui de « la maîtrise de la force » (l’épouse de Pélops est Hippodamie), ce n’est plus de la maîtrise vitale dont il s’agit (Chrysippos est un fils illégitime ou le fils d’un premier lit).
Chrysippos « une énergie vitale en or » représente le travail pour obtenir le vital le plus pur dont Eurybié « la grande vie » ou le « vital élargi », fille de Pontos, est le symbole.
Le chercheur s’efforçant par la purification de parvenir à une « conscience libérée » et encore occupé à établir les bases du yoga (auxquelles travaillent Amphion et Zéthos), doit éviter la fascination de cette pureté vitale à laquelle il tente de remettre la direction de la personnalité (l’enlèvement par Laïos de Chrysippos dont il est tombé amoureux et à qui il enseigne la conduite d’un char). Le yoga futur qui doit être réalisé à travers la descendance d’Hippodamie – Atrée et Thyeste, puis Agamemnon et Ménélas – n’exige pas que cette pureté totale du vital soit prise pour premier objectif, car le yoga futur doit se développer au sein de la vie où sans doute une telle exigence deviendrait une entrave.

D’une manière ou d’une autre, il doit être mis fin à cette erreur, soit qu’elle disparaisse d’elle-même (suicide de Chrysippos) soit qu’elle soit éradiquée par ce qui dans le chercheur aspire à la juste maîtrise (meurtre par Hippodamie et ses enfants Atrée et Thyeste, ou par cette dernière seule).

LE MYTHE D’ŒDIPE

Les trois grands auteurs tragiques, Sophocle, Eschyle et Euripide, en firent le sujet de nombreuses tragédies, mais ils introduisirent dans la version primitive, pour les besoins de la dramaturgie, de nombreuses altérations qui peuvent parfois en dévier le sens symbolique.
Une seule pièce d’Eschyle nous est parvenue, Les Sept contre Thèbes. Si cet auteur était un initié, son blâme de Polynice soulignerait une attitude du héros qui doit disparaître bien que la guerre soit juste en elle-même puisque les épigones finiront par conquérir Thèbes. L’helléniste Paul Mazon soutient qu’Eschyle n’était pas initié, mais selon nous, la question doit rester en suspens.
Quant à Euripide, comme nous l’avons déjà mentionné, nous sommes presque certains qu’il n’était pas initié et ses écrits doivent être, la plupart du temps, écartés de l’interprétation.

Après la mort des enfants d’Amphion et Niobé tués par Apollon et Artémis, Laïos fut rappelé sur le trône par les Thébains ; pour d’autres, il y monta à la mort d’Amphion et Zéthos. Selon Homère, il épousa alors Épicaste (qui fut dès Phérécyde renommée Jocaste, seul nom retenu par les Tragiques).

Apollon avait prophétisé que Laïos assurerait le salut de Thèbes à condition de mourir sans descendance mais Laïos négligea ces avertissements.
Dans une autre version, un oracle avait prévenu Laïos que tout fils né de ses œuvres le tuerait et sèmerait le malheur dans sa descendance. Mais Laïos n’en tint pas compte et conçut un enfant qui fut appelé Œdipe.
Pour éviter que ne s’accomplisse la prédiction, il décida de faire mourir l’enfant qui n’avait que trois jours en l’abandonnant dans la montagne. Jocaste le remit à un berger avec mission de l’exposer sur le Cithéron, les chevilles liées et, selon certains s auteurs, transpercées. Pour certains, le berger s’exécuta et l’enfant fut trouvé par des bouviers qui le remirent à Polybos, roi de Corinthe, qui ne pouvait avoir d’enfant. Pour d’autres, le berger refusa de l’exposer et le remit à un autre berger qui à son tour le remit à Polybos. Ses nouveaux parents, Polybos et Périboia, l’élevèrent dans l’ignorance de sa naissance jusqu’à sa maturité.

À ce moment de la progression du chemin, les bases en sont solidement établies : Amphion « la conscience témoin » et Zéthos « la volonté d’expérimenter » ont rendu le trône à son héritier légitime, Laïos « le processus de libération de la conscience ». De plus, le chercheur n’est plus en quête d’une purification du vital pour elle-même (Chrysippos est mort). Toutefois, son but reste de tendre vers « la pureté » ou vers « le plus haut de la pureté » (Épicaste).
Épicaste est construit à partir du mot grec καστεια « pureté ». Si l’on considère les lettres structurantes, on voit qu’il est lié à la racine ΣΤ qui signifie « se tenir debout, se tenir droit » qui est le propre de l’homme, celui qui fait le lien entre le ciel et la terre. On retrouve cette racine dans l’anglais « to stand » et le français « station » et dans les noms de la mythologie tels qu’Astéria, Stéropé, Thémisto, Adrasté, Aristée, Oreste et Styx. Elle évoque rectitude, droiture, cohérence (intérieure/extérieure), intégrité et sincérité.

La transformation par les tragiques du nom Épicaste en Jocaste « la conscience pure » n’apporte pas d’éclairage complémentaire. Elle évitait seulement, semble-t-il, une mauvaise interprétation du nom Épicaste du fait des multiples sens du préfixe « épi ».

Par une intuition psychique, le chercheur sait que, s’il veut poursuivre le processus d’incarnation de l’être intérieur (la psychisation de l’être), il doit changer de direction de yoga (Apollon a prédit que pour sauver Thèbes, Laïos ne devait pas avoir d’enfant). Mais rien n’indique alors comment Thèbes serait sauvée.
Selon l’autre version, qui nous semble plus cohérente, le chercheur est prévenu que le processus en cours ne sera pas poursuivi par les réalisations qu’il a produites et qui l’engageraient dans un travail beaucoup plus difficile (son fils le tuerait et la lignée serait maudite).
Mais il ne tient pas compte de ces avertissements intérieurs, rejetant loin de lui ce qui lui semble présenter un danger pour son orientation présente. Ce refus de changement se poursuivra longtemps, pendant toute la croissance d’Œdipe jusqu’à sa maturité.

Le mythe précise que Laïos demanda au berger qui devait exposer Œdipe de lui lier ou même de lui percer les chevilles. Ce fut la raison du nom donné à l’enfant : Œdipe, celui « aux pieds enflés ». Ce détail indique que le chercheur refuse de mettre ces réalisations en contact avec l’incarnation. Il veut ainsi maintenir la séparation esprit-matière. Mais ces plans « mentaux » sont déjoués par la vie car Œdipe est recueilli par Polybos et Périboia « celui qui travaille pour l’incarnation » « sous tous ses aspects ».

Il y a donc un élément actif de la quête qui se développe en dehors et à l’insu de l’ascèse consciente pour la libération en l’esprit. Il grandit dans le processus d’incarnation et d’individuation (d’autonomie) sous l’égide du plus haut de l’intellect (Polybos est roi de Corinthe, patrie de Sisyphe).

La pièce Œdipe Roi de Sophocle se poursuit ainsi :
Lors d’un banquet, Œdipe fut traité de bâtard par un Corinthien. Il interrogea alors le roi Polybos qui soutint être son père. Mais rongé par le doute, il décida d’aller consulter l’oracle de Delphes. Celui-ci ne répondit pas à sa question mais lui prédit que son destin était de tuer son père et d’épouser sa mère. Aussi décida-t-il de fuir la région où demeurait Polybos qu’il considérait comme son véritable père.
En un lieu où trois routes se rejoignent (d’autres auteurs mentionnent soit une route étroite soit un croisement de deux routes), il rencontra un attelage dont les occupants voulurent l’écarter de force du chemin. Œdipe frappa d’abord le guide qui le bousculait. Puis, lorsque le char arriva à sa hauteur, le « vieillard » frappa Œdipe avec son aiguillon. Celui-ci, fou de rage, le tua ainsi que tous les occupants du char. Il ignora longtemps qu’il venait d’occire son père biologique, Laïos.

Œdipe représente donc le mouvement de renversement du yoga de la libération en l’Esprit vers un yoga de libération de la Nature. Issu du premier, il initie le second. Mais pour cela, même si le but reste le même, il doit faire cesser complètement et brutalement le premier mouvement, avant même que celui-ci ne soit achevé (Œdipe met fin, avant son terme naturel, à la vie de son père) : le mouvement de libération en l’Esprit n’a pas besoin d’être porté à sa perfection ultime avant que ne commence le travail de purification des chakras. Mais selon le mythe, la transition s’opère sans qu’il soit nécessaire que le chercheur en soit conscient et sans même qu’il puisse désirer le faire.

Ce mouvement de renversement s’est développé grâce à un « travail dans l’incarnation » effectué sous la direction de l’intellect (Œdipe est élevé par Polybos, roi de Corinthe). Mais ce fut aussi contre la volonté de « libération en l’esprit » qui l’a généré et à son insu (contre la volonté de Laïos et sans qu’il ne le sache).
Puis vient un moment où le chercheur se sent mal à l’aise dans l’incarnation, doutant du bienfondé de la séparation esprit-matière (Œdipe doute de sa filiation).
Rentrant en lui-même, il perçoit que ce mouvement de renversement causerait la fin de l’orientation présente du yoga, la libération en l’esprit. Il fait donc tout pour l’éviter et pense avoir réussi. Mais l’effort pour le fuir ne pourra à terme suffire à l’éviter.

Le chercheur a également perçu qu’il lui faudrait poursuivre le même but que précédemment (Œdipe a été prévenu par l’oracle qu’il épouserait sa mère). Mais il devra le faire cette fois-ci dans l’incarnation, ce à quoi il résiste.
Ce mythe fait donc écho à la guerre de Troie.

Au moment précis du renversement, c’est l’arrogance de la voie de libération en l’esprit qui provoque le changement. Le mouvement de transition qui s’est développé sous l’égide du plus haut de l’intellect ne fait que « répondre » aux évènements.
En effet, le sujet du mythe n’est pas le meurtre en lui-même, mais le parricide et l’inceste. Œdipe n’a donc ni culpabilité ni remords du fait que c’est Laïos qui l’a frappé en premier. Si son père n’avait pas été l’occupant du char, cela n’aurait posé aucun problème. Ce que Sophocle confirme par la bouche d’Œdipe : « Meurtrier, soit ; mais sans préméditation, et pur devant la loi puisque j’ignorais tout ».

La description du lieu de la rencontre peut faire référence soit à « la voie étroite » du yoga, soit au point où les trois yogas – qui travaillent avec l’intelligence, le sentiment ou l’action – se rencontrent (carrefour des trois routes).

La victoire contre la Sphinge

Quelque temps plus tard, Œdipe se présenta aux portes de Thèbes. C’était Créon, le frère de Jocaste, qui en était le roi. Il était monté sur le trône à la mort de Laïos.
Depuis un certain temps, un monstre terrorisait la ville. Certains disaient qu’il avait été envoyé par Héra pour punir Thèbes de l’inconduite de Laïos avec le jeune Chrysippos. Ce monstre, la Sphinge (appelée Phix par Hésiode), était un être monstrueux qui avait une tête de femme, un corps de lion et des ailes. Elle enlevait et tuait ses victimes, le plus souvent de jeunes hommes.
Un fragment ancien de l’Oidipodeia affirme que « la Sphinge fut responsable de la mort du plus beau et du plus désirable de tous, l’enfant de l’irréprochable Créon, le divin Haimon ».
Le roi Créon avait promis le royaume à qui débarrasserait Thèbes de la Sphinge. De plus, il donnerait en mariage au vainqueur la reine Jocaste qui était veuve depuis la mort de Laïos.
Incité à affronter l’épreuve, Œdipe mit fin au fléau. (Nous laissons de côté la version du suicide de la Sphinge en se jetant du haut de la citadelle, incompatible avec le fait qu’elle soit ailée.)

Dès le début du Ve siècle avant J.-C., Pindare note l’existence d’une « énigme sortie des mâchoires sauvages d’une vierge ». Selon la tradition ultérieure, évoquée dès Asclépiade et Sophocle, la Sphinge posait une ou plusieurs énigmes aux passants qui passaient devant le lieu où elle se tenait. Puis elle dévorait ceux qui ne pouvaient répondre, ce qui était toujours le cas.
L’énigme, selon Asclépiade, était ainsi tournée :
« Il y a sur terre un être à deux pieds, à quatre pieds, à trois pieds, dont la voix est unique. Seul il change de forme parmi les créatures qui se meuvent sur la terre, dans l’air et dans la mer. Mais quand il avance en s’appuyant sur trois pieds (ou : sur le plus grand nombre de pieds), c’est alors que de ses membres la vitesse est la plus faible ».
Œdipe se concentra et répondit: « L’homme. Quand il est enfant, il marche à quatre pattes, adulte sur deux jambes et lorsqu’il devient vieux, sa canne lui tient lieu de troisième jambe. »
(Une autre énigme est parfois mentionnée : « Ce sont deux sœurs, dont l’une engendre l’autre, et dont la seconde à son tour, est engendrée par la première ». Œdipe réfléchit rapidement et répondit « Le Jour et la Nuit ».)
La Sphinge fut donc vaincue et détruite. Selon nombre d’auteurs, elle se suicida.
Œdipe fut fêté comme un héros. Il épousa la Reine Jocaste, et monta sur le trône de Thèbes.

Nous avons étudié la généalogie de la Sphinge – aussi nommée Phix – dans le premier Tome. Rappelons que c’est une fille qu’Orthros « le mensonge » engendra avec sa propre mère Échidna « l’arrêt de l’évolution dans l’union » ou avec la Chimère « l’illusion », fille elle-même d’Échidna. D’autres en font une fille d’Échidna et de Typhon « l’ignorance ».
Avec les lettres structurantes, le nom Phix peut aussi être considéré comme φιχ+ς (car le xi est une contraction du khi et du sigma). Ce monstre est alors le symbole de « l’arrêt de la pénétration de la conscience dans l’être ».
La Sphinge est donc un produit de l’ignorance, de la séparation et de l’illusion, ou du mensonge qui en résultent. Mais elle conserve en partie dans sa représentation l’idée de l’une des plus hautes réalisations symbolisée par le Sphinx, image de l’ego assujetti à la conscience spirituelle. Les grecs connaissaient en effet le sphinx égyptien sous le nom d’androsphinx (ανδροσφιγξ) représenté avec une tête de pharaon et un corps de lion, symbole de la vraie sagesse. Mais chez la Sphinge, la tête de pharaon a été remplacée par celle d’une femme, réceptive et non plus active. Ce n’est donc plus le supérieur qui commande l’inférieur, mais l’ego en l’homme, représenté par le corps de lion, qui gouverne. Ce corps de lion a reçu en outre le support de la pensée avec deux grandes ailes. La Sphinge est donc un Sphinx perverti, un mensonge déguisé en vérité, une réceptivité associée à un ego mental puissant. On peut donc le plus probablement l’associer à l’orgueil spirituel.

Aucune source ancienne ne donne la raison de la présence de la Sphinge à Thèbes. Selon certains, elle aurait été envoyée par Héra, la puissance qui veille au déroulement juste du yoga.
Elle est apparue durant le règne de Laïos. Elle représenterait donc une conséquence de la quête de libération lorsque celle-ci est liée à un rejet de l’incarnation. C’est pourquoi elle affaiblit considérablement les forces qui devraient être dévolues au chemin (elle dévore les sujets de Laïos). Elle a même causé la mort du divin Haimon « le sang » et au sens élargi « la passion », l’essence de la vie, fils de Créon « le mouvement d’incarnation ».

Avant même de s’orienter consciemment dans une nouvelle direction, le chercheur doit donc mettre fin à cette déviance. Afin de démasquer la perversion, il doit mettre en œuvre ce qui a été développé pendant sa croissance chez Polybos, un discernement que seule l’incarnation permet. Les réalisations produites dans le cadre de la libération en l’esprit non seulement sont incapables de mettre à jour le mensonge mais aussi se font « absorber » (la résolution de l’énigme est impossible pour les sujets de Laïos qui se font dévorer).

Lorsque l’erreur est démasquée, elle disparait d’elle-même (la Sphinge se suicida).
Le chercheur peut alors reprendre le chemin de libération/purification en y ajoutant l’expérience de l’incarnation, joignant ainsi les deux voies (Œdipe monta sur le trône de Thèbes et épousa sa mère Épicaste). Il poursuit sa quête de rectitude et de cohérence, mais par des moyens différents de ceux de son père. Ce mariage n’a donc rien à voir avec l’interdit moral dont ont joué les Tragiques.

De même, afin de couper court à tout détournement du mythe vers le sujet de l’inceste, bien éloigné des préoccupations de la mythologie, certaines sources laissent entendre qu’Œdipe ne s’unit pas à sa mère mais à sa belle-mère, une seconde épouse de son père. Pausanias de son côté, s’appuyant sur l’Œdipodie, affirma qu’il était exclu qu’Œdipe ait pu avoir des enfants d’Épicaste, et que leur mère était Euryganie « un grand rayonnement, une grande joie », fille d’Hyperphas « celui qui brille au plus haut ». C’est Eschyle qui mentionna pour la première fois qu’Œdipe engendra les quatre enfants de sa propre mère, ce qui fut ensuite repris par Sophocle.
Dans toutes les versions, les noms des enfants demeurent identiques.

La révélation du meurtre et de l’inceste

Quelle qu’en fut la mère, Œdipe eut donc quatre enfants, deux fils, Étéocle et Polynice, et deux filles, Ismène et Antigone. Lorsqu’ils eurent atteint l’âge adulte, une peste ravagea la ville de Thèbes, décimant la population, les animaux et la végétation. L’oracle consulté répondit que le meurtre de Laïos devait être puni. Œdipe s’engagea à châtier le coupable et s’enquit de son identité auprès du devin Tirésias qui, d’abord réticent, finit par admettre qu’il le connaissait, sans toutefois en révéler clairement le nom.
Œdipe et Jocaste s’étant mutuellement confié le récit des évènements de leur passé – pour l’une l’abandon de l’enfant et pour l’autre le meurtre – Œdipe découvrit finalement la vérité grâce aux témoignages des bergers : il était lui-même le meurtrier.
À cet aveu, Jocaste s’enfuit à l’intérieur du palais et se pendit. Œdipe, fou de douleur et rempli de honte, se creva les yeux.
Créon reprit les rênes du pouvoir et ourdit l’exil d’Œdipe qui commença une longue errance après avoir maudit ses fils qui lui avaient manqué de respect.
Lorsqu’ils furent en âge de régner, Étéocle chassa de Thèbes son frère Polynice qui se réfugia à Argos.
D’autres disent qu’ils s’entendirent pour régner à tour de rôle. Mais lorsque son année de règne toucha à sa fin, Étéocle refusa de céder le trône.

Cette histoire fait l’objet de la pièce Œdipe Roi de Sophocle. Elle confirme que le chercheur prend conscience qu’il est lui-même l’auteur de la réorientation de son yoga qui se termine par une intériorisation radicale (Œdipe se crève les yeux).
La plupart des éléments donnés par Sophocle n’ont d’intérêt que pour les ressorts de la tragédie. De façon plus sobre, Apollodore résume le dénouement en disant : « lorsque ce qui était caché se découvrit », Jocaste se pendit.

D’autre part, différents éléments de l’Iliade et du Catalogue des femmes laissent entendre qu’Œdipe continua à régner sur Thèbes après sa prise de conscience. La Thébaïde expose également les querelles d’Œdipe et de ses fils à Thèbes, ce qui suppose qu’il ne fut pas exilé. Sans doute même ne s’est-il pas crevé les yeux.
Tout laisse donc supposer que la version des Tragiques a été développée pour mettre en valeur des éléments de morale très éloignés de la préoccupation initiale des mythes.

Mais l’histoire centrale commune aux différentes versions est le conflit d’Œdipe et de ses fils et la malédiction qu’il leur lança, du moins à l’un d’entre eux, Polynice.
En effet, les deux frères s’entretueront devant les portes de Thèbes lors de la première guerre – ce qui explique les versions dans lesquelles ils sont tous deux maudits – marquant ainsi l’échec d’une première tentative de purification profonde.
Leur mort laisse entendre que tous deux représentent des processus erronés qui font obstacle à l’évolution.

Nous retiendrons ici les versions de Phérécyde et de Sophocle dans lesquelles Étéocle expulsa de Thèbes son frère Polynice par la force. Pour Sophocle, seul Polynice, qui avait expulsé Œdipe de Thèbes, est maudit par ce dernier lorsqu’il vint demander sa bénédiction.

Pour comprendre cette histoire de malédiction et le rôle de chacun dans ces guerres fratricides, il faut garder à l’esprit la totalité du déroulement de l’histoire qui se termine par la victoire des Épigones qui sont les fils des « Sept » chefs partis en guerre dix ans auparavant.
La guerre engagée par Polynice « nombreuses querelles » et ses alliés contre Thèbes serait donc légitime, même si la reconquête échoue une première fois. Cet échec dans la purification ne doit être imputé qu’à la limitation de son cadre : la dualité. Comme il s’agit de yoga, il faut en effet comprendre Polynice comme « une ascèse dans le cadre de la dualité où se manifeste la division et l’exclusion plutôt que l’intégration ». L’échec dans la purification (dans la reconquête de Thèbes) provient donc d’un ego encore trop présent et d’un manque d’unité, et donc d’un excès de volonté personnelle du fait d’un manque « de soumission à l’Absolu » et de contemplation intérieure dont Œdipe initie le mouvement.

Ceci explique pourquoi dans l’œuvre de Sophocle, que l’on admet être un initié, Œdipe maudit Polynice, alors qu’il ne pouvait ignorer que la reconquête de Thèbes était symboliquement juste. Pour lui, Œdipe était dans l’exactitude : en exil il reçut l’appui de Thésée, fut soutenu jusqu’au bout par sa fille Antigone alors qu’il errait aveugle et termina sa vie dans une sorte d’apothéose.
Cependant, ces combats orientés vers la pureté (la femme de Polynice est Argeia « la pure ») ne sont pas inutiles même s’ils ont lieu dans la dualité : ils accroissent la conscience dans l’être et donc le feu intérieur (leur fils est Thersandros « l’homme qui brûle »).

Le nom du second fils d’Œdipe, Étéocle, introduit une seconde incertitude dans l’interprétation, du fait que certains auteurs mentionnent un Étéoclos parmi les assaillants. Dans les deux cas, ce serait le symbole d’un élément « vraiment glorieux ». Étéocle, fils d’Œdipe, peut alors être compris comme « ce qui est bien établi » et qui fait donc obstacle au nouveau, que ce soient les lois du yoga ou celles de la nature. Ce qui explique pourquoi certains auteurs affirment que les deux frères s’accordèrent pour régner à tour de rôle.

Le conflit pour incarner le processus de purification-libération à partir de l’être intérieur (pour s’emparer de la royauté de Thèbes), pourrait alors être au départ celui du changement dans la dualité contre la stabilité, de l’activité contre la passivité et l’inertie. Que ce soient les lois du yoga ancien ou les habitudes de la nature, ce sont elles qui dominent à cette phase du chemin (c’est Étéocle qui règne sur Thèbes).

Mais le but ultime est une purification puis une universalisation – la suppression de toute limitation – des centres de conscience dans le corps (les sept portes de Thèbes). La plupart des auteurs s’accordant à dire que Les guerres de Thèbes se déroulèrent avant celle de Troie, il s’agirait seulement ici d’une purification approfondie et réharmonisation des centres. En effet, il y a une grande différence entre un fonctionnement harmonieux des centres et leur universalisation qui suppose un transfert progressif du plan correspondant au Divin.

Le mariage de Polynice

Avant de poursuivre l’histoire des deux frères, il est un mythe lié à la femme de Polynice, Argéia, qui doit retenir notre attention car il établit un pont entre la voie de la purification/libération – la lignée de Thèbes – et celle de l’ascension des plans de conscience. En effet, Argéia est une fille d’Adrastos « celui qui n’agit pas (selon sa volonté personnelle) » ou « celui qui ne cherche pas à fuir » ou « celui qui travaille à être imperturbable », lequel appartient à la lignée de l’éolien Créthée par Amythaon « le travail de sincérité dans la parole », Bias « la force vitale » et Talaos « celui qui endure » (cf. planche 12).

Nous avons examiné les mythes liés aux enfants de Créthée lors de l’étude des cinq premiers enfants d’Éole (ch.2 Tome 2) et nous n’en redonnons ici que les aspects principaux.
La descendance de Créthée, fils d’Éole, est complexe, mais nous pouvons y distinguer deux phases.
La première période concerne un chercheur qui travaille sur son mental et développe à la fois sa personnalité (Aéson), une certaine endurance (Phérès « celui qui supporte ») et une sincérité dans la parole (Amythaon). C’est ce travail qui permettra un accroissement de la sensibilité et la première grande expérience de contact, la quête de la Toison d’Or, ainsi que l’acquisition d’une certaine force (Bias) et d’une capacité intuitive mentale (Mélampous).
S’ouvre alors une seconde phase d’approfondissement dans laquelle le chercheur développe une endurance intégrative (Talaos « celui qui endure » uni à Lysimaché « celle qui fait cesser le combat », fille de Mélampous). Cette période permet que s’installe une grande « qualité de présence » ou « présence à l’instant » (Ériphyle) et une justesse dans l’action (Adrastos « celui qui n’agit pas selon sa volonté personnelle », ou « la volonté d’affronter les obstacles, de devenir imperturbable » ou bien encore « celui qui ne cherche pas à fuir »).
C’est ainsi que le chercheur s’approche du divin intérieur et atteint à une certaine pureté (Adrastos s’unit à Amphithéa « celle qui est proche du divin intérieur » qui lui donna plusieurs enfants parmi lesquels Argéia « la pure » qui s’unit à Polynice et Déipyle « la porte de l’union » qui épousa Tydée).
Adrastos était selon Homère en possession du cheval divin prodigieusement rapide Aréion, la force vitale qui s’exprime « de la meilleure façon », ou selon « une conscience juste ». Il accompagne la première campagne contre Thèbes, mais il sera surtout actif durant celle des Épigones.
En parallèle, le chercheur développe progressivement son intuition, comme illustré par la lignée des célèbres devins issue de Mélampous « aux pieds noirs », symbole d’une intuition mentale, et de son fils Antiphatès « ce qui est indicible ». Ce dernier est le père d’Oikles « une conscience célèbre », lui-même père d’Amphiaraos « ce qui s’approche de la perception juste » et d’Ériphyle « une grande qualité de présence » qui eut à son tour deux fils, Alcméon « une puissante consécration » et Amphilocos « celui qui réalise une puissante attention ».

LA PREMIÈRE GUERRE DE THÈBES

L’histoire du mariage de Polynice, qui concerne la phase de préparation à la purification, est ainsi rapportée par Euripide :
Polynice et Tydée, fils d’Œnée, se rencontrèrent de nuit sous les portes d’Argos, cité alors gouvernée par Adrastos. Ils commencèrent à se battre pour la meilleure place où passer la nuit.
Adrastos sortit pour s’informer du vacarme. Se souvenant d’un oracle reçu d’Apollon lui recommandant de marier ses filles à un sanglier et à un lion, il comprit qu’il s’agissait des deux héros qui se battaient. Selon Apollodore, l’avant du corps d’un lion ornait le bouclier de Polynice et celui d’un sanglier le bouclier de Tydée. (Les scholies disent qu’ils étaient revêtus de la peau de ces animaux.)
Adrastos donna donc ses filles en mariage : Argéia à Polynice et Déipyle à Tydée.

Si nous faisons confiance à Euripide concernant les unions qu’il mentionne, cette histoire établit des liens entre trois lignées :
Tout d’abord celle d’Œnée « le vigneron, celui qui travaille à la croissance de la joie » et de son fils Tydée « celui qui aspire à l’union ».
Ensuite celle de Cadmos et Harmonie sur la voie de l’exactitude avec Polynice « celui qui combat dans la division et l’exclusion ».
Enfin celle d’Adrastos « celui qui n’agit pas (selon sa volonté personnelle), celui qui ne cherche pas à fuir ou qui travaille à être imperturbable », descendant de l’éolien Amythaon « la parole vraie ».
Elle situe donc le début des guerres de Thèbes :
– d’une part après la première grande expérience de contact (la conquête de la Toison) mais toujours dans la même progression liée à la croissance dans le mental supérieur et caractérisée par les trois fils de Créthée (Phérès, Amythaon et Aéson)
– d’autre part dans la lignée d’Aéthlios (et donc pour certains celle de Protogénie « ceux qui marchent en avant ») et de son fils Endymion « celui qui travaille à la consécration » qui illustre le travail de pacification du mental et d’accroissement de la joie (Œnée).
D’autre part, nous avons vu que Tydée était un demi-frère de Méléagre, étant tous deux fils d’Oineus (Œnée) : la première guerre de Thèbes est donc proche de la chasse au sanglier de Calydon que nous avons étudiée au chapitre précédent. Bien que certains mythographes anciens aient affirmé que cette chasse avait eu lieu une génération avant les guerres de Thèbes, il est en fait très difficile de la situer car il s’agit de processus. Si l’on considère que la mort du sanglier consacre l’élimination de tout désir, cette chasse doit se dérouler en parallèle avec ces guerres.

La description des emblèmes figurant sur les boucliers donnée par Apollodore laisse entendre qu’il s’agit d’un travail en cours de réalisation. En effet, il ne s’agit que de « l’avant du lion » pour Polynice « celui qui combat dans la division et l’exclusion », c’est-à-dire un combat bien avancé pour la disparition de l’ego. De même, n’est représenté que « l’avant du sanglier » sur le bouclier de Tydée « celui qui aspire à l’union », soit un état presque sans désir. Ce ne peut être en tout état de cause l’éradication définitive de l’ego et du désir qui n’interviendra que plus tard lors de la victoire des Épigones.

Le combat de Tydée et Polynice pour la meilleure place sous les murs d’Argos que gouverne Adrastos exprime, dans le travail de yoga dirigé par « une volonté de ne pas fuir devant les obstacles », un doute pour situer au premier rang de l’ascèse soit « l’aspiration à l’union » soit « le combat dans le cadre de la dualité (où se manifeste la division et l’exclusion plutôt que l’intégration) ». Le chercheur ne sait s’il doit tendre vers l’unité en priorité (la voie de l’amour) ou bien travailler la purification dans la vie courante en se plongeant dans sa nature duelle et conflictuelle (la voie de la vérité).
A ce stade, le mythe ne tranche pas mais donne une orientation à chacun des deux mouvements : Tydée « celui qui aspire à l’union » et cherche la joie (c’est un fils d’Oineus) doit tendre vers « la porte de l’union en conscience » (Déipyle) et Polynice « celui qui mène de nombreux combats dans la dualité » doit rechercher la clarté ou la pureté (Argéia) qui alimente le feu intérieur (leur fils est Thersandros « l’homme qui brûle »). Mais ces deux mouvements se révèleront incapables de mener à bien la purification puisque les deux héros mourront pendant la première guerre.

La trahison d’Ériphyle

Ériphyle, sœur d’Adrastos, était mariée à son cousin éloigné Amphiaraos (tous deux étant issus d’Amythaon). Ce dernier était un devin renommé protégé de Zeus et d’Apollon. Il avait prévu le désastre de la première campagne contre Thèbes et la mort, à l’exception d’Adrastos, de tous ceux qui y participeraient.
Mais il fut lui-même obligé de se battre du fait de la « trahison » de sa femme Ériphyle. Il lui avait en effet défendu d’accepter tout cadeau venant de Polynice. Mais lorsque ce dernier lui offrit le collier (dont il avait hérité par filiation directe de Cadmos et d’Harmonie), lui demandant en échange de persuader son époux de l’accompagner à la guerre, elle accepta. Et comme Adrastos et Amphiaraos, à l’issue d’une ancienne querelle, avaient convenu de s’incliner devant toute décision ultérieure d’Ériphyle, Amphiaraos fut contraint de partir combattre. Il exigea cependant de son fils Alcméon (ou de ses fils) la promesse de renouveler l’attaque contre Thèbes et de le venger en tuant leur mère.

La trahison d'Eryphyle - Musée du Louvre

La trahison d’Eryphyle – Musée du Louvre

Les guerres de Thèbes représentent le processus de réharmonisation des principaux centres d’énergie que la tradition de l’Inde nomme « chakras ».
Au début de la première campagne, le chercheur sait intuitivement qu’il n’est pas encore prêt pour cette purification approfondie et que de nombreux mouvements de sa quête n’y résisteront pas (le devin Amphiaraos a prédit le désastre de la première campagne et la mort des participants). Cette intuition est à la fois issue du supraconscient et du psychique (Amphiaraos est protégé par Zeus et Apollon).

Le chercheur a décidé que sa « quête de perception juste » comme sa « volonté d’affronter les obstacles » devraient désormais dépendre de sa « qualité de présence » ou « présence à l’instant » qui est intégratrice, et non plus du seul mental (Amphiaraos, uni à Ériphyle, ainsi qu’Adrastos ont accepté de se soumettre aux décisions de celle-ci). Mais celle-ci pourra disparaître lorsqu’une très grande réceptivité et consécration sera établie (lorsqu’Ériphyle sera tuée par son fils Alcméon).

Le chercheur sait aussi intuitivement que cette « qualité de présence » ne doit en aucun cas s’appuyer sur des réalisations issues du « combat dans la dualité », et donc du travail de purification mené par l’ego (Amphiaraos a défendu à Ériphyle d’accepter des cadeaux venant de Polynice). Ces réalisations procèdent en effet par l’exclusion et ne peuvent mener au but d’unité recherché.

Le chercheur va devoir s’engager dans un mouvement contraire à celui que lui dicte son intuition profonde. (Polynice qui a épousé Argéia contraint Amphiaraos à participer à la guerre). Sa « qualité de présence » s’est teintée non pas d’une « perfection d’expression » qui est maîtrise de la parole, mais d’un « pouvoir de persuasion ». Ce pouvoir est ici en effet issu d’un travail de purification mené par la volonté personnelle (Ériphyle est séduite grâce au collier d’Harmonie offert par Polynice). La « présence » aurait dû en effet rester liée à un mouvement d’unité et non à un travail de l’ego mental (Ériphyle aurait dû écouter Amphiaraos).

Cette « perfection d’expression » doit se développer avec le yoga (le collier d’Harmonie se transmet de génération en génération). Le collier et la robe d’Harmonie soulignent en effet deux aspects importants de l’exactitude qui doit être réalisée : la justesse de l’expression et celle de la fonction.
Le centre de la gorge, selon Sri Aurobindo, est lié au mental physique : « c’est le centre de l’extériorisation, en paroles, en expression, en pouvoir de traiter mentalement les choses physiques, etc. Son ouverture apporte le pouvoir d’ouvrir le mental physique à la lumière de la conscience divine, alors qu’autrement on reste dans la mentalité ordinaire tournée vers l’extérieur ».

En résumé, se présente une opportunité d’acquérir un pouvoir de persuasion important que le chercheur utilise contre lui-même et auquel il sacrifie sa faculté de juste perception (qui vient de lui faire savoir qu’il n’était pas prêt pour un travail approfondi de purification-libération). Cette histoire révèle en fait le processus par lequel le chercheur s’engage « en toute bonne foi » dans des ascèses de purification prématurées non sans un vague sentiment de l’erreur commise (c’est pourquoi Amphiaraos demande à son fils de tuer plus tard sa mère et de mener une seconde guerre contre Thèbes).

Le départ pour la guerre et la mort d’Archémoros

Polynice et Tydée cherchèrent des alliés à Mycènes mais Zeus envoya de mauvais présages de sorte que la mission se termina par un échec (Iliade).
Lorsque les Sept chefs arrivèrent à Némée, ils cherchèrent tout d’abord de l’eau.
La ville était gouvernée par le roi Lycurgue. D’une Eurydice homonyme, il avait eu un fils nommé Opheltès sur lequel devait veiller l’esclave Hypsipylé. Celle-ci avait été vendue à Lycurgue car elle avait épargné son père Thoas lorsque les Lemniennes avaient décidé de supprimer tous les habitants mâles de leur île. Lorsqu’elles s’en étaient aperçues, elles avaient tué Thoas et vendu Hypsipylé.
Celle-ci abandonna l’enfant sur le sol pour montrer le chemin de la source aux héros, et l’enfant endormi se fit mordre par un serpent. (Hygin ajoute qu’une prophétie avait averti que l’enfant ne devait pas être posé à terre avant de savoir marcher.) Les héros tuèrent le serpent et ensevelirent l’enfant.
Comme Amphiaraos annonçait que cette mort suivait les décrets du destin et prévenait les chefs du sort de l’expédition, ils renommèrent l’enfant Archémoros (« l’annonceur du destin »). En son honneur, ils instituèrent les jeux Néméens (sur les rives de l’Asopos).

Cette aventure préliminaire des héros en route vers Thèbes est située à Némée, le lieu où Héraclès dut vaincre le lion, symbole de l’ego.
L’histoire des Lemniennes a été étudiée dans la quête de la Toison d’Or et a trait aux débuts du chemin : les femmes de Lemnos avaient tué non seulement leurs maris qui avaient ramené des esclaves de Thrace comme concubines en délaissant leurs épouses légitimes, mais aussi tous les habitants de sexe mâle, enfants et vieillards compris. Elle concernait la quête de « formes spirituelles exotiques » en lieu et place d’une aspiration à transformer les formes existantes.
La partie du chercheur la plus avancée à ce moment-là avait conservé cependant son « ardeur » ou la capacité à « se mouvoir rapidement » sur le chemin (Hypsipylé « la porte élevée » avait épargné son père Thoas). Mais cela ne devait durer qu’un temps, le chercheur se repliant sur ses croyances premières (les Lemniennes tuèrent Thoas).

La forme la plus haute de la quête en ces débuts du chemin devait veiller sur la première « expression » de « la lumière naissante » orientée dans « un juste mouvement » (Hypsipylé devait s’occuper d’Opheltès « celui qui fait croître », fils de Lycurgue « celui qui aspire à la lumière » et d’Eurydice « la juste manière d’agir »).
Il s’agit vraiment ici des premières lueurs de la lumière spirituelle car Lycurgue est ici, selon Apollodore, un fils de Phérès et donc un frère d’Admète et un cousin germain de Jason.
Cette lumière naissante doit être jalousement protégée de toute utilisation prématurée (l’enfant ne peut être posé à terre avant de pouvoir marcher, c’est-à-dire avant d’avoir acquis la station verticale qui relie l’esprit et la matière, la capacité d’incarnation). Opheltès encore dans les langes représente donc les velléités de celui qui veut « se mettre au service, aider, secourir ou être utile ».

Mais ce qui doit empêcher cette volonté de service prématurée se détourne de sa tâche au profit de cette première impulsion pour la purification (Hypsipylé aide les héros à trouver la source).
De ce fait, la « volonté de servir » s’incarne prématurément et disparaît sous l’effet de l’évolution, sans même que cela soit conscient (Opheltès est piqué par un serpent alors qu’il dort). Le chercheur doit en effet se dégager de toute interférence de l’ego avant de pouvoir vraiment aider, c’est-à-dire avant que le Divin ne puisse aider à travers lui.

La situation de Lycurgue dans les généalogies nous a conduits à situer cet épisode dans les débuts du chemin. Mais les chronologies des anciens placent les premières guerres de Thèbes longtemps après la quête de la Toison, après même la chasse de Calydon, mais avant la guerre de Troie.
On peut donc comprendre que les guerres de Thèbes embrassent le processus de purification dans son ensemble. Ce premier épisode peut donc aussi bien concerner les premières impulsions pour venir en aide aux « déshérités » que la volonté à un stade plus avancé du yoga de « sauver le monde ».

Si la volonté de service dirigée par l’ego disparait, la « tâche réelle » se manifeste de plus en plus clairement (Opheltès est renommé Archémoros « l’annonceur du destin »).
Cette mort décrit le passage vers l’acceptation de ce que la vie propose, le renoncement à la volonté personnelle de servir et la soumission à ce qui doit être le destin ou « la tâche » qui est ordonnée par l’être psychique.
Mais on peut supposer que seule une partie de l’être en est vraiment consciente dans les débuts, la soumission totale à la tâche ne survenant qu’avec la seconde campagne contre Thèbes. Car bien souvent le chercheur est obligé de livrer des combats décidés par son ego même s’il en subodore l’échec (la défaite de la première campagne).

À cette occasion furent fondés les jeux Néméens. Héraclès accrut leur célébrité lors de sa victoire sur le lion de Némée et il les consacra à Zeus.
Ces jeux peuvent donc être associés à la prise de conscience de la tâche.
Rappelons que les autres grands jeux comprennent :
– les Jeux Isthmiques institués par Sisyphe et marquant l’entrée sur le chemin.
– les Jeux Pythiques établis en l’honneur d’Apollon qui, à peine né, tua le serpent Python, symbole du « processus de décomposition ». Ils consacrent le premier contact avec l’être psychique qui est immortel.
– les Jeux Olympiques, instaurés par Héraclès de l’Ida (mont de l’Union), commémorant la fin des travaux, c’est-à-dire la fin du yoga personnel par l’Union avec l’Absolu, la fin des phases de transformation psychique et spirituelle.

Attaquants et défenseurs de Thèbes

Thèbes représente le processus de manifestation de l’être intérieur dans l’incarnation, impliquant une purification progressive afin de réaliser l’Harmonie ou l’Exactitude.
Les sept portes de Thèbes peuvent être associées aux sept centres principaux de conscience-énergie du corps subtil que la tradition occulte nomme chakras. En fait, il y en a d’autres au-dessus et en dessous du corps physique (Mère en connaissait trois au-dessus et deux en-dessous) ainsi que de très nombreux centres mineurs dans le corps subtil.
Les sept chakras s’enracinent à différents niveaux de la colonne vertébrale, depuis sa base jusqu’à un point situé au-dessus du sommet du crâne. Ils rayonnent en avant et en arrière du corps et au-dessus pour le chakra coronal. Les voyants les perçoivent parfois comme des tourbillons où apparaissent des pétales de couleur.
Trois courants d’énergie nommés Ida, Pingala et Sushumna, se propageant dans la verticalité, soutiennent et alimentent les Chakras.
Depuis le centre du haut rayonne une énergie semblable à une fontaine jaillissante de lumière, d’où le nom donné à l’une des portes de Thèbes « la porte de la fontaine ».

Il y a relativement peu d’indications dans les tous premiers textes concernant les guerres de Thèbes. Les noms des attaquants, des défenseurs et des portes n’apparaissent qu’avec les auteurs tragiques. Souvent même, les noms des défenseurs ne sont pas mentionnés.

Nous avons déjà précisé que ces guerres sont liées au processus de purification qui entraîne la psychisation, et non au processus d’universalisation des centres. En effet, nous avons admis avec les anciens que ces guerres étaient terminées bien avant le début de la guerre de Troie.
Il ne s’agirait donc ici que de la purification des chakras ou d’une amélioration de leur fonctionnement et non d’un renversement radical de celui-ci. Tout se passe en effet comme si leurs énergies étaient limitées dans leur rayonnement par la construction de l’individualité. Ils sont de surcroît plus ou moins bloqués ou perturbés par des « nœuds » ou des influences de toutes sortes. C’est dans cette optique que nous allons étudier le symbolisme des combattants et des portes de Thèbes.

En revanche, le processus d’universalisation des centres suppose un dépassement des limites individuelles sur les plans correspondants dont Mère parle dans l’Agenda : « Universaliser un centre après l’autre à partir du centre entre les sourcils, c’est la base pour que le Supramental puisse descendre ».
Parmi toutes les listes des héros dirigeants les troupes qui nous sont parvenues, nous écarterons les deux listes d’Euripide d’autant plus qu’elles se contredisent, ainsi que celles des historiens et auteurs tardifs.
Nous nous en tiendrons donc essentiellement à celles de Sophocle et avec plus de réserve à celle d’Eschyle, car cet auteur a associé à chaque porte de Thèbes un assaillant et un défenseur. En effet, il paraît assez évident que ce ne sont pas des comportements particuliers et uniques qui bloquent tel ou tel chakra ou permettent de les universaliser. Faire de telles associations semble donc relever plus d’une description de « nœuds » faisant obstacle à une réalisation particulière plutôt qu’à l’ouverture de tel ou tel centre.
Nous avons vu d’autre part que l’ouverture des centres était une nécessité et que l’échec de la première campagne n’était dû qu’à un manque de préparation. Or, comme ce sont les défenseurs qui sont glorifiés par Eschyle (et par Euripide), il faut en déduire que ce fut uniquement pour les besoins de la tragédie.

D’autre part, il est intéressant de noter que parmi les Sept, quatre appartiennent à la lignée de Japet, les initiés grecs attribuant donc quatre centres à la croissance et à la spiritualisation du mental.
Sri Aurobindo attribue également les trois centres supérieurs à la spiritualisation du mental :
Lotus aux mille pétales (Sahasrara) : gouverne le mental pensant le plus haut, et plus haut encore abrite le mental illuminé et à son sommet ouvre sur l’intuition à travers laquelle il peut y avoir contact ou communication avec le surmental.
Le centre entre les sourcils (Ajna) : gouverne le mental dynamique, la volonté, la vision subtile, les formes mentales
Le centre de la gorge (Vishuddha) : gouverne le mental d’expression et d’extériorisation
Le centre du cœur (Anahata) gouverne l’être émotionnel
Le centre du nombril (Manipura) gouverne le vital large ou haut vital
Le centre abdominal (Swadhishthana) gouverne le bas vital (s’occupe seulement des petites cupidités, petits désirs, faibles passions, etc. qui constitue le quotidien de l’homme ordinaire vivant dans le monde des sens)
Le centre du bas de la colonne vertébrale (Muladhara) gouverne le physique jusqu’au subconscient

Adrastos « celui qui n’agit pas (selon sa volonté personnelle), celui qui ne cherche pas à fuir ou qui travaille à être imperturbable » ne figure parmi les attaquants ni chez Eschyle ni chez Sophocle, mais il les accompagne jusque sous les portes de Thèbes. Il doit en effet survivre pour participer dix ans plus tard à l’expédition des Épigones.
Ce héros est en effet le symbole de l’un des éléments primordiaux mis en avant par Sri Aurobindo dans les étapes avancées du yoga. Il implique à la fois le courage et l’égalité acquis par « l’endurance », car Adrastos est un fils de Talaos « celui qui supporte, qui endure ». Il s’enfuit donc loin du champ de bataille monté sur son fameux cheval Aréion, qui conduit le chercheur vers « le meilleur mouvement » du vital. Toutefois, dans La Thébaïde, le poète Stace l’inclut parmi les Sept à la place d’Étéoclos.

Les listes des attaquants chez Sophocle et Eschyle sont identiques. Nous les citerons d’abord, puis nous donnerons les éléments donnés par Eschyle concernant les portes et les défenseurs. Les descriptions des héros et de leurs boucliers devront être comprises comme des réalisations en cours d’accomplissement.

– Polynice, « celui qui mène de nombreux combats alors que l’ego est encore très présent » était le chef des assaillants. Il affronta son frère Étéocle « la gloire de ce qui est bien établi ».
Son bouclier montrait un homme en armes que guide posément une main féminine. Celle qui le conduisait s’appelait Diké « une juste manière d’agir » ou « l’exactitude ». Elle est ici fille de Zeus « le supraconscient » et Thémis, la déesse de « la loi divine » ou de « la soumission à l’être intérieur ». Elle clamait qu’elle réintègrerait Polynice à sa juste place dans la cité. C’est donc guidé par l’exactitude dans une attitude réceptive que le chercheur retrouvera sa juste place dans l’harmonie du Réel.
Or, lors de cette première expédition, le chercheur ne peut encore « vaincre », c’est-à-dire purifier les chakras, mais seulement accroître son feu intérieur par un élargissement de la conscience et par un début de purification : Thersandros « l’homme qui brûle » est en effet le fils qu’Argéia « la pure » donna à Polynice. En effet, Étéocle répond au messager qui l’informe qu’il n’a jamais vu son frère agir dans l’exactitude, ce qui laisse présager de l’échec de cette première campagne.
Les portes ne sont pas nommées chez Eschyle. Ce sont « les portes les plus hautes (Hypsistes) » pour Apollodore et « les portes de la fontaine » pour Euripide, qui évoquent le chakra coronal dont le rayonnement est souvent représenté comme un jaillissement d’eau.

– Tydée « celui qui aspire à l’union ».
Selon Eschyle, son écu portait un ciel ciselé où scintillaient les astres avec la lune brillante au centre : le chercheur doit parvenir au détachement qui passe par la maîtrise. Mais il est précisé qu’il n’avait pas franchi le gué de l’Isménos, c’est-à-dire qu’il n’a pas encore dépassé le stade de la personnalité humaine ordinaire.
Tydée est un fils d’Oineus « le vigneron » dans la lignée de Protogénie « l’avant-garde », et donc un demi-frère de Méléagre et Déjanire, et le père du grand Diomède « celui qui a le dessein d’être divin ».
C’est Mélanippos « l’énergie vitale noire (non purifiée) », un fils d’Astakos « celui qui ne s’ouvre pas à l’intégrité », un descendant des Semés, c’est-à-dire une expression de nœuds non résolus dans le vital, qui lui est opposé. L’union dans le vital ne peut en effet advenir tant que ce plan n’est pas purifié.
Le combat se déroulait devant la porte Proïtide « qui met en avant la conscience sur le plan supérieur ».

– Capanée est peut-être « la conscience qui s’ouvre au tt ou en totalité ».
C’est un fils d’Hipponous « le mental vital », de grande stature.
Il est uni à Euadné « une bonne évolution vers l’union ».
Sur son bouclier figurait un homme armé d’une torche proclamant « Je brûlerai la ville », c’est-à-dire « je détruirai l’organisation du moi ». Il combattit Polyphonte « celui qui tue beaucoup », ici soutenu par Artémis, devant la porte Électre « l’ouverture du cœur ».
La conscience du chercheur qui s’élargit augmente le feu intérieur qui doit détruire les remparts de l’ego.
L’opposition peut être comprise comme les nettoyages opérés avant que la conscience ne puisse s’élargir.

– Étéoclos « une vraie gloire » semble symboliser les réalisations de l’ancien yoga, de même qu’Étéocle, frère de Polynice.
Sur son écu figurait un guerrier en armes qui gravit les degrés d’une échelle dressée contre un rempart, image d’une progression en rapport avec « l’échelle spirituelle ». Mais ce qui freine l’ascension, c’est l’impatience de l’ego radjasique (ses pouliches rageuses qui voudraient s’être déjà ruées jusque devant la porte).
Son adversaire était Mégarée « le mouvement juste dans les grandes choses », fils de Créon « l’incarnation » et d’une Eurydice homonyme « la juste manière d’agir », et donc un descendant des Semés. Ce combat serait alors en rapport avec une résolution des nœuds. Il se déroulait devant la porte Néiste « l’évolution de la rectitude ».

– Hippomédon « le maître des chevaux » ou « la maîtrise vitale ».
Selon Sophocle, c’était un fils de Talaos « celui qui endure », et selon d’autres seulement son petit-fils par Aristomachos « le meilleur guerrier ». Il représente donc une maîtrise très avancée.
Sur son bouclier figurait Typhon répandant de sa gueule embrasée une noire fumée. Il était possédé par Arès et l’idée du corps à corps était pour lui une orgie. Le héros dut d’abord se confronter à la déesse Athéna puis au défenseur Hyperbios, fils d’Oinops.
C’est donc un chercheur qui doit vaincre l’ignorance (Typhon) due à l’ego vital par un corps à corps avec son ombre. C’est une étape très avancée du Yoga vital dont le couronnement doit être en accord avec le nom de la porte dédiée à Athéna Onka « la majestueuse » ou « celle qui a acquis de l’ampleur ou de la densité ».
Le chercheur doit d’abord se confronter à la déesse pour prouver, par son égalité avec les dieux, qu’il est digne d’acquérir les pouvoirs de ce plan, pouvoirs qu’il devra ensuite abandonner s’il veut continuer le chemin (Cf. le dixième travail d’Héraclès). C’est pourquoi il se heurte en second à Hyperbios « la vie la plus haute », fils d’Oinops « qui a la couleur du vin (celui qui a réalisé l’ivresse divine) ». En effet, la réalisation vitale la plus haute n’est pas la maîtrise car le jeu du vital doit être totalement libre, de cette liberté qui est parfaite soumission à l’Absolu. Sur le bouclier d’Hyperbios figurait Zeus, foudre enflammé au poing : le chercheur doit passer au-delà du plan des dieux, au-delà du surmental.

– Parthénopée « celui qui travaille à acquérir une vision virginale », c’est-à-dire une vision qui n’est troublée par rien, libre de toute opinion et de toute préférence, de tout désir et de toute peur, de toute attraction et répulsion. C’est un fils de l’Atalante arcadienne « l’équanimité » (Voir ch.1). C’est en effet seulement par le parfait détachement ou équanimité (l’établissement d’une « paix solide ») que le chercheur peut acquérir la vision juste de « ce qui est ou doit être ».
Selon Sophocle, son nom lui venait de sa mère si longtemps restée vierge avant de le mettre au monde : c’est donc une ascèse qui ne peut donner de fruits rapidement.
Selon Eschyle, c’était un jeune homme qui portait sur son blason une représentation de la Sphinge, l’Ogresse dévorante : par une réalisation récente, le chercheur a donc dépassé la fausse sagesse, l’orgueil spirituel (l’image de la Sphinge sur le blason montre que le héros l’a tuée).
Selon Eschyle, c’est Actor « le guide », frère d’Hyperbios « la vie la plus haute », qui lui est opposé. Actor ne se vante pas, mais son bras voit ce qu’il a à faire : par une vision totalement purifiée, le chercheur doit dépasser la nature instinctive même la plus développée.
Le combat se déroule devant la porte Borée qui est celle de l’ascèse et de « l’incarnation du mouvement juste ».

– Amphiaraos le devin « le mouvement intuitif vers l’exactitude », fils d’Oiclès « une conscience renommée ».
Rappelons qu’il appartient à la lignée de Mélampous et de Créthée, et concerne donc l’intuition mentale. Le chercheur la mobilisant pour son yoga, Amphiaraos est décrit comme un guerrier renommé.
Il est sans égal pour vaincre lance au poing et pour tirer présage des oiseaux qui passent : ses intuitions mentales sont donc d’une précision redoutable.

Eschyle ajoute qu’il a du ressentiment contre un combattant de son propre camp, Tydée « celui qui travaille à l’union », car il le juge fauteur de désordres en Argos : l’intuition juste perçoit les errements auxquels peut conduire une volonté de purification prématurée.
Nous avons vu ci-dessus qu’Amphiaraos savait que cette première campagne serait un échec, qu’il devait y trouver la mort, mais qu’il ne pouvait éviter d’y participer.
Contre lui se dressait Lasthénès « la force du peuple » (ou « l’injure, l’outrage, le mépris »), c’est-à-dire l’ego coutumier.
Ils combattaient devant la porte Homoloïs, « une vision égale » qui doit être conquise.

L’ambassade de Tydée

Alors qu’ils avaient déjà parcouru la moitié du chemin vers Thèbes, les Sept envoyèrent Tydée en ambassade « porteur de douces paroles » afin qu’Étéocle rende le trône à son frère, comme il s’y était engagé.
Tydée lança un défi aux chefs thébains dans différentes disciplines et avec l’aide d’Athéna, les vainquit tous. Dépités, ils envoyèrent cinquante hommes conduits par Maion, fils d’Haémon, semblable à un immortel, et Lycophontès, fils d’Autophonos, pour lui tendre une embuscade alors qu’il s’en retournait. Tydée les tua tous, épargnant seulement Maion.

Lorsque la première tentative de purification est bien engagée, « ce qui travaille à l’union » démontre à tout l’être sa suprématie afin que celui-ci réponde à sa demande (afin que la direction du processus de purification soit rendue à Polynice). Cette démarche est cautionnée par le maître intérieur (Tydée, soutenu par Athéna, est vainqueur à tous les exercices).
Mais la partie du chercheur qui ne veut pas remettre en cause l’ordre établi tente d’exclure du yoga « ce qui travaille à l’union » (une embuscade est tendue à Tydée) de deux façons :
– en obscurcissant la lumière par des processus autodestructeurs (Lycophontès « celui qui détruit la lumière », fils d’Autophonos « qui se détruit lui-même).
– par une consécration mélangée de passion (Maion « celui qui travaille à la consécration de la conscience », fils d’Haémon « le passionné »). Mais cette consécration, bien qu’issue d’un processus teinté d’ego, est tout de même conservée par le chercheur (Tydée épargna Maion en se fiant aux présages des dieux).
Mais des oppositions de ce type ne peuvent avoir de conséquences vraiment désastreuses sur le yoga à ce moment de la quête. Il est logique d’autre part que « la consécration de la conscience », réorientée, soit conservée.

La guerre

La première guerre de Thèbes est marquée par le combat fratricide des deux fils d’Œdipe et la mort de tous les assaillants : c’est l’illustration que le chercheur n’est pas prêt pour une purification/libération définitive – la fin du yoga personnel – bien qu’il en soit assez proche.

Parmi les péripéties du combat, certains éléments méritent d’être notés, tel que par exemple le foudroiement par Zeus de Capanée « la conscience qui s’ouvre au tout ou en totalité », signe que l’élargissement de la conscience ne peut s’opérer sans un certain degré de purification.
Mais c’est surtout la mort de Tydée « celui qui travaille à (la joie de) l’union » que nous analyserons :
Tydée fut gravement blessé au ventre par Mélanippos, fils d’Astakos, qui fut ensuite tué par le devin Amphiaraos. D’autres disent que c’est Tydée qui tua Mélanippos. Puis Amphiaraos lui coupa la tête et la jeta à Tydée mourant. Stace dit que c’était à sa demande, mais d’autres assurent que c’était une vengeance d’Amphiaraos qui reprochait à Tydée d’avoir organisé l’expédition.
Tydée, avant de mourir, fendit la tête de Mélanippos et se mit à dévorer sa cervelle.
Au même moment, Athéna descendait de l’Olympe pour offrir à Tydée une drogue qui devait lui conférer l’immortalité qu’elle avait obtenue pour lui de Zeus. La déesse fut dégoutée par le spectacle et renonça à son cadeau. Avant d’expirer, Tydée lui demanda d’accorder cette faveur à son fils Diomède.
Puis Amphiaraos s’enfuit et fut avalé par le sol que Zeus avait fendu de sa foudre afin qu’il ne soit pas tué par son poursuivant, Périclyménos.

Ce qui dans le chercheur « travaille à (la joie de) l’union » est arrêté dans son principe animateur par la manifestation d’énergies vitales déviées s’opposant à la Vérité du yoga, conséquences d’un manque de sincérité (Mélanippos « qui développe une force vitale noire » fils d’Astakos « celui qui ne s’ouvre pas à l’intégrité », blesse Tydée au ventre). Alors que « sa capacité intuitive qui s’approche de la perception juste » élimine cette énergie déviée, « ce qui en lui cherche l’union par la joie » ne lui fait pas confiance et veut s’assurer que toute trace de dualité est éliminée. Le chercheur ne peut croire que sa capacité de perception juste (ou sa volonté d’union) à elle seule ait pu mettre fin à la dualité. Il s’agit ici de la libération vitale, car l’union en l’esprit ou du moins le silence dans le mental a en effet déjà été réalisée longtemps auparavant avec son aïeul Endymion.
Le supraconscient constate que la réalisation de la libération vitale est très proche (Athéna descend pour accorder à Tydée l’immortalité). Mais le chercheur, ou bien n’a pas arraché en lui la racine du désir et succombe aux énergies d’attraction/répulsion, ou bien ne s’est pas encore défait de ce qui dans son mental doute encore et veut s’assurer que le travail est terminé (Tydée ne peut s’empêcher de dévorer la cervelle de Mélanippos).
Déjà le chercheur avait refusé initialement de suivre son intuition mentale, ce qui devait entraîner la disparition de celle-ci en tant que telle (Tydée, contre l’avertissement d’Amphiaraos, avait voulu la guerre, et le devin devait disparaître à cette occasion). Cette intuition « qui s’approche de la perception juste » est en fait parvenue à son terme dans le mental et le vital mais elle ne peut disparaître totalement car tout reste à faire dans le corps, et c’est dans cette direction que l’oriente le supraconscient (Amphiaraos est englouti dans la terre par les soins de Zeus).
Mais pour cela, le chercheur doit renoncer aux réalisations et pouvoirs qui résultent de sa libération ou bien renoncer définitivement au « connu », à « ce qui est établi » (Amphiaraos doit fuir, poursuivi par Périclyménos « ce qui est célèbre tout autour » ou « ce qui concerne l’acquis »). Il est aidé en cela par le supraconscient qui l’entraîne vers un nouveau yoga.

Éliminer la racine du désir ne signifie pas pour autant la fin du processus de purification et la remise en ordre des centres : la première guerre de Thèbes est un échec malgré la mort de Mélanippos. Le chercheur demande alors à son guide intérieur que son aspiration à l’union puisse porter ses fruits et que ce qui en découle puisse parvenir à la non-dualité (En mourant, Tydée demande que l’immortalité soit accordée à son fils Diomède).
Agamemnon, au début de la guerre de Troie, assure que Diomède est moins bon combattant que son père mais meilleur à l’assemblée : il ne s’agit plus tant en effet d’un yoga actif pour acquérir la libération puisque le yoga personnel a pris fin avec les guerres de Thèbes, mais d’un outil capable d’aider au discernement dans le renversement du yoga vers celui du corps, Diomède étant « celui qui a le dessein d’être divin » dans la totalité de son être. C’est pour cela qu’il rentrera sain et sauf à Argos en peu de jours à la fin de la guerre de Troie.

La sépulture des Sept

Bien que les évènements concernant l’enterrement des Sept aient occupé une place importante chez les Tragiques, ils n’ont pour nous qu’une importance mineure.
Rien n’est évoqué avant le Ve siècle. Homère dit seulement que Tydée est enterré à Thèbes et Pindare que sept bûchers furent dressés pour les Sept chefs.

Créon interdit que l’on donnât une sépulture aux Sept chefs car ils avaient pris les armes contre leur patrie. Antigone se dressa contre ces ordres en tentant d’ensevelir son frère Polynice. Elle y réussit symboliquement avec une poignée de terre, sauvant ainsi l’âme de son frère. (Dans certaines versions, elle réussit à l’ensevelir en cachette). Ismène, plus soumise, la soutint mais ne participa pas.
Créon emmura Antigone vivante et resta sourd à l’appel à la clémence de son fils Haémon qui lui était fiancé. Comme le devin Tirésias annonçait que les dieux refusaient les sacrifices des Thébains, Créon se laissa fléchir mais il était trop tard : Antigone s’était pendue et Haémon s’était transpercé le corps pour partager son sort.

À de nombreuses reprises durant le processus d’édification de Thèbes, Créon « celui qui travaille à l’incarnation » a assuré la royauté où la régence. Il représente le processus d’incarnation qui s’appuie sur le connu et refuse sa remise en cause, niant la possibilité de divinisation de la nature inférieure et rejetant comme inutile toute tentative en ce sens (Créon en veut aux Sept chefs d’avoir pris les armes contre leur patrie et leur refuse une sépulture).
Toutefois, ce processus a déjà généré une « passion » qui s’oriente dans le sens opposé : Haémon « le passionné » est fiancé à Antigone « ce qui naît dans le sens opposé » ou « ce qui soutient ce qui naît ». Cette ouverture au nouveau est bien sûr en accord avec toutes les tentatives de purification (Antigone veut donner une sépulture à son frère Polynice) tandis que ce qui reste lié à la personnalité humaine, est en retrait (Ismène reste à l’écart).
Alors que le ferment d’une possible évolution se manifeste, ce qui y est opposé durcit ses positions (Antigone réussit à donner une sépulture symbolique à Polynice mais se fait emmurer par Créon).
Le processus de purification et la passion évolutive qui le soutient s’arrêtent alors pour une longue période (Antigone et Haémon se suicident).

LA SECONDE GUERRE DE THÈBES MENÉE PAR LES ÉPIGONES

Ce furent les enfants des Sept chefs, dix ans plus tard, qui réussirent à reprendre la ville de Thèbes lors de l’expédition dite des Épigones « ceux qui sont nés après ».
Dans l’Iliade, Sthénélos se vante ainsi : « Nous valons beaucoup mieux que nos pères, nous avons pris Thèbes aux sept portes en menant, tous deux (avec Diomède), une armée moins nombreuse sous ses remparts plus forts, confiants dans les signes envoyés par les dieux et le secours de Zeus. »
Ainsi, lorsque le chercheur est prêt, il faut beaucoup moins d’efforts bien que les croyances erronées concernant le chemin se soient davantage enracinées (il faut une armée moins nombreuse bien que les défenses de la ville se soient renforcées), car le chercheur est plus « attentif » à ses intuitions et il a une foi plus affermie dans la direction divine.
Il sait intuitivement que c’est seulement par « une puissante consécration » que la purification/libération totale pourra être réalisée (l’oracle a prévenu qu’Alcméon devait être le chef de l’expédition).

La seconde trahison d’Ériphyle

Lors de la première expédition, Ériphyle « la qualité de présence » avait reçu le collier d’Harmonie « la maîtrise de l’expression » des mains de Polynice pour convaincre son mari, le devin Amphiaraos, de participer, alors que ce dernier savait qu’il ne pourrait en réchapper : le chercheur avait mené son intuition « qui s’approchait de la perception juste » au bout de son travail dans le vital malgré une certaine résistance.
Cette fois-ci, il ne s’agit plus de l’expression mais de la fonction, de la « tâche ».

Alcméon devait honorer la promesse faite à son père Amphiaraos qui participait contre son gré à la première expédition de lancer une nouvelle campagne contre Thèbes et de tuer sa mère. Comme il mettait peu d’empressement à partir au combat, sa propre mère Ériphyle l’y contraignit. Thersandros en effet avait reçu en héritage de son père Polynice la robe d’Harmonie. Il l’offrit à Ériphyle afin qu’elle incitât ses deux fils Alcméon et Amphilocos au combat.

« Le feu intérieur » était encore insuffisant lors de la première tentative de réharmonisation et de purification des centres, mais un demi-cycle symbolique de maturation plus tard (dix années), il a acquis une puissance suffisante pour mener à bien le travail (Thersandros était encore trop jeune pour participer à la première expédition).
Le chercheur toutefois semble peu enclin à renouveler sa tentative. Aussi est-ce son feu intérieur qui fait en sorte que sa « consécration totale » et sa « capacité d’attention » se mobilisent. Pour cela, il donne les moyens à sa « qualité de présence à l’instant » de remplir sa fonction (Thersandros « l’homme qui brûle » donne la robe d’Harmonie à Ériphyle afin qu’elle incite au combat ses deux fils Alcméon « une puissante consécration » et Amphilocos « l’attention »)
La robe peut en effet être considérée comme le symbole d’une fonction ou « tâche » à laquelle celui ou celle qui la porte s’est totalement consacré.
Rappelons que cette robe avait été tissée par les Charites (ou Kharites : les Grâces), filles de Zeus et d’Eurynomé « l’ordre juste ». Ce sont la joie (Euphrosyne), la surabondance de vie ou la plénitude (Thalia) et le rayonnement (Aglaé) qui doivent être le but du chercheur au terme de l’action du feu intérieur (Thersandros).
(Homère ne cite que « l’une des plus jeunes », sans même indiquer sa filiation, et lui donne le nom de Pasithéa qui signifie « la vision totale », c’est-à-dire « l’éveil ».)

Les Épigones

Nous ne disposons d’aucune source ancienne concernant les Épigones « ceux qui vinrent après ». Les seules listes qui nous sont parvenues sont celles d’Apollodore, Hygin et Pausanias. Celle d’Apollodore qui comporte huit noms de héros nous semble la plus fiable. Comme pour les Sept, quatre héros appartiennent à la lignée de Japet, et concernent donc la spiritualisation du mental.
Six parmi les huit sont des fils ou des petits-fils des Sept, les autres étant des descendants de Talaos « celui qui endure ».

– Adrastos « celui qui n’agit pas (selon sa volonté personnelle), celui qui ne cherche pas à fuir » ou « celui qui travaille à être imperturbable » est seulement cité par Pindare. Pour les autres auteurs, il est trop vieux pour se battre mais accompagne l’expédition, signe que le chercheur ne s’est jamais découragé. Il est remplacé au combat par son fils Aigialeus « celui qui réside au bord de la mer », symbole du travail pour se hausser au-dessus de toute perturbation vitale. (Selon Apollodore, il est le seul des attaquants à mourir dans l’expédition, tué par Laodamas « la maîtrise de la personnalité ».)
– Alcméon « une puissante consécration », le chef de l’expédition, fils d’Amphiaraos « ce qui s’approche de la perception juste » et d’Ériphyle « la présence à l’instant ».
– Amphilochos « l’extrême attention », le frère du précédent.
– Thersandros « le feu intérieur », fils de Polynice « de nombreux combats dans la dualité ». C’est ce feu qui dirige le processus de transformation lorsque l’être psychique prend définitivement les rênes (quand Thersandros devient le nouveau roi de Thèbes à la fin de la guerre).
– Sthénélos « une puissante libération », fils de Capanée « la conscience qui s’ouvre en totalité ».
– Promachos « celui qui s’implique totalement (qui combat au premier rang) », fils de Parthénopée « la vision purifiée », lui-même fils d’Atalante « l’égalité ».
– Euryalos, celui qui cherche « une vie large » ou « une vaste liberté », fils de Mécistée « très grand », lui-même fils de Talaos « celui qui endure ».
– Diomède « qui a le dessein d’être divin » ou « celui qui se préoccupe de l’union en conscience », fils de Tydée « qui aspire à l’union ». Il sera l’un des grands combattants de la guerre de Troie, proche d’Ulysse.

Les noms des défenseurs ne sont pas mentionnés hormis Laodamas « la maîtrise de la personnalité » (ou Aégialeus « le bord de mer »).
Seuls quelques évènements mineurs ont été rapportés tardivement concernant le combat lui-même.
Laodamas, fils d’Étéocle, tua Aégialeus avant d’être tué lui-même par Alcméon. (Chez Hygin, c’est Aégialeus qui fut tué, mais son père donna sa vie en échange de la sienne).
Après la mort de Laodamas, Tirésias incita les Thébains à fuir leur cité avant qu’elle ne soit prise. Les Épigones entrèrent alors dans Thèbes et abattirent les remparts.
Lorsque le chercheur est prêt, que le processus de maîtrise est arrivé à son terme et que le yoga vital est terminé (Laodamas « celui qui dompte le peuple » est mort ainsi qu’Aégialeus), la purification-libération se termine dans la non-dualité sans aucun effort ni combat (les murailles ne sont plus nécessaires).

Manto « la prophétesse », la fille du devin Tirésias, fut capturée et devint la première Sibylle de Delphes. Unie à Apollon, elle fut la mère de Mopsos que Calchas, le devin attitré des achéens partis en guerre contre Troie, reconnut comme lui étant supérieur. Tirésias mourut quelque temps après en buvant l’eau d’une fontaine consacrée à Apollon.
L’intuition mentale qui a guidé le chercheur tout au long de cette phase de purification a terminé son rôle (Tirésias « qui reçoit des signes de sa nature humaine » meurt).  C’est une intuition davantage liée à la lumière psychique qui prendra la suite (Mopsos « celui qui reçoit d’en haut en état de réceptivité-consécration »).

Les Thébains, au terme d’un long parcours, fondèrent la ville d’Hestiaia : les forces qui dans le chercheur s’opposaient à la remise en cause de l’ordre établi, doivent encore évoluer longtemps avant de pouvoir établir une nouvelle structure consacrée cette fois-ci à la protection du feu intérieur (Hestia est la déesse qui veille sur l’âtre au centre de la maison.)

Le destin d’Alcméon

Rien ne subsiste avant Apollodore des œuvres qui auraient pu évoquer le matricide : la mort d’Ériphyle sous les coups de son fils Alcméon. Cependant, aucun auteur ne semble le remettre en cause.
Bien qu’il eut obtenu l’approbation d’Apollon avant de tuer sa mère Ériphyle, Alcméon fut frappé de folie par l’Érinye attachée à venger le meurtre. Puis, ayant été purifié par Phégée, il épousa la fille de celui-ci, Arsinoé, à laquelle il donna le collier et la robe. Mais plus tard, à cause de lui, la terre fut frappée de stérilité. L’oracle lui intima alors l’ordre d’aller auprès du fleuve Achéloos et de « recevoir de lui une terre qui n’existait pas encore sous le soleil quand il tua sa mère ». Il remonta jusqu’aux sources du fleuve qui le purifia à nouveau et lui donna sa fille Callirhoé, sa seconde épouse. Il fonda alors une ville en un lieu que l’Achéloos avait formé avec ses alluvions.

Un héros qui tue sa mère indique qu’il ne veut plus assumer le but de la lignée. C’est donc le symbole d’une réorientation radicale du yoga. Alcméon « une puissante consécration », est le fils du devin Amphiaraos uni à Ériphyle, et ainsi le résultat d’un travail sur la perception juste des informations provenant des mondes de l’esprit en vue de l’établissement « d’une qualité de présence » (la présence à l’instant).
Désormais, l’intuition ne doit plus venir des hauteurs mais du cœur, par la lumière psychique. C’est pourquoi celle-ci cautionne la réorientation (Apollon donne son accord pour le meurtre de sa mère).
La « qualité de présence », qui a attiré à elle la maîtrise de l’expression et la réalisation de la tâche au détriment d’une perte de l’intuition juste, doit disparaître (Ériphyle, qui a reçu de Polynice puis de Thersandros respectivement le collier et la robe, causant ainsi la perte d’Amphiaraos, doit mourir.)
Privé de son mode de perception habituel, le chercheur perd alors le sens du chemin (Alcméon fut frappé de folie par l’Érinye).
Toutefois, la première purification d’Alcméon indique que le chercheur est dans le mouvement juste. Celui-ci confie alors « la réalisation de la tâche » à son silence intérieur (Alcméon donne à Arsinoé « le vide de l’esprit » le collier et la robe).
Mais cette démarche nouvelle arrête sa progression dans le yoga (la terre est stérile). Il a alors l’intuition que le courant « qui entraîne vers la libération » doit lui donner un nouvel élan, un nouveau terrain de travail « Alcméon doit recevoir du fleuve Achéloos une terre qui n’existait pas encore sous le soleil quand il tua sa mère »
Pour cela, il doit remonter à l’origine du mouvement de conscience qui accomplit la libération (aux sources de l’Achéloos, le fils aîné d’Océanos, qui représente le plus ancien courant de conscience-énergie dans l’évolution selon la nature) et se lier à l’énergie « qui s’écoule de façon fluide » (Callirhoé).

L’accomplissement de la libération personnelle ouvre une nouvelle voie qui ne pouvait être perceptible avant que la libération ne soit accomplie (une terre qui n’existait pas encore sous le soleil quand il tua sa mère).
En reprenant le cours de l’évolution et en s’appuyant sur tout ce qu’elle a apporté avec elle, le chercheur peut établir les bases d’un nouveau yoga (Alcméon « une puissante consécration » fonda une ville en un lieu que le fleuve avait formé avec ses alluvions).

La fin de l’histoire racontée par Apollodore et en partie par Pausanias est assez complexe. Il semblerait qu’elle expose une erreur d’orientation du « libéré vivant » qui se trompe de chemin d’évolution en retirant à sa nature silencieuse la réalisation de la tâche pour la confier à une voie de facilité et d’évidence (il reprend le collier et la robe donnés à Arsinoé pour les offrir à Callirhoé « ce qui s’écoule bien » qui les réclame). Le chercheur perd alors sa juste consécration (Alcméon est tué).
Cette histoire pourrait faire écho à un épisode de l’Agenda dans lequel Mère rapporte que, s’étant engagée dans un début de création surmentale, elle a été « réorientée » par Sri Aurobindo vers le travail supramental.

LES DERNIERS ROIS DE THÈBES

La mort de Thersandros et les épisodes concernant ses descendants ne sont mentionnés que dans les sources tardives et doivent donc être considérés avec prudence. Dans la seconde Olympique, Pindare ne fait aucune allusion à la mort de Thersandros « la croissance du feu intérieur » et fait de lui un vainqueur honoré à Olympie, signe que le chercheur est alors parvenu au stade de l’accomplissement des travaux d’Héraclès.

Thèbes, ville principale de Béotie, est le symbole du processus de purification et de l’incarnation du psychique (Θ+Β) et les mythes qui s’y déroulent peuvent concerner des périodes très différentes du chemin. Il semblerait donc que les auteurs tardifs aient confondu le feu psychique « Agni » qui ne peut mourir, relié à Apollon et à Hestia, gardienne du feu sacré, avec le feu de l’aspiration issu du plus haut du vital ou du mental : nous avons vu dans le premier tome que durant l’Âge d’or, au temps de Cronos, avant que Zeus ne se venge de Prométhée, les hommes encore dans la phase de croissance vitale allaient chercher « le feu du ciel » au sommet des frênes. Ce feu de l’aspiration, celui du chercheur qui aspire à connaître la volonté du Divin, disparaît lorsque le chercheur découvre sa « tâche ».
Si l’on considère en revanche que Thersandros incarne Agni, le feu psychique, le travail vers la soumission intégrale de l’être à l’être psychique, ce personnage ne peut alors mourir. D’autre part, fils de Polynice, il apparaît à une période relativement avancée du chemin et son association avec l’aspiration vitale semble donc impossible.

Thersandros épousa Démonassa, fille du devin Tirésias, qui lui donna un fils Tisaménos. Il partit ensuite pour Troie à la tête d’un contingent de Béotiens mais fut tué en chemin par Téléphos, roi de Mysie. Son fils Tisaménos étant encore trop jeune pour prendre la tête du contingent, les Thébains choisirent Pénéléos comme chef. Ce dernier fut tué à la fin de la guerre par Eurypylos, allié des Troyens. Tisaménos revint à Thèbes où il régna. Son fils Autésion ne monta pas sur le trône, ayant quitté Thèbes avant de régner. Aussi les Thébains confièrent-ils le trône au petit-fils de Pénéléos, Damasichton.

Compte tenu des réserves faites ci-dessus, on peut faire l’analyse suivante : le feu intérieur de l’aspiration se développe en s’appuyant sur la maîtrise de l’être extérieur, elle-même issue de l’intuition liée à l’incarnation et à la purification (Thersandros « l’homme qui brûle » s’unit à Démonassa « la reine du peuple » fille du devin Tirésias).
Mais ce feu disparaît lorsque le psychique doit prendre la direction de l’être (Thersandros meurt en chemin vers Troie, tué par Téléphos « la lumière au loin », roi de Mysie, ce qui dirige « le mouvement vers la consécration »)

Tisaménos « celui qui s’acquitte d’une obligation » pourrait être compris comme « l’accomplissement de la tâche » qui en est encore à ses débuts et se poursuivra par la guerre de Troie, vingt ans donc avant le retour d’Ulysse à Ithaque.
C’est encore la « trame de la personnalité » (Pénéléos) qui dirige le contingent pour Troie. Il sera tué à la fin de la guerre par Eurypylos « la vaste porte », indiquant l’éradication de l’ego et un grand tournant dans le yoga.
Commence alors le « yoga des profondeurs » (Damasichton « la maîtrise des couches profondes du corps ») dans lequel l’appel au Divin n’a plus sa place (Autésion « celui qui invoque » a quitté Thèbes et n’y règne pas) puisque c’est Lui qui dirige l’être.

TIRÉSIAS

Pour terminer ce chapitre, nous évoquerons certaines histoires liées au devin Tirésias.
Les Anciens distinguaient les devins suivant l’origine de l’intuition :
Lorsqu’elle provenait du subconscient (Poséidon), il s’agissait de devins tels que Phinée et Protée.
Issue de l’intégrité ou rectitude intérieure, elle était incarnée par Calchas « pourpre », fils de Thestor « la rectitude qui vient de intérieur », le devin des Achéens devant Troie.
Produite par la lumière psychique, elle prenait l’apparence d’Idmon, fils d’Apollon.
Issue des hauteurs de l’esprit à travers le mental, elle générait une lignée importante de devins avec pour origine le petit-fils d’Éole, Amythaon « celui qui entre dans le silence ». Elle comprenait Mélampous « aux pieds noirs (l’intuition qui n’est pas reliée au corps) » et ses descendants Antiphatès, Mantios, Oiklès, Amphiaraos, Amphilochos et Alcmaion.
Enfin, l’intuition qui provenait du corps s’inscrivait, selon Apollodore, dans la descendance du Semé Oudaios « ce qui sort de terre ». Elle concernait le processus de libération/purification et la psychisation de l’être, et comprenait les devins Tirésias, Manto et Mopsos.

Selon Homère, Tirésias « était le seul à qui Perséphone avait accordé après la mort de conserver ses facultés mentales » : la transmission de l’information se poursuit depuis l’inconscient corporel.
Oudaios eut un fils Euérès « celui qui est bien ajusté (qui a un mouvement juste), souple » uni à Chariclo « une joie ou grâce célèbre » : c’est par l’adaptation permanente au mouvement du devenir, avec souplesse et exactitude, que surgit la joie dans le corps. Leur fils Tirésias est dans ce mouvement le symbole du processus d’information. (Son nom évoque peut-être une réception de « signes célestes » dans la nature humaine.) Il est le devin de Thèbes, celui qui « éclaire » le processus de purification qui conduit à la psychisation de l’être.

Plusieurs histoires donnent l’origine de sa cécité, symbole d’un retournement de la perception vers l’intérieur.
Dans la première, il aurait divulgué aux hommes ce que les dieux souhaitaient garder secret : les perceptions issues « d’en bas » et obtenues par le yoga accélèrent le lent processus de la nature que les dieux soutiennent et dont ils sont réticents à modifier le rythme.

Dans la seconde, il aurait aperçu Athéna nue. La déesse l’aveugla, mais devant les supplications de sa mère Chariclo, elle donna à Tirésias un bâton lui permettant de marcher comme s’il y voyait.
Ici, le chercheur perçoit la nature exacte du maître intérieur qui possède la clef de son évolution. Cette vision l’oblige à ne considérer que ses perceptions intérieures. Si pour un chercheur sincère ce retournement est indispensable, il lui fait perdre en partie son adaptation au monde. C’est pourquoi le maître intérieur lui offre un moyen de poursuivre le yoga comme s’il participait encore du monde, parce que la croissance de la joie le demande.

Mais c’est la troisième version qui est la plus connue.
Dans les parages du mont Cyllène, Tirésias vit des serpents en train de s’accoupler. Les ayant blessés, il fut changé d’homme en femme. Il guetta à nouveau l’accouplement des mêmes serpents et redevint homme.
Aussi, lorsque Zeus et Héra se disputèrent pour savoir qui des hommes et des femmes retiraient le plus de jouissance de la relation sexuelle, ils se tournèrent vers Tirésias pour obtenir la réponse, car il avait fait l’expérience des deux sexes. Le devin répondit : « Sur dix parts, dans le plaisir, l’homme ne jouit que d’une, et la femme jouit en son cœur de la plénitude des dix ». Héra se mit en colère, soit parce qu’elle avait perdu contre Zeus soit parce qu’elle voulait que le secret soit gardé, et rendit Tirésias aveugle.

Le chercheur à l’occasion d’observer en lui le fonctionnement harmonieux des courants d’énergie masculin et féminin. Mais comme il n’est pas prêt à le supporter longtemps, il doit expérimenter la perception selon un mode passif totalement opposé à l’habituel (Tirésias blesse les serpents et il est changé en femme).
Il lui faut alors attendre le renouvellement de l’expérience dans laquelle cette fois-ci il n’intervient pas pour retrouver sa nature initiale.
Cette histoire fait probablement référence à un grand classique de la spiritualité, le passage obligé par les caractéristiques du sexe opposé ou de l’énergie opposée pour atteindre à la plénitude de sa propre nature. Ovide confirme ce point en disant que Tirésias cherchait à vérifier l’hypothèse que quiconque frappait les serpents devait automatiquement changer de sexe : celui qui refuse l’intégration des deux énergies doit se préparer à expérimenter celles qui sont radicalement opposées aux siennes.

La querelle entre Zeus et Héra nous fait comprendre que l’accès au surmental ne peut donner la connaissance précise de l’union mystique – dont l’image est ici l’union sexuelle – lorsqu’elle se produit sur les plans inférieurs. Ils ne peuvent déterminer si la joie se déploie davantage dans la réceptivité ou dans l’action (Zeus et Héra sont obligés de demander l’arbitrage d’un mortel).
Les dieux du surmental sont en effet des forces conscientes de leur divinité mais limitées à leur propre modalité d’être : ils ne connaissent pas par exemple la joie de la soumission au Divin. C’est seulement à travers l’homme qu’ils peuvent l’expérimenter. Le surmental ne peut donner l’expérience de l’union mystique car elle ne se produit pas dans les hauteurs de l’esprit mais dans le cœur. Seule la perception humaine en rapport avec la psychisation de l’être (Tirésias) est capable de l’appréhender. Dans cette union, la Joie est bien davantage expérimentée par la totale ouverture au Divin que par le mouvement orienté vers l’individualité.
Le masculin doit en effet être compris ici comme le mouvement de l’Un vers le multiple, tandis que le féminin est celui du retour de l’individu séparé vers le Tout.
Héra représente la force qui fait respecter le mouvement qui doit conduire vers le Réel la totalité et non la partie. Si elle peut être une force qui freine lorsqu’elle agit dans le cadre de l’évolution selon la Nature, en revanche elle permet d’accélérer le mouvement du yoga. C’est en effet seulement par un retournement vers l’intérieur que l’Unité peut être atteinte : Héra aveugle Tirésias.