LA GUERRE DE TROIE (L’ILIADE)

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La Guerre de Troie chantée par Homère dans l’Iliade illustre un renversement majeur dans le processus de la quête spirituelle.  Ce renversement marque la fin de la quête du divin en l’esprit lorsque le chercheur accepte enfin de purifier les profondeurs du vital.

Achille et Ajax jouant

Achille et Ajax jouant

Cette page du site ne peut être vraiment comprise qu’en suivant la progression qui figure sous l’onglet Mythes grecs interprétation et suit le cheminement spirituel. En particulier doivent être préalablement étudiées les pages qui traitent des lignées majeures impliquées dans la guerre. 

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Les principaux personnages figurent dans les arbres généalogiques suivants : 

Achille et Ajax : Arbre généalogique 25
Agamemnon et Ménélas : Arbre généalogique 15
Priam, Pâris et Hector : Arbre généalogique 16
Hélène : Arbre généalogique 13
Diomède : Arbre généalogique 9
Ulysse et Patrocle : Arbre généalogique 14

LES RÉALISATIONS DU CHERCHEUR AU DÉBUT DE LA GUERRE

Brise les moules du passé, mais garde intacts son génie et son esprit, sinon tu n’as pas d’avenir.
Sri Aurobindo

Le récit de la guerre de Troie, tel qu’il nous est parvenu de façon détaillée dans l’Iliade, est une description de la difficulté à opérer le renversement entre les anciens yogas – ceux qui ne considèrent pas possible la divinisation de l’homme et ne visent qu’à entraîner à leur suite l’humanité par la seule libération individuelle dans les paradis de l’esprit – et les nouveaux yogas qui refusent cette position et aspirent, par une transformation intégrale de la nature humaine, à l’évolution de l’humanité dans son ensemble vers une nature humaine divinisée dans son intégralité. Cette guerre illustre le refus du seul accomplissement personnel – représenté par la coalition troyenne – et la quête d’une vérité plus haute incarnée par Hélène, héroïne issue de la coalition achéenne. Si elle retrace une lutte intérieure, elle exprime aussi probablement une opposition entre divers courants de la spiritualité grecque de cette époque.

Pour suivre la complexité du récit, il est utile de garder en mémoire le symbolisme des forces en présence qui s’affirment chacune comme seul yoga en accord avec « la vérité évolutive » (Hélène).
Tous les participants illustrent des aspects d’un chercheur parvenu aux limites généralement admises de l’expérience spirituelle, limites représentées par les états de sagesse et de sainteté. C’est seulement après la guerre, avec le périple d’Ulysse pour retourner en son foyer à Ithaque, que seront définitivement acquis le renoncement à la sagesse – au pouvoir, à la puissance de l’intelligence – et le renoncement à la sainteté – à la puissance de la vie et à ses pouvoirs. Ces deux réalisations sont respectivement incarnées par les deux prétendants principaux à la main de Pénélope, l’épouse d’Ulysse, à savoir Antinoos et Eurymaque.

Hélène, l’enjeu de la guerre, appartient à la lignée de Sparte, celle du surgissement du « nouveau ». De ses deux frères et deux cousins, symboles des réalisations aux frontières de la non-dualité – Idas « la vision d’ensemble », Lyncée « la vision dans le détail ou le discernement », Castor « le pouvoir que confère la maîtrise » et Pollux « celui qui lutte par l’extrême douceur » – il ne subsiste pendant un temps qu’une immense compassion, Pollux. Mais même ce dernier est mort lorsque commence la guerre de Troie.
La disparition d’Idas et Lyncée pourrait indiquer que les capacités de vision qui ont été développées dans les phases précédentes du yoga disparaissent avant que ne soit abordé la réorientation du yoga : l’aventurier qui s’apprête à faire un yoga dans le corps ne pourrait plus alors s’appuyer sur elles pour trouver le chemin.
Peut-être cela fait-il aussi référence à ce que Mère exprime dans l’Agenda du 2 juin 1961 : « Mais ce qui est nécessaire, c’est de TOUT abandonner : tout, tout pouvoir, toute compréhension, toute intelligence, toute connaissance, tout-tout-tout, devenir par-fai-te-ment non existant ».
En revanche, le pouvoir et la douceur symbolisés par Castor et Pollux sont toujours présents et actifs, mais seulement dans l’inconscient corporel, et selon Homère en alternance, car :
« Ils restent vivants tous les deux sous la terre féconde ;
Cependant, même là en-bas, Zeus les comble d’honneurs ;
De deux jours l’un, ils sont vivants et morts à tour de rôle
Et sont gratifiés des mêmes honneurs que les dieux »
De plus ce sont des travaux de yoga qui se situent au niveau du surmental, celui des dieux, comme l’indique le dernier vers.

Le camp troyen représente l’état le plus avancé de la progression spirituelle dans l’ascension des plans de conscience, celui du libéré en l’esprit (Ilos) qui est proche de l’égalité (Assarakos) et de l’état de joie (Ganymède). Cet état a permis jusqu’à un certain point la libération du vital – l’accès à la non-dualité dans le vital ou la perfection de la sainteté – sans toutefois qu’elle soit complètement acquise (car les chevaux de Tros ne sont pas immortels).
Mais il y eut un moment où la consécration (le don de soi) ne fut pas intégrale, ce qui orienta le yoga dans une mauvaise direction (Laomédon). Même si le chercheur tenta de redresser la barre (avec Priam « le racheté »), il s’orienta finalement vers le rejet de l’homme dans sa nature extérieure (Pâris-Alexandre), se focalisant essentiellement sur une ouverture aux mondes de l’esprit afin d’acquérir une plus grande maîtrise (Hector est uni à Andromaque qui lui donna Astyanax).
Dans la voie troyenne qui a dévié en séparant l’esprit de la matière, il ne peut plus y avoir d’aspiration à « devenir » puisque le but est l’être immuable, intemporel, impersonnel, le Soi ou le Brahman.
Cette voie de l’ascension des plans de conscience, qui non seulement n’est pas en elle-même une impasse, mais constitue aussi une donnée fondamentale de l’évolution humaine, ne pourra se poursuivre (avec Énée) qu’après le redressement de l’erreur et l’instauration d’un état de vérité.

Le camp opposé est constitué par la coalition achéenne : soutenue par « l’aspiration » ou « le manque » (la branche de Tantale), elle représente la volonté de poursuivre le processus de libération dans l’action (Ménélas, dans la lignée d’Atrée, uni à Hélène). Mais le mouvement directeur, l’aspiration la plus forte (Agamemnon), est encore en quête d’une amélioration de l’homme actuel vers une sagesse supérieure (Clytemnestre) et ne conçoit pas encore que le nouveau yoga doive s’orienter vers une transformation radicale. Car c’est bien d’une mutation vers une humanité supramentale dont il s’agit, et non d’une amélioration de l’homme mental, aussi saint et aussi sage puisse-t-il être.
Cette transformation doit s’opérer par une plongée dans les racines de la conscience à l’origine de la vie pour en purifier les mémoires évolutives, afin de parvenir à la Vérité de la Matière (du corps). Dans un premier temps, ce doit être l’accomplissement de la libération vitale ou libération de la Nature et de ses modes, qui conduit à une parfaite « égalité » (par Achille, fils de la Néréide Thétis). Mais pendant très longtemps, le chercheur ne prend pas la mesure de l’importance de la nécessaire transformation de l’être extérieur (c’est la « grève » d’Achille qui dura près de dix années).

Dans le camp achéen, certains personnages méritent d’être cités :
Diomède qui représente pour un chercheur établi dans un certain silence mental, et comme conséquence du travail pour acquérir l’ivresse divine, le dessein de se fondre dans l’Absolu.
Nestor, le symbole de la rectitude, de la sincérité ou de l’intégrité, qui est l’un des piliers du yoga depuis ses débuts.
Patrocle, « les ancêtres glorieux », qui incarne les réalisations passées d’union avec le Divin dans le cadre de l’ascension des plans de conscience.

Lorsque le chercheur a accepté de descendre dans les profondeurs pour purifier la nature extérieure (lorsque cesse la grève d’Achille), lorsqu’il a réussi à mettre à leur juste place les réalisations passées (les funérailles de Patrocle), lorsqu’il a renoncé aux paradis de l’esprit (après que Troie soit rasée), lorsqu’il est parvenu à faire passer l’être psychique au-devant de l’être, réalisation dont le signe est la parfaite égalité en toutes circonstances, lorsqu’il est devenu familier des puissances du surmental, alors peut commencer le nouveau yoga.

En résumé, le chercheur est ce que l’on appelle un « libéré vivant ». Il a eu les expériences du Soi, de l’Absolu, du ou des Nirvanas, de l’union cosmique, etc.
Il a aussi réalisé jusqu’à un haut degré la « psychisation » de l’être, laquelle œuvre à « la transformation de la nature inférieure qui amène la juste vision dans le mental, la juste impulsion et le juste sentiment dans le vital, le juste mouvement et la juste habitude dans le physique ». Selon Mère, la tradition voulait que trente années d’un yoga soutenu soient nécessaires pour que le psychique passe au premier plan, « réalisation qui consacre le travail de l’égalité, car le signe certain en est un état de conscience stable, immobile, dans lequel l’être est parfaitement unifié ».
Le chercheur est déjà bien engagé dans la voie de la transformation spirituelle qui, selon Sri Aurobindo, « est la descente, stabilisée, d’en haut, de la paix, la lumière, la connaissance, la puissance, la béatitude, la prise de conscience du Soi, du Divin, d’une conscience cosmique supérieure et la transformation en cela de toute la conscience. »
S’il est libre du désir et de l’ego, il n’est pas toutefois libéré des limites et des lois de la Nature physique (les prétendues « impossibilités » de transformation).
C’est tout le problème de la libération de la soumission aux trois modes d’action de la nature, les guna, qui est posé. Car, comme le dit Sri Aurobindo dans le commentaire de la strophe 35 de la Bhagavad Gîtâ, « l’ego est là, caché dans le mental du saint comme dans celui du pécheur ».

LES PRÉMICES DE LA GUERRE

Pour le « libéré en l’esprit », le double refus d’honorer ses engagements spirituels de consécration totale à l’Absolu est la première raison du conflit évolutif intérieur dont l’issue doit être un grand renversement (le double refus de Laomédon était, dit-on, la première cause de la guerre de Troie). Mais nous avons vu que ce n’est pas la seule : une erreur s’était déjà introduite dans l’interprétation d’un signe reçu du supraconscient (Até « l’erreur » fut précipitée sur la terre par Zeus à Troie en même temps que le Palladion lorsqu’Ilos, le père de Laomédon, fonda Troie). En outre, cette erreur de « compréhension » fut accentuée par le fait qu’une « illumination » se matérialisa sur une base fausse (Ilos avait suivi une vache qui se coucha sur « la colline de l’erreur », lui désignant ainsi l’endroit où il devait fonder la ville de Troie).
Les Troyens persistaient si fort dans ces erreurs qu’Ilion (Troie) ne pouvait être conquise par les Achéens tant que le Palladion était entre ses murs. Les anciens yogas défendus par les « libérés vivants » (les héros troyens) avaient érigé comme but suprême « la paix de la libération en l’esprit » (le Palladion), et aucune évolution n’était possible tant que le chercheur persisterait à considérer la fuite dans les royaumes de l’esprit et la sortie de la vie terrestre comme la seule possibilité de perfection.
Cet état est bien décrit par Mère (Agenda Tome 1 p 379) : « On peut aller tout en haut de sa conscience et de là-haut balayer les difficultés (il y a un moment de la sâdhana où vraiment les difficultés n’existent plus ; il suffit d’attraper la vibration indésirable et c’est fini, on la pulvérise.) Et tout là-haut, on est très bien ; mais en dessous, c’est le grouillement. (…) Il faut que la maîtrise soit une VRAIE maîtrise, une maîtrise très humble, très austère, qui part de tout en bas et qui, pas à pas, établit le contrôle. En fait, c’est une bataille contre des petites choses, toutes petites : des habitudes d’être, des façons de penser, de sentir, de réagir. »

La naissance et la jeunesse de Pâris-Alexandre

Différentes sources laissent entendre que le chercheur sait intuitivement que la position « troyenne » – la certitude d’être arrivé au terme du chemin – doit être remise en question, comme illustré par une vision de l’épouse de Priam.
Hécube, qui était enceinte, rêva qu’elle donnait naissance à une torche (ou à une créature aux cent bras soufflant le feu) qui mettait le feu aux forêts de l’Ida et à Troie, détruisant totalement la ville. Lorsque l’enfant naquit, les devins conseillèrent alors de l’exposer. Une ourse le nourrit pendant cinq jours puis il fut découvert par des bergers qui le nommèrent Pâris et l’élevèrent.
Devenu adulte, il l’emportait sur beaucoup en beauté et en force. Il fut renommé Alexandre parce qu’il repoussait les brigands et préservait les troupeaux.
Ce qui, dans le chercheur, « veut sortir de l’incarnation » (Hécube) a cependant l’intuition que les supports de l’ancienne spiritualité sont voués à disparaître si le chercheur refuse d’évoluer, aussi bien la structure qui soutient le « mouvement juste vers l’esprit » que l’énergie qui alimente l’union (Troie sera rasée et les forêts de l’Ida brûlées).
Ce qui surgit dans l’être à cette phase du chemin exprime, avec Pâris, la réalisation d’une certaine « égalité ». En prenant de l’ampleur, cette égalité entraîne plus de « vérité » et de « pouvoir » (Pâris l’emportait sur beaucoup en beauté et en force). Le nouveau nom donné à Pâris, Alexandre, peut être différemment interprété mais avec le même sens final. Soit c’est « celui qui repousse l’homme », symbole d’un refus d’admettre la possibilité évolutive au-delà de la libération en l’esprit. Soit c’est « l’homme qui repousse » sa nature extérieure sans chercher à la maîtriser (il repousse les bêtes sauvages), soucieux seulement de protéger ses acquis (celui qui « préserve » les troupeaux).
L’ordre dans lequel l’enfant reçut les deux noms varie selon les auteurs, ce qui est compréhensible car il représente les deux mouvements, à la fois une croissance dans l’égalité et un rejet de la nature extérieure (ou un renoncement à la transformer). Nous emploierons donc indifféremment l’un ou l’autre nom.

Pâris fut allaité par une ourse pendant cinq jours : de cette image, on peut déduire que l’un des derniers mouvements apparus dans la lignée troyenne hérite des qualités de la lignée arcadienne qui compte parmi ses dernières réalisations « une vaste maîtrise » et « l’égalité » (Amphidamas et Atalante). Arcas est en effet « celui qui résiste, qui tient bon (celui qui endure) » et son nom est très proche de celui de l’ours, symbole de la puissance et de l’endurance conjuguées.
Dès lors que se profilent des changements importants dans les croyances liées au yoga lesquelles sont soutenues par les expériences et les dires des « glorieux anciens », le chercheur les éloigne de sa conscience (afin de ne pas provoquer la ruine de Troie, l’enfant est écarté de la lignée royale et « exposé » pour devenir la pâture des bêtes sauvages).
Confier un jeune enfant – un mouvement émergent – à un milieu hostile en le mettant à l’épreuve de la mort marque une grande épreuve de passage nécessitant un total abandon entre les mains de l’Absolu. La réponse du Divin se fait alors à l’insu du chercheur et le guide « en marge de ses préoccupations spirituelles » : comme le plus souvent dans les mythes, l’enfant est recueilli et élevé par un berger.

La façon dont Pâris-Alexandre retrouva sa place dans la lignée royale est peu évoquée.
Devenu berger, il participa à la cour de Priam à des jeux célébrés en l’honneur de l’enfant que l’on croyait mort (lui-même). Il voulait en effet récupérer le taureau qui avait été prélevé dans son troupeau pour servir de prix. Il triompha de tous les concurrents puis fut reconnu par sa sœur Cassandre.
Ainsi « ce qui récuse depuis les hauteurs de l’esprit la transformation de la nature humaine » (Cassandre aussi appelée Alexandra « celle qui repousse l’homme » par Homère) se reconnecte à une énergie similaire mais complémentaire (Pâris-Alexandre) : Cassandre-Alexandra et Pâris-Alexandre représentent donc les aspects yin et yang d’un même mouvement qui rejette la possibilité de la transformation de la nature extérieure.
Pour comprendre pourquoi cette énergie yin réceptive et donc intuitive se révéla inefficace par la suite, les mythes précisent que Cassandre ayant refusé les avances d’Apollon, le dieu avait enlevé à ses prophéties le pouvoir de convaincre : le chercheur refusant de faire le lien entre sa perception mentale la plus haute et la lumière psychique, les éléments intuitifs qui auraient pu davantage soutenir la suprématie des anciens yogas sont rejetés par la conscience active (les prophéties de Cassandre ne seront jamais prises au sérieux par les chefs troyens).

Les prétendants à la main d’Hélène et son mariage avec Ménélas

Homère ne mentionne ni les prétendants ni leur serment pour soutenir Ménélas.
Rappelons qu’Hélène est « la plus belle des mortelles » et représente donc la direction évolutive la plus « vraie » vers la liberté. Comme fille de Léda, elle appartient à la lignée de Protogénie « les aventuriers de la conscience ». Elle a Zeus pour père divin et Tyndare pour père humain, ce qui la positionne dans la lignée de la pléiade Taygète, symbole du plan du mental intuitif ou intuition qui précède le surmental, ce dernier plan étant incarné par la Pléiade Maia, mère du dieu Hermès. A ce moment du yoga, Hélène représente donc la plus haute conception de la vérité évolutive accessible à l’esprit, vérité qui reste encore gouvernée par le monde des dieux, celui du surmental. Ce n’est qu’au niveau de ce dernier plan que l’aventurier sera à lui-même sa propre lumière, à l’égal des dieux (Autolycos « celui qui suit sa propre lumière » est fils du dieu Hermès).
Nombre de voies voudraient donc s’imposer comme la plus apte à conduire vers cette plus grande liberté : ce sont les « prétendants » à la main d’Hélène.

Des fragments du Catalogue des Femmes indiquent les noms suivants sans que l’on puisse être assuré qu’il n’en figurait pas d’autres dans les parties de ce Catalogue qui ne nous sont pas parvenues.
– Ulysse « celui qui travaille à l’union des deux courants qui unissent l’esprit et la matière » et donc aussi « l’équilibre des pôles masculin et féminin »
– Thoas « la rapidité évolutive (dans les expériences) »
– Podarcès « celui qui avance rapidement (sur le chemin) ». (C’est un fils de l’achéen Iphiclos, qui ne doit donc pas être confondu avec Podarcès-Priam.)
– Protésilaos « le meilleur dans la vision »
– Ajax (le grand) « le travail d’élargissement de la conscience dans l’incarnation »
– Éléphénor (littéralement « l’homme d’ivoire ») « une purification très poussée jusque dans le corps »
– Idoménée « celui qui désire l’union ». (C’est un petit fils de Minos, à ne pas confondre avec le Troyen homonyme)
– Alcméon « une quête ardente » et/ou « une puissante consécration » et Amphilochos « celui qui est aux aguets », tous deux fils du devin Amphiaraos « celui qui s’approche de la perception juste »
Ménélas n’est pas mentionné dans cette liste. Le poème laisse entendre que les Dioscures auraient accordé la main de leur sœur à l’un d’eux si Agamemnon n’était intervenu en faveur de son frère Ménélas : malgré une certaine hésitation, c’est « la plus grande aspiration » (Agamemnon) qui est seule capable de discerner la meilleure voie vers plus de liberté (Hélène), celle d’une « volonté inébranlable tendue vers le but » (Ménélas).

Apollodore donne une liste de trente et un noms qui indiquent d’autres réalisations du même type. Ce sont pour la plupart ceux-là même qui sont évoqués par Homère dans le Catalogue des Vaisseaux, lequel est le nom du chant de l’Iliade qui dresse la liste des contingents des Achéens s’embarquant pour Troie ainsi que celle des défenseurs.

Tyndare exigea de tous les prétendants un serment par lequel ils s’engageaient à soutenir celui qui serait choisi si jamais il devait être lésé par quiconque du fait de son mariage.
Ménélas l’emporta car c’était « le plus riche des Achéens », mais il n’aurait pas gagné si Achille avait été au nombre des prétendants. (D’autres disent que c’est Tyndare qui décida, ou même Hélène elle-même).
Ménélas épousa donc Hélène et hérita du royaume de Sparte à la mort de son beau-père Tyndare.

Le serment indique que le chercheur anticipe certaines difficultés et que le yoga choisi pour avancer vers plus de liberté ne sera pas à même de s’en sortir seul et devra être soutenu par les autres voies de yoga.
C’est «  ce qui désire (aspire à) plus de liberté » ou « une volonté inébranlable tendue vers le but » que le chercheur met en avant pour poursuivre sa quête de liberté, car c’est la qualité la plus développée en lui (Ménélas, le plus riche des Achéens, est choisi). On pourrait s’étonner qu’Achille ne figure pas sur la liste des prétendants mais il était encore trop jeune à ce moment-là : le yoga des profondeurs, travaillant à la libération totale par une attention aux infimes mouvements de la conscience, n’était pas encore commencé.

Le jugement de Pâris

Lors du mariage de Thétis et de Pélée, Éris suscita une querelle entre Héra, Athéna et Aphrodite, car il s’agissait de déterminer laquelle était la plus belle. Zeus demanda à Hermès de conduire les déesses sur l’Ida pour que le litige soit tranché par Pâris. (Ce dernier est décrit tardivement comme un berger mais on peut supposer qu’il s’agissait davantage du pâtre royal qui avait retrouvé sa place dans la lignée.)
Les déesses rivalisèrent pour être l’élue : Athéna offrit la gloire (le succès dans la bataille), Héra une souveraineté absolue (ou la royauté sur toute l’Asie), et Aphrodite lui promit qu’il serait entre tous beau et désirable (chez certains auteurs, elle lui promit l’amour d’Hélène).
A l’issue du jugement, Pâris abandonna son amante Oinoné.

Certaines sources archaïques affirment que Zeus désirait déclencher la guerre de Troie : lorsque le moment est venu, c’est une impulsion du supraconscient qui ouvre les voies nouvelles.
Dans l’Iliade, Homère évoque « la folie de Pâris qui avait cherché querelle à Héra et Athéna, leur préférant celle qui lui offrit un objet de douloureux désir » (Aphrodite avait promis Hélène). Selon une autre version, il choisit « celle qui lui promit d’être entre tous beau et désirable », ce dont on pourrait déduire que c’est Hélène qui succomba aux charmes de Pâris-Alexandre et non l’inverse : il faudrait alors comprendre que dans sa quête de vérité, le chercheur s’égare dans le rejet de la nature humaine extérieure. Ce qui expliquerait le revirement d’Hélène que l’on peut lire dans l’Iliade, lorsque, lors de la dernière année de guerre, elle regrette amèrement son union précédente avec Ménélas.
Qu’Hélène ait été séduite ou séductrice, elle partit de son plein gré à Troie, emportant même nombre des biens de Ménélas (Homère) : le chercheur considère donc à ce moment comme une évidence que le chemin vers plus de liberté passe par le rejet de l’humain. Peu importe donc de savoir qui d’Hélène ou de Pâris séduisit l’autre.

Cette histoire introduit une troisième cause de la guerre de Troie, après le refus du chercheur d’honorer ses engagements spirituels (Laomédon) et l’introduction d’une déviance au moment où la paix résultant de la double libération mentale et vitale était instaurée comme but suprême du yoga (Até fut projetée en même temps que le Palladion).
Mais lorsque le temps est venu, et que le chercheur veut restaurer les lois de fonctionnement juste qui se trouvent aux racines de la vie (à la suite du mariage de Thétis et Pélée), le supraconscient fait en sorte que s’ouvrent de nouveaux chemins d’évolution et que soient dépassées les limites des spiritualités passées (Zeus voulait déclencher la guerre). Mais la puissance de séparation intervient simultanément pour éloigner le chercheur de la voie de transformation dans les profondeurs où il commençait à s’engager (Éris suscita la querelle lors du mariage de Thétis et Pélée). Tant que le chercheur n’est pas prêt, des obstacles sont dressés sur son chemin afin de renforcer ensuite le mouvement inverse : l’obstacle est le levier. Dit d’une autre façon, l’aventurier qui veut accélérer le processus évolutif se heurte aux forces qui profitent de l’existant et veulent conserver leur emprise sur la terre.
Rappelons qu’Éris – dont le nom est construit comme ceux d’Héra, d’Arès et d’Éros autour de la lettre Rho – peut indiquer tout autant un juste mouvement que son contraire, les deux faisant pression pour arriver au même résultat. C’est pourquoi Hésiode, dans Les Travaux et les Jours, a distingué deux déesses portant ce nom, l’une funeste que les hommes abhorrent, et l’autre, fille de Nyx (la Nuit), que Zeus leur a donnée comme stimulant : l’émulation.

Ainsi, dans une première phase qui se révèlera assez longue, le supraconscient se retire à l’arrière-plan et remet le choix de la nouvelle orientation entre les mains de « l’égalité » qu’il juge suffisamment établie (Zeus décide de laisser l’arbitrage à Pâris). Cette égalité est en effet alors la plus haute réalisation spirituelle du chercheur, car Hector, frère aîné de Pâris, ne symbolise que la quête vers les hauteurs de l’esprit. Mais elle est aussi issue de la voie la plus encline à nier la possibilité de transformation de la nature inférieure (la lignée troyenne).
C’est le surmental qui guide le chercheur vers l’obligation du choix en vue d’un approfondissement de l’union en l’esprit (Zeus envoie Hermès pour guider Pâris vers l’Ida).
Le sujet du litige est de déterminer laquelle des puissances spirituelles appartenant au plan du surmental (laquelle des trois déesses) est le but qui conduira le plus près de la Vérité divine : le guide intérieur vers l’intelligence discernante, le mouvement juste dans l’esprit ou l’amour en évolution.

Chacune des puissances spirituelles est alors perçue en fonction de la réalisation présente, et exprime les avantages que le chercheur pourrait retirer de chacune s’il suivait la voie correspondante :
– Athéna lui proposa le succès dans la bataille : en s’appuyant totalement sur la force qui soutient le développement de l’intelligence discernante, le chercheur serait victorieux dans tous les combats du yoga qui ont pour but le développement de l’être intérieur.
– Héra lui offrit le pouvoir absolu (pour certains sur l’Asie : sur le Nouveau) : il ne s’agirait peut-être pas seulement ici du pouvoir que donne la Connaissance par identité, mais du Pouvoir direct sur la matière qui provient de l’identification avec celle-ci.
– Aphrodite lui promit qu’il serait « entre tous beau et désirable ». Ce qui veut dire qu’aucune femme ne pourrait alors résister à ses charmes, y compris la plus belle. C’est-à-dire que la vérité évolutive (Hélène) s’associerait automatiquement à l’égalité qu’il représente, égalité réalisée dans la voie de l’ascension des plans de conscience qui rejette la divinisation de la matière. C’est-à-dire qu’au stade évolutif de l’amour dans l’homme à cette époque de la Grèce antique (à ce stade du yoga), il n’y aurait pas eu de meilleure voie évolutive vers l’Amour que l’égalité parfaite (Pâris « mouvement juste vers l’égalité ») associée au rejet du perfectionnement de la nature extérieure.
En revanche, la promesse d’Aphrodite de donner Hélène à Pâris invite à considérer que la déesse, représentant l’amour en évolution, induit le chercheur en erreur en soutenant la voie troyenne. Il serait alors légitime pour le chercheur d’admettre pendant une longue période que le rejet du perfectionnement de la nature inférieure est une juste voie d’évolution vers l’amour, à moins que cette promesse n’ait pour but que de mener à terme la purification menant à la « sainteté ».

Depuis le mariage d’Hélène et de Ménélas, la « vérité évolutive vers plus de liberté » était l’objet de la « volonté inébranlable » du chercheur dans la lignée de l’aspiration, de sa volonté de progrès et de sa capacité d’endurance (Ménélas appartient à la lignée de Tantale).
A ce stade de la quête, le chercheur, considérant d’une part que sa réalisation de l’égalité dans la séparation esprit/matière est le plus haut achèvement du yoga et le plus propice à l’évolution, et d’autre part que l’Amour transcende tout, le choisit comme étant expression de la plus haute vérité évolutive (Pâris déclare qu’Aphrodite est la plus belle des trois déesses).
Selon notre compréhension, ce n’est pas le choix qui est mauvais, mais le manque de parfaite consécration qui a introduit une déviance. Ce qui a conduit Sri Aurobindo à affirmer que la Vérité doit s’incarner dans l’humanité avant que l’Amour divin ne puisse s’y répandre. Car la matière corporelle elle-même ne pourrait résister à la descente de l’Amour dans sa puissance originelle et l’homme en mourrait immédiatement.

L’enlèvement d’Hélène

Alors qu’Hermione, la fille de Ménélas et d’Hélène, avait neuf ans, Pâris-Alexandre partit vers l’Attique. Il fut d’abord accueilli par les Dioscures puis se rendit à Sparte dont Ménélas avait hérité par son mariage avec Hélène. Ménélas le fêta pendant neuf jours puis quitta Sparte pour se rendre en Crète aux obsèques de son grand-père Catrée. Aphrodite conduisit alors Pâris et Hélène dans le même lit. Puis Pâris persuada Hélène de partir avec lui et tous deux s’embarquèrent de nuit pour Troie avec une grande partie des trésors de Ménélas, en laissant Hermione à Sparte. Hélène était pleinement consentante puisqu’elle dira plus tard qu’elle fut aveuglée par l’amour.
Héra envoya une tempête qui les obligea à aborder à Sidon. Puis ils s’unirent sur l’île de Cranaé. En arrivant à Troie, ils célébrèrent leur mariage.

Rappelons qu’Hélène avait été enlevée une première fois par Thésée alors qu’elle n’était pas encore nubile, ce qui indiquait une étape encore peu avancée du processus de libération.
Le second enlèvement par un prince troyen exprime que le chercheur a choisi de considérer que l’évolution vers plus de liberté doit cesser d’être l’objet de l’aspiration s’exprimant par une volonté et une endurance inébranlables dans l’action pour être désormais recherchée en dehors de l’incarnation (Hélène, de la lignée de Sparte, quitte Ménélas, appartenant à la lignée de Tantale, pour s’unir à Alexandre). Ce travail de l’aspiration dans l’action s’était cependant maintenu pendant tout un cycle (le temps qu’Hermione devienne pubère, si l’on considère le cycle de gestation de neuf ans). Notons aussi que le nom Hermione est construit à partir du même radical Rhô-Mu (ΡΜ) que le nom Hermès avec le Nu de l’évolution, évoquant une évolution dans le surmental.
L’affirmation des Chants Cypriens selon laquelle Alexandre fut d’abord accueilli par les Dioscures n’a d’autre but que celui d’indiquer que le chercheur n’est pas encore parvenu à la non-dualité en l’esprit puisque le combat de ceux-ci avec Idas et Lyncée n’a pas encore eu lieu.

Ménélas fit bon accueil à Pâris-Alexandre mais dut s’absenter pour se rendre aux funérailles de Catrée, fils de Minos. Ce dernier avait eu quatre enfants : un fils Althaimènes « celui qui fait croître l’âme » et trois filles, Apémosyne « celle qui est sans souffrance », Aéropè « une vision mentale » et Clymène « celle qui est célèbre ». La mort de Catrée indique que le chercheur est presque devenu un libéré vivant.
Pour les raisons développées ci-dessus, le chercheur « qui repousse l’homme », mais soucieux de faire grandir l’amour en lui, considère qu’il est dans la juste voie évolutive (Alexandre-Pâris et Hélène, sous l’influence d’Aphrodite, s’unirent puis partirent pour Troie).

Le changement d’orientation se produit dans une certaine inconscience (ils s’enfuirent dans la nuit), mais le chercheur conserve nombre des réalisations obtenues par son yoga de l’action (ils emportent une grande partie des richesses de Ménélas, fils d’Atrée).
Il est toutefois obligé d’approfondir à ce stade sa compréhension de l’amour divin (Héra provoqua une tempête qui les obligea à faire escale à Sidon « la grenade »). Rappelons en effet que les anciens Grecs considéraient la grenade, dédiée à Aphrodite, comme le symbole de l’amour et de la fertilité et que selon Mère, elle est le symbole de « l’Amour Divin qui se répand sur la terre ».
Selon Homère, cette nouvelle orientation ne débute pas sans difficultés (en effet, ils s’unirent sur l’île de Cranaé, l’île « âpre, rocailleuse »).

Dans une version qui semble assez ancienne, ce fut seulement un « eidolon » d’Hélène (son double ou son simulacre) qui fut emmené à Troie, tandis que la véritable Hélène passait le temps de la guerre chez Protée ou en Égypte.
Protée est comme Nérée, une divinité du vital archaïque, un « vieillard de la mer ». Il symbolise donc aussi les forces actives dans les extrêmes profondeurs du vital.
Les auteurs devaient considérer que « la plus juste évolution vers la liberté » (Hélène) ne pouvait se fourvoyer. C’est donc seulement son simulacre qui s’engagea dans l’erreur troyenne tandis que la quête de liberté continuait à œuvrer dans les profondeurs de la conscience vitale (jusque dans le corps, si l’on tient compte de l’oméga inclus dans le nom Protée).

Le premier rassemblement à Aulis et la première expédition en Mysie

Les deux Atrides (Agamemnon et Ménélas), informés par Iris de la fuite d’Hélène et Pâris, préparèrent une expédition et organisèrent un rassemblement des héros à Aulis. En effet, les prétendants à la main d’Hélène, selon leur promesse, se devaient de soutenir Ménélas qui était lésé dans son mariage.
Juste avant le rassemblement, eut lieu le combat des Dioscures (Castor et Pollux) contre les Apharétides (Idas et Lyncée). (Ce combat a été traité dans le chapitre précédent et rappelé plus haut)
Agamemnon et Ménélas allèrent d’abord trouver Nestor qui les accompagna pour rassembler les héros et leurs troupes. Deux évènements marquèrent leur périple : la « folie » d’Ulysse et le « déguisement » d’Achille.

La lutte pour réorienter le yoga qui s’est fourvoyé dans une mauvaise direction ne peut avoir lieu sans la participation d’un héros présent dès le début des grandes épopées, Nestor, symbole du travail de « l’intégrité » ou de « l’évolution juste de la rectitude » (peut-être aussi de « l’intégration de l’expérience »). Il représente le seul outil du yoga actif depuis le début (il fut le seul survivant des douze enfants de Nélée, petit-fils de Salmonée, qui ne fut pas tué par Héraclès). Il ne s’agit pas d’une posture vertueuse, mais de la mise en cohérence de la nature extérieure avec l’être intérieur, de la croissance de la sincérité.

La folie d’Ulysse

Lorsqu’Agamemnon et Ménélas se rendirent à Ithaque, ils trouvèrent Ulysse qui simulait la folie pour ne pas s’engager dans la guerre bien qu’il ait fait le serment de soutenir Ménélas.
Palamède le démasqua en usant d’artifices dont la description varie selon les auteurs mais qui incluent le plus souvent la menace de tuer son fils Télémaque.
Plusieurs sources mentionnent que pour mieux simuler la folie, Ulysse avait attelé à sa charrue des animaux d’espèces différentes.

Ulysse (Odysseus), dans la lignée de Déion, est la partie du chercheur qui lutte de toutes ses forces avec l’aide de la lumière surmentale pour réaliser la transparence de son être par « l’action des deux courants qui unissent l’esprit et la matière ». Toutefois, il y a peu d’éléments dans le mythe pour comprendre ce refus d’Ulysse. Seul Hygin précise qu’Ulysse aurait été informé par une prophétie qu’il serait absent vingt ans, indiquant ainsi la prémonition d’une lutte intérieure très longue.
Peut-être ce refus est-il simplement le recul du chercheur qui a l’intuition d’un yoga très difficile, tout comme le refus d’Arjuna dans la Bhagavad Gîta d’entrer en guerre contre les membres de sa famille.
Pour convaincre cette part de lui-même, il doit donc faire appel à « l’intelligence logique » appliquée au chemin (Palamède, fils de Nauplios) qui lui fait comprendre que s’il persiste dans son refus, les combats du futur yoga ne pourront avoir lieu (Télémaque « celui qui combat au loin » mourra). Nous verrons en effet que Palamède représente « l’intelligence de la voie » qui contribue au discernement.

Le déguisement d’Achille

Dès que se dessina l’expédition pour Troie, Thétis (ou bien Pélée) emmena son jeune fils Achille à Skyros pour le dissimuler, déguisé en fille, au milieu des femmes de la cour du roi Lycomède. Selon certains, les jeunes filles du palais le surnommèrent Pyrrha à cause de ses cheveux couleur de feu. C’est Ulysse qui déjoua la ruse en sollicitant sa nature profonde de guerrier.
Durant son séjour à Skyros, Achille engendra un fils, Néoptolème, avec la fille du roi nommée Déidaméia.
(Selon une autre version – dont l’auteur sans doute pensait incompatible le séjour d’un jeune garçon dans le gynécée avec le fait d’engendrer un fils – cet épisode ne se produisit qu’après le premier départ manqué pour Troie : Achille fut entraîné par une tempête jusqu’à Skyros à la suite du débarquement en Mysie.)

Si le chercheur regimbe mentalement devant l’engagement (Ulysse simulant la folie), il met aussi peu d’empressement à inclure dans le yoga le travail dans les profondeurs du vital. En effet, la puissance spirituelle (ou celle qui travaille dans l’ombre si c’est Pélée qui emmena Achille à Skyros) qui a initié ce travail des profondeurs « sait » que s’il participe au mouvement de renversement, la « gloire » obtenue par la totale libération mentale et vitale ne pourra durer (Thétis savait que son fils aurait une vie glorieuse mais courte s’il s’engageait pour Troie). Elle fait donc en sorte que soit dissimulé à la conscience le mouvement qui permet d’opérer le renversement (elle dissimule Achille).
Le chercheur peut donc faire le choix de rester longtemps un libéré vivant « sans gloire », c’est-à-dire sans qu’il n’apporte de nouvelle pierre à l’évolution. Mais s’il s’engage dans le combat, il ne pourra profiter longtemps des avantages résultant de l’accès à la non-dualité et de la libération en l’esprit, car un autre yoga l’attend, plus difficile encore qu’il ne peut l’imaginer à ce moment-là.
Aussi ce mouvement est-il dissimulé parmi les réalisations potentielles de ce qui « se préoccupe de la lumière » : le travail d’ « accomplissement de la libération » est maintenu orienté vers les hauteurs de l’esprit, parmi les objectifs de réalisation d’un esprit « éclairé » (et donc inopérant pour la transformation de l’être extérieur).
Selon Hygin, le chercheur possède en effet dès ce stade une très forte connexion avec la lumière issue du surmental, car Achille a les cheveux roux. Cela confirmerait l’installation du chercheur dans le surmental, du moins en partie, car, rappelons-le, l’autre grand héros, Ulysse, est lié à ce plan par son arrière-grand-père Hermès et Homère dit de lui que « sa pensée en fait l’égal de Zeus ».

Mais la nature fondamentale du chercheur-guerrier l’emporte sur tout : une fois qu’il a pris la décision irrévocable de consacrer sa vie au yoga, il ne peut plus ignorer la puissance de son engagement (Achille ne peut résister à l’appel des armes, même lorsqu’il est tenté de s’éloigner du combat). Cette partie du mythe est plus cohérente si c’est Pélée l’auteur de la dissimulation.
A ce stade du chemin, le chercheur est en passe de terminer son travail de maîtrise : avec Déidaméia « celle qui passe au-delà de la maîtrise (celle qui tue ce qui soumet au joug) », il engendra Néoptolème « les nouveaux combats », héros qui participa à la destruction finale de Troie. Cette naissance symbolise donc la fin du yoga personnel et le début de l’action directe des forces spirituelles dans un être transparent mentalement et vitalement.

Le premier débarquement en Mysie

Nous étudierons ultérieurement les chefs achéens et leurs contingents de troupes décrits en détail dans le chant deux de l’Iliade auquel fut donné le nom de « Catalogue des Vaisseaux ». Chaque chef représente un travail particulier nécessaire à ce stade du chemin et le nombre de ses bateaux et de ses hommes indique le plus probablement le degré d’achèvement exigé.

Les Achéens lancèrent la première expédition deux ans environ après le rapt d’Hélène. Lorsqu’ils atteignirent les rivages d’Asie mineure, les héros confondirent une ville de Mysie avec Troie. Télèphe en était le roi.

Il est à noter tout d’abord qu’aucune des deux tentatives manquées de départ pour Troie n’est mentionnée par Homère. Elles furent sans doute ajoutées par la suite pour préciser certaines errances initiales de la grande mutation du yoga.

L’histoire de la première expédition est assez complexe, puisqu’elle fait intervenir plusieurs lignées et plusieurs étapes du grand renversement.

Elle est étroitement liée à une confusion du chercheur concernant la nature des « lumières » qu’il perçoit.
Cette méprise est en effet liée à l’histoire du roi Télèphe dont il existe plusieurs versions. Nous considèrerons la plus simple.

Héraclès eut une liaison avec Augé, fille d’Aléos dans la lignée royale arcadienne, qui donna au héros un fils, Télèphe. Irrité, Aléos enferma sa fille Augé avec son enfant dans un coffre qu’il jeta à la mer. Celui-ci dériva jusqu’aux rivages de Mysie où le roi Teuthras le trouva. Ce dernier épousa Augé et éleva l’enfant.

Devenu adulte, Télèphe succéda à Teuthras sur le trône.
Lorsque les Achéens débarquèrent et attaquèrent la ville, Télèphe les repoussa, tuant Thersandros, fils de Polynice. Il fut lui-même blessé par Achille.
Lorsqu’ils repartirent, les Achéens subirent une tempête qui les dispersa et entraîna Achille jusqu’à Skyros.
Comme Télèphe avait été informé par un oracle que seul celui qui avait causé sa blessure pourrait la guérir, il se rendit à Argos auprès d’Achille. Il fut rétabli après avoir promis aux Achéens de leur indiquer le chemin de Troie et de ne pas aider lui-même les Troyens, bien qu’il fût marié à une troyenne (nommée selon les auteurs Laodicé, fille de Priam, ou Astyoché, fille de Laomédon). En revanche, son fils Eurypylos, beaucoup plus tard, se rangea du côté des Troyens contre les Achéens et fut tué par Néoptolème, fils d’Achille.
Repoussés de Mysie, les Achéens ne se regroupèrent à Argos que deux années plus tard. Huit autres années s’écoulèrent encore avant qu’ils ne lancent la seconde expédition contre Troie.

De cette histoire, nous pouvons seulement retenir le sens général comme suit.
Le chercheur est conscient qu’il s’agit de mettre un terme à la prépondérance du mental dans l’orientation de la quête. La lignée troyenne appartient en effet au plan du mental illuminé (dans la descendance d’Électre).
Cependant, de par sa puissance d’endurance, il a eu l’expérience d’« éclats de lumière » qui l’incitent à orienter le processus de purification/libération dans la direction qu’ils indiquent, en vue d’une lumière/vérité lointaine (Héraclès s’unit à Augé qui lui donna un fils Télèphe). Mais cette quête de vérité se lie dans un premier temps aux anciennes vérités du yoga qui établissent les fondements de la sainteté et de la sagesse, si l’on admet son union avec Astyoché mentionnée par Apollodore (Télèphe s’unit à une Troyenne, Astyoché « la personnalité concentrée » ou Laodicé « la juste manière d’agir de toutes les parties de l’être »).
Lors de la première tentative de réorientation du yoga, le chercheur confond les « lumières » issues du mental – celles qu’il doit renverser – avec celles qu’il recherche et expérimente comme résultat de sa purification mais qui se sont attachées aux anciennes conceptions. Il faudra donc attendre une longue période de maturation avant une nouvelle tentative.
Il y a tout lieu de penser que ces lumières issues de la purification sont liées à l’être psychique, d’autant plus qu’Apollon et Artémis soutiendront le camp troyen (bien qu’aucune connexion ne soit faite avec ces divinités dans ce mythe).

Il se produit toutefois lors de ce premier essai un phénomène notable, l’extinction du puissant feu intérieur qui marque l’achèvement du long processus de purification/libération (la mort de Thersandros « l’homme enflammé »). La contemplative Bernadette Roberts explique cela par le fait que le Divin occupe désormais toute la place puisque l’ego a définitivement cédé. Toutefois, nous n’avons pas retrouvé confirmation de cela dans les écrits de Sri Aurobindo et Mère.
Ce travail en vue d’une « lumière lointaine » orientée vers les hauteurs de l’esprit et ignorant la matière conduit jusqu’à un « grand seuil », sans doute celui au-delà duquel il est dit dans les traditions que le retour n’est plus possible (Eurypylos « une vaste porte », fils de Télèphe et d’une princesse troyenne). Ce sont « les combats du futur » qui mettront un terme à cette voie (lorsque Néoptolème tua Eurypylos à la fin de la guerre).

Analyse détaillée
Télèphe appartient à la lignée royale d’Arcadie dont nous rappelons ici les éléments principaux. Arcas « la puissance d’endurance », fils de Callisto « la plus belle » et de Zeus « le supraconscient », épousa Léaneira « celle qui est attachée à la liberté ». De cette union naquirent Aphéidas « celui qui tranche » et Élatos « celui qui s’adapte ». Aphéidas eut pour fils Aléos « le travail de la libération ». Ce travail, allié à une forte incarnation (Sthénébée, sœur d’Aléos), génère une puissante aspiration pour la lumière : Augé « éclat de lumière » et Lycourgos « celui qui désire la lumière naissante », grand-père d’Atalante « l’égalité », héroïne qui intervient dans la chasse au sanglier de Calydon. Augé s’unit à Héraclès et engendra Télèphe « ce qui rayonne au loin ».

Le chercheur, par sa puissance d’endurance, a eu l’expérience d’« éclats de lumière de vérité » qui l’incitent à orienter le processus de purification/libération dans leur direction, en vue d’une lumière/vérité lointaine (Héraclès s’unit à Augé qui lui donne un fils Télèphe). Mais à ce moment de la quête, le travail de libération lui semble primordial (aussi Aléos est-il « irrité » par cette naissance). Il rejette donc ces « éclats de vérité » jusqu’à ce qu’un mouvement vers la consécration s’y intéresse pour les approfondir (Augé est abandonnée avec son fils au gré des courants jusqu’à ce que le roi de Mysie l’épouse. Certains disent qu’Aléos les donna à Nauplios qui les remit à Teuthras, ce qui a la même signification.)
Les versions ultérieures ajoutent qu’Aléos craignait que ses propres fils ne soient tués par l’enfant de sa fille si elle devenait mère : l’idée que le chercheur place la libération au-dessus de tout est ainsi soulignée, car il craint que ses réalisations dans le domaine de la purification/libération ne disparaissent au profit de la quête de vérité.

Lors de la première tentative de réorientation du yoga, le chercheur confond les « lumières » issues du mental – celles qu’il doit renverser – avec celles qu’il recherche et expérimente comme résultat de sa purification mais qui se sont attachées aux anciennes conceptions (les héros confondirent la ville de Mysie gouvernée par Télèphe, uni à une troyenne, avec Troie).
Le feu intérieur disparaît alors sous l’effet de l’aspiration à une plus grande lumière : c’est la mort de Thersandros « l’homme qui brûle », fils de Polynice « celui qui mène de nombreux combats », tué par Télèphe « ce qui rayonne au loin ».
Ce feu est remplacé par l’aspiration à la vérité future (Télèphe). Mais cette aspiration se lie aux anciennes vérités du yoga, celles qui établissent les fondements de la sainteté et de la sagesse (Télèphe s’unit à une Troyenne, Astyoché « la personnalité concentrée » ou Laodicé « la juste manière d’agir de toutes les parties de l’être »). Elle est donc elle-même mise à mal par un travail de conscience dans les infimes évènements du quotidien (Télèphe, en raison de son mariage qui lui fait combattre les Achéens, fut blessé par Achille).
Cette aspiration ne peut se rétablir qu’à la condition de ne plus se méfier de ce qui l’a mis à mal mais de s’accorder avec le travail dans les profondeurs (Télèphe a été informé par un oracle que seul celui qui avait causé la blessure pourrait la guérir, il se rendit à Argos auprès d’Achille). Mais elle doit aussi éviter de soutenir la division esprit/matière même si elle y est encore attachée (Télèphe ne doit pas aider lui-même les Troyens, bien qu’il soit lié à eux de par son mariage).
C’est toutefois cette aspiration qui doit permettre au chercheur de s’orienter vers les vérités de yoga supérieures qui bloquent l’évolution et doivent être renversées. Cette vision accepte toutefois de ne plus servir le but qu’il s’était donné (Télèphe doit guider les Achéens jusqu’à Troie mais renoncer à défendre la ville, bien qu’il soit uni à une troyenne). Il s’agit bien sûr d’un dialogue et d’une évolution intérieure.
Cette aspiration pour la lumière dans les hauteurs de l’esprit conduit à un « grand seuil » que nous avons évoqué plus haut.

Ce premier départ fait aussi l’objet d’un mythe dans lequel intervient un fils d’Apollon, Anios.
Anios proposa aux Achéens de rester à Délos pendant neuf ans jusqu’au jour fixé par le destin pour la chute de Troie, sachant que ses filles (Oino « le vin », Spermo « la semence » et Elaïs « l’olivier ») prendraient soin d’eux car elles avaient pouvoir de faire apparaître vin, grain et huile à volonté. Les Achéens déclinèrent la proposition.
Selon certains, les trois sœurs suivirent les Achéens à Troie et les sauvèrent de la famine.

Dans ce mythe, on comprend que le chercheur peut avoir la tentation de retarder le travail du grand renversement car s’il reste au contact de son être psychique (à Délos) il aura à disposition nombre de réalisations qui le comblent, puisqu’Anios « celui qui guérit » est un fils d’Apollon et peut procurer ce que représentent ces trois symboles universels que sont vin, grain et huile. Nous les comprenons comme la joie de l’union ou de la « présence » (le vin), le pouvoir créateur de formes nouvelles (le grain, la semence) et ce qui apporte la lumière dans l’obscurité et symbolise aussi paix, force et sagesse (l’huile).
Or le chercheur refuse de s’arrêter aux bienfaits que procure la lumière psychique, arrêt qui l’éloignerait d’une purification plus approfondie de sa nature en vue du grand renversement. Mais il ne rejette pas ces bienfaits pour autant (puisque les trois filles accompagnèrent les Achéens à Troie).
Huit années allaient encore s’écouler avant le second rassemblement à Aulis qui eut donc lieu dix ans après le départ d’Hélène.

Le second rassemblement à Aulis et le sacrifice d’Iphigénie

Il s’écoule donc beaucoup de temps avant que le chercheur ne s’engage à nouveau dans une réorientation du yoga. Il doit encore subir une longue période de purification (dix années, soit la totalité d’un cycle d’évolution qui culmine avec le sacrifice d’Iphigénie).

Nulle part chez Homère il n’est question d’Iphigénie. La première version du mythe nous est donnée dans le Catalogue des Femmes telle qu’elle a pu être reconstituée à partir d’un manuscrit comportant de nombreuses lacunes. L’héroïne nommée Iphigénie dans le résumé des Chants Cypriens fait par Proclus est appelée Iphimédeia dans le Catalogue.

Agamemnon, uni à Clytemnestre, avait engendré Iphimédeia (Iphigénie) aux belles chevilles et Électre dont la beauté rivalisait avec celle des déesses.
Les Achéens rassemblés à Aulis ne pouvaient prendre la mer en raison de vents violents dont le devin Calchas révéla la cause : Agamemnon s’était prétendu supérieur à Artémis pour la chasse, provoquant la colère de la déesse. Pour l’apaiser, les Achéens devaient sacrifier Iphigénie.
Ils égorgèrent alors la jeune fille sur l’autel d’Artémis, ou plutôt sacrifièrent à sa place un « eidôlon », Artémis lui ayant substitué une biche.
Puis la déesse rendit Iphigénie immortelle et éternellement jeune, et l’emmena chez les Taures où elle devint sa suivante.
(Euripide fut le premier à dire qu’elle fut ramenée de Tauride par son frère Oreste et Pylade, l’ami de celui-ci.)
Apollodore ajoute qu’Iphigénie était la plus belle des deux sœurs.

En dehors des réalisations listées dans le Catalogue des vaisseaux qui décrivent la préparation nécessaire préalablement au grand renversement du yoga, nous sommes ici en présence d’un mythe qui évoque un autre impératif : « la puissante aspiration » encore orientée vers « la célèbre sagesse » doit renoncer à poursuivre dans cette voie, vers « ce qui naît avec force », vers ce qui cherche à se manifester (Agamemnon uni à Clytemnestre doit accepter le sacrifice de leur fille Iphigénie). Il ne s’agit pas en effet d’une amélioration de l’homme actuel vers plus de sagesse mais de sa transformation.
Tant que le chercheur, manquant d’humilité et de consécration, se croit parvenu au terme de la purification, il ne peut s’engager dans la quête des chemins du futur (Agamemnon se repose dans un enclos consacré à Artémis, ou se vante d’être plus habile à la chasse que la déesse, ou encore l’on apprend que son père Atrée n’aurait pas sacrifié l’agnelle d’or). Mais l’intuition la plus haute lui fait comprendre que le processus n’est pas achevé. En effet, le devin Calchas « pourpre », fils de Thestor « la sincérité », savait le présent, l’avenir et le passé. Il sera le devin du camp achéen jusqu’au retour de Troie, lorsque Mopsos prendra la relève. Il représente un état intuitif très pur lié à l’ascension des plans de conscience, associé à une certaine proximité avec l’être psychique. Mopsos, qui est le propre fils d’Apollon, symbolise, lui, une transmission directe par la lumière psychique.
Le chercheur doit donc encore purifier un élément essentiel dans sa nature.
Il ne s’agit pas du « rayonnement en vérité du mental illuminé » (Électre dont la beauté rivalise avec celles des déesses) mais de « ce qui veut naître avec force » (Iphigénie) ou plutôt de « ce qui veut mettre en œuvre un grand dessein » (Iphimédeia). On peut comprendre que le chercheur doit renoncer à laisser s’exprimer un grand dessein qui presse pour se manifester, une œuvre qui est de l’ordre d’une création surmentale (et non un projet) : c’est-à-dire l’instauration d’une religion ou de toute œuvre visant à faire évoluer l’humanité.
Les auteurs, pour lesquels n’est sacrifié qu’un simulacre, voulurent insister sur le fait que seule la forme personnelle du dessein doit être abandonnée, et non son essence qui doit être laissée à la direction du Divin. C’est une parfaite consécration qui est demandée : ce qui doit apparaître doit être du ressort de la non-dualité et s’adapter en permanence au mouvement du devenir, c’est-à-dire appartenir à l’éternel présent (Iphigénie est rendue immortelle et éternellement jeune).
De plus « ce dessein qui ne demande qu’à émerger » doit se mettre en premier lieu au service de la force qui veille à la purification (Iphigénie est emmenée en Tauride pour être une suivante d’Artémis).

Toutefois, Pindare et Eschyle s’accordent à dire qu’Iphigénie mourut effectivement à Aulis. Ils optèrent donc pour un abandon pur et simple de tout dessein personnel, de toute aspiration à accomplir une œuvre, hormis celle de suivre à chaque instant le dessein divin. Sophocle, qui suit la même version, affirme que la jeune fille fut attirée à Aulis par la fausse promesse d’un mariage avec Achille, dédouanant ainsi Agamemnon : le chercheur doit non seulement acquérir une plus grande humilité, mais aussi cesser de croire qu’il pourrait satisfaire un dessein personnel par le travail des profondeurs.

Le voyage vers Troie : Philoctète

Selon les sources archaïques, la navigation vers Troie ne fut marquée que par un seul épisode.
Philoctète, fils de Poias, participait à l’expédition à la tête d’un contingent de sept vaisseaux de cinquante archers venus de Magnésie. Sur l’île de Ténédos, il fut mordu par un serpent. Comme sa blessure ne guérissait pas et dégageait une odeur nauséabonde, il fut abandonné sur l’île de Lemnos où il resta les dix années que dura la guerre. Il était en possession de l’arc d’Héraclès dont lui-même ou son père avait hérité à la mort du héros.
Une expédition devait toutefois le ramener à Troie pour participer à la dernière attaque des Achéens, car la ville ne pouvait être prise sans l’arc d’Héraclès.

Philoctète « celui qui aime ce qui peut être acquis », fils de Poias « celui qui fabrique », est en rapport avec une puissante aspiration (il est originaire de Magnésie et vient avec sept fois cinquante archers) et représente la volonté de mettre en œuvre les « pouvoirs » du plan vital qui se sont révélés avec le yoga. En effet, Poias est lui-même un fils de Thaumacos « celui qui s’ouvre au vital vrai de façon merveilleuse ».
Philoctète possède l’arc d’Héraclès, c’est-à-dire la puissance d’aspiration tendue vers le but dans le processus de purification-libération. Cet arc est sans doute aussi lié au pouvoir de réalisation, car à l’instar de celui d’Ulysse, peu auraient la force suffisante pour le tendre.

Mais au moment où s’engage le processus de renversement du yoga (le début de la guerre), de même que le chercheur a dû abandonner ses desseins les plus hauts, de même doit-il renoncer à l’utilisation des pouvoirs s’il veut poursuivre l’évolution vers l’unité esprit/matière (Philoctète est piqué par un serpent sur l’île de Ténédos « qui tend vers l’union »).
À ce moment du chemin, l’utilisation des pouvoirs entrave de manière insupportable les autres éléments actifs du yoga, ce qui entraîne le chercheur à s’en détourner (la blessure qui ne guérit pas et dégage une odeur nauséabonde oblige les Achéens à se séparer de Philoctète). Tant que la réunion esprit/matière (ou celle des principes masculin/féminin, séparation/fusion) n’est pas réalisée, tant que le chercheur procède par exclusion au lieu d’intégration, il ne pourra utiliser ces pouvoirs : Philoctète est abandonné sur l’île de Lemnos – île symbolique de la réunion des polarités à tous les niveaux – jusqu’au tout dernier moment de la guerre.
Rappelons en effet que lors de la conquête de la Toison, les Argonautes étaient passés sur cette île et s’étaient unis aux femmes qui l’habitaient. Celles-ci avaient tué leurs maris qui les avaient répudiées car elles sentaient mauvais. Il s’agissait alors dans cette phase des débuts du yoga, des polarités mentales, de la réunion raison/intuition : le chercheur devait se positionner clairement aussi bien en regard des formes de spiritualités dont il héritait que de celles plus « exotiques » étrangères à sa culture.

Mais comme Philoctète possédait l’arc d’Héraclès symbole de « la tension vers le but », sa présence était nécessaire à la prise finale de Troie, c’est-à-dire à la nouvelle orientation du processus de purification-libération vers la matière : il est indispensable en effet que la conversion du vital soit totale, c’est-à-dire que celui-ci ait donné sa pleine adhésion au yoga au lieu de maintenir ses propres exigences (sympathie, antipathie, attraction, répulsion, etc.).

Le débarquement sur les rives de Troie et la mort de Protésilaos et de Kyknos

Thétis avait recommandé à son fils Achille de ne pas débarquer avant tous les autres, car le premier qui toucherait terre serait aussi le premier à mourir : ce fut Protésilaos, tué par Hector. Il laissait derrière lui une maison inachevée.
Puis Achille tua Cycnos, un fils de Poséidon qui selon certains était en partie invulnérable. D’autres ajoutent qu’il était blanc de peau ou avait la tête blanche.
Les Troyens prirent alors la fuite. Les Achéens firent de nombreux morts dans le camp ennemi puis tirèrent leurs navires à sec.

La signification du nom Protésilaos n’est pas claire. Elle semble indiquer « une mise en avant de la personnalité mentale » dont le perfectionnement n’est pas totalement réalisé car, selon Homère, Protésilaos laissait derrière lui une maison inachevée. Selon Apollodore, il s’agirait de la « maîtrise », car il nomme sa femme Laodamie « la maîtrise du peuple ».
Cet épisode laisserait entendre que la poursuite de la perfection du mental doit cesser dans le processus de renversement vers le futur yoga.
Cela nous évoque le moment où Sri Aurobindo et Mère cessèrent de travailler à la perfection du mental et du vital, s’étant aperçus qu’une totale perfection ne serait possible qu’après la transformation de la matière corporelle.

Un héros troyen devait aussi disparaître dans ce premier combat, Cycnos « le cygne ». Cet oiseau est ordinairement lié à Apollon, mais il est ici rattaché au subconscient, car Cycnos est un fils de Poséidon. Si la démarche troyenne a jusqu’ici reçu l’appui d’une certaine lumière psychique agissant à travers le subconscient pour permettre la réalisation de la sainteté, le fait de changer radicalement d’orientation de yoga et de s’occuper d’une purification approfondie par le yoga des profondeurs et l’étude des infimes mouvements de la conscience rend cette réalisation inopérante pour le yoga futur.
Autrement dit, la réalisation de la sainteté n’est plus d’aucune aide dans le processus de renversement du yoga à venir.
Cela nous évoque le passage de l’Agenda du 15 Juillet 1961, Tome2 : « Par exemple, comme je le disais en commençant, pour un saint oui pour un sage, la formation du corps a une importance très minime, tout à fait secondaire. Mais pour ça, pour ce travail supramental, la formation du corps a une importance presque capitale, et pas du tout au point de vue des éléments spirituels ni même d’une puissance mentale: cela n’a pas d’importance DU TOUT. La chose importante, c’est la capacité d’endurer et de durer. »

L’ambassade à Troie

Les Achéens envoyèrent alors à Troie une ambassade composée de Ménélas et d’Ulysse pour demander qu’Hélène et les trésors de Ménélas leur soient rendus. Certains disent que la délégation fut dépêchée lors de leur passage sur l’île de Ténédos, avant même l’arrivée en Troade.
Les deux héros reçurent bon accueil du troyen Anténor, marié à Théano, une prêtresse d’Athéna. Ce dernier appuya auprès de l’assemblée troyenne les demandes des Achéens jugeant qu’elles étaient légitimes et ne valaient pas de s’engager dans une guerre. Mais ce fut la position opposée soutenue par Antimachos qui emporta l’adhésion.
Selon Homère, ce dernier demanda même que Ménélas soit tué sur le champ mais cela lui fut refusé. Antimachos avait en effet été soudoyé par Alexandre-Pâris qui lui avait donné de magnifiques présents en or. Mais il le paya cher par la suite car ses deux fils furent tués sans ménagement par Agamemnon.

Avant que ne s’engage la lutte pour le renversement, le chercheur tente une ultime conciliation des deux voies par laquelle il pourrait profiter de ses anciennes réalisations pour mener une quête de perfection de l’homme actuel – une quête de sagesse considérée comme la seule vérité évolutive – tout en poursuivant le yoga des hauteurs (ambassade pour la restitution d’Hélène et des biens de Ménélas).
La démarche intérieure est initiée par Ménélas « la volonté de libération dans l’incarnation » et Ulysse, celui qui travaille à réaliser « l’union des deux courants qui relient l’esprit et la matière » et la perfection de la libération depuis le surmental.

Mais le chercheur oublie que la libération acquise à ce stade repose sur une égalité imparfaite qui s’est appuyée au départ sur l’un des trois gunas, privilégiant « l’endurance héroïque, la sage indifférence ou la pieuse résignation ». Mais c’est à une égalité spirituelle beaucoup plus vaste qu’il est désormais appelé, au-delà de l’égalité maintenue par la volonté intelligente discernante (la buddhi). Il ne peut plus se contenter des réalisations telles l’impersonnalité ou la béatitude, qui, lorsqu’il ne se préoccupe pas du monde des dualités, ne réclament pas une égalité parfaite.
Si une partie de l’être qui aspire à l’union est prête à la conciliation (Anténor « l’homme qui va à la rencontre de », uni à Théano « l’évolution de la contemplation »), une autre, plus « persuasive », est profondément liée à la séparation esprit/matière (Antimachos « celui qui lutte contre » qui a de plus reçu un grand appui de Pâris-Alexandre, un niveau de réalisation intermédiaire de « l’égalité »). Mener les deux voies en parallèle se révèle donc impossible et le conflit intérieur est inévitable.
Il semblerait même que le chercheur subisse une attaque intérieure et soit tenté de renoncer à une évolution supérieure du yoga (Antimachos demanda même que Ménélas « la volonté inébranlable tendue vers le but » soit tué sur le champ).

La capture par Achille du bétail d’Énée, le sac de plusieurs cités d’Asie, le meurtre de Troïlos et la capture de Lycaon.

Les neuf premières années de guerre sont assez peu fournies en mythes remarquables et peu de sources nous sont parvenues.
Il est généralement admis que les Troyens restèrent entre leurs murs, espérant peut-être que l’assaillant se lasse. Certains disent que cela faillit se réaliser et qu’Achille dut retenir les troupes qui voulaient repartir.

Toutefois, il y a lieu de remarquer que tous les évènements notables de cette période furent le fait d’Achille alors que c’est justement la « grève » de ce dernier qui constitue le pivot de la guerre de Troie. Autrement dit, cela tendrait à indiquer que le chercheur initie un mouvement de travail dans les profondeurs du vital puis l’arrête pendant une longue période, le temps de la « grève », afin que les autres parties de l’être se hissent au même point d’évolution.

Selon une source tardive qui s’appuie sur les Chants Cypriens, Achille aurait capturé le bétail d’Énée sur l’Ida : c’est-à-dire que les réalisations de « ce qui cherche à poursuivre l’évolution (vers la réalisation de l’amour) » vers les sommets de l’union en conscience (l’Ida) sont récupérées par le mouvement de « purification des profondeurs » qui s’intéresse aux infimes mouvements de la conscience et tient le sort de l’évolution future du yoga entre ses mains. Autrement dit, le chercheur transfère progressivement les acquis du yoga du côté de la purification approfondie.

Le sac des cités d’Asie (la purification préliminaire au grand renversement)

Achille s’empara de nombreuses cités d’Asie, onze par voie de terre et douze par voie de mer. Il ramenait le butin à Agamemnon qui restait près des vaisseaux et n’en redistribuait que très peu. Parmi ces cités, citons la Thèbes de Cilicie où périt le magnanime Éetion, le père d’Andromaque (la femme d’Hector) et ses sept fils. Achille cependant ne le dépouilla pas, mais le brûla avec ses armes et l’enterra dignement. Des nymphes des montagnes, filles de Zeus, plantèrent autour du tertre des ormeaux.

Ces premières années de guerre servent à purifier les blocages les plus extérieurs du « verrou évolutif » troyen.
C’est Achille « celui qui doit achever le processus de libération » qui est ici le mouvement agissant du yoga. Les cités d’Asie qu’il détruit, situées non loin de la Troade, représentent des structures secondaires établies par les yogas anciens les plus avancés qui doivent être démolies en tout premier soit dans le vital (celles conquises par la mer) soit dans les habitudes corporelles (celles conquises par voie de terre) avant que le chercheur ne puisse s’attaquer au nœud central.
(Apollodore cite nommément une quinzaine de villes, mais en évoque plus de cent.)

Le sac de Thèbes à la haute porte pourrait indiquer que c’est à ce moment que cesse le yoga personnel de purification et libération. Cette ville est située sur la côte d’Asie mineure et ne doit pas être confondue avec son homonyme de Béotie ni avec la Thèbes d’Égypte. Toutefois, elle relève de la même symbolique, « une structure d’incarnation de l’être intérieur » en vue de l’exactitude. Elle peut alors représenter l’accomplissement (la haute porte) de la purification qui fut l’objet des deux « guerres » en vue de l’élargissement des centres de conscience ou chakras (la guerre des Sept contre Thèbes et celle des Épigones).

C’est ici également que sont arrêtés les mouvements actifs qui résultent de « la conscience mentale la plus haute » et ont pour objet « un yoga de combat » (Achille tue Éetion et ses sept fils). Toutefois, ce mouvement actif du guerrier de lumière qui a permis l’accession à l’union en l’esprit est digne de considération (même les muses des montagnes filles de Zeus rendirent les honneurs à Éetion et à ses fils).
Toutefois, le principe même de la lutte représenté par Andromaque « l’homme qui combat » doit se maintenir (Andromaque est sauve). S’il est au départ orienté vers davantage encore de maîtrise (selon le nom de son fils Astyanax « le maître de la ville », dans la logique du mouvement d’ouverture de la conscience vers l’esprit car elle est la femme d’Hector), il doit se poursuivre ensuite d’une autre façon, dans une attitude de don de soi, de consécration et d’abandon entre les mains de l’Absolu. C’est pourquoi elle deviendra la femme de Néoptolème « les nouveaux combats » lors de la chute de Troie.

Le meurtre de Troïlos (le dépassement de l’état de sainteté)

Troïlos était un fils de Priam réputé pour sa beauté et « l’éclat de l’amour brillait sur ses joues rosissantes ». Pour certains, c’était un fils d’Apollon et d’Hécube. D’autres disent qu’Achille s’éprit d’abord de Troïlos mais le poursuivit ensuite et le tua en un lieu consacré à Apollon où il s’était rendu en compagnie de sa sœur Polyxène. (De nombreuses céramiques le montrent avec deux chevaux.)
Plaute affirme que la mort de Troïlos constituait l’un des préliminaires indispensables à la prise de Troie.

Troïlos représente « la libération par le mouvement juste vers les hauteurs de l’esprit ». Comme fils de Priam, c’est le symbole d’une réalisation du mental illuminé, et comme fils d’Apollon, également celui d’une réalisation psychique. Il représente le mouvement vers l’esprit qui a conduit à l’état « réalisé », celui du « libéré vivant » rayonnant un amour très pur (l’éclat de l’amour brillait sur ses joues). Cependant, si belle soit cette réalisation, le chercheur ne doit pas la considérer comme un ultime accomplissement ni poursuivre dans cette voie s’il cherche une plus grande liberté pour l’humanité entière, et c’est pourquoi sa mort conditionne la chute de Troie. Nous retrouvons ici ce que dit Sri Aurobindo, que la Vérité doit s’installer dans l’humanité avant que l’amour divin puisse s’y manifester. Toutefois, réaliser l’état de sainteté comme un préliminaire est indispensable dans le yoga, d’où l’amour initial d’Achille pour Troïlos.
La présence de sa sœur Polyxène indique que cet état s’accompagne de « nombreuses choses étranges », c’est-à-dire de nombreux pouvoirs.

La capture de Lycaon (l’état de sagesse est contraint de limiter son influence dominante)

Lycaon était un fils de Priam et de Laothoé, la fille d’Altès. Un long passage de l’Odyssée raconte comment Achille, dans les premières années de guerre, l’avait fait prisonnier lors d’une attaque nocturne et vendu à Euénos de Lemnos, fils de Jason. Pour cet achat, Euénos avait donné à Patrocle un splendide cratère en argent. Il fut ensuite acheté par Éetion d’Imbros qui l’envoya dans la ville divine d’Arisbé.
Il s’échappa et revint à Troie juste à la fin de la guerre, douze jours avant d’être reconnu et tué par Achille.

Lycaon « la lumière qui précède l’aube » représente un élément de « connaissance vraie » mais qui a été acquis dans la voie du refus de la divinisation de l’homme (il naquit dans la lignée troyenne). Ce qui, chez le chercheur, « sépare », s’appuyant sur cette connaissance supérieure lumineuse, tente d’élaborer un élément de « l’Unité en laquelle tout se rejoint » selon le symbolisme du figuier qui est détaillé plus loin, sur lequel il pourrait s’appuyer (il fabriquait une rampe en bois de figuier pour un char).
Le mouvement qui poursuit la totale libération tente alors de redresser de force l’orientation de cette « connaissance de vérité » apparue au sein de la conception troyenne (Achille fait prisonnier Lycaon).
Mais, après avoir été contrainte de se soumettre à « l’évolution juste » dans « le rassemblement des opposés » (Lycaon fut acheté par Euénos de Lemnos), puis à celui de « la conscience mentale la plus haute » (Éetion), cet élément de « connaissance vraie » se rangera à nouveau du côté de son orientation première dans la séparation esprit/matière, ce qui causera finalement sa disparition (Lycaon s’échappa et revint à Troie pour être tué par Achille quelques années plus tard, à la fin de la guerre). En réalité, il est donc beaucoup plus difficile de mettre fin à la « sagesse » qu’à la « sainteté » : dix années symboliques de plus seront nécessaires. Toutefois, pendant ce temps, cette « sagesse » assiste par son travail d’union celui d’Ulysse (Lemnos) puis celui de « la conscience mentale la plus haute » (Éetion). Dans l’Agenda, Mère parle à plusieurs reprises de cette nécessité de renoncer à vouloir être vertueux (qu’elle précise comme étant celle de renoncer à vouloir donner l’apparence d’être vertueux) et de la nécessité de renoncer à être intelligent, d’accepter d’être « bête », ce qui est beaucoup plus difficile.

La mort de Palamède (la fin du mental qui transcrit les lois divines en les fixant)

Palamède, fils de Nauplios et d’Hésione (et selon certains, petit-fils de Poséidon et de la Danaïde Amymoné), était réputé pour être un inventeur, bienfaiteur des Achéens. Ses inventions concernaient les poids, les nombres, les mesures, le déchiffrage du mouvement des étoiles et surtout l’écriture.
Diomède et Ulysse (ou seulement ce dernier) furent responsables de sa mort pour des raisons non explicitées. Certains disent qu’ils ourdirent une machination contre lui, l’accusant d’avoir caché de l’or et qu’il fut ensuite lapidé par l’armée pour cause de trahison.
Son père Nauplios exerça sa vengeance d’abord en persuadant les femmes de plusieurs héros grecs de tromper leurs maris (telle Clytemnestre avec Égisthe) puis en agissant comme naufrageur lors du retour des Achéens à la fin de la guerre.

Palamède « l’ingénieux » participa, rappelons-le, à démasquer Ulysse par un astucieux stratagème. Il est le symbole d’une capacité mentale logique qui apporte son soutien au chercheur dans le domaine de l’organisation, l’évaluation, la prévision, la mémoire du chemin et la connaissance des symboles (poids, etc.), toutes capacités qui relèvent de l’intelligence logique, de la « raison », qui se fonde sur la mémoire et s’appuie sur le courant séparateur nécessaire à l’individuation.
C’est « celui qui navigue habilement sur le chemin » (son père est Nauplios) qui a généré cet état de compréhension supérieure que certains appellent « sagesse » et qui est basée sur l’expérience et le savoir (sophia).
Mais dans cet ouvrage, nous réservons le terme « sagesse » à l’état le plus haut du mental intuitif, qui a nécessité l’arrêt du fonctionnement habituel de ce mental logique séparateur. C’est pourquoi Pindare rapporte que Palamède surpassait Ulysse dans le domaine de la « sophia », car l’intelligence d’Ulysse qui est intuitive et intégrative est bien supérieure à cette « sophia », et c’est elle qui la réduit au silence : Ulysse tua Palamède.

La mère de Palamède est diversement nommée Philyra « celle qui aime le mouvement juste », Clymène « qui est célèbre (qui a suivi un chemin reconnu) » ou Hésione « la conscience équilibrée, la sérénité ».
(Comme petit-fils de Poséidon et d’Amymoné « irréprochable », ce héros exprime une intervention puissante du subconscient.)

Mais les repères ont toutefois une nécessité car sans eux le chercheur court de grands risques : Nauplios exercera plus tard une vengeance en agissant de toutes les manières possibles, tentant de faire dévier les travaux de yoga, soit en les affectant à d’autres buts, ce qui provoque une instabilité ou un manque de persévérance, soit en générant de « fausses lumières » catastrophiques pour le yoga, (en persuadant les femmes de tromper leurs maris ou en agissant comme naufrageur).

LA GUERRE DE TROIE (L’ILIADE)

L’Iliade ne se limite pas à la description du conflit, mais incorpore de très nombreux éléments de l’ensemble du chemin, souvent de simples allusions destinées à un public sensé connaître les histoires complètes. Nous en avons déjà rencontré un certain nombre mais nous ne pourrons nous attarder ici à une étude détaillée du texte, car il y faudrait plusieurs volumes. Par exemple, le deuxième chant aussi appelé Catalogue des vaisseaux donne une liste des contingents qui partirent pour Troie avec le nom de leurs chefs, des provinces et des cités d’origine, ainsi que le nombre de bateaux et d’hommes à bord. Une description similaire mais moins détaillée est donnée à la suite pour les troupes troyennes. Si l’on admet qu’aucun détail n’est donné au hasard, il y a là une organisation de plus de six cents noms à déchiffrer et commenter qui, selon toute probabilité, décrit l’état auquel doit être parvenu le chercheur s’il veut se lancer dans cette aventure du grand retournement du yoga. Il y a donc certains aspects que nous ne pourrons que survoler.

Chant I : La colère d’Achille

Le premier chant de l’Iliade expose la raison de la colère d’Achille et de sa « grève » qui est l’objet essentiel du poème. En effet, tant que le chercheur n’a pas achevé la libération vitale et s’abstient de plonger dans les profondeurs pour une purification approfondie et par l’observation attentive des infimes mouvements de la conscience, aucun renversement décisif ne peut intervenir (Achille est roi des Myrmidons, « les fourmis ».)
La guerre se déroule en Asie mineure, c’est-à-dire dans la province des chercheurs les plus avancés (à l’Est de la Grèce proprement dite), et cet épisode se situe la dixième année du siège.

Lorsqu’Achille revint au camp achéen après le sac de la ville de « Thèbes la sainte » (ville homonyme située en Troade) gouvernée par Éetion, il ramena nombre de captives. Parmi celles-ci, il y avait Chryséis, fille du prêtre d’Apollon Chrysès, qui échut en partage à Agamemnon.
Mais le prêtre vint trouver Agamemnon en lui demandant la restitution de sa fille contre une importante rançon. Tandis que les troupes achéennes comprenaient et approuvaient la requête, Agamemnon rejeta l’offre.
Chrysès invoqua alors Apollon qui envoya une peste sur l’armée et beaucoup d’hommes périrent. Comme le devin Calchas en révélait la raison, Agamemnon accepta de rendre Chryséis sous réserve d’une compensation, à savoir la part d’Achille, celle d’Ajax ou celle d’Ulysse.
Comme Achille réagissait violemment contre la demande de celui qu’il nomme « le plus cupide de tous », Agamemnon décida de lui prendre sa part, la captive Briséis.
Achille, qui avait ramenée celle-ci lors du pillage de Lyrnessos, hors de lui, tira son glaive. Mais il fut calmé par Athéna envoyée par Héra. Ayant reconnu la déesse et prenant acte de la promesse qu’il serait amplement dédommagé de l’outrage, il lui obéit et se domina, tout en clamant devant tous que ni lui ni ses hommes ne combattraient plus désormais pour Agamemnon.
De plus, il annonça que l’Atride subirait de très lourdes pertes parmi ses troupes. Afin d’être sûr que cette malédiction s’accomplît, il demanda à sa mère Thétis d’intervenir auprès de Zeus pour que celui-ci soutienne les Troyens jusqu’à ce qu’Agamemnon comprenne son égarement.
Entre temps, ce dernier avait envoyé ses hérauts chercher Briséis et demandé à Ulysse de reconduire Chryséis chez son père.
Zeus acquiesça à la demande de Thétis, ce qui provoqua la colère d’Héra qui avait deviné le motif de l’intervention de celle-ci.

Jusqu’au moment symbolique du départ pour Troie, l’aspiration est tournée vers la réalisation mentale intuitive la plus haute, celle qui précède le surmental et confère une « sagesse célèbre », c’est-à-dire vers une amélioration de l’homme mental actuel (Agamemnon est en effet uni à Clytemnestre, laquelle appartient à la lignée de Taygète).
La guerre exprime à ses débuts le conflit intérieur entre deux voies qui prétendent à la vérité évolutive (Hélène) : la voie troyenne qui refuse de considérer la possibilité de perfection humaine dans son intégralité mais poursuit la maîtrise depuis les hauteurs de la conscience, et celle des Achéens qui vise une perfection supérieure de l’homme mais ne peut encore accepter qu’il est nécessaire d’effectuer une radicale transformation et non une amélioration.
Rappelons qu’Agamemnon est roi de Mycènes « une violente ardeur », ville fondée par Persée, le vainqueur de la peur, et symbole d’une élaboration intérieure qui s’oppose à la « tiédeur ». Il symbolise donc un chercheur « libre » de toute peur.
Dans le « nettoyage » préliminaire des environs de Troie, ce qui combat pour cette « amélioration » tente de s’attribuer certaines réalisations qui concernent la lumière psychique (Chryséis « en or », fille du prêtre d’Apollon Chrysès) obtenues par le processus de purification et d’incarnation de l’être intérieur (Thèbes, la sainte).

Mais une fois les bases du conflit clairement définies, la « puissante aspiration » du chercheur qui aspire à la perfection dans l’action a reconnu qu’il était préférable de vouloir acquérir une lumière psychique au lieu d’une lumière mentale intuitive tournée vers une amélioration de l’humain, quelle que soit la sagesse procurée par cette dernière (Agamemnon, avec les premières années de guerre, en était venu à préférer la captive Chryséis, fille du prêtre d’Apollon, à sa femme Clytemnestre). Mais à ce stade, l’expression au niveau du surmental de l’être psychique, que nous appelons « lumière psychique », soutient encore les anciens yogas qui séparent l’esprit de la matière (Apollon, fils de Zeus et Léto, soutient les Troyens).
Le chercheur ne pourra donc plus y faire appel dans son combat (Agamemnon doit rendre Chryséis). Aspirant au perfectionnement de l’être extérieur, il ne peut la conserver comme moyen (c’est en effet une esclave). Sans doute n’est-il pas encore assez purifié pour agir depuis l’être psychique dans tous les détails de la vie quotidienne, même si celui-ci lui communique quelque lumière dans le mental (Agamemnon appartient à la lignée de Pélops qui n’a qu’une seule épaule en ivoire). Seul celui qui poursuit la purification/libération dans les profondeurs par l’observation des infimes mouvements de son être en serait digne (Achille l’a « conquise » dans ses combats préliminaires contre Troie).

Dans un premier temps, le chercheur se croit cependant plus avancé qu’il ne l’est réellement et refuse de céder. Il lui faudra subir de nombreux revers avant qu’il n’admette la réalité en écoutant son être intérieur (Calchas). Mais un reste d’ego l’empêche de se soumettre sans contrepartie, et ce qui en lui dirige le processus de renversement des anciens yogas prétend être mieux à même d’utiliser les réalisations qui doivent normalement soutenir les processus de libération dans le vital, d’extension de la conscience dans l’incarnation, ou de réalisation de la transparence (Agamemnon veut en contrepartie la part d’Achille, celle d’Ajax ou encore celle d’Ulysse). C’est finalement sur « la puissance (de transformation par l’union avec l’Absolu au niveau psychique) » (Briséis) qu’il jette son dévolu.
Certains auteurs font de Briséis « la puissance » la fille d’un prêtre d’Apollon, tout comme Chryséis, auquel cas elle serait le symbole d’une force issue de la lumière psychique. Mais Homère mentionne seulement qu’elle habitait la ville du divin Mynès « l’évolution de la consécration » et qu’elle était comparable à l’Aphrodite d’or. Elle représente donc « une puissance de transformation par l’union avec le Divin » qui ne peut s’acquérir que par le travail dans les profondeurs, car elle avait été promise par Patrocle à Achille comme épouse.
Cette puissance de transformation ne peut donc être acquise par l’aspiration tournée vers le perfectionnement de l’homme actuel vers une plus grande sagesse. Ce sera la cause des défaites achéennes jusqu’à la fin de la grève d’Achille.

Le chercheur est alors averti par une communication issue du plus haut du surmental et qui est attentif au juste mouvement (Héra), au travers de la force qui veille sur le yoga de l’intelligence discernante (Athéna), de laisser le champ libre à ce mouvement erroné, sachant qu’il en serait récompensé à terme (Athéna déléguée par Héra, demande à Achille de se calmer) : le chercheur sait donc en lui-même qu’il doit épuiser toutes les erreurs avant que ne se manifeste le mouvement juste.

Achille injurie Agamemnon en ces termes : « homme cupide entre tous » qui « jamais n’eut le cœur de s’armer pour combattre avec la troupe » : le chercheur est encore bien installé dans les hauteurs de la libération en l’esprit, dans le Soi, et n’accepte pas encore de redescendre au niveau du « banal quotidien » où doit se jouer la mutation.
L’adjectif « cupide » accolé à Agamemnon ne serait donc pas seulement une épithète pour décrire l’intense aspiration qui a conduit le processus de yoga jusqu’à ce point avancé de la libération personnelle, mais décrirait aussi ce qui réclame, du droit même de cette aspiration, le pouvoir de transformation au niveau collectif sans faire le travail correspondant.
En revanche, la partie du chercheur qui poursuit le processus de libération dans les profondeurs du vital (Achille) a parfaitement conscience des moyens qui peuvent être attribués à chaque partie contributive au yoga et ne veut pas le remettre en cause : « Ce que nous avons pillé a été réparti ».

Le chercheur ne peut ou ne veut donc reconnaître à ce stade le chemin juste qui doit permettre d’aller au-delà de cette « libération en l’esprit », bien que le mouvement en ce sens soit engagé.
Notons aussi qu’Achille n’a aucun reproche à formuler à l’encontre des Troyens, c’est-à-dire que le chercheur reconnaît la justesse des anciens yogas qui ont permis à la fois l’évolution dans les plans de conscience supérieurs et l’ouverture psychique.

A partir de ce moment-là, une partie du chercheur sait qu’il ne peut continuer à travailler dans les profondeurs de la conscience vitale tant que le mouvement faux n’a pas été épuisé, à la limite de l’effondrement (lorsque les troyens seront aux abords des nefs achéennes et que la situation paraîtra désespérée). De plus, il mobilise en lui les forces qui règnent sur le vital le plus archaïque (Thétis) afin qu’elles « contactent » le supraconscient afin que ce dernier mette en échec les actions qui cherchent l’amélioration de l’homme par le pouvoir personnel, quitte à laisser, pour un temps, le mouvement séparateur l’emporter (Achille demande à Thétis d’intervenir auprès de Zeus afin qu’il soutienne les Troyens). Même la juste loi évolutive divine qui soutient les Achéens (Héra) laisse faire, car elle sait que c’est une temporisation nécessaire. Héra « ronchonne » tout de même, car tout ce qui s’écarte du « juste » la met en colère.
C’est donc le symbole d’un accord vital-profond/supraconscient pour laisser le mouvement ancien dominer jusqu’au dernier moment. Dans le yoga, le chercheur rencontrera souvent ces situations désespérées qui basculent au tout dernier moment.
Il est probable que toute la guerre de Troie qui se déroule sous l’influence du « pouvoir » personnel fait référence à ce qui est décrit par Mère lorsqu’elle mentionne l’accomplissement des trois conditions qui conditionnent l’accès au supramental et doivent être réalisées successivement dans le mental et le vital avant que ne puisse commencer le yoga du corps et leur application à ce plan :
– Capacité d’élargissement indéfini de la Conscience sur tous les plans y compris le matériel.
– Plasticité illimitée pour pouvoir suivre le mouvement du devenir.
– Égalité parfaite abolissant toute possibilité de réaction de l’ego.
Si l’on considère que les trois conditions sont déjà remplies sur le plan mental, il s’agirait ici de la réalisation correspondante sur le plan vital qui donne un pouvoir formidable « capable de bouleverser l’histoire de la Terre » et que le chercheur doit sacrifier s’il veut aller plus loin. Si Aphrodite et Apollon ont soutenu les Troyens jusqu’à l’extrême limite, c’est sans doute pour que l’être affectif puisse s’élargir à la dimension du Suprême.

Chant II : Les forces en présence

Zeus envoya Oneiros vers Agamemnon sous l’apparence de Nestor afin de l’inciter à attaquer. Ce dernier mit alors au point un stratagème avec le conseil des anciens pour stimuler les troupes : tandis que lui-même les exhorterait à retourner dans leurs foyers, les membres du conseil devaient au contraire les pousser au combat.
Agamemnon parut devant les troupes et leur parla selon son plan, tenant en mains le sceptre royal. Celui-ci avait été transmis par Zeus à Hermès qui le donna à Pélops, puis hérité par Atrée, Thyeste puis Agamemnon.
Convaincues par Agamemnon, les troupes s’apprêtèrent au départ. Héra demanda alors à Athéna de les retenir. Celle-ci intervint auprès d’Ulysse qui la reconnut. Le héros reçut alors le sceptre des mains d’Agamemnon et harangua les troupes pour qu’elles renoncent au départ et partent au combat. Seul Thersite s’en prit aux rois et chercha querelle à Agamemnon, mais Ulysse le remit rudement à sa place.

Puis Nestor rappela à tous que Zeus leur avait promis la victoire au moment du rassemblement à Aulis « par un signe indiscutable ».
Agamemnon, certain alors que les troupes le suivraient, convia à un sacrifice l’élite des Panachéens : Nestor, Idoménée, les deux Ajax, Diomède, Ulysse et Ménélas.
Les Muses omniscientes décrivirent alors les chefs et les contingents des deux camps.

Cette première phase (de la fin du mouvement de réorientation, car c’est la dixième année de guerre) est initiée par le supraconscient qui envoie une perception intuitive faussée afin d’affaiblir la volonté de transformation (suite à l’accord donné au soutien des Troyens, Zeus envoya Oneiros vers Agamemnon). Ce n’est pas ici un défaut de perception du chercheur, mais bien, à son insu, un mouvement faux induit par le supraconscient. En effet, le songe vient à Agamemnon sous la forme la plus respectable du yoga, Nestor « l’évolution de la rectitude (cohérence de l’être extérieur et de l’être intérieur) ». Chez Hésiode, Oneiros est fils de la Nuit, de « l’obscurité » de la conscience. Croyant se déployer dans « l’intégrité », l’aspiration en fait se fourvoie. Elle doit en conséquence user de stratagèmes pour mobiliser ses forces tandis qu’une profonde lassitude l’envahit. C’est en effet une longue période de gestation qui se termine car « neuf années du grand Zeus ont passé ». Pour cela, la « volonté intelligente de perfectionnement » puis « le mouvement de réalisation de la transparence » doivent réaffirmer leur légitimité à diriger le yoga (l’emblème du pouvoir est donné par Agamemnon à Ulysse). Hérité du surmental pour le travail des profondeurs, cette direction a permis successivement « la victoire sur la peur », la réalisation de « l’intégrité », « la soumission extatique » puis « l’aspiration pour la perfection dans l’action » (le sceptre fut transmis par Hermès à Pélops « celui qui a la vision de l’ombre », passa ensuite entre les mains d’Atrée « celui qui est sans peur », celles de Thyeste « le parfumeur », et enfin celles d’Agamemnon « la volonté intelligente de perfectionnement »).

Héra « le mouvement juste d’évolution selon l’esprit », qui n’a pas été mise au courant par Zeus du stratagème, ne pouvait permettre l’arrêt de l’évolution (le départ des troupes) et demanda à la force qui dirige la quête, Athéna, d’intervenir.
Seul Thersite « l’esprit ou le mental enflammé » fit opposition. C’était « l’homme le plus laid qui soit venu sous Ilion, bancroche, boiteux et voûté, pour qui tout était bon pourvu qu’il fit rire les gens d’Argos » : Homère fustige ici les dernières tendances du mental à s’enflammer qui se manifestent par un manque d’équilibre et d’harmonie ainsi qu’un besoin de reconnaissance (recherche d’approbation). Mais à ce stade, cette tendance ne peut faire de grands dégâts (Ulysse le remit fermement à sa place).
Puis le mouvement d’aspiration, certain du succès à terme, rassemble ce qui en lui « a tout donné pour l’accomplissement » afin de rendre grâce (Nestor rappelle le signe indiscutable de la victoire et Agamemnon convie les chefs des Panachéens à un sacrifice aux dieux) :
– Nestor « l’évolution de la rectitude dans l’incarnation » ou celle de « l’intégrité » ou encore de « la sincérité »
– Idoménée « celui qui aspire à l’union »
– Le petit Ajax « la petite conscience (de la personnalité) », fils d’Oilée « la conscience libre ». Il incarne la première « libération de la conscience », celle qui libère des notions de bien et de mal, non pas dans la licence, mais dans une exigence et vision plus larges.
– Le grand Ajax « la conscience supérieure »
– Diomède « celui qui se préoccupe de l’union totale (en conscience), qui a le dessein d’être divin » (il représente un fonctionnement intuitif car son ancêtre est Endymion « le silence mental »)
– Ulysse « celui qui travaille à réaliser l’union des deux courants qui relient l’esprit et la matière » ou « celui qui réalise en lui-même l’union des deux polarités » ou « l’union des opposés » par la lumière surmentale.
– Ménélas « celui qui a une volonté inébranlable » ou « celui qui demeure fidèle à sa vision »

Le Catalogue des vaisseaux (la coalition achéenne)

Ce catalogue, qui occupe une grande partie du chant 2, garde encore nombre de ses secrets. Homère, selon nous, s’est attaché à faire un descriptif aussi précis que possible des qualités et réalisations indispensables pour aborder cette phase du chemin. À partir de là, il ne s’agit plus d’un yoga effectué par le seul effort personnel mais d’une progressive soumission intégrale permettant aux forces de l’esprit de descendre dans les différents plans pour les illuminer puis les transformer. Le nombre des nefs indiquées préciserait le pourcentage de réalisation nécessaire dans chacune des directions de travail définies par le nom de chaque province. Le nom des villes et celui des chefs en expliciteraient les nuances.
Un faible nombre des nefs n’indiquerait pas que le travail concerné est de peu d’importance mais seulement qu’il n’est pas prioritaire à ce stade ou bien n’a pas encore sa pleine puissance.

Par exemple, Nirée « l’évolution du mouvement juste, de l’exactitude », fils d’Aglaié « splendeur, joie » et de Charops « celui au regard clair », est « le plus beau des Danaens venus sous Ilion après Achille ». Étant le plus beau après Achille, il représente la deuxième réalisation la plus « vraie », l’exactitude qui provient de « la transparence » dans une aspiration à la Joie. Toutefois, elle ne donne qu’un pouvoir réduit car le chercheur n’a pas étendu cette justesse a tout l’être : « Nirée ne vient qu’avec trois nefs » et « n’a pas grande puissance car il a trop peu de monde sous ses ordres ».

Comme autre exemple, nous trouvons Médon « le pouvoir vrai » qui remplace Philoctète « celui qui aime ce qui peut être acquis, la volonté de réalisation ». Il a sous ses ordres seulement sept nefs de cinquante hommes chacune : le vrai pouvoir est encore embryonnaire car il est nécessaire que tout attachement aux anciennes formes du yoga ait disparu. Rappelons que Philoctète fut abandonné pour presque toute la durée de la guerre à Lemnos, l’île où doit s’effectuer la mutation de l’exclusion vers l’intégration. Le nouveau yoga implique en effet de renverser l’attitude de lutte pour abolir ce qui est anti-divin dans la création pour la remplacer par une acceptation. Philoctète rejoignit l’expédition beaucoup plus tard car il détenait l’arc d’Héraclès sans lequel Troie ne pouvait être prise.

Citons aussi un fils d’Héraclès, Tlépolème « le guerrier de l’endurance » (au sens où Atlas, qui comporte les deux mêmes lettres structurantes ΤΛ, supporte le ciel avec patience et endurance). Il vint de Rhodes, l’île de « la rose » avec neuf nefs : le passage au premier plan de l’être psychique n’est pas encore terminé.

Si l’on considère les chefs qui ont le plus de bateaux, nous trouvons dans l’ordre
– Agamemnon « une puissante aspiration » avec 100 nefs
– Nestor « l’évolution de la rectitude (ou intégrité) » avec 90 nefs
– Diomède « celui qui a le dessein d’être divin » vint d’Argolide avec 80 nefs ; il est assisté de Sthénélos « une puissante individuation (ou autonomie) » fils de Capanée « la conscience qui s’ouvre au tout » qui fut un l’un des Sept chefs contre Thèbes, le plus souvent nommé comme attaquant devant la porte Électre, celle de « l’ouverture du cœur ». Vint aussi avec lui Euryalé « une vaste libération », symbole de celui qui s’approche du plan des dieux car il est « un mortel égal aux dieux », fils de Mécistée « le très grand », lui-même né de Talaos « celui qui endure ». Ces trois chefs décrivent une liberté vaste et puissante, une volonté indomptable, une grande ouverture psychique et une non moins grande capacité d’endurance.
– Idoménée « celui qui désire l’union » et Mérion « le mouvement juste de la conscience vers la réceptivité ». Ils viennent de Crête avec 80 navires.
– Ménélas « une volonté inébranlable (pour la liberté) au puissant cri de guerre qui vient de Lacédémone (Sparte) avec soixante navires, symbole d’une puissante volonté soutenue par le vital et tendue vers le Nouveau.
– Agapénor « la nature extérieure s’ouvrant à l’évolution de l’amour vrai », fils d’Ancée « celui qui étreint » qui vient d’Arcadie avec 60 nefs données par Agamemnon.

Nous donnons ci-dessous la liste complète qui inclut les autres chefs qui vinrent avec cinquante nefs ou moins.
Si les provinces semblent désigner clairement des étapes du chemin, il reste beaucoup d’incertitudes en ce qui concerne les villes nommées par Homère. Le nom de nombre d’entre elles peut être déchiffré avec les méthodes de décryptage utilisées ici. Toutefois, cela laisserait supposer que des villes furent renommées pour se conformer aux récits mythologiques, ce qui semble difficile à admettre pour un pays entier. Si la Grèce comprenait, selon les estimations courantes, moins d’un million d’habitants à l’époque homérique, une modification partielle des noms est cependant plausible.

Dans l’ordre sont donnés : Province ou ville : Chefs, Nefs (avec 120 soldats sur chaque nef)

Béotie : Pénéléos, Léitos, Archésilas, Prothoénor et Clonios, 50
Béotie (Asplédon et Orchomène des Minyens) : Ascalaphos et Ialmène, fils d’Arès, 30
Phocide : Schédios et Épistrophe, fils d’Iphitos, 40
Locride (au-delà de l’Eubée) : Ajax fils d’Oilée, le meilleur au javelot, 40
Eubée : Éléphénor, rejeton d’Arès, 40
Athènes : Ménestheus, fils de Pétéos (le meilleur pour le rangement), 50
Salamine : Ajax fils de Télamon, 12
Argolide (Argos et Tirynthe) : Diomède, Sthénélos fils de Capanée, et Euryalé « mortel égal aux dieux » fils de Mécistée, lui-même né de Talaos , 80
Argolide (Mycènes, Corinthe, Cléones, etc.) : Agamemnon, 100
Laconie (Lacédémone) : Ménélas, 60
Messènie (Pylos, etc.) : Nestor « le vieux meneur de chars », 90
Arcadie : Agapénor, fils d’Ancée, 60 données par Agamemnon
Élide (Épéens) : Amphimaque et Thalpios, petit fils d’Actor, Diorès, Polyxènos « pareil aux dieux », 40
Mer Ionienne (Doulichion) : Mégès, comparable à Arès, 40
Mer Ionienne (Ithaque) : Ulysse « que sa pensée égale à Zeus », 12
Étolie : Thoas, fils d’Andrémon, 40
Crète : Idoménée, Mérion, 80
Rhodes : Tlépolème l’Héraclide, 9
Îles d’Asie mineure (Symé) : Nirée, fils d’Aglaé et de Charops, « le plus beau des Danaens venus sous Ilion après Achille », 3
Îles d’Asie Mineure : Phidippe, Antiphos, 30
Argos Pélasgique, Phtie et Hellade ( Myrmidons, Hellènes, Achéens) : Achille, 50
Thessalie (Phylake, etc.) : Podarcès, rejeton d’Arès, 40
Thessalie (Phères, etc.) : Eumélos, fils d’Admète, 11
Thessalie : Médon (Philoctète), 7 (avec 50 combattants sur chaque nef)
Thessalie (Œchalie) : Podalire, Machaon, 30
Thessalie : Eurypyle, 40
Thessalie : Polypoitès, fils de Pirithoos et d’Hippodamie, Léontée, 40
Thessalie : Gounée, 22
Thessalie (Magnètes) : Prothoos, 40

La coalition troyenne

Du côté troyen, Homère donne beaucoup moins de détails. Il dit seulement que les Achéens étaient à plus de dix contre un, mais il ne dénombre pas les troupes.

Le premier cité est le plus grand des Troyens, le divin Hector « celui qui travaille à un juste mouvement d’ouverture de la conscience vers l’esprit ». C’est le plus « grand » des fils de Priam « le racheté, celui à qui est donné une seconde chance », roi de Troie « l’organisation du développement juste sur le plan de l’esprit ».

Le second est Énée, fils d’Anchise et d’Aphrodite. Il est le symbole de « l’évolution future vers l’Amour ». Son nom peut aussi être compris comme « le terrible », ou encore « la louange, l’action de grâce ». Il n’appartient pas à la principale lignée troyenne, celle d’Ilos qui œuvre en vue de « la libération » en l’esprit, mais à celle d’Assarakos « celui qui est en paix » ou « celui qui travaille à l’unification dans la juste voie ». Il incarne la voie future vers l’Amour, lorsque le chercheur aura réunifié en lui l’esprit et la matière dans une Vérité supérieure. Il vient de Dardanie, la province du « mouvement juste vers l’unité ».

Le troisième est Pandaros « celui qui donne tout au mouvement juste vers l’union », fils de Lycaon « celui qui est dans la lumière naissante ». Il vient du mont Ida, celui de l’accession à « l’union » en l’esprit. Nous verrons qu’il s’agit là seulement d’une intention qui n’est pas suivie par une mobilisation des forces correspondantes (car il n’écouta pas son père et vint sans ses chars).

Suivent ensuite leurs alliés venus de différentes régions d’Asie mineure : Phrygie, Lydie, Mysie, Ionie, Lycie, côtes de l’Hellespont et de la Thrace orientale, ainsi que des îles proches. Leurs chefs se nomment Adrastos « celui au courage inébranlable (sans peur) », Acamas « l’infatigable », Euphémos « celui dont les prévisions sont justes (basées sur une bonne réceptivité intuitive) », Phorcys « celui qui porte l’ouverture de la conscience », Ascagne pareil aux dieux « celui qui est sans protection (qui est complètement ouvert) » (un homonyme du fils d’Énée et de Creuse), etc.

Ville ou région : Chefs
Troie : Hector, fils de Priam
Dardania : Énée, fils d’Anchise et d’Aphrodite, Archélochos et Acamas, fils d’Anténor
Zélée (Mont Ida) : Pandaros, fils de Lycaon
Adrastée, Apèse, Pitye, Téréié : Adraste et Amphios, fils de Mérops « qui connaissait l’art divinatoire mieux que quiconque »
Percote, Practie, etc.  : Asios
Pélasges : Hippothoos, Pylée, rejeton d’Arès
Thraces : Acamas, Piroos
Cicones : Euphémos, fils de Trézène
Péoniens : Pylémène
Alizones : Odios, Épistrophe
Mysie : Chromis, Ennome
Phrygie : Phorcys, Ascagne « pareil aux dieux »
Méonie : Mesthlès, Antiphos
Carie : Nastès, Amphimaque
Lycie : Sarpédon, Glaucos

Les dieux qui soutiennent chacun des deux camps

Pour compléter cette description des forces en présence, il faut y ajouter les puissances du surmental qui soutiennent les deux orientations. C’est en effet la première fois qu’elles vont se heurter de front dans le chercheur qui à ce stade du yoga, les voit jouer en lui car les héros les reconnaissent le plus souvent.
Même si certaines d’entre elles restent à l’écart au début du conflit, Homère indique clairement les divinités soutenant chaque camp.

Dans le camp Achéen :
Il y a tout d’abord Héra « le mouvement d’évolution juste (selon l’ordre divin) » et Athéna, une émanation du plus haut du surmental qui aide à l’évolution de l’être intérieur vers la plus vaste conscience (sagesse ou intelligence supérieure) et la maîtrise de l’être extérieur par les combats du yoga, que nous associons au « maître du yoga » » : ces divinités ne peuvent bien sûr faire autre chose que soutenir le mouvement qui met en avant l’union de l’esprit et de la matière. Dans le mythe, leur engagement est motivé par le choix d’Aphrodite lors du célèbre jugement de Pâris.
Héphaïstos, le dieu qui forge les formes nouvelles, est logiquement aussi du côté achéen.

Même si Poséidon, le dieu du subconscient, semble bien souvent mettre des obstacles sur le chemin, ce ne sont que des leviers de l’évolution juste. Tant que la purification vitale n’est pas complètement achevée, ce dieu doit œuvrer pour la libération en l’esprit et le passage de l’être psychique au-devant de l’être. C’est la raison de sa position indécise dans les débuts de la guerre et du soutien qu’il semble offrir aux Troyens. Rappelons en effet qu’il a aidé Laomédon lors de la construction des murailles de Troie. D’autre part, on le verra se plaindre à Zeus du mur que les Achéens érigeront devant leurs bateaux pour se protéger des attaques troyennes. Mais lorsque la dernière année de guerre fut bien entamée, il prit pitié des Achéens et se plaça définitivement de leur côté.

Hermès enfin, le dieu de la Connaissance surmentale la plus haute, soutient aussi les Achéens bien qu’il n’intervienne pas au début du conflit. Représentant le plan le plus élevé du mental, il doit nécessairement faire la jonction avec le supramental, et donc intervenir à la fin du conflit pour opérer le retournement définitif. Toutefois, son but étant l’unité, sans exclusion aucune, il sera compatissant avec les Troyens. En particulier, il aidera Priam à solliciter la clémence d’Achille.

Dans le camp troyen :
Arès semble au départ indifférent. Puis il fait la promesse aux déesses Héra et Athéna de soutenir le camp achéen, mais la rompt bientôt en se rangeant du côté de son amante Aphrodite.
Le nom Arès est construit autour de la lettre Rho (Ρ) qui est une lettre double. Arès est donc tout à la fois une force qui « tranche », mais aussi celle qui « maintient » lorsque le temps n’est pas encore venu. C’est pourquoi, même s’il promet de soutenir le juste mouvement évolutif (le camp achéen), il se range quand même du côté troyen – celui de son amante Aphrodite – et soutient dans un premier temps le parti de ceux qui séparent l’esprit de la matière. Blessé par Diomède dans les derniers temps de la guerre, il devra se retirer du combat, permettant que s’opère le renversement final.

Aphrodite, la déesse de l’amour, se range aussi du côté troyen. Elle est chez Homère fille de Zeus et Dioné, symbole de « l’amour en évolution ». Or Troie représente l’un des plus grands accomplissements des anciens yogas dans le domaine de la dévotion et de l’amour et elle est donc le véritable symbole de l’Amour en évolution. C’est pourquoi les descendants d’Énée, fils d’Aphrodite et d’Anchise, seront les fondateurs de la Troie future. C’est Aphrodite que Pâris-Alexandre reconnut comme la plus belle, donc la plus vraie. Il choisissait ainsi la primauté de l’amour (encore imparfait) sur l’évolution juste en vérité et sur la direction donnée par le maitre intérieur pour la croissance de la maîtrise et de l’intelligence discernante. Sans doute faut-il que soit réalisé un état de compassion parfait, intégral, universel, avant que ne puisse s’opérer le renversement. Mais, Sri Aurobindo nous le dit, l’Amour ne pourra vraiment s’établir sur la terre que dans un monde de Vérité. Aphrodite dut donc aussi quitter le champ de bataille après avoir été violemment défaite par Athéna.

Les Troyens reçoivent aussi le soutien de Léto et de ses deux enfants, Apollon et Artémis, que nous avons associé à la croissance de l’être psychique. Le centre psychique est situé au niveau du cœur derrière le centre émotif et prépare l’Amour Divin dans l’incarnation, au-delà de l’exactitude.
Apollon est donc tourné ainsi qu’Aphrodite vers l’Amour véritable, et Troie est sa véritable patrie. Il ne quittera la ville qu’à regret et il y reviendra avec les descendants d’Enée dès que l’évolution le permettra, dans de nouvelles formes, la Vérité étant suffisamment installée en l’homme.

Du côté troyen, mentionnons aussi le dieu-fleuve de la plaine de Troie, le Xanthe « jaune » (un jaune doré tirant vers le rouge), le double courant de conscience-énergie qui unit l’esprit et la matière mais dont les hommes ne perçoivent qu’un seul sens.

Zeus, symbole du supraconscient aux frontières de l’espace/temps, bien qu’apparemment extérieur au conflit, en a prévu de tous temps l’issue. Ses actions, apparemment longtemps en défaveur des Achéens, ne traduisent qu’une obéissance aux lois de la création, l’une étant que tout mouvement puisse se dérouler jusqu’à sa fin décidée de toute éternité. Mais on peut supposer que pour l’aventurier, cela soit encore du domaine du supraconscient, à moins qu’il ne puisse percevoir que dans l’impulsion initiale de tout mouvement est inclus son déroulement et sa fin.

Les deux dernières divinités de l’Olympe sont neutres. Hestia en effet ne quitte jamais le centre de l’être. Déméter « la mère de l’union », qui par sa fille Perséphone aide au rapprochement conscient/inconscient, ne peut être partisane car elle soutient à la fois le travail de la libération en l’Esprit et celui de la libération de la Nature.

En tout état de cause, notons qu’Homère affirme que la responsabilité de la guerre revient aux dieux, et plus particulièrement à Apollon, car Agamemnon avait fait outrage à son prêtre Chrysès en refusant de lui rendre sa fille Chryséis : c’est-à-dire que le mouvement qui déclenche le grand renversement provient de la lumière psychique traduite par le surmental.

Chant III : Duel de Pâris et Ménélas

Tandis que les deux armées se faisaient face, Ménélas défia Alexandre qui, prenant peur, recula et se cacha parmi ses troupes. Hector lui fit alors de rudes reproches. En réponse, Alexandre offrit de se battre en combat singulier avec Ménélas, proposition qu’Hector partit transmettre aussitôt aux Achéens : si Ménélas était vainqueur, les Troyens garderaient Hélène et tous les trésors de son mari qu’elle avait emporté avec elle, et les Achéens repartiraient ; dans le cas inverse, les Achéens prendraient Hélène et les richesses de Ménélas et auraient droit en outre à une indemnité conséquente.
Iris se présenta auprès d’Hélène pour la tenir informée de la proposition de combat singulier, ce qui réveilla l’amour passé de celle-ci pour Ménélas.
Le conseil des anciens souhaitait le départ d’Hélène mais Priam la défendit, affirmant que ce n’était pas elle mais les dieux qui étaient responsables du conflit.
Puis Hélène décrivit à Priam les chefs qu’il apercevait au loin sans pouvoir les reconnaître du fait de son grand âge : Agamemnon et Ulysse « qui était moins grand mais plus large de poitrine que lui, expert en ruses et subtils pensers », Ajax « rempart des Achéens » et Idoménée.

Priam se rendit alors auprès d’Agamemnon afin de conclure le pacte. Cela fait, il rentra en son palais car il ne voulait pas risquer de voir mourir son fils.
Le combat débuta par des lancers de javelots que chacun des adversaires para d’habile façon. Ménélas attaqua ensuite avec son épée mais celle-ci, étonnamment, se brisa en quatre morceaux. Puis tandis qu’il traînait Alexandre par la sangle de son casque, Aphrodite la rompit et fit tomber un brouillard épais pour dérober Alexandre aux regards. Elle le déposa ensuite dans sa chambre puis avertit Hélène de son retour. Celle-ci, ayant reconnu la déesse malgré son apparence de vieille femme, se mit tout d’abord en colère contre elle mais finit par lui obéir. Elle rejoignit Alexandre que Ménélas recherchait dans la foule des soldats. Elle se moqua de la vantardise de son second époux qui l’invita à le rejoindre sur sa couche.
Agamemnon annonça alors à tous la victoire de Ménélas et demanda que le pacte fût honoré.

Ce premier combat singulier illustre la volonté du chercheur de trouver la voie juste évolutive (Hélène), soit du côté d’Alexandre « celui qui repousse l’homme », hors de l’incarnation, soit du côté de Ménélas « une volonté inébranlable tendue vers le but » ou « une fidélité à sa vision » dans l’incarnation. Les neuf années de guerre précédant cet épisode ont permis de parvenir au cœur du problème (par la mise à sac des cités d’Asie par Achille).

Le chercheur qui ne se confronte pas aux dualités n’est pas vulnérable tant qu’il se maintient dans les hauteurs de l’esprit, mais lorsqu’il les quitte, il prend conscience de sa faiblesse (Alexandre se réfugia parmi ses troupes).
Bien évidemment, il a pris conscience que ce ne peut être son but d’évolution vers une plus grande liberté (Hélène) qui est responsable de son conflit intérieur, bien qu’un mouvement erroné s’en soit emparé, mais plutôt le supraconscient en lui (les dieux). Le premier combat montre alors son indécision : bien que remonte à sa conscience l’ancienne adéquation entre les travaux de yoga effectués sous l’égide de sa volonté inébranlable tendue vers le but dans un yoga de l’action, et l’évolution vers plus de liberté, il ne peut décider d’y revenir (bien qu’Hélène se remémore ses anciennes amours avec Ménélas, les deux héros s’affrontent un certain temps sans que l’issue du combat ne se dessine clairement).
Un net renversement de situation se produisit ensuite, d’abord avec l’étonnante rupture de l’épée de Ménélas, puis avec l’intervention d’Aphrodite qui fit disparaître Alexandre du champ de bataille. Aucun dieu n’osa s’opposer à la déesse, alors que beaucoup plus tard, elle sera blessée. À ce moment-là, tous les dieux sont donc d’accord pour que ce ne soit pas un combat limité à certaines parties de l’être qui règle le problème : le renversement implique en effet un engagement de tout l’être qui entraînera bien d’autres mutations, et la seule volonté personnelle ne peut suffire à l’opérer.
Le chercheur ne peut déjà en effet se soustraire à la puissante empreinte gravée en son esprit lorsque, bien engagé déjà dans la voie de l’égalité, il avait choisi de considérer l’amour en évolution comme le plus juste des combats de yoga (Aphrodite enleva Pâris-Alexandre qui l’avait choisie parmi les trois déesses).
Il prend cependant conscience que ce qui en lui repousse la perfection humaine dans son intégralité n’est pas capable d’arrêter le mouvement de réorientation du yoga même si la rupture n’est pas encore consommée (Hélène se moqua de la prétention d’Alexandre puis le rejoignit sur sa couche).

Chant IV : Violation de serments

A partir du chant quatre, le récit mentionne de très nombreux morts dans chaque camp sans qu’Homère ne donne le moindre détail pour expliquer les expériences ainsi imagées. Seuls les noms et parfois les généalogies peuvent donc fournir des indices. Chacun de ces « morts » mériterait une étude que nous ne pouvons nous permettre de mener ici, à supposer même que l’interprétation nous soit toujours accessible. Nous n’en traiterons que certains mais les indiquerons tous dans les résumés des chants.

Alors que les dieux tenaient assemblée sur l’Olympe, Zeus céda devant la colère d’Héra qui lui réclamait la destruction d’Ilion, tout en affirmant que la ville avait toujours été sa préférée. Héra accepta en retour que Zeus puisse détruire quand bon lui semblerait des villes dont elle était la protectrice : Argos, Sparte et Mycènes. Tous deux s’entendirent alors pour que la guerre reprenne et dépêchèrent Athéna auprès des Troyens pour leur faire rompre le pacte.
Athéna, sous une identité d’emprunt, se rendit donc auprès du troyen Pandaros et l’incita à lancer une flèche contre Ménélas. Mais elle dévia aussitôt la flèche afin que la blessure fût légère. Celle-ci était située au niveau du nombril et Machaon, fils d’Asclépios, la soigna.
Les deux camps se mobilisèrent alors pour le combat.
Agamemnon passa en revue les troupes et célébra Idoménée, les deux Ajax, et enfin Nestor qui recommandait à ses troupes à la fois l’humilité et la détermination. Il pressa les troupes de Ménestheus (fils de Pétéos) et celles d’Ulysse qui n’avaient pas encore entendu le signal du combat, rudoyant même ce dernier. Puis il se moqua de Diomède, célébrant devant lui les exploits de son père Tydée qui avait soutenu Polynice pour rassembler une armée lors de la guerre des Sept contre Thèbes. Diomède se tint coi, mais le fils de Capanée, Sthénélos, lui répondit que les Épigones avaient été plus vaillants que leurs pères.
Tandis que les Achéens s’élançaient unis et silencieux, les Troyens avançaient dans une disparité bruyante telles des brebis bêlantes, avec des langues et des accents différents, poussés par le dieu Arès. Les Achéens de leur côté étaient soutenus par Athéna, Déimos « l’épouvante », Phobos « la crainte » et Éris « la discorde qui sépare », compagne d’Arès. Celle-ci ne cessait de grandir et « bientôt son front s’en allait heurter le ciel ».
Les deux armées se jetèrent l’une contre l’autre.
Le premier mort troyen fut Échépole, tué par Antiloque. Éléphénor, fils de Chalcodon, tenta de dépouiller son cadavre mais Agénor le tua.
Le divin Ajax tua Simoisios, fils d’Anthémion et d’une femme descendue de l’Ida.
Antiphos, fils de Priam, tua Leucos alors qu’il visait Ajax. Ulysse en fut peiné et courroucé : projetant sa lance, il occit Démocoon, un bâtard de Priam.
Puis le chef des Thraces, Peiros (troyen), et celui des Épéens, Diorès (achéen) se firent tuer.

Ce chant marque un tournant décisif dans le processus de basculement du yoga et le supraconscient œuvre à une mobilisation de tout l’être dans la logique du chant précédent (Héra « le mouvement juste » emporta la décision d’une reprise de la guerre et Zeus dépêcha Athéna pour provoquer la rupture du pacte).
Le guide intérieur veille alors à ce que le mouvement se produise avec le moins de dégâts possibles : « la volonté inébranlable tendue vers le but » est éprouvée dans le vital (blessure au niveau du second chakra, et donc amenant une perte de joie) par ce qui dans le chercheur a l’intention de « tout donner au mouvement juste vers l’union » mais qui est sans réelle force (Ménélas est blessé au ventre par Pandaros qui était venu sans ses chevaux). Mais le guide intérieur est attentif à ce que cela soit une épreuve sans gravité, de telle sorte que le chercheur en soit peu affecté (Athéna fit en sorte que la blessure fut légère).
Ménélas fut guéri par Machaon « celui qui combat dans la matière », expression d’une action consciente sur le corps.

Homère souligne que le chercheur « libéré » n’a pas unifié totalement son être dans les hauteurs de l’esprit (les différentes parties ne s’accordent pas entre elles, aussi bien dans le général que dans le particulier : il y a diversité de langues et d’accent parmi les troupes troyennes) tandis que tout ce qui soutient « l’aspiration » avance dans un ordre unifié (les Achéens s’élançaient unis et silencieux).
Le camp troyen est supporté par la puissance de séparation/destruction qui agit afin de permettre le franchissement des obstacles (Arès).
Le passage où il est mentionné que le camp achéen est soutenu par des forces qui génèrent le doute, la peur et l’épouvante (Phobos et Déimos) ainsi que la conscience de la séparation fondamentale qui se développe alors à son maximum (Éris ne cessait de grandir et bientôt son front s’en allait heurter le ciel ) indique que des forces œuvrent à ce que le chercheur fasse l’expérience des conséquences induites par la séparation esprit/matière. Ces forces en effet soutiennent les achéens et donc provoquent doute, peur et épouvante chez les Troyens.
Sans doute ce passage est-il aussi révélateur de la différence fondamentale entre l’ancien yoga qui combat et le nouveau qui intègre.
On doit se souvenir également que l’impersonnalité, l’absence de désir, la joie et même la liberté par rapport aux modes de la Nature (les trois gunas) ne supposent pas l’établissement de la parfaite égalité dans l’être car le chercheur se tient au-dessus de l’état où naît la dualité.

Dans le contexte présent, il est nécessaire de faire disparaître le « pouvoir naissant » fruit du « travail de yoga » dans la voie du Soi (Échépole, fils de Thalysios) : ce sont les pouvoirs du saint et du sage auxquels le chercheur doit renoncer. C’est « la vigilance » issue de  « l’évolution juste de la rectitude » qui y met fin (c’est Antiloque, un fils de Nestor qui le tue) : ce renoncement se fait naturellement sans ascèse spécifique, en conséquence naturelle du yoga passé (car Nestor est très vieux).
Tandis que la quête de pureté veut utiliser les armes acquises par les pouvoirs (Éléphénor « l’homme d’ivoire » veut dépouiller Échépole), la noblesse d’âme met fin à cette quête (le magnanime Agénor tue Éléphénor).

Puis le chercheur doit fermer sa réceptivité à l’esprit et l’ouvrir davantage encore à la matière : l’élargissement de la conscience dans l’incarnation acquis dans le processus de purification et de libération doit mettre un terme à la réceptivité qui provient de la « floraison de la conscience » qui a pris pour but l’union en l’esprit (Ajax tue Simoisios, fils d’Anthémion et d’une femme venue de l’Ida).

Puis « l’effort » dans le chemin d’ascension des plans de conscience cesse, de même qu’un mouvement particulier de yoga en vue de l’égalité (Piros « celui qui s’efforce », chef des Thraces dans le camp troyen, et Diorès, chef des Épéens dans le camp achéen, sont tués).

Chant V : Exploits de Diomède

Athéna voulait distinguer Diomède, fils de Tydée, et lui insuffla sa fougue et son audace. Celui-ci se lança alors dans la bataille contre les deux fils de Darès : il tua Phégée, prêtre d’Héphaïstos, mais son frère Idée fut sauvé par le dieu.
Athéna ayant entraîné Arès à l’écart du combat, les Achéens prirent le dessus.
Agamemnon tua le grand Odios.
Idoménée abattit Pheste.
Ménélas tua Scamandrios, fils de Strophios.
Mérion abattit Phérècle.
Mégès tua Pédée.
Eurypylos tua le divin Hypsénor.

Et tandis que Diomède s’activait dans la mêlée, Pandaros, fils de Lycaon le blessa à l’épaule d’une flèche qui fut retirée par Sthénélos. Diomède ayant prié Athéna de lui redonner de la force, la déesse lui insuffla la fougue de son père Tydée et dissipa de ses yeux l’ombre qui les voilait. Elle lui conseilla en outre de se garder de combattre les dieux immortels, sauf Aphrodite qu’il devait au contraire frapper de sa lance.

Rappelons quelques éléments concernant Diomède « celui qui a le dessein d’être divin » ou plutôt « le dessein de parvenir à la non-dualité en l’esprit », car il appartient à lignée de Japet. C’est un fils de Tydée « celui qui aspire à l’union en l’esprit » lui-même fils d’Œnée (Oineus) « le vigneron » dans la lignée de Protogénie « ceux qui marchent en avant » et Japet. Son ancêtre est Endymion, celui qui a réalisé le silence mental (il a obtenu de son amante Séléné de dormir éternellement). Ce « dessein » n’est donc pas un projet de l’intellect, mais une aspiration indépendante du mental, contrairement à celle qui caractérise les descendants de Tantale.
Alors que le chercheur était presque parvenu à la non-dualité, il avait « découragé » les forces du supraconscient (alors qu’Athéna voulait conférer l’immortalité à Tydée, celui-ci avait dévoré la cervelle de Mélanippos, soulevant le dégoût de la déesse qui avait renoncé à offrir son présent). Mais il n’a pas pour autant renoncé, demandant à son guide intérieur que la non-dualité lui soit accordée dans un avenir proche (Tydée mourant avait demandé que cette faveur soit octroyée à son fils). Cette requête explique sans doute le soutien constant d’Athéna à Diomède.

Ce héros participa également à l’expédition des Épigones qui lancèrent avec succès le second assaut contre Thèbes : il représente donc un élément indispensable dans le processus de purification. Il figurait aussi parmi les prétendants d’Hélène : mais « la volonté d’accès à la non-dualité » ne pouvait l’emporter sur « la volonté inébranlable tendue vers le but » de plus de liberté (c’est Ménélas qui obtint la main d’Hélène).
Décrit dans l’Iliade comme le plus courageux des héros après Achille, il joua un rôle très important dans la guerre de Troie où il se rendit avec quatre-vingt vaisseaux. Il devait même blesser Aphrodite et Arès. Cette volonté d’accéder à la non-dualité est soutenue par le guide intérieur (ou la force « qui veille à la croissance de l’être intérieur ») (Athéna pousse Diomède au premier plan).

Le chercheur subit alors une baisse d’intensité dans son « dessein d’union » (dessein résultant du silence intérieur, de la joie et de la proche non-dualité) provoquée par ce qui voudrait « tout donner au mouvement juste vers l’union » sans en prendre les moyens (Pandaros, fils de Lycaon, blesse Diomède). Nous avons déjà rencontré Pandaros qui, selon Homère, n’écouta pas son père lorsqu’il partit pour Troie et vint seulement avec son arc, laissant chez lui ses onze chars car il craignait que ses chevaux n’aient à souffrir de la faim : il représente une intention qui n’est pas suivie par une mobilisation des forces correspondantes. Si la vision du but à atteindre (l’union totale) est présente (Pandaros est bon archer et a emporté son arc), il craint l’inconnu, refusant de mettre ses forces à l’épreuve : cet élément qui supporte le yoga de la séparation correspond à la crainte du chercheur d’être incapable de faire face aux défis du nouveau yoga et à celle d’y épuiser ses forces.

Mais le guide intérieur lui apporte alors une force et une lumière supérieures (Athéna dissipa l’ombre qui voilait ses yeux) et en même temps, lui fait comprendre qu’il n’est pas encore prêt pour affronter les divinités du surmental, à l’exception de celle qui incarne l’amour et a été choisie comme voie évolutive au détriment des voies de croissance de l’être intérieur et de la vérité (Athéna recommande à Diomède d’éviter l’affrontement avec les dieux à l’exception d’Aphrodite). Cette recommandation permet de comprendre que le chercheur est parvenu à un niveau très proche du surmental.

Diomède tua de nombreux Troyens :
Astynoos et Hypeiron,
Abas et Polyidos, fils d’Eurydamas,
Xanthe et Thôon, fils de Phénops,
Echemmon et Chromios, fils de Priam : ceux-là, il les humilia en les contraignant à descendre de leur char et en prenant leurs armes.

En voyant l’action de Diomède au combat, Énée sollicita à nouveau Pandaros pour qu’il décochât une nouvelle flèche. Comme ce dernier lui rétorquait qu’il était parti vers Troie sans ses onze chars, Énée l’invita à monter à bord du sien auquel étaient attelés les chevaux que Zeus avait donnés à Tros en échange de Ganymède. Énée lui ayant laissé le choix, il choisit la place du combattant plutôt que celle du cocher.
Parvenu près du char de Diomède, Pandaros lança sa javeline mais ne put le blesser. Diomède le tua alors de sa lance puis d’une pierre énorme, broya la hanche d’Énée. Tandis qu’Aphrodite se hâtait pour soustraire son fils du combat, Diomède la poursuivit et la blessa au poignet, de sorte qu’elle laissa choir Énée. Ce fut Apollon qui alors l’enleva du champ de bataille.
Souffrante, Aphrodite implora son frère Arès de lui donner son char pour rejoindre l’Olympe. Là, sa mère Dioné lui enjoignit de se résigner devant l’épreuve, arguant que d’autres dieux avant elle avaient déjà souffert pour les mortels, comme Arès enchaîné treize mois durant dans une jarre par Otos et Éphialtès, ou encore comme Héra et Hadès blessés chacun d’une flèche par Héraclès.

Énée (Αινειας) « la conscience en évolution (vers l’Amour) » qui « considère l’homme dans son intégralité » (Énée est le fils d’Aphrodite et d’Anchise) appartient à la branche d’Assarakos « celui qui n’est pas troublé ». Il reprendra symboliquement la direction de la quête après la mort des principaux descendants de son frère Ilos « le mouvement vers la libération », Hector, Alexandre et Astyanax (Énée doit régner sur la Troie future). Il représente donc la reprise du yoga pour la croissance de l’amour une fois réalisée l’unité esprit-matière. Symbole de l’évolution future de l’humanité, il doit nécessairement survivre à la guerre.
Mais à ce stade, cette volonté d’évolution vers l’amour est encore inhibée par la certitude d’une divinisation impossible du vital archaïque et du corps. Dans ce chant, elle tente toutefois de s’imposer en s’alliant à ce qui veut « tout donner au mouvement juste vers l’union » mais est sans force (Énée sollicite Pandaros). Cette prétention à l’amour tente d’écarter ce qui veut réaliser la non-dualité (Diomède), mais comme le mouvement auquel elle s’unit est sans force, c’est un échec : « ce qui a pour dessein l’unité » (Diomède) réoriente du même coup le yoga vers la primauté de l’unité : Énée est blessé à la hanche et Aphrodite au poignet, ce qui leur vaut un retrait temporaire du champ de bataille.
La blessure d’Énée à la hanche indique une faiblesse au niveau de l’articulation avec le vital inférieur, symbole d’une conversion du vital imparfaite, et la blessure au poignet d’Aphrodite exprime l’arrêt temporaire de toute possibilité d’agir au nom de l’amour.

Diomède continua à s’acharner à plusieurs reprises contre Énée qu’Apollon défendit. Le dieu en colère l’avertit de ne pas vouloir égaler les dieux puis déposa Énée dans la citadelle de Troie où Léto et Artémis lui rendirent force et gloire. Puis Apollon fabriqua un fantôme d’Énée qu’il plaça dans la mêlée, demandant en même temps à Arès de retirer Diomède du combat.
Sarpédon, venu pour soutenir les Troyens de la Lycie lointaine où coule le Xanthe, interpella Hector pour l’inciter au combat. Arès, pour soutenir le camp troyen, couvrit la bataille d’une nuit soudaine, et stimula les troupes comme le lui enjoignait Apollon. Énée, remis de sa blessure, retourna au combat.
Agamemnon tua Déicoon, fils de Pergase.
Énée tua Créthon et Orsiloque, fils de Dioclès, lui-même fils d’Ortiloque.
Ménélas tua Pylémène « égal d’Arès ».
Antiloque tua Mydon, fils d’Atymnios.

Arès marchait à la tête des Troyens ayant pris l’apparence d’un mortel. Diomède le vit et recula, exhortant ses hommes à ne pas entrer en lutte franche avec les dieux.
Hector tua Ménesthé et Anchiale.
Ajax tua Amphios, fils de Sélague, mais ne put prendre ses armes.
Tlépolème, fils d’Héraclès, affronta Sarpédon, chef des Lyciens. Tous deux, gravement blessés, furent éloignés du combat par leurs compagnons.
Ulysse tua Coerane, Alastor, Chromios, Alcandre, Halios, Noémon, Prytanis.
Hector aidé d’Arès tua Teuthras, un Oreste homonyme, Tréchos, Oinomaos, Hélénos et Oresbios.

Héra et Athéna s’équipèrent pour le combat tandis qu’Hébé préparait le char d’Héra. Puis les Heures ouvrirent aux deux déesses les portes du ciel. Parvenue sur le champ de bataille, Héra sollicita de son divin époux la permission de frapper Arès, mais Zeus lui dit d’envoyer Athéna contre lui, habituée qu’elle était déjà de l’éprouver durement. Celle-ci, après avoir stimulé l’ardeur de Diomède contre Arès, monta à bord de son char.
Arès dépouilla Périphas, fils d’Ochésios.
Athéna, coiffée du casque d’Hadès, dévia la pique qu’Arès avait lancé contre Diomède.
Ce dernier tendit alors sa lance vers Arès et Athéna la poussa dans le ventre du dieu. Blessé, Arès poussa un cri terrible puis se réfugia sur l’Olympe et se plaignit auprès de Zeus. Mais celui-ci refusa de s’attendrir tout en demandant à Péon de le guérir.

« L’évolution future vers l’Amour » ne pouvait cependant rester affaiblie longtemps, et l’être psychique dans sa fonction de purification le réintroduit comme un élément fondamental dont la place dans le yoga futur doit être clarifiée (Énée est remis d’aplomb par Léto et Artémis). Toutefois, à ce moment du combat, « « la lumière psychique » considère que le chercheur ne doit jamais être privé de cette conscience de la nécessaire progression vers l’amour, même privée de toute possibilité d’action (Apollon place un fantôme d’Énée parmi les combattants en attendant qu’il revienne au combat).
Tandis qu’une certaine « sagesse » issue de « la lumière naissante » provenant des hauteurs de l’esprit stimule le « juste mouvement d’ouverture de la conscience vers l’esprit » (Sarpédon venu de la Lycie où coule le Xanthe exhorte Hector au combat), une force « qui détruit les formes périmées » issue du supraconscient provoque « une nuit » (Arès couvrit la bataille d’une nuit soudaine) : ces nuits qui jalonnent à de nombreuses reprises le parcours du chercheur ont déjà été évoquées. Celle qui est mentionnée ici ne semble ni plus terrible ni plus longue que les autres, mais semble indiquer une profonde errance ou incertitude sur le chemin à suivre, car le combat ne peut continuer dans cette nuit dont profite « l’amour en évolution » pour se réintroduire dans le conflit intérieur (Énée revient au combat).
La force du supraconscient « qui détruit les formes périmées » mais aussi « conserve celles qui ne sont pas prêtes au changement » devient alors très active pour supporter les anciennes voies de yoga (Arès s’active du côté troyen selon les ordres d’Apollon). Si le chercheur en prend conscience, il ne se sent pas prêt pour affronter les forces qui soutiennent encore la séparation esprit/matière (Diomède reconnaissant Arès et Ényo frissonna et rebroussa chemin).
Mais d’autres forces du supraconscient entrent alors en jeu : « celle qui exprime le juste dans les limites de l’incarnation » (Héra) et « celle qui veille à la croissance de l’être intérieur (le maître intérieur) ». Cette intervention ne peut se produire que lorsque l’égalité, l’exactitude dans l’action et la pureté sont bien installées dans l’être (ce sont les Heures – Eiréné (équanimité), Diké (juste manière d’agir), et Eunomia (ordre vaste) qui ouvrent les portes du ciel).

À ce stade, le chercheur est conscient de la plupart des forces spirituelles qui l’assistent, mais c’est depuis l’inconscient que le guide intérieur apporte son aide pour l’action (tandis qu’Arès par exemple peut être vu par Diomède, Athéna est munie du casque d’invisibilité d’Hadès).
La force qui soutient la séparation (destruction des formes) est alors affaiblie (Arès est blessé).

Chant VI : Entretiens d’Hector

Le grand Ajax tua Acamas, fils d’Eussorre, le plus brave des Thraces.
Diomède tua Axylen, fils de Teuthras.
Euryale, fils de Mécistée, tua Drèse, Opheltios, Esèpe et Pédase.
Polypoetès tua Astyale.
Ulysse abattit Pidytès.
Teucer occit Arétaon.
Antiloque frappa Ablère.
Agamemnon causa la mort d’Elaté.
Léite tua Phylaque.
Eurypyle anéantit Mélanthos.
Agamemnon tua Adraste (à ne pas confondre avec l’Adraste argien).

Nestor stimula les Achéens qui firent refluer les Troyens. Mais Hélénos, fils de Priam, s’adressant à Hector et Énée, leur demanda d’arrêter la déroute troyenne tandis qu’Hector se rendrait auprès de leur mère Hécube pour lui demander d’intercéder auprès d’Athéna afin qu’elle écarte Diomède du combat.
Diomède se préparait à affronter Glaucos, le fils d’Hippoloque de Lycie, et s’enquit de son identité. Glaucos se présenta comme un descendant de Bellérophon, le meurtrier de la Chimère, lui-même descendant de Sisyphe par un autre Glaucos homonyme. A ces mots, Diomède déposa les armes, car son grand père Oineus (Œnée) avait accueilli chez lui Bellérophon, ce qui faisait de Glaucos un hôte héréditaire. Ils échangèrent même leurs armes, celles en or de Glaucos contre celles en bronze de Diomède.
Hector se rendit au palais de Priam, qui comprenait cinquante chambres pour les fils et douze pour les filles, afin d’accomplir ce qui avait été décidé par les chefs troyens. Il demanda donc à sa mère Hécube de faire une offrande à la déesse Athéna afin qu’elle écarte Diomède du combat, mais celle-ci refusa de l’exaucer.
Hector « aimé de Zeus » se rendit alors auprès de Pâris-Alexandre et l’accusa de ne pas s’être encore engagé dans le combat. Hélène lui répondit que son mari était sans volonté (Phren).
Hector se rendit ensuite auprès de sa femme Andromaque, fille d’Éetion, et de son fils Astyanax. Celle-ci, ayant rappelé que ses sept frères et son père avaient été tués par Achille, supplia son époux de rester sur les remparts et de rassembler ses troupes en dessous près du figuier sauvage. Andromaque ajouta que trois assauts avaient déjà été livrés par les chefs achéens du côté du figuier, là où le mur était le plus facile à détruire. Hector lui répondit qu’il savait la chute de Troie inéluctable mais se souciait davantage de la honte qui rejaillirait sur lui et sa famille s’il ne retournait pas au combat.
Il repartit alors accompagné d’Alexandre/Pâris « resplendissant comme un soleil » et lui dit : « aucun homme ne saurait blâmer ta conduite au combat, car tu es vaillant ; mais de toi-même tu laisses tout aller, tu n’as point de volonté ».

C’est à nouveau Diomède « celui qui a le dessein d’être divin » qui est l’objet essentiel de ce chant, celui que craignent les Troyens bien plus qu’Achille : en effet, il représente ce qui dans le chercheur, après avoir réalisé l’union en l’esprit, ne veut pas séparer l’esprit de la matière et est le plus apte à anéantir les obstacles au changement. Ce n’est certainement pas « ce qui veut s’échapper de l’incarnation » (Hécube) qui peut faire cesser ce mouvement en implorant l’aide du guide intérieur (Athéna), même si la demande provient d’un travail d’ouverture de l’esprit (Hector).

Diomède se préparait à affronter Glaucos « l’étincelant », fils d’Hippoloque « le pouvoir naissant » qui provient d’une vraie connaissance (de la Lycie « la lumière naissante »). Ce n’est toutefois qu’une connaissance mentale issue de la perte des illusions car le grand-père de Glaucos est Bellérophon, vainqueur de la Chimère dans la lignée de Sisyphe.
Mais le grand-père de Diomède « celui qui a le dessein d’être divin », Oineus « celui qui travaille à la joie », avait accueilli le grand-père du second, Bellérophon « celui qui vainc l’illusion », créant un rapport étroit entre ces deux progressions dans le yoga : le travail sur la joie qui provient de l’annihilation de soi-même (Oineus « le vigneron », fils de Porthaon « qui est saccagé ») fournit une aide conséquente à la lutte contre les illusions. Ce lien ne pouvait être rompu dans leurs développements, du moins au début du processus de retournement, car Glaucos, représentant la clarté issue du mental logique, sera finalement tué bien plus tard par Ajax « le travail d’élargissement de la conscience dans l’incarnation ».
Cet épisode indique qu’il ne doit pas être mis fin à l’usage de l’intellect prématurément.
Mais il est cependant possible de transférer à ce stade vers le travail d’union les moyens d’action les plus perfectionnés élaborés par le mental logique en vue de la clarté mentale (les armes en or de Glaucos), ce dernier acceptant une efficacité moindre (les armes en bronze). Diomède est en effet lié à un fonctionnement totalement intuitif puisque son ancêtre Endymion a déjà réalisé le silence mental (il a demandé à son amante Séléné de lui procurer un sommeil éternel).

Il y a alors dans le mouvement d’ascension une tentative pour que « l’ouverture vers l’esprit » par « la lutte » opère une mutation vers davantage d’abandon entre les mains de l’Absolu. Mais le chercheur n’est pas prêt à lâcher prise, se pensant encore seul responsable de son yoga (Andromaque « celle qui combat » incite Hector à adopter une position purement défensive, mais ce dernier s’y refuse, prétextant la honte).
Achille avait déjà grandement affaibli cette attitude « active de lutte » en tuant le père d’Andromaque Éetion « la conscience mentale la plus haute » et ses sept fils, tout en reconnaissant son utilité passée (il avait honoré Éetion en ne lui prenant pas ses armes).
Ce qui maintient la séparation sent déjà sa position faiblir, car la partie du chercheur qui parvient à la Connaissance suprême issue de la vacuité, à l’Unité d’où naît la dualité, est proche d’abolir les croyances qui soutiennent cette séparation (Andromaque ajouta que trois assauts avaient déjà été livrés par les chefs achéens du côté du figuier, là où le mur était le plus facile à détruire). Le figuier est en effet le symbole de la Connaissance la plus haute issue de la Vacuité qui tout contient, et ses fruits symboles de l’unité dans la diversité : lorsque le guerrier parvient à s’installer en ce lieu, les fondements de la séparation sont automatiquement annulés. Le mur qui protège la séparation est donc nécessairement faible à proximité du figuier.

La dernière partie de ce chant laisse entendre que le chercheur sait à ce moment-là que le renversement est inévitable (Hector répondit à sa femme qu’il savait la chute de Troie inéluctable) mais aussi que son désintérêt des affaires du monde pèse lourdement sur la défense de l’ancien yoga (Alexandre n’a pas de volonté – phren – ainsi que l’avait déjà dit Hélène). Ce désintérêt caractérise celui qui est immergé dans le Soi et qui aurait les moyens de travailler sur sa nature extérieure mais n’a plus aucune motivation pour le faire. Il faut se souvenir en effet qu’Alexandre représente le travail de « l’égalité » qui s’est interrompu lorsque Pâris est devenu Alexandre.

Chant VII : Duel d’Hector et d’Ajax

Alexandre tua Ménesthios, fils d’Areithoos.
Hector tua Eionée.
Glaucos tua Iphinoos

Contemplant ce massacre des Achéens, Athéna descendit sur le champ de bataille. Apollon aussitôt vint au-devant d’elle, lui proposant une trêve d’un jour. Pour l’obtenir, tous deux stimuleraient l’ardeur d’Hector contre les Danaens qui à leur tour susciteraient un champion contre lui. Hélénos qui était devin comprit en son cœur le plan des divinités et le transmit à Hector qui le mit en œuvre avec contentement.
Les troupes cessèrent donc le combat. Athéna et Apollon s’installèrent sur le chêne de Zeus pour jouir du spectacle. Hector défia alors les Achéens pour le seul enjeu de la gloire et de la prise des armes de l’adversaire. Ménélas voulut relever le défi, mais Agamemnon l’en dissuada, considérant ses chances devant Hector trop faibles.
Neuf héros se proposèrent alors pour affronter le chef troyen : Agamemnon, Diomède, les deux Ajax, Idoménée, Mérion, Eurypylos, Thoas et Ulysse. Le tirage au sort désigna le grand Ajax.
Après un combat à l’issue incertaine, alors que les combattants étaient sur le point de se battre à l’épée, les hérauts Talthybios (achéen) et Idaios (troyen), messagers de Zeus et des hommes, proposèrent l’arrêt du combat car la nuit venait. Hector accepta et invita le grand Ajax à échanger avec lui de glorieux présents afin que leur amitié restât célèbre. Puis les deux héros rejoignirent leurs camps respectifs et tous festoyèrent.
Dans le camp achéen, Nestor proposa de construire des fortifications, ce qui fut approuvé par tous.
Dans le camp troyen, Anténor suggéra de rendre Hélène et ses biens, ce qu’Alexandre refusa, proposant seulement de rendre les trésors en y ajoutant si nécessaire ses biens propres. Priam décida donc d’envoyer le héraut Idaios vers les Achéens porteur de l’offre d’Alexandre et de la demande d’une trêve pour enterrer les morts.
Les Achéens repoussèrent l’offre mais acceptèrent la trêve. Après avoir enterré leurs morts, ils construisirent des fortifications comme l’avait suggéré Nestor.
Poséidon se plaignit à Zeus car les Achéens n’avaient pas offert aux dieux les hécatombes prescrites avant d’édifier les fortifications. De plus, il craignait que la gloire future de ce mur n’estompe celle de celui qu’il avait édifié avec Apollon pour Laomédon. Mais Zeus ne lui permit de l’abattre qu’une fois la guerre terminée.
Puis tandis que les Achéens festoyaient, Zeus fit entendre un tonnerre effrayant. Terrorisés ils n’osèrent plus boire avant d’avoir offert une libation au dieu. Puis tous s’endormirent.

Les forces du supraconscient font en sorte qu’une pause intervienne dans le mouvement de réorientation du yoga (Apollon et Athéna décident d’une trêve).
Le travail de vérité intuitif qui s’effectue dans l’esprit oriente le mouvement de séparation dans une opposition plus ciblée contre ce qui veut réorienter le yoga, ce qui aurait pour avantage de ne pas épuiser ses forces inutilement (Hélénos informe Hector du plan des dieux pour un combat singulier).
Le chercheur ne sait pas exactement ce qui peut arrêter en lui « le yoga qui sépare », mais il sait que « la fidélité à sa vision » est insuffisante (Ménélas ne peut l’emporter et c’est Ajax qui est choisi par le sort).
Dans cette lutte, les deux réalisations les plus achevées de la conscience – celle de l’ouverture vers les hauteurs de l’esprit avec Hector et celle de son élargissement dans l’incarnation avec Ajax – se maintiennent à égalité. Le chercheur admet alors que les deux mouvements de yoga se valent et ont été jusqu’alors tous deux indispensables, même si l’un des deux doit désormais céder le pas (Hector et le grand Ajax scellent leur amitié par des présents).

Le chercheur, dans le cadre de « l’évolution juste de la rectitude » qu’il poursuit depuis longtemps, établit en lui des « protections » pour soutenir la nouvelle direction de yoga (sur l’avis de Nestor qui est très vieux, les Achéens construisent des fortifications). Le nouveau yoga implique en effet une participation consciente de l’homme alors que l’ancien était mené par les seules forces de l’Esprit et de la Nature.
Le chercheur espère ensuite qu’une acceptation partielle d’abandonner certains fruits des réalisations obtenues par son aspiration et sa « volonté inébranlable » suffise à pacifier son conflit intérieur, sans abandonner toutefois sa conception séparatrice esprit/matière (Alexandre proposa de rendre seulement les trésors de Ménélas). Mais le renversement du yoga exige un abandon total des anciennes structures et de leurs fruits (l’offre est repoussée par les Achéens).
Le subconscient, dont l’aide consiste le plus souvent en une opposition, réclame la destruction du mur Achéen, car il craint que le chercheur n’ait tendance à oublier les « protections » qui ont permis l’accès à la libération en l’esprit au profit des nouvelles voies (Poséidon craint que la gloire du mur achéen n’efface celle du mur troyen que lui-même et Apollon ont édifié).
Mais le supraconscient n’autorise la destruction des structures protectrices nouvelles qu’une fois le renversement définitif du yoga opéré (Zeus autorisa Poséidon à détruire le mur seulement à la fin de la guerre).
Il est difficile de donner un descriptif de ces « protections » qui ne durent que le temps du renversement du yoga car Homère n’en donne pas les détails et nous avons peu de connaissances sur ce sujet. Elles relèvent sans doute de l’occultisme mais peut concerner aussi des méthodes particulières de yoga (mantra, etc.).
La destruction future du mur achéen par Poséidon laisse entendre que ces protections ou bien ne seront plus nécessaires, ou bien seront des obstacles au yoga futur qui travaillera sur la conscience du corps et des cellules.

Le chercheur expérimente alors la puissance du supraconscient (Zeus fit retentir un tonnerre effrayant).

Chant VIII : Interruption du combat

Alors que « l’Aurore en robe de safran s’épandait sur toute la terre », Zeus rassembla les dieux et leur interdit d’intervenir dans les combats. Toutefois, il permit à Athéna de conseiller les Argiens, admettant qu’il n’avait pas parlé « d’un cœur tout à fait franc ». Puis il se retira sur l’Ida, la cime du Gargare, « mère des fauves », où il avait son sanctuaire, observant de là-haut la mêlée sanglante. Au milieu du jour, il prit sa balance d’or qui pencha en faveur des Troyens « dompteurs de cavales ». Il répandit alors une lueur flamboyante sur les Argiens qui ébranla le courage de leurs chefs. Nestor eût alors perdu la vie s’il n’avait été protégé de l’attaque d’Hector par Diomède qui poussa un cri terrible. Celui-ci ensuite tenta en vain de retenir Ulysse qui courait vers les vaisseaux. Puis il prit Nestor pour conduire son char auquel étaient attelés les chevaux de Tros pris à Énée, afin d’être lui-même disponible pour le combat. Par deux fois, il manqua Hector mais tua son cocher Éniopée, fils de Thébée, aussitôt remplacé par Archéptolème, fils d’Iphitos.
Zeus alors lança sa foudre devant le char de Diomède, créant la panique dans l’attelage. Nestor, saisi d’effroi, conseilla alors à ce dernier de retourner vers les vaisseaux. En dépit de sa honte, Diomède tourna bride. Il fut poursuivi par les moqueries d’Hector, qui, considérant sa bonne étoile, stimula l’ardeur de ses troupes. Puis il engagea ses coursiers – Xanthe, Podargé, Éthon et le divin Lampos – à lui revaloir les soins que leur avait prodigués sa femme Andromaque.
Alors que les Troyens enfonçaient les lignes achéennes, Héra inspira Agamemnon qui, un carré de pourpre à la main, stimula à son tour ses troupes. Comme il implorait Zeus, le roi des dieux entendit sa prière et envoya son aigle déposer un faon sur l’autel pour le sacrifice. Tous comprirent l’origine du signe.
Diomède tua Agélaos, fils de Phradmon.
Teucer (Teucros) le bâtard abattit de ses flèches Orsiloque, Ormène, Ophéleste, Daitor, Chromios, Lycophonte, Amopaon, Mélanippé et Gorgythion fils de Priam.

Diomède tua aussi Archéptolème, le nouveau cocher d’Hector, aussitôt remplacé par son frère Cébrion. Hector blessa Teucer d’une pierre, mais son demi-frère Ajax le protégea et fit en sorte qu’il fut ramené sur les vaisseaux pour être soigné.
Puis les Troyens acculèrent les Achéens à leurs vaisseaux. Voyant cela, Héra et Athéna décidèrent de transgresser les ordres de Zeus et se préparèrent au combat. Héra équipa ses coursiers tandis qu’Athéna enfilait la tunique de Zeus et revêtait ses armes. Mais Zeus les vit franchir les portes de l’Olympe. Fort courroucé, il envoya Iris les arrêter avec de terribles menaces.
À nouveau rassemblé sur l’Olympe, Zeus, ignorant la colère des deux déesses, annonça les évènements à venir : les Achéens lutteraient pour le corps de Patrocle, ce qui déciderait le retour d’Achille au combat.
La nuit fit alors cesser le combat et Hector ordonna qu’on allume partout des feux afin que nul Achéen ne puisse s’enfuir en profitant de la nuit.

L’aurore mentionnée au début de ce chant est vêtue d’une robe couleur safran, ce qui indique un détachement propre à celui qui a développé une grande consécration, celle du sannyasin « le renonçant ». Dans l’Odyssée, Éos est appelée « la déesse aux doigts de rose », faisant référence à la délicatesse avec laquelle le Divin guide l’évolution.

Le chercheur à ce stade traverse une phase dans laquelle il perd le contact étroit avec les forces de l’esprit (l’interdiction faite par Zeus aux dieux de se mêler du combat). Lui qui se reposait jusqu’alors sur sa perception supérieure du juste et sur son contact intérieur ne peut plus désormais compter que sur ses propres forces.
Le supraconscient « observe depuis les hauteurs », depuis un lieu d’union, l’Ida, mais installé sur une cime qui contredit le sens juste de l’impulsion évolutive de la conscience la plus haute au profit de la nature instinctive (la cime Gargare dont le nom est construit comme le Tartare : ici ΡΓ, ce qui va en sens inverse de l’impulsion de l’esprit, est « mère des fauves »). Depuis cette cime, la balance ne peut pencher que du côté troyen, ce qui ne manqua pas de se produire (Zeus prit sa balance d’or qui pencha en faveur des Troyens).
Le chercheur manque alors de perdre sa « rectitude » qui est sauvée de justesse par « ce qui a le dessein d’être divin » alors que le travail d’union des polarités cesse de participer à l’ascèse (Nestor est secouru par Diomède tandis qu’Ulysse rentre aux vaisseaux). Ce « dessein de divinisation » permet également de venir à bout de ce qui maintient les énergies tournées vers les hauteurs de l’esprit (Diomède tua le cocher d’Hector, Éniopée « celui qui tient les rênes ») mais une volonté encore davantage orientée vers la séparation prend aussitôt la place (il est remplacé par Archéptolème « la logique du combat », issue de la « profonde séparation » de celui qui se maintient dans l’esprit en refusant la matière, Iphitos).
Ce qui dans le chercheur travaille à l’union est alors obligé de céder du terrain tandis que le mouvement d’ouverture vers l’esprit est stimulé (Zeus força Diomède à se retirer du combat tandis qu’Hector stimule ses troupes). L’ancien yoga demande aussi leur soutien aux pouvoirs (forces vitales) qui furent développés par « le combat ancien du yoga » (Hector demande leur soutien aux chevaux élevés et nourris par Andromaque) : Xanthe « jaune-doré », la force vitale qui tend vers l’immortalité par une identification de cette force avec le Vital large ou Vital cosmique (Xanthe est aussi un autre nom du fleuve Scamandre, le fleuve de Troie), Podargé « aux pieds blancs », soit une force vitale purifiée dans son contact avec la matière, Éthon « enflammé » et le divin Lampos « illuminé » qui furent nourris par Andromaque « celle qui combat ».

D’un autre côté, en réponse à son aspiration, le chercheur reçoit par une inspiration précise une réponse à sa prière : le supraconscient lui indique le sacrifice nécessaire en vue d’une plus grande pureté et intégrité (Agamemnon implora Zeus qui envoya son aigle déposer un faon sur l’autel). Ce signe permet une vaste progression dans différents domaines (Diomède et Teucer tuent de nombreux Troyens) et surtout la fin de l’énergie vitale pervertie qui soutient la fuite dans l’esprit (Mélanippé). (Le cocher d’Hector est à nouveau tué et remplacé par son frère dont la signification du nom nous échappe.)
Puis Hector blessa Teucer, héros qui par ses parents fait le pont entre les deux camps : il est en effet le fils d’Hésione, sœur de Priam, et de Télamon, fils d’Éaque, qui est aussi le père d’Ajax. (Rappelons que c’est Héraclès qui avait donné la captive Hésione à Télamon lors de sa campagne contre Troie.) Par cette blessure, la rupture entre les deux voies est définitivement entérinée. Mais Teucer qui se bat dans le camp achéen ne doit pas mourir car il représente, selon les lettres structurantes, « une ouverture juste vers les sommets de la conscience ».
Le chercheur craignant alors l’échec de la mutation du yoga, des forces spirituelles se préparent à intervenir (les Troyens acculèrent les Achéens à leurs vaisseaux, ce que voyant, Héra et Athéna décidèrent de transgresser les ordres de Zeus). Mais le plus haut du supraconscient arrête cette mobilisation et fait savoir qu’il faut d’abord décider du sort à réserver aux « anciens yogas » et relancer le mouvement qui se préoccupe de la purification à la racine du vital par l’examen des infimes mouvements de la conscience en vue d’achever le processus de libération (les deux camps doivent lutter pour le corps de Patrocle, et Achille doit revenir au combat).

Chant IX : Ambassade auprès d’Achille

Alors que les Achéens étaient en déroute, un grand découragement s’empara d’Agamemnon. Comme Diomède le traitait de lâche, Nestor les encouragea au repos, à la réflexion et au débat. Puis il invita Agamemnon à réparer l’offense faite à Achille, ce que le chef achéen accepta. Il offrit non seulement de rendre Briséis, précisant même que jamais il n’était entré dans son lit, mais aussi de donner à Achille de nombreuses richesses, femmes, villes et même l’une de ses filles en mariage.
Une délégation fut donc désignée par Nestor pour se rendre auprès d’Achille. Elle comprenait Phénix, Ajax et Ulysse, avec une escorte composée d’Eurybatos et d’Odios.
Achille leur fit bon accueil. A côté de lui se tenait son oncle Patrocle, fils de Ménoitios « égal aux dieux ». Ulysse transmit l’offre d’Agamemnon, rappelant à Achille, lorsqu’il s’embarqua pour la guerre, les mots de son père Pélée : « La victoire, c’est Athéna et Héra qui te la donneront, si elles le veulent, mais c’est à toi qu’il appartient de maîtriser ta colère, car la douceur est préférable ».
Achille, qui ne pensait pas Agamemnon prêt à reconnaître sa valeur et à payer l’affront, énonça ses griefs et refusa l’offre. Il rappela le destin que lui avait prédit sa mère : soit il mourrait au combat et serait auréolé d’une gloire impérissable, soit il pourrait jouir d’une longue vie en ses foyers et profiter de ses richesses mais serait privé de gloire.
Il annonça donc son départ pour le lendemain et proposa à Phénix de l’emmener. Ce dernier s’était réfugié au palais de Pélée pour fuir un rude conflit avec son père. Il avait veillé sur l’enfance d’Achille et l’avait formé tant pour la parole exacte que pour l’acte juste.
Phénix tenta de fléchir Achille en évoquant un cas semblable : la guerre des Courètes et des Étoliens à laquelle Méléagre refusa longtemps de participer avant de s’impliquer et d’écarter finalement le danger. Il ne put cependant se résigner à se séparer de celui qu’il avait élevé.
Achille renvoya la délégation en informant Ajax qu’il ne se mobiliserait que lorsqu’Hector serait parvenu aux baraques et aux nefs des Myrmidons. Puis dans sa baraque, tous se couchèrent. À ses côtés dormait la jolie Diomédée, la fille de Phorbas, et Iphis était étendue auprès de Patrocle.
La délégation s’en revint auprès d’Agamemnon et lui fit son rapport. Diomède recueillit l’assentiment de tous lorsqu’il conclut qu’il fallait laisser Achille devant ses propres responsabilités.

La « puissante aspiration » qui est aussi « volonté intelligente qui aspire au perfectionnement de l’homme » semble enfin prête à reconnaître son erreur qui était « un défaut d’humilité » et à admettre que seul « le travail dans les profondeurs » permettra d’acquérir « la puissance de transformation (par l’union avec le Divin) ou le pouvoir de la compassion » (Agamemnon propose de rendre Briséis à Achille). Mais le chercheur refuse encore de s’investir dans ce travail, même si celui-ci lui a déjà permis de remporter quelques victoires secondaires (la conquête par Achille des villes de Troade), car il attend la preuve que l’ensemble de son être en ait reconnu l’importance fondamentale (Achille attend qu’Agamemnon ait entièrement payé l’affront).
Le chercheur est même prêt à transférer le meilleur de ses réalisations à ce yoga qui doit achever la libération vitale (Agamemnon est prêt à donner l’une de ses filles en mariage à Achille). Il comprend enfin que la seule « volonté intelligente » (la buddhi) qui aspire fortement à une amélioration de l’homme actuel est non seulement insuffisante pour réaliser le renversement mais n’a pas encore totalement renoncé à son but (Agamemnon, époux de Clytemnestre, et descendant de Pélops et Hippodamie, n’a pas encore payé l’affront).

C’est le travail de la rectitude qui tente de trouver un équilibre supérieur des forces mobilisées pour le renversement, sans toutefois envisager un changement radical (c’est Nestor qui convainc Agamemnon et organise la délégation). Il a été l’un des piliers du yoga depuis le début et a permis de développer l’aspect « équilibre » des gunas, celui qui se fonde sur le mental (sattva) et produit la sagesse. Autrement dit, le chercheur voudrait introduire le nouveau yoga sans lâcher certaines modalités devenues inopérantes.
Pour cet essai de « conciliation », le chercheur mobilise en lui :
– Phénix « celui qui est pourpre » (au chant précédent, Agamemnon stimulait ses troupes un carré de pourpre à la main). Il symbolise l’une des premières réalisations dues au psychique, car il a formé Achille « tant pour la parole exacte que pour l’acte juste », peut-être un « pouvoir dans le vital ».
– Ajax « le travail d’élargissement de la conscience » dans l’incarnation.
– Ulysse, celui qui travaille à réaliser « l’union des deux courants qui relient l’esprit et la matière » ou «  l’unification des deux pôles » depuis la lumière surmentale.
Lors de ce mouvement, il tente de se convaincre de la suprématie de « l’équilibre » (sattva)(Ulysse rappelle à Achille que sa mère lui a recommandé la douceur). (Rappelons que la réalisation sattvique – l’état d’équilibre – n’est qu’une étape du yoga qui doit être dépassée. Mais à ce stade, c’est encore le travail d’Ulysse.)

A ce moment, le chercheur se remémore aussi avoir eu l’intuition qu’il ne pourrait jouir de « l’accomplissement de la libération sur les deux plans mental et vital » – c’est-à-dire de la réalisation complète des états de sagesse et de sainteté – qu’un temps très court s’il voulait poursuivre le chemin vers l’union intégrale de l’esprit et de la matière. (Il renonce en fait seulement à la plus haute sagesse puisqu’il a déjà renoncé à la sainteté.) Dans le cas contraire, sa progression s’arrêterait là et son âme serait déçue même s’il avait la possibilité de profiter longtemps de ses nombreuses réalisations (il pourrait jouir d’une longue vie en ses foyers et profiter de ses richesses mais il serait privé de gloire).

Aussi le chercheur retarde-t-il indéfiniment le moment de s’engager dans un yoga total, jusqu’au moment où « la plus haute ouverture dans le domaine de l’esprit » se confrontera à « la quête de liberté totale dans le vital » (lorsqu’Hector sera face à Achille). Hector est en effet le symbole d’un état de pureté et de beauté suffisant pour ne pas avoir la perception de la laideur et du mal, pour ne pas en être affecté et donc pour en être détaché, car le chercheur se maintient dans les hauteurs de l’esprit.
En attendant, « ce qui veut poursuivre le mouvement de libération » par la purification est tendu vers « ce qui a le dessein d’être divin » ou « la volonté de perfection totale » dans l’incarnation (Achille dort avec Diomédée, fille de Phorbas), tandis que « les glorieuses réalisations passées » dans le processus de purification sont encore très présentes ou rayonnent encore puissamment (Patrocle est lié à Iphis). Ce qui laisse entendre que jusqu’à la mort de Patrocle, le chercheur peut s’appuyer sur les anciens processus de purification.

Chant X : La surveillance du camp ennemi (La Dolonie)

Agamemnon fit réveiller les autres chefs pour un conseil : Ménélas, Ajax, Idoménée, Ulysse « que sa pensée égale à Zeus », Diomède, Mérion, Nestor et son fils Thrasymède.
Comme Nestor les sollicitait pour aller espionner les Troyens, Diomède se porta volontaire le premier et choisit Ulysse pour l’accompagner parmi tous ceux qui se proposaient. Ce dernier fut équipé d’un casque en cuir hérissé de dents de sanglier qui avait été transmis par Autolycos à Amphidamas, puis à Môle et enfin à Mérion. Tous deux firent une prière à Athéna, prière qui fut entendue.
Dans le camp troyen, Hector convoqua de même les chefs car il était en quête d’un guerrier pour aller espionner les Achéens. Dolon, fils d’Eumède se proposa à condition que les chevaux d’Achille lui soient octroyés après la victoire. Il se vêtit d’une peau de loup, et s’engagea dans les lignes ennemies. Il fut aussitôt démasqué par Ulysse qui, accompagné de Diomède, le poursuivit et le tua après lui avoir soutiré tous les renseignements utiles sur l’organisation des Troyens et de leurs alliés. Parmi ceux-ci figurait le contingent thrace qui venait d’arriver et dormait épuisé et sans veilleurs. Leur roi Rhésos, fils d’Eionée, avait d’extraordinaires coursiers blancs, très grands et aux sabots massifs, et ses armes gigantesques étaient en or. Profitant de ces renseignements, Ulysse et Diomède se rendirent dans ce camp thrace où Diomède fit un grand carnage, tuant même le roi, tandis qu’Ulysse liait ensemble les chevaux du roi pour les emmener. Alors que Diomède méditait encore quelque funeste action, il fut prévenu par la déesse Athéna de partir aussitôt. Et les Troyens, prévenus par Hippokoon qu’avait réveillé Apollon, se désolèrent devant l’atroce tuerie perpétrée par Ulysse et Diomède qui s’empressaient alors de rentrer dans leur camp, ramenant avec eux les extraordinaires coursiers aux sabots massifs.

Ce chant décrit un bilan des forces intérieures en présence qui s’expriment par deux mouvements : l’un dans la clarté de la conscience surmentale travaillant à l’union (Diomède et Ulysse), l’autre dans la certitude de la libération qui poursuit son mouvement vers les hauteurs de l’esprit sans être concerné par la dualité.
Le mouvement qui travaille à l’union des courants utilise une « protection intégratrice » récupérée par la lumière supérieure mentale en vue de la maîtrise, puis pour la libération par la soumission et enfin vers l’acquisition de force et de pouvoir (Ulysse fut équipé d’un casque hérissé de dents de sanglier transmis par Autolycos à Amphidamas, puis à Môle et enfin Mérion).
L’autre mouvement qui sépare l’esprit de la matière s’infiltre dans la conscience par un mouvement trompeur qui se revêt d’une apparence de lumière mais n’est absolument pas libre d’une quête de pouvoirs supérieurs (Dolon endosse une peau de loup et veut qu’on lui octroie en contre partie de sa mission les chevaux d’Achille). Mais le chercheur démasque aussitôt cette fausseté intérieure et profite de l’occasion pour récupérer à son profit les techniques remarquables ainsi que les puissants et purs pouvoirs sur la matière acquis par l’ascèse (les armes en or et les chevaux aux lourds sabots du roi thrace Rhésos). Autrement dit, tout ce qui a été développé précédemment par l’ascèse n’est pas perdu et peut servir la suite du yoga, à condition bien sûr que le chercheur soit parvenu à un total désintéressement (la mort de Dolon).

Chant XI : Exploits d’Agamemnon

Zeus envoya Éris, déesse de la discorde, encourager les Achéens. Agamemnon revêtit la cuirasse qui lui avait été offerte lors du départ pour Troie : elle comportait dix bandes bleu foncé, douze d’or et vingt d’étain, et des serpents bleu foncé – trois de chaque côté – s’élançaient à l’assaut du cou.
Les Troyens se préparèrent de leur côté.
Puis ce fut la furieuse mêlée où seule était présente Éris.
Agamemnon tua Biénor et Oilée, puis Isos et Antiphos – des fils de Priam qu’Achille avait déjà capturés et rendus contre rançon – puis Pisandre et Hippoloque, fils d’Antimaque.

Zeus protégea Hector des javelines et lui envoya Iris aux ailes d’or porteuse du message suivant : il devait se battre en laissant la victoire à Agamemnon jusqu’à ce que ce dernier soit blessé, et Zeus lui donnerait alors la force de vaincre.
Agamemnon tua Iphidamas, fils d’Anténor de Thrace, qui avait épousé Théano. Son frère Coon blessa alors Agamemnon au coude avant d’être tué par ce dernier. Mais Agamemnon, souffrant de sa blessure, dut se retirer du combat.
Hector alors s’élança et tua Asée, Autonoos, Opitès, Dolops, Opheltios, Agélas, Esymne, Horos, et Hipponoos.
Diomède tua Thymbrée et les fils de Mérops, ainsi qu’Agastrophe et le fils de Péon. Ulysse tua Molion, égal aux dieux, Hippodame et Hyperoque.
Diomède manqua de peu Hector, sa javeline se fichant dans le casque. Puis Alexandre, d’une flèche, blessa Diomède au pied. Ulysse se retrouva seul isolé au milieu des Troyens.
Ulysse blessa Déiopité, puis tua Thoon, Ennomé et Chersidamas.
Puis Ulysse blessa Charops, fils d’Hippase, et tua son frère, le riche Soque égal aux dieux qui venait de le blesser avec sa javeline. Ajax et Ménélas vinrent à son secours.
Ajax tua Dorycle et blessa Pandoque, Lysandre, Pyrase et Pylartès.
Alexandre blessa Machaon, fils d’Asclépios, que Nestor emmena aux nefs pour qu’il fût soigné.
Cébrion dirigea alors le char d’Hector vers les lignes achéennes où celui-ci fit de grands ravages. Zeus fit se lever en Ajax la crainte, mais en dépit de celle-ci, alternant élans de vaillance et replis, le héros contint seul les rangs troyens.
Eurypyle, fils d’Euémon, vint à son secours et tua Apisaon, mais il fut blessé par Alexandre. Il appela alors les Achéens à protéger Ajax, ce qui permit à celui-ci de réintégrer les troupes.

Achille qui observait le combat, envoya Patrocle voir qui était blessé.
Nestor alors conta à Patrocle ses exploits passés contre les Épéens et contre les deux Molions qui avaient Actor pour père humain et Poséidon pour père divin. Il l’engagea à convaincre Achille de se battre, ou bien à revêtir lui-même ses armes afin de tromper et effrayer les Troyens.
Patrocle, repartant vers la nef d’Achille, croisa Eurypyle qui était blessé et sentait venir la fin des Achéens. Prenant pitié, il l’emmena dans sa baraque et ôta la flèche de sa cuisse.

L’équipement d’Agamemnon, tant pour sa cuirasse que ses armes, comporte de multiples symboles qui restent à déchiffrer. Il serait possible de faire un rapprochement des couleurs de la cuirasse avec ce que Mère dit avoir perçu d’un grand maître tantrique qui avait un puissant pouvoir dans le mental physique : « il y avait cette lumière bleu foncé du pouvoir dans la Matière, qui était là, traversée par des éclairs blanc et or ».
Dans cette phase du chemin, le chercheur doit combattre avec les seules forces de sa nature sans aucune aide des forces spirituelles. Les structures qui en lui doivent changer – croyances, rigidités, etc. – se modifient par la seule confrontation au réel. Seule est présente la déesse Éris, principe de séparation : fille de Nyx (l’inconscience) pour Hésiode, elle est pour Homère fille de Zeus, sœur et compagne d’Arès, et ne cesse de croître « pour bientôt de son front toucher le ciel tandis que ses pieds toujours foulent le sol » : si elle encourage les Achéens tandis qu’Arès soutient les Troyens, c’est pour montrer que les premiers sont dans un mouvement qui cherche l’intégration totale, depuis l’esprit jusqu’à la matière, alors que les seconds suivent encore le mouvement séparateur nécessaire au renouvellement des formes.

Ce qui dans le chercheur se range du côté de l’ancien yoga comprend intuitivement que sa position doit être assouplie s’il veut la maintenir (Zeus fait savoir à Hector qu’il doit reculer avant de pouvoir reprendre l’avantage). C’est donc la vision qui considère que la nature inférieure ne peut être changée qui semble l’emporter dans un premier temps, les capacités d’actions correspondantes étant entravées sur le plan défini symboliquement par l’endroit de la blessure des chefs achéens qui représente aussi un lieu de faiblesse. Ainsi Agamemnon fut blessé au coude (l’aspiration ne peut plus guider), Diomède au pied (l’union ne peut plus se faire dans l’incarnation), Ulysse au flanc (un des courants qui joignent l’esprit et la matière est interrompu), Machaon à l’épaule (celui qui tranche n’est plus opératif sur le plan supérieur) et Eurypyle à la cuisse (la grande « ouverture » de conscience n’a plus de force pour faire progresser le yoga). Même « la conscience supérieure » perd ses repères, car c’est le moyen choisi par le supraconscient pour que rien ne soit oublié dans le travail de yoga (Zeus fit se lever en Ajax la crainte). C’est un moment dans le yoga où, malgré les moments de doutes, seule peut encore agir cet élargissement de la conscience dans l’incarnation (alternant élans de vaillance et replis, Ajax contint seul les rangs troyens).

Le mouvement qui doit accomplir le renversement (qui pour l’instant se tient à l’écart du yoga tout en en suivant le déroulement) s’appuie sur les anciennes réalisations dans la quête d’intégration pour faire le bilan (Achille envoie aux nouvelles Patrocle, fils de Ménoitios dans la lignée de Déion).
Puis le chercheur se remémore le chemin passé pour évaluer l’application des anciennes méthodes au nouveau chemin. S’il ne peut encore se décider à livrer le combat dans les profondeurs du vital, il se propose du moins de s’appuyer sur l’esprit des anciennes réalisations qui visaient l’intégration par le mental, mais en utilisant des méthodes nouvelles qui seules seraient susceptibles d’ébranler les croyances existantes sur la nature du yoga futur (S’il ne peut convaincre Achille de se battre, Nestor propose à Patrocle d’endosser ses armes, ce qui effraierait les Troyens).

Chant XII : Combats près des défenses achéennes

Le mur construit par les Achéens n’avait pas reçu l’aval des dieux à qui aucun sacrifice n’avait été offert avant sa construction. Mais il devait subsister encore quelque temps après la chute de Troie, jusqu’à ce qu’Apollon et Poséidon unissent leurs forces pour le détruire. Apollon fera converger vers lui les fleuves de Troade : l’Ida, le Rhèsos, l’Heptapore, le Carèse, le Rhodios, le Granique, l’Ésèpe, le divin Scamandre et le Simois. Pendant neuf jours les fleuves s’acharneront à le détruire, aidés par Poséidon qui dégagera les pierres et les troncs tandis que Zeus fera pleuvoir sans interruption. Puis Poséidon nivellera le terrain et remettra les fleuves dans leur lit.
Mais cela arriva bien plus tard. Pour l’heure, le combat se déroulait aux abords de ce mur. Polydamas conseilla à Hector de renoncer à faire franchir par les chars le fossé fortifié dont le bord éloigné était muni de pieux. Hector approuva et ce furent cinq colonnes de Troyens à pied qui s’élancèrent avec respectivement à leurs tête Hector, Pâris, Hélénos et Déiphobe, Énée et Sarpédon qui dirigeait le contingent des alliés de Troie.
C’est à ce moment-là qu’Idoménée tua Asios.
Léontée et Polypoitès, fils de Pirithoos, protégeaient un passage dans le mur. (Il semblerait que la fortification qui se composait au moins d’un fossé et d’un mur, comportât cinq portes qui furent assaillies par les cinq groupes.) Autour du mur, un feu prodigieux s’élevait.
Polypoitès tua Damase, Pylon et Ormène.
Léontée tua Hippomaque, Antiphatès, Ménon, Iamène et un Oreste homonyme.
C’est alors qu’un aigle tenant un énorme serpent pourpre dans ses serres survola l’armée troyenne, la laissant à sa gauche. Le serpent qui vivait encore et n’avait pas renoncé à la lutte, mordit l’aigle près du cou, et ce dernier le laissa choir.
Hector renonça à suivre l’interprétation de Polydamas, respecté pour ses conseils, et encouragea ses troupes à l’assaut. Zeus lui-même lui apporta son soutien en jetant un sort sur l’esprit des Achéens.
Mais tandis que les deux Ajax stimulaient les défenseurs achéens, Sarpédon, fils de Zeus, entraîna Glaucos et les Lyciens au combat. Leur peuple les considéraient tous deux comme des dieux. Ils s’avancèrent vers la position tenue par Ménesthée qui appela les deux Ajax et Teucer en renfort. Le grand Ajax, son frère Teucer et Pandion se précipitèrent.
Ajax tua Épiclès.
Teucer blessa Glaucos au bras.
Sarpédon tua Alkmaon puis s’affronta à Ajax et Teucer.

Puis Hector, soulevant une énorme pierre que Zeus avait rendue légère pour lui, la projeta sur la porte qui céda. Il intima alors l’ordre aux Troyens de le suivre vers les vaisseaux achéens.

Pour que soit mis définitivement fin aux structures établies temporairement pour protéger les énergies qui œuvrent au renversement, il faudra attendre encore un certain temps après qu’il ait eu lieu (les fortifications achéennes seront détruites après le départ des troupes). (Nous avons déjà mentionné que nous ignorions leur nature, mais elles doivent en tout état de cause protéger le chercheur qui est dans un état de sensibilité accrue, que ce soit par des dispositions matérielles ou occultes.)
Ce sera plus tard une alliance des forces du surmental – celles de la lumière psychique et du subconscient, assistées du supraconscient (Apollon et Poséidon aidés par Zeus) – qui permettra d’orienter toutes les énergies qui alimentent le mental illuminé (les fleuves qui coulent dans la région de Troie) pour en effacer toute trace. Ces énergies de nettoyage concernent « la vision d’ensemble » (l’Ida), « la parole juste » (Rhésos), « les sept centres d’énergie » (l’Heptapore), « le mental » (le Carèse), « le psychique » (le Rhodios), « ce qui traite l’ancien » (le Granique), « le détachement par le renoncement » (le Scamandre ou Xanthe) et des énergies dont le sens est plus obscur (l’Ésèpe et le Simois, peut-être « la réceptivité »). Ces énergies qui furent rassemblées pour nettoyer toutes les mémoires de combat dans la dualité devaient ensuite reprendre leur fonction propre (les fleuves retournèrent dans leur lit).

Mais pour la phase en cours du yoga, ce qui rejette la possibilité de perfectionner la nature extérieure décide de renoncer à l’usage des pouvoirs ou des forces vitales dans sa lutte pour éliminer définitivement toute velléité de divinisation de la matière (les Troyens et leurs alliés décident de laisser les chevaux en arrière pour franchir les fortifications). Cela se heurte alors immédiatement à « une puissante volonté d’expérimenter » et à « un courage indomptable » (Léontée et Polypoitès, fils de Pirithoos).

Le chercheur reçoit alors un signe destiné au mouvement qui refuse d’aller plus loin dans la perfection (un signe est donné à l’armée troyenne) : le sommet du mental auquel il est parvenu tient « enserrée » l’évolution spirituelle et la maintient hors de son terrain d’action normal (un aigle tenant un énorme serpent pourpre dans ses serres survola l’armée troyenne). Mais la force évolutive se libère de l’emprise mentale en « attaquant » à la jonction qui lie le physique au mental et ce dernier est obligé d’admettre qu’il ne peut plus contrôler l’évolution (l’aigle fut mordu au cou par le serpent et dut le lâcher).
Bien que le chercheur soit ainsi averti « spirituellement » qu’il fait erreur en se maintenant dans le refus de la perfection intégrale, il n’écoute pas ce qui sait en lui où il en est exactement dans la maîtrise (Polydamas « celui qui dompte beaucoup » n’est pas écouté).
Il continue donc son chemin, soutenu dans son erreur par les forces du supraconscient soucieuses de ne rien laisser en arrière, autrement dit de pousser chaque mouvement, fut-il erroné, jusqu’à son plein achèvement (Zeus jette un sort sur les Achéens).
En effet, le supraconscient n’est pas là que pour lui éviter les pièges, mais aussi pour lui faire passer des épreuves. (Selon Mère, il y a trois catégories d’examinateurs et les forces spirituelles sont l’une d’elles, les autres étant les forces hostiles et les forces de la nature).
Le chercheur est alors confronté à ses « illuminations » (les Lyciens « ceux de la lumière naissante » conduits par Glaucos « le lumineux » et Sarpédon « le sage »). (Rappelons que les Troyens sont situés dans la branche de la Pléiade Électre, celle du mental illuminé.) Pour développer son discernement, il doit y opposer « la puissance de son dessein (celui de réaliser le Divin sur la terre) » (Ménesthée) qui sollicite pour l’aider « la conscience ordinaire (ou le petit moi) » (le petit Ajax), « la conscience la plus étendue dans l’incarnation » (le grand Ajax) et « la conscience la plus large en l’esprit » (Teucer) ainsi qu’« une consécration totale au Divin » (Pandion).
Le chant se termine sur une victoire passagère de la voie qui sépare l’esprit de la matière.

Chant XIII : Combats près des vaisseaux

Poséidon prit les Achéens en pitié. Ayant rejoint son palais marin d’Aigas, il attela ses chevaux aux pieds de bronze, s’en fut parler aux deux Ajax sous l’apparence de Calchas, les emplit de fougue et assouplit leurs membres. Le premier, le petit Ajax reconnut le dieu qui stimula ensuite si bien l’ardeur des troupes achéennes qu’elles arrêtèrent l’élan d’Hector.
Teucer tua Imbrios.
Hector tua Amphimaque, ce qui provoqua la colère de Poséidon dont c’était le petit fils. Le dieu se manifesta alors à Idoménée sous la forme de Thoas et le stimula. Idoménée partit alors au combat, suivi par son écuyer Mérion.

Poséidon apportait son soutien aux Achéens à l’insu de Zeus.
Idoménée tua Othyonée qui était venu demander la main de Cassandre, puis Asios.
Déiphobe tua Hypsénor. Idoménée tua ensuite Alcathoos, qui était le gendre d’Anchise, ayant épousé sa fille Hippodamie.
Déiphobe appela Énée à la rescousse, puis Idoménée et Énée appelèrent chacun les leurs pour les soutenir. Idoménée tua Oinomaos. Déiphobe tua Ascalaphos. Énée tua Apharée. Antiloque tua Thoon. Mérion tua Adamas. Hélénos tua Déipyre. Hélénos fut blessé à la main par Ménélas qui tua ensuite Pisandre. Harpalion fut tué par Mérion. Euchénor, fils du divin Polyidos, fut tué par Pâris.

Polydamas conseilla à Hector de rassembler les forces troyennes afin de délibérer de la conduite à tenir. Puis Ajax et Hector se défièrent en paroles.

A cette étape du chemin, le subconscient se mobilise en faveur du renversement de direction du yoga (Poséidon se positionne définitivement du côté des Achéens) et se manifeste au chercheur par un pouvoir intuitif dans le vital, c’est-à-dire de nouvelles capacités perceptives par les sens subtils (sous la forme du devin Calchas « pourpre »). Cette action du subconscient est d’abord perçue par « le petit moi » (le petit Ajax), ce qui rend sa confiance au chercheur pour la poursuite du renversement du yoga qui semblait alors presque désespéré.
Finalement, deux mouvements de yoga fondamentaux sont clairement mis en présence dans la conscience :
– le premier, représenté par Hector, symbolise le juste mouvement d’ouverture de la conscience mentale vers l’esprit qui a conduit le chercheur jusqu’au mental illuminé (il appartient à la lignée de la Pléiade Électre). Il s’appuie sur le travail de « maîtrise » (Polydamas « celui qui dompte beaucoup », respecté pour ses conseils).
– le second, représenté par le grand Ajax, cousin germain d’Achille dans la lignée d’Éaque et de l’Asopos, symbolise l’élargissement de la conscience qui va sans cesse de l’avant et veut descendre dans les profondeurs du vital et du corps pour les transformer.
Le subconscient dynamise alors les forces du chercheur sans que la liaison subconscient-supraconscient soit établie (Poséidon agit à l’insu de Zeus).

Chant XIV : Ruse contre Zeus

Nestor sortit de sa baraque et constata que le mur achéen n’avait pas résisté. Il décida de rejoindre Agamemnon. La mêlée était indescriptible devant les poupes des vaisseaux qui avaient été hâlés sur la plaine et contre lesquelles le mur avait été construit.
Agamemnon proposa de mettre à la mer les vaisseaux qui étaient les plus près du rivage et de s’y réfugier, ce qui rendit Ulysse furieux. Diomède, rappelant ses glorieuses origines, invita au contraire les chefs blessés à aller stimuler les troupes. Ils furent alors soutenus, eux et leurs hommes, par Poséidon qui, sous les traits d’un vieil homme, poussa un grand cri.
Héra projeta alors d’endormir Zeus. Pour cela, sous prétexte de réunir Océanos et Téthys qui, emplis de colère, refusaient de se donner l’un à l’autre, elle demanda à Aphrodite un filtre d’amour que cette dernière ne put lui refuser. Puis au dieu du sommeil, Hypnos, elle demanda d’endormir Zeus lorsqu’elle serait dans ses bras. Comme celui-ci était réticent suite à l’expérience faite dans les mêmes conditions après le sac de Troie par Héraclès, elle lui promit en échange de lui donner pour épouse Pasithéa, l’une des Kharites (Grâces) qu’il désirait depuis toujours.

Hypnos se posta alors au sommet du plus haut pin de l’Ida, « pareil à l’oiseau sonore que les dieux appellent chalcis (de la couleur de l’airain) et les hommes cyminde (sorte de chouette) ».
Puis Héra vint trouver Zeus et sur le toit de l’Ida, au sommet du Gargare, ils s’unirent. Zeus les enveloppa d’une nuée d’or afin que nul, pas même Hélios, ne puisse les apercevoir. Sous eux poussa un doux gazon fait de lôtos couvert de rosée, safran et jacinthe. Puis, par l’action d’Hypnos, Zeus s’endormit dans les bras de son épouse.

Alors le dieu du sommeil s’en alla prévenir Poséidon qui harangua les Danaens et marcha à leur tête contre les Troyens.
Ajax réussit à frapper Hector d’une pierre à la poitrine, sous la gorge. Alors que les meilleurs des Troyens l’emportaient loin du combat, il cracha du sang et s’évanouit.
Ajax blessa Satnios. Polydamas blessa Prothoénor. Ajax en retour tua Archéloque. Acamas blessa Promaque. Pénéléos tua Ilionée. Ajax blessa Hyrtios. Antiloque tua Phalcès et Mermèros. Teucer tua Prothoon et Périphète. Ménélas tua Hyperénor.

À nouveau, un certain découragement envahit le chercheur lorsqu’il sent que ses défenses érigées en vue du basculement cèdent devant les difficultés (le mur achéen a cédé). Tandis que l’aspiration pour le perfectionnement de l’homme actuel faiblit, ce qui en lui se remémore le chemin parcouru en vue de son dessein d’union totale résiste à cet abattement, fortement soutenu par le subconscient (Diomède, rappelant sa glorieuse origine, s’oppose à Agamemnon et, soutenu par Poséidon, convie toutes les forces au combat. Rappelons que Diomède est situé dans la lignée de Protogénie « ceux qui marchent en avant », de son petit-fils Endymion « celui qui est rempli de conscience consacrée et a réalisé le silence mental », et que son grand-père est Œnée « le vigneron, celui qui travaille à l’extase »).

Alors, les forces supraconscientes qui veillent au juste chemin d’évolution se mobilisent pour forcer le renversement du yoga (Héra décida d’endormir Zeus). Elles font appel aux forces qui veillent à la croissance de l’amour (Aphrodite) en arguant un blocage de l’évolution de l’être intérieur qui suit d’ordinaire le processus de purification et de libération (Océanos et Téthys ne dormaient plus ensemble.). (Ne pas confondre cette Téthys avec la Néréide Thétis, mère d’Achille.) C’est-à-dire que les yogas du passé sont parvenus à une impasse évolutive en ce qui concerne le processus fondamental de croissance de l’amour. Cette action d’Héra implique que le mouvement de réorientation doit recevoir l’aval aussi bien des forces d’expansion que de celles de limitation de la conscience œuvrant dans le plan surmental. Car il s’agit d’un changement de paradigme évolutif : non plus une amélioration de l’homme actuel, mais son dépassement.

Ces forces de limitation sollicitent à ce moment-là l’action de la force qui permet de mettre en retrait, d’arrêter temporairement la vigilance du supraconscient (Hypnos est la non-conscience ou oubli nocturne, tandis que son frère Thanatos est la non-conscience ou oubli dans la mort, toutes deux différentes de l’inconscience fondamentale de la matière corporelle représentée par Hadès et de la Nescience figurée par le Tartare). Le chercheur désire une continuité totale de la conscience et aspire donc à ce que cet oubli nocturne disparaisse (Hypnos désire s’unir à Pasithéa « qui a la vision de tout », union que lui promet Héra).
Cet « oubli » du sommeil est porteur d’expressions mentales imagées, les rêves, qui du point de vue du surmental, sont en rapport avec une vision de vérité indestructible, mais du point de vue du mental ordinaire duel sont seulement des outils de divination : l’oiseau sonore que les dieux appellent chalcis (de la couleur de l’airain) et les hommes cyminde (sorte de chouette). Au niveau du surmental, les « visions » sont des réalités hors du temps, c’est-à-dire incluant le futur, sans toutes les déformations introduites par les couches du mental et du vital lorsque ces visions se manifestent dans nos rêves.
Zeus est alors installé sur le Gargare, l’un des sommets de l’Ida, le lieu où « l’impulsion évolutive est bloquée » dans le cadre de « la plus haute union en l’esprit ». Le supraconscient montre alors les premiers signes de son « acceptation » du renversement (Zeus s’endormit dans les bras d’Héra).
Homère précise que même Hélios le soleil ne put contempler leurs ébats, car Zeus avait enveloppé son couple divin d’une nuée d’or : non seulement le supramental ne s’impose jamais, mais il semblerait même que le surmental puisse bloquer sa vision.
L’acceptation du supraconscient libère alors l’action du subconscient en faveur du renversement, action dont le chercheur devient alors parfaitement conscient (Poséidon se mobilise en faveur des Achéens, marche en tête des troupes et les commande). C’est à ce tournant du yoga qu’une première brèche sérieuse est ouverte dans ce qui s’oppose : Hector « l’ouverture vers les hauteurs de l’esprit » fut blessé par Ajax « le travail d’élargissement de la conscience dans l’incarnation ».

Chant XV : Controffensive des Achéens

Zeus, à son réveil sur l’Ida, constata la déroute troyenne et réprimanda Héra, se doutant bien que son épouse y avait contribué. Il décida d’envoyer Iris pour arrêter l’implication de Poséidon, l’Ébranleur du sol aux crins d’Azur, et de déléguer Apollon pour exciter l’ardeur des Troyens. Puis il annonça les évènements à venir tels qu’il les organiserait jusqu’à la chute de Troie afin d’honorer la promesse faite à Achille, à commencer par l’interdiction faite aux immortels de prêter main forte aux Danaens (Achéens).
Alors qu’Héra « aux sourcils bleus foncés » avait rejoint l’Olympe, Arès annonça qu’il descendait dans la mêlée pour venger la mort de son fils Ascalaphos, mais Athéna l’arrêta dans son élan.
Puis Héra communiqua à Iris et Apollon les ordres de Zeus.
Sur le Gargare, un nuage odorant formait une gloire autour du roi des dieux.
Poséidon accepta de quitter le champ de bataille et rejoignit son domaine sous la mer bien qu’il fut courroucé contre Zeus dont il se prétendait l’égal puisque les trois frères avaient la terre et le haut Olympe en partage.
Apollon descendit alors vers Hector, se dévoila et lui insuffla une nouvelle ardeur.
Alors que les Achéens prenaient peur devant le retour du héros troyen, Thoas conseilla le repli du gros des troupes vers les nefs tandis que quelques vaillants soldats protégeraient leurs arrières.
Les Troyens avancèrent avec à leur tête Hector. Apollon le précédait, les épaules entourées d’un nuage et brandissant l’égide de Zeus.
Hector tua Stichios et Arcélisas. Enée tua Médon et Iase. Polydamas tua Mécistée. Polytès tua Echios. Agénor tua Clonios. Pâris tua Déioque.

Afin d’ouvrir un passage aux Troyens, Apollon combla le fossé puis fit écrouler le mur. Acculés aux vaisseaux, les Achéens firent des prières aux dieux et Zeus entendit celle de Nestor. Patrocle quitta alors la baraque d’Eurypyle pour se rendre auprès d’Achille.
Ajax tua Calétor. Hector tua Lycophron. Teucer tua Cleitos.
Hector tua Schédios. Ajax tua Laodamas. Polydamas tua Ôtos. Mégès tua Croismos. Ménélas tua Dolops.
Hector interpella Mélanippé, mortel égal aux dieux, mais Antiloque le tua. Hector tua Périphète.

Alors que les Troyens prenaient d’assaut la première ligne de nefs tirées sur la plaine, Athéna écarta des yeux des Achéens « le nuage d’une brume prodigieuse ».
Tandis qu’Ajax stimulait les Achéens, Hector se ruait sur les navires, poussé par Zeus.
Le bateau de Protésilas fut l’enjeu d’un rude affrontement. Hector ordonna alors qu’on apportât le feu pour incendier les nefs, mais Ajax tuait tous ceux qui s’approchaient.

Le regain de confiance dû à la mobilisation du subconscient évoquée au chant précédent se révèle éphémère. À nouveau, une très forte pression pèse sur le chercheur qui n’a toujours pas admis de laisser la direction du yoga au travail de purification approfondie (Achille n’est toujours pas entré dans la guerre). Dans sa conscience la plus haute, il connaît toutefois parfaitement bien le déroulement de cette phase de yoga (les évènements prévus par Zeus) : le supraconscient veille à ce que les ultimes résistances soient vaincues, ne permettant pas que le renversement puisse s’opérer tant que la purification des profondeurs n’est pas prioritaire.
L’aide du subconscient se retire (le chercheur ne reçoit plus d’indications) tandis que la lumière psychique, qui sera la dernière à accepter le renversement, apporte son aide au mouvement qui dissocie l’esprit du corps : la lumière psychique qui a permis que la maturation de la phase de yoga qui mène à l’union en l’esprit (elle a construit les murs de Troie) sera aussi la dernière à accepter la transition, poussant l’aventure en l’esprit à son extrême limite. Le supraconscient affaiblit alors la résistance du chercheur dans sa volonté et sa concentration (Achéens) et dans son aspiration à l’union totale (Danaens).
« L’âme des anciens yogas » (et les réalisations obtenues sur le chemin de l’union en s’appuyant sur le mental) cesse de se préoccuper du passage supérieur vers le Divin pour mobiliser le yoga de la purification des profondeurs (Patrocle, de la lignée de Déion, quitte Eurypyle « la vaste porte » et rejoint la baraque d’Achille).
Le chercheur prend alors clairement conscience de ce qui en lui combat ou se démobilise (Athéna retira une brume épaisse de devant les yeux des Achéens, autant de ceux des combattants que de ceux qui ont reculé vers les nefs).
Il est le siège d’une bataille décisive pour discerner le chemin juste (autour de la nef de Protesilaos « le meilleur pour la vision ») tandis que ce qui en lui se tourne vers l’esprit est prêt à écarter définitivement le nouveau chemin (Hector veut éradiquer les nefs achéennes par le feu).

Chant XVI : Exploits de Patrocle

Comme Nestor le lui avait suggéré (au Chant XI), Patrocle supplia Achille d’aller se battre ou bien de le laisser endosser ses armes pour conduire les Myrmidons au combat. Achille accepta cette dernière proposition et encouragea Patrocle tout en lui demandant de ne pas éclipser sa propre gloire mais seulement d’arrêter l’élan des Troyens. Il souhaita même la mort de tous les soldats, non seulement des Troyens mais aussi des Argiens (Achéens).

Tandis qu’Ajax s’épuisait au combat, sa lance fut rompue par Hector. Puis le feu fut mis à la nef qu’il défendait.

Patrocle endossa les armes d’Achille à l’exception de la lance que Chiron avait offerte à son père Pélée et que seul Achille pouvait manier. Puis Automédon, l’écuyer d’Achille, amena les chevaux immortels Xanthos et Balios, présents des dieux à Pélée, issus de la Harpye Podargé et du vent Zéphyr. Avec eux il attela Pédase, un cheval mortel ramené par Achille d’Éetion, capable de tenir tête à des chevaux immortels.

Achille était venu à Troie avec cinquante nefs de cinquante hommes chacune. Patrocle et Automédon prirent la tête du contingent qui était réparti en cinq groupes conduits par Ménesthios (fils de Sperchios et Polydore), Eudore (fils d’Hermès et de Polymèle), Pisandre (fils de Mémale), Phénix et Alcimédon (fils de Laercès).
Achille offrit alors à Zeus une libation, demandant le retour sain et sauf de Patrocle, mais Zeus le lui refusa.
Patrocle tua Pyraechmès puis éteignit le feu de la nef. Puis il tua Aréilyque. Ménélas tua Thoas. Antiloque tua Atymnios. Thrasimède tua Maris. (Atymnios et Maris sont des fils de l’Amisodare qui avait nourri la Chimère pour le malheur de bien des hommes.) Le petit Ajax tua Cléobule. Pénéléos tua Lycon. Mérion tua Acamas. Idoménée tua Erymas.
Patrocle tua ensuite Pronoos, Thestor, Érylas, Érymas, Amphotère, Épaltès, Tlépolème, Échios, Pyris, Iphée, Euippe et Polymèle.

Zeus fut tenté de soustraire son fils Sarpédon, roi des Lyciens, au combat qui l’opposait à Patrocle, car il savait que celui-ci le tuerait. Mais Héra lui demanda de n’en rien faire pour ne pas éveiller de jalousie.
Patrocle tua l’écuyer de Sarpédon, Thrasimède. Puis Sarpédon tua sans le vouloir le cheval Pédase avant d’être lui-même occis par Patrocle. Avant de mourir, il stimula Glaucos, un autre chef Lycien qui avait été blessé au bras par Teucer. Glaucos invoqua Apollon pour qu’il le guérisse, ce à quoi le dieu consentit. Il prit alors la tête des Lyciens et demanda à Énée et Hector de défendre la dépouille de Sarpédon selon ses dernières volontés.
Les deux camps s’affrontèrent alors autour du corps de Sarpédon, les Achéens pour lui ravir ses armes, les Troyens pour défendre sa dépouille de l’outrage.
Hector tua le divin Épigée. Patrocle tua Sthénélas. Glaucos tua Bathyclès. Mérion tua Laogone.
Zeus affaiblit d’abord la vaillance d’Hector qui avait vu « la balance de Zeus » pencher en faveur des Achéens. Tandis que les Lyciens refluaient, les Achéens s’emparèrent des armes de Sarpédon. Zeus envoya alors Apollon soustraire le corps de ce dernier de la mêlée afin qu’il soit lavé puis qu’Hypnos et Thanatos l’emportent en Lycie où il serait enterré et honoré selon la coutume.
Patrocle ne respecta pas l’ordre d’Achille, et contraint par la volonté de Zeus, exhorta ses chevaux et Automédon, l’écuyer d’Achille qui l’accompagnait, à poursuivre les Troyens et les Lyciens jusque sous les murs de Troie.
Patrocle tua alors Adraste, Autonoos, Échècle, Périme, Épistor, Mélanippe, Élase, Moulios et Pylartès.
Par trois fois, Patrocle monta à l’assaut du rempart, et par trois fois Apollon le repoussa. Au quatrième assaut, le dieu le tança d’une voix si terrible qu’il recula très loin. Ayant pris les traits d’Asios, frère d’Hécube, Apollon incita Hector au combat puis provoqua un tumulte funeste chez les Argiens. Tandis qu’Hector se précipitait sur Patrocle, ce dernier tua son cocher Cébrion. Hector et Patrocle luttèrent au-dessus du corps de Cébrion puis la mêlée devint générale.
Les Achéens finirent par s’emparer des armes du cocher tandis que Patrocle tuait de nombreux Troyens.
Le destin de Patrocle fut alors scellé : Apollon s’approcha de lui par derrière, le frappa du plat de sa main, fit voler son casque, rompit sa lance, fit tomber son bouclier et défit sa cuirasse, puis Euphorbe, fils de Panthoos, le blessa dans le dos avec une lance et Hector l’acheva en le frappant au bas du flanc. Agonisant, il prédit à Hector sa mort prochaine. Ce dernier aurait bien voulu alors frapper Automédon, l’écuyer d’Achille, mais celui-ci réussit à s’enfuir sur le char tiré par les chevaux immortels.

Un tournant s’engage vers le yoga qui veut poursuivre la purification, initié par l’un des plus anciens mouvements dans le yoga (Nestor « l’évolution juste de la rectitude »), Dans cette tentative, il s’agit encore de « l’esprit des anciens yogas » s’appuyant sur le mental, mais de nouvelles méthodes sont introduites (Patrocle part combattre avec les armes d’Achille). Les anciennes réalisations dans l’union, avant d’être écartées du yoga, semblent indispensables pour assurer la transition en utilisant pour le renversement des moyens nouveaux d’investigation de la conscience profonde (les armes d’Achille), mais ils ne doivent pas « en profiter » pour renforcer leur propre puissance (Patrocle, dont la mort est annoncée, ne doit pas éclipser la gloire d’Achille ni défier Apollon qui protège les Troyens). Ce mouvement doit seulement préparer le travail de renversement (Patrocle doit revenir vers Achille après avoir stoppé l’élan troyen).
Et le chercheur aspire à faire table rase de tous les éléments qui participent d’un côté comme de l’autre au conflit intérieur, par leur seule mise en présence (selon les souhaits d’Achille, les soldats des deux camps devraient s’entretuer).

Celui qui a achevé le processus de libération et poursuit le yoga, a réalisé la pleine maîtrise sur lui-même (Automédon « celui qui est maître de lui-même », le conducteur de char et l’écuyer d’Achille). Cette maîtrise permet de puiser dans le réservoir d’énergies vitales non liées à la dualité, les forces provenant du détachement, du renoncement et de la libération qui sont issues de la conversion du vital au yoga et de l’ascèse de purification (les chevaux immortels Xanthos et Balios, nés de la Harpye Podargé et du vent Zéphyr). On appelle « conversion du vital » le moment où le vital qui d’ordinaire ne se soucie que de satisfaire ses propres exigences et se désintéresse totalement du yoga, accepte joyeusement de coopérer.
On peut remarquer qu’Hector et Achille ont tous deux un cheval nommé Xanthos « le jaune », symbole du « détachement ». Mais celui d’Hector n’est pas immortel, en raison du « renoncement » qui s’ajoute le plus souvent au détachement dans la voie troyenne, et de son appartenance à une voie de dualité. La voie nouvelle représentée par Achille ne demande pas en effet de renoncement mais une acceptation intégrale dans une consécration totale.
Outre ces forces vitales issues de la non-dualité, le chercheur qui avance selon les anciennes méthodes peut aussi utiliser une force d’entraînement liée à la personnalité duelle (le cheval mortel Pédase « celui qui s’élance »).

La description du contingent des Myrmidons expose un mouvement totalement accompli dans sa forme (présence uniquement des nombres cinq et cinquante). Il décrit un chercheur libéré, doté d’une forte volonté (Ménesthios), justement consacré (Eudoros), qui a mis sa totale confiance dans le Divin (Peisandros), qui dispose d’un pouvoir vital (Phénix « pourpre ») et qui a une grande maîtrise sur lui-même (Alcimédon).
Le supraconscient accepte alors à contrecœur de sacrifier « la sagesse mentale » dont il est l’origine (Zeus rechigne à envisager la mort de son fils Sarpédon). Cette sagesse est en effet issue de la volonté du supraconscient de parvenir à une certaine maîtrise de la vision par la lutte contre l’illusion menée avec le mental logique (Sarpédon est le fils de Zeus et de Laodamie, elle-même fille de Bellérophon et donc descendante de Sisyphe). Cette sagesse a soutenu jusqu’à présent les anciennes voies de yoga mais doit désormais laisser la place à une lumière d’ordre supérieur (Sarpédon qui conduit les Lyciens, alliés des Troyens, doit mourir). Ce sont « les anciennes réalisations dans l’union » armé des nouvelles méthodes qui annulent à la fois cette connaissance-sagesse et ce qui la servait, « celui qui se soucie d’ascèse » (Patrocle tua Sarpédon et Thrasimède). A partir de ce moment, il ne s’agit plus en effet d’une ascèse personnelle dirigée vers la quête de Connaissance mais de la soumission intégrale au Divin qui dirige Lui-même le yoga.
Lorsque nous associons Sarpédon à la Connaissance, il faut le prendre ici au sens où l’entend Sri Aurobindo quand il dit que la Triple voie de la Connaissance, de l’Amour et des Œuvres est en fait une voie de connaissance. Les anciens yogas peuvent donc être considérés comme des voies de connaissance même si elles privilégient le sentiment ou l’action comme moyen de travail.

Avant de disparaître, la sagesse anciennement conquise fait en sorte que ce ne soit plus la force vitale ordinaire, si purifiée soit-elle, qui soutienne le yoga, mais seulement celle issue du plan vital non-duel (Sarpédon tua Pédase).
Si le chercheur renonce à « la Connaissance » mentale qui soutenait les anciens yogas, il ne peut s’empêcher de la remplacer par une connaissance issue du vital et résultant également de la victoire sur les illusions (Sarpédon et Glaucos sont en effet deux petits-fils de Bellérophon, Sarpédon par Zeus et Hippodamie, et Glaucos par Hippolochos « celui qui enfante le pouvoir »). C’est la lumière psychique, déjà active depuis un certain temps dans le camp troyen, qui assure la transition et redonne de la force à un pouvoir que le chercheur avait été obligé de laisser de côté (Apollon soigne Glaucos). L’opposition au nouveau yoga, ne pouvant plus se nourrir d’arguments intellectuels, fait appel aux pouvoirs et aux « vérités » établies du mental-vital pour mettre en avant les impossibilités. Bien évidemment, cette demi-lumière devra aussi disparaître (Glaucos sera tué plus tard par Ajax « la conscience la plus étendue dans l’incarnation »).

Bien sûr, dans le chercheur, l’ancien yoga veut conserver intacte la forme de cette sagesse (la dépouille de Sarpédon) tandis que le nouveau ne veut récupérer que son génie (ses armes). La bataille est gagnée par ce qui aspire à la transformation (les Achéens s’emparent des armes de Sarpédon).
Mais Homère affirme que l’acquisition de cette sagesse est un passage obligé, et la lumière psychique fait en sorte d’en protéger le souvenir ; en réalité, elle est d’abord « oubliée » avant d’être définitivement « écartée » du yoga (Apollon retira la dépouille à laquelle plus tard les honneurs furent rendus en Lycie, grâce à l’intervention d’Hypnos et de Thanatos).

Les « réalisations passées s’appuyant sur le mental », à l’aide des nouveaux outils, mettent fin alors à de nombreuses réalisations et comportements qui bloquent la transition vers le nouveau, aussi bien en positif qu’en négatif. Patrocle, en effet, tua de nombreux Troyens, tels Adraste « celui qui ne cherche pas à fuir (ce qui maintient sans faiblir sa propre vérité) », Autonoos « celui qui se dirige selon sa propre volonté ou intelligence » ou encore Mélanippe « la force noire » et Pylartès « aux portes solidement closes ».

Tandis que le chercheur est bien près de remporter la victoire avec les méthodes anciennes, il est arrêté dans son mouvement par sa plus haute lumière intérieure (par trois fois Apollon repoussa Patrocle).
Ce qui dirigeait jusqu’à présent la dynamique de l’ouverture de la conscience vers les royaumes de l’esprit disparaît alors (Cébrion, second cocher d’Hector, est tué).
La lumière intérieure psychique fait alors en sorte que « les réalisations d’union s’appuyant sur le mental » ne puissent plus utiliser les méthodes et protections du nouveau yoga (Patrocle est dépouillé par Apollon de l’armure et des armes d’Achille). Car il ne s’agit pas d’une extension des anciens yogas s’appuyant sur le mental par de nouveaux moyens, mais d’une démarche radicalement différente. Ce qui n’annule pas l’utilité des anciens yogas, même si Sri Aurobindo a préconisé une méthode intégrale pour parvenir plus vite jusqu’à ce point.
Déjà affaiblies, « les réalisations passées dans le chemin de l’union s’appuyant sur le mental » sont annulées définitivement sous les coups du yoga qui ne cherche la réalisation Divine que hors du monde, mais en même temps, le chercheur prend conscience que le renversement définitif est proche (Patrocle mourant prédit à Hector sa mort prochaine). Avec la mort de Patrocle, le chercheur doit accepter la fin de l’intervention du mental dans le yoga jusqu’au point même où le mental lui sera retiré.

Chant XVII : Exploits de Ménélas

Ménélas, venu chercher la dépouille de Patrocle se heurta à Euphorbe et le tua. Apollon, sous les traits de Mentès, poussa Hector à affronter Ménélas, et celui-ci appela Ajax à l’aide. Hector sans attendre, s’empara des armes « immortelles » d’Achille que Patrocle avait revêtues. Puis, interpellé par Glaucos qui l’incitait à combattre Ajax et Ménélas, il les endossa et Zeus les ajusta. Il entraîna alors ses hommes et ses alliés vers le corps de Patrocle autour duquel le combat s’engagea, Ménélas ayant de son côté rassemblé le camp achéen.
Là, Zeus fit descendre une brume favorable aux Achéens.
Ajax tua Hippothoos. Hector tua Schédios. Ajax tua Phorcys.
Alors que les Troyens étaient prêt à céder, Apollon s’adressa à Énée afin qu’il rendit l’ardeur à ses troupes. Le héros avait reconnu le dieu qui avait pris les traits de Périphas.
Énée tua Léiocrite. Lycomède tua Apisaon.

Non loin de là, les chevaux d’Achille que n’atteignaient ni l’âge ni la mort refusaient de bouger et pleuraient Patrocle, la tête collée au sol. Mais Zeus leur insuffla une ardeur nouvelle. Automédon les fit courir devant les lignes troyennes puis les confia à Alcimédon. Hector et Énée voulurent s’en emparer, mais Automédon appela les deux Ajax et Ménélas à la rescousse.
Automédon tua Arète et s’empara de ses armes.
Puis Zeus envoya Athéna sous les traits de Phénix réveiller l’ardeur des combattants autour de la dépouille de Patrocle, tandis qu’Apollon sous les traits de Phénops stimulait Hector. Mais Zeus, cette fois-ci encore, donna la victoire aux Troyens, tandis que la brume couvrait encore le lieu du combat.
Ménélas tua Podès. Pénaléos fut blessé ainsi que Léite. Coerane fut tué par Hector.

Le grand Ajax implora Zeus qui, prenant pitié, dissipa la brume. Il demanda ensuite à Ménélas d’envoyer Antiloque, fils de Nestor, prévenir Achille de la mort de Patrocle « le plus brave des Achéens ».
Mérion et Ménélas, protégés par les deux Ajax, réussirent à emporter le cadavre de Patrocle vers les nefs creuses, poursuivis sans relâche par Hector, Énée et les soldats troyens.

Le mouvement du yoga qui ne voit d’issue que dans l’esprit, récupère à son profit les nouveaux moyens avec lesquels le chercheur avait cru un moment pouvoir remporter une victoire décisive dans la réorientation du yoga (Hector récupère les armes d’Achille). Ces moyens sont du ressort de la non-dualité, car les armes sont immortelles.
Une période difficile commence alors durant laquelle le chercheur ne perçoit plus la direction à suivre (Zeus avait fait descendre une brume), d’autant plus que les nouvelles méthodes de yoga sont récupérées et mises en œuvre par ce qu’elles sont censées combattre (Hector a revêtu les armes d’Achille).
Même les forces et le pouvoir vital que le chercheur pouvait auparavant puiser à une source illimitée selon les nécessités et qui ne s’affaiblissaient jamais semblent l’abandonner (les chevaux d’Achille que ne touchaient ni l’âge ni la mort restent prostrés). Mais cela ne dure pas, car le supraconscient ne l’en prive que peu de temps.
Cet accès aux sources du pouvoir vital a été obtenu par le libéré vivant qui est descendu dans les profondeurs aux origines de la vie subconsciente (les chevaux avaient été offerts à Pélée lors de son mariage avec Thétis, la fille de Nérée « le vieillard de la mer »). Ces forces vitales ne peuvent donc être maniées que par celui qui a acquis « une totale maîtrise sur lui-même », ou encore celui qui a « une maîtrise de la force » (Automédon et Alcimédon). Mais cette maîtrise doit bientôt appeler à la rescousse le travail d’élargissement de la conscience dans l’incarnation ainsi qu’une volonté inébranlable tendue vers le but (les deux Ajax et Ménélas).
Les forces du surmental agissent durant cette phase de façon indirecte – ici Athéna et Apollon sous les traits de Phénix « le renouveau » et Phénops « celui au regard brillant, l’illuminé » – de telle façon que le chercheur n’en perçoit que les manifestations.

Le chercheur dans sa conscience la plus large implore alors le Divin afin qu’une claire vision du processus en cours lui soit donnée, ce qui lui est accordé (Ajax implore Zeus pour qu’il dissipe la brume). Cela implique qu’il prenne acte définitivement que les anciennes réalisations dans la quête de l’union par le mental doivent être abandonnées, même si elles restent indispensables pour parvenir jusqu’à ce point (Achille doit être informé de la mort de Patrocle et une digne sépulture doit être donnée à ce dernier).

Chant XVIII : Fabrication de nouvelles armes pour Achille

Antiloque, fils de Nestor, vint annoncer la mort de Patrocle à Achille qui poussa une plainte terrible entendue du fond des abîmes par sa mère Thétis. Accompagnée de ses nombreuses sœurs les Néréides, elle remonta des profondeurs jusqu’aux baraques où se tenait son fils.
Achille se lamenta de la mort de son inséparable ami, se reprochant de ne pas l’avoir protégé dans le combat, et souhaita la disparition de l’esprit de querelle « Éris » qui l’avait tenu éloigné de la bataille.
Puis, comme il annonçait à sa mère son désir de se battre afin de venger Patrocle, elle lui demanda de patienter tandis qu’elle irait demander pour lui des armes nouvelles à Héphaïstos.
Pendant ce temps les Troyens avaient fait reculer les Achéens jusqu’aux nefs et Hector n’était plus très loin de s’emparer du corps de Patrocle.

La déesse Iris, messagère des dieux, fut dépêchée par Héra à l’insu de Zeus et des autres dieux, et vint trouver Achille, l’enjoignant d’aller au-devant des Troyens sans attendre ses armes nouvelles. Athéna le para de l’égide, orna son front d’un nimbe d’or et fit jaillir de son corps une flamme resplendissante. Il partit alors vers la mêlée et se dirigea vers l’endroit où se trouvait le corps de Patrocle. Tandis que le jour s’achevait, les Troyens, saisis d’effroi, refluaient. Douze d’entre eux parmi les meilleurs moururent sous le seul effet de ses terribles cris.

Dans le camp troyen, Polydamas (fils de Panthoos) prit la parole. Lui seul voyait à la fois le passé et l’avenir et par ses avis l’emportait sur Hector. Il conseilla un prudent repli entre les murs de Troie, mais Hector le tança pour de telles paroles, donnant l’ordre à ses soldats de se tenir prêt pour une attaque dès l’aube.
Près du corps de Patrocle, Achille se lamentait, évoquant sa propre mort prochaine. Il ne pouvait accepter d’enterrer son ami puis de mourir avant d’avoir tué Hector. Mais il ordonna cependant que l’on préparât le corps selon la coutume.

Pendant ce temps, Thétis avait rejoint la demeure d’Héphaïstos et de sa femme la divine Charis. Le dieu boiteux était entouré de deux servantes en or qui avaient l’aspect de vierges vivantes.
Il rappela que Thétis aidée d’Eurynomé, fille d’Océan « le fleuve qui va coulant vers sa source », l’avait recueilli lorsqu’il était tout endolori. À sa naissance, comme il était infirme, sa mère Héra qui voulait le cacher l’avait en effet jeté du haut de l’Olympe. Il se sentait donc l’obligé de Thétis.
Comme celle-ci lui confiait le motif de sa visite, se plaignant auprès de lui d’être la seule déesse unie à un mortel, il l’assura qu’il donnerait à son fils Achille de plus belles armes encore que celles qu’Hector avait prises à Patrocle. Retournant vers sa forge, il confectionna une cuirasse, un casque, des jambières et un bouclier splendide. Sur celui-ci figuraient, outre le ciel, la terre, la mer, les luminaires et les astres, des scènes de justice, de guerre, de labours, d’un domaine royal, d’un vignoble, d’un troupeau de vaches d’or et d’étain, d’un pacage de brebis et d’une danse. A l’extrême bord du bouclier, il figura la force puissante du fleuve Océanos.
Puis il déposa les armes aux pieds de Thétis.

Le chercheur finit par admettre qu’un nouveau yoga qui abandonne tout support mental est désormais nécessaire pour aller dans le sens de l’évolution, au-delà de la libération et de la psychisation (Antiloque « la vigilance aiguisée » informe Achille de la mort de Patrocle).
Cette prise de conscience « descend » jusqu’au lieu où se tient la force pure qui ordonne les choses à la racine de la vie, but du mouvement de yoga qui travaille dans les profondeurs obscures du vital (Thétis, mère d’Achille par son union avec Pélée). Le chercheur qui souhaite en finir définitivement avec l’origine de la force de séparation (l’esprit de querelle « Éris »), reçoit alors une information par une intuition au niveau du vital-physique : de nouveaux moyens de yoga vont lui être donnés (Thétis, fille de Nérée « le vieillard de la mer » informe son fils qu’elle va demander à Héphaïstos des armes nouvelles).
Le chercheur n’est pas encore cependant certain que les réalisations en vue de l’union opérées par l’ascension des plans de conscience aient été nécessaires pour le nouveau chemin (Hector est très près de s’emparer du corps de Patrocle).
Mais il comprend dans son corps qu’il doit exprimer le tournant du yoga à tout son être sans attendre de récupérer de nouveaux moyens opératifs qui lui ont été annoncés (Iris « la messagère » presse Achille de se montrer aux Troyens). La foi, la clarté mentale, et le feu intérieur (l’égide, le front nimbé d’or et la flamme jaillissant de son corps) qui accompagnent le mouvement sont si puissants qu’ils font immédiatement refluer tout autre mouvement de l’être qui voudrait s’y opposer (les Troyens, saisis d’effroi, refluaient).
Le yoga qui refusait la divinisation du corps perd alors de la force, de nombreuses possibilités d’action et la sûreté de la direction (les chevaux troyens font volteface, douze parmi les meilleurs guerriers meurent et les cochers sont troublés). La grande maîtrise en de nombreux domaines, obtenue par l’ascension des plans de conscience jusqu’au niveau du mental illuminé – qui a permis l’obtention d’une vision étendue des causes et conséquences et a plus de sagesse que la conscience qui s’ouvre vers les hauteurs de l’esprit – essaye en vain de contrer ce dernier mouvement qui continue de vouloir faire l’ascension (Polydamas, qui seul voyait à la fois le passé et l’avenir, et par ses avis l’emportait sur Hector essaye en vain de persuader celui-ci de se replier entre les murs de Troie).

Le chercheur prend alors la décision intérieure d’abandonner définitivement ce mouvement qui s’ouvre vers les hauteurs de l’esprit (Achille décide de tuer Hector), renonçant par là-même à toute nouvelle création surmentale, comme par exemple l’instauration d’une religion nouvelle.
Cependant, le chercheur, conscient qu’il entre dans un mouvement transitoire, ne peut accepter de mettre à leur juste place les réalisations qui ont été anéanties – et qui avaient été obtenues par le travail de purification-libération qui s’appuyait sur le mental – avant d’avoir éteint en lui toute velléité de poursuivre l’ascension des plans de conscience (Achille, qui sait sa mort prochaine, ne pouvait accepter d’enterrer son ami, puis de mourir, avant d’avoir tué Hector).

Rappelons qu’Achille (Χ+ΛΛ) représente la poursuite du processus de purification-libération qui est parvenu jusqu’aux eaux boueuses de la racine de la vie (c’est un fils de Pélée « qui œuvre dans la boue » et de la Néréide Thétis « la conscience la plus profonde »). Thétis étant la seule déesse unie à un mortel, son fils Achille représente à ce moment-là le mouvement le plus avancé dans le yoga. Ce travail de purification approfondie a été préparé par toutes les anciennes réalisations sur ce chemin vers l’union et l’égalité qui se sont appuyées sur le mental (Achille a été élevé avec Patrocle « la gloire des pères », fils de Ménoitios « accessible à l’esprit », lui-même fils de Déion, celui qui cherche « l’union en conscience »). Mais ce yoga n’aurait sans doute pu aboutir si ne s’était développé en parallèle le processus d’ascension des plans de conscience représenté par Hector. L’un n’aurait pu se réaliser sans l’autre.
C’est la partie qui était la plus à même de faire la transition vers le nouveau yoga qui s’est retirée devant la puissance du feu d’aspiration (la colère d’Achille envers Agamemnon). Ce qui montre qu’un très long nettoyage est nécessaire avant que la bascule ne puisse s’opérer, depuis le rapt d’Hélène jusqu’à la fin de la guerre de Troie. La « grève » d’Achille qui semble être un frein au processus est en fait la condition de l’accélération du yoga.

Le récit se poursuit avec la demande de Thétis à Héphaïstos pour de nouvelles armes pour son fils.
Le dieu boiteux, le créateur des formes issues du supraconscient, est à ce moment-là entouré des formes les plus évoluées qui peuvent être générées dans une période d’alternance dominée par les forces de séparation, mais ces formes n’ont que l’apparence de la vie car elles ne sont pas connectées à la Source (Héphaïstos est accompagné par deux servantes en or qui avaient l’aspect de vierges vivantes). Ces servantes nous évoquent les automates de Dédale, qui eux aussi semblaient vivants.
Le fait que Thétis ait recueilli Héphaïstos lors de sa chute sur la terre indique que le processus d’alternance qui gouverne le mental était actif dès l’origine de la vie. Et le fleuve Océanos « qui va coulant vers sa source » donne l’image de l’évolution retournant vers son origine.

À partir du moment où le chercheur se prépare à progresser dans une nouvelle voie, au-delà de la libération en l’esprit, le supraconscient lui donne les « protections » les plus adaptées au nouveau yoga (les nouvelles armes d’Achille, meilleures que les anciennes : bouclier, cuirasse, casque et jambières).
La description du bouclier d’Achille, dont seul un résumé succinct est donné ci-dessus, évoque un certain nombre de réalisations qui constituent une protection indispensable pour la suite du chemin : une conscience vaste, un grand discernement, une vision précise de la dualité, une bonne pratique du yoga, une joie, un mental illuminé, une juste harmonie de l’action du masculin et du féminin dans l’être, et enfin une puissante aspiration pour l’évolution qui maintient la cohérence de l’ensemble.

Chant XIX : Achille renonce à sa colère

Thétis apporta les armes fabriquées par le dieu boiteux à son fils Achille. La déesse le réconforta car il craignait que le corps de Patrocle ne fût corrompu par les mouches. Puis elle instilla l’ambroisie et le rouge nectar dans les narines du défunt.
Achille convoqua ensuite l’assemblée des Achéens, avec à leur tête Diomède, Ulysse et Agamemnon. Devant tous, il annonça la fin de son courroux, puis Agamemnon fit à son tour contrition. Ulysse conseilla que les troupes se restaurent afin de pouvoir endurer un long combat. Il engagea également Agamemnon à s’acquitter des promesses faites à Achille en réparation de l’outrage. Comme Achille s’impatientait, Ulysse affirma « qu’il le dépassait par l’intelligence, étant son aîné » et lui conseilla de suivre ses conseils. Suivi de plusieurs héros, il alla chercher dans la baraque d’Agamemnon les sept trépieds promis, vingt chaudrons, douze chevaux, sept femmes habiles aux travaux impeccables, dix talents d’or et la jolie Briséis.
Agamemnon fit alors le serment devant les dieux que jamais il n’avait touché Briséis. Celle-ci, « semblable à l’Aphrodite d’or », apercevant le cadavre de Patrocle, se lamenta pour celui qui s’était occupé d’elle avec douceur et lui avait promis le mariage avec Achille.
Puis Achille, incapable de se nourrir tellement son cœur était serré, pleura longuement sur le corps de Patrocle. Il évoqua le père du défunt qui se lamentait en Phthie sur son absence ou qui était peut-être déjà mort. Il se remémora aussi son fils Néoptolème, semblable à un dieu, qui grandissait seul à Skyros. Alors Zeus le prit en pitié et demanda à Athéna d’intervenir, ce que fit la déesse en instillant dans la poitrine du héros le nectar et l’ambroisie.
Tandis que les Achéens sortaient en nombre des nefs pour le combat, Achille revêtit l’armure et les armes fabriquées par Héphaïstos. Il sortit ensuite de son fourreau la lourde lance que son père avait reçue de Chiron et que seul parmi les Achéens il pouvait manier (Patrocle ne l’avait donc pas emportée au combat). Automédon et Alcime préparèrent l’attelage sur lequel il prit place. Resplendissant, il interpella ses chevaux Xanthos et Balios, les priant de « changer leur manière de penser » afin de le ramener vivant. Et soudainement doté de voix humaine par Héra, Xanthos lui en fit la promesse tout en lui rappelant que le destin était scellé pour lui et que sa mort était proche « car son destin était d’être dompté de force par un dieu et par un homme ».
Puis Achille s’élança, impatient d’apporter aux Troyens « le dégoût de la guerre ».

Le chercheur craint que ne disparaisse le souvenir – et donc l’utilité en leur temps – des anciennes réalisations vers l’union, mais les forces supérieures au plus profond du vital lui confirment qu’il n’en sera rien car elles veillent à ce qu’elles ne soient pas contestées (les mouches ne pourront détériorer le cadavre de Patrocle que Thétis rend imputrescible).
Puis il prend acte que le moment est venu de tourner définitivement la page des mouvements de yoga dans l’esprit qui rejettent la perfection de la matière. Le yoga des profondeurs prend la direction du combat pour le renversement et le chercheur abandonne sa volonté d’un homme « amélioré » (devant tous, Achille annonça la fin de son courroux puis Agamemnon fit à son tour contrition).

Ce qui dans l’être assume le travail d’équilibre des forces (Ulysse) invite le chercheur non seulement à récupérer le plus d’énergie possible avant de se lancer dans l’ultime combat, mais aussi à ce que les arriérés soient réglés. Les réalisations du mouvement qui par sa puissante aspiration cherchait une amélioration de l’humain doivent être transférées à ce qui va opérer le renversement : les supports nécessaires à la purification en vue de l’ouverture psychique (les sept trépieds qui sont des symboles apolliniens), les outils de la purification (les vingt chaudrons), l’impeccabilité dans les travaux de consécration et de réceptivité (les sept femmes habiles aux travaux impeccables), et enfin « la puissance de transformation (par l’union avec l’Absolu) » (la jolie Briséis, qui habitait la ville du divin Mynès, promise à Achille par Patrocle).
Le chercheur constate alors que si son aspiration vers une perfection humaine (de l’homme actuel) a longtemps progressé pour acquérir « une puissance de transformation par l’union avec le Divin » qui a grandi dans une structure consacrée à « l’évolution de la consécration », elle n’a jamais pris celle-ci sérieusement comme objet (Agamemnon, époux de Clytemnestre, jure n’avoir jamais touché Briséis « semblable à l’Aphrodite d’or » qui habitait autrefois la ville du divin Mynès).
(« L’Aphrodite d’or » est l’amour le plus haut dont est capable le chercheur à ce stade du yoga, la compassion obtenue par la consécration).
Le chercheur reconnaît toutefois que les anciennes réalisations tournées vers l’union dans le chemin de purification-libération ont pris autrefois soin de cette « puissance de transformation par l’union avec le Divin » qui ne peut s’acquérir que par le travail dans les profondeurs (Patrocle avait pris soin de Briséis et lui avait promis la main d’Achille).
Il se remémore ensuite le chemin passé dans les régions sombres des profondeurs vitales de l’être (il évoque son père Pélée) et envisage les combats futurs qui se préparent à l’écart de ce combat pour le renversement (il pense à son fils Néoptolème « les nouveaux combats » qui grandit loin de lui).
Alors le supraconscient intervient et lui offre une expérience de non-dualité au niveau le plus haut (Athéna instilla dans la poitrine du héros le nectar et l’ambroisie).

Le chercheur se prépare ensuite pour le grand tournant de son yoga. Non seulement il a reçu les « protections » données par la puissance qui crée les formes nouvelles (Héphaïstos) mais aussi « un moyen d’action » que seul peut manier celui qui travaille à la purification et libération des couches profondes de la conscience. Ce moyen a été forgé par « ce qui agit dans la nature inférieure en manipulant les énergies de façon juste » et permet que ce qui est totalement libre dans le mental et le vital mène les combats dans le physique (la lance fut donnée par Chiron à Pélée et seul Achille peut la manier).
La maîtrise totale et le courage (et/ou la très forte consécration) sont les éléments moteurs capables d’orienter la force vitale dans ce tournant de yoga (Automédon « celui qui est maître de lui-même » et Alcime préparent l’attelage. Rappelons que les chevaux sont des symboles de force, de pouvoir, le plus souvent de pouvoir vital.)
Ces forces qui « entraînent » le yoga, appartenant à la non-dualité, sont issues du travail de purification dans les racines du vital. Le Zéphyr est en effet une aide spirituelle à la purification, le vent divin qui soulève « la violence des tempêtes d’automne qui font tomber les feuilles et les branches mortes » et la Harpye Podargé « celle aux pieds clairs » est le symbole du mouvement de retour à un équilibre lumineux dans l’incarnation (homéostasie juste).
Jusqu’à ce tournant de yoga, le « détachement » et la « conversion du vital (son adhésion au yoga) » travaillaient pour clarifier les profondeurs du vital, travail commencé par Pélée puis poursuivi par Achille. Mais lorsque cette libération vitale est acquise, ces forces doivent « changer leur manière de penser », c’est-à-dire que les processus mentaux auxquels elles sont liées doivent muter. C’est une condition indispensable pour la transformation, afin de permettre la descente des forces de Vérité dans le corps.
Pour la première fois, le chercheur prend conscience d’une possibilité de communication directe avec un « pouvoir d’action » du vital purifié – ici la capacité de « détachement », qui libère de toute entrave et de toute limite, conduit à la parfaite égalité y compris dans le corps et peut se hisser hors du temps car elle connaît le futur (Xanthos est doté d’une voix humaine et promet à Achille de le ramener vivant).

La phrase énigmatique prononcée par le cheval Xanthos à destination de son maître Achille « car son destin était de succomber à la force d’un dieu et d’un homme » laisse entendre que le chercheur comprend qu’une longue préparation sera encore nécessaire avant la nouvelle phase évolutive, avant que le nouveau yoga ne s’impose.

Chant XX : Le combat des dieux

Zeus ordonna à Thémis de convoquer les dieux à l’assemblée. Tous vinrent y compris les fleuves et les nymphes des bosquets, à l’exception d’Océanos. Soucieux d’en finir, Zeus ordonna aux dieux de se rendre sur le champ de bataille pour porter assistance au camp de leur choix tandis que lui-même contemplerait le spectacle.
Vers les Achéens partirent donc Héra, Athéna, Poséidon, Héphaïstos et Hermès ; vers les Troyens, Arès, Apollon, Artémis, Léto, le Xanthe et Aphrodite.
Athéna et Arès stimulaient les combattants avec de grands cris, Zeus tonnait et Poséidon ébranlait la terre au point qu’Hadès en son royaume prit peur, craignant que Poséidon « n’ouvre aux yeux des mortels et des immortels les terribles et vastes demeures qui font frissonner les dieux-mêmes ».
Les dieux se faisaient face deux à deux : Poséidon et Apollon, Ényalé et Athéna, Héra et Artémis, Léto et Hermès, Héphaïstos et le Xanthe que les mortels appelaient Scamandre.

Apollon poussa Énée à combattre Achille en dépit de ses protestations, lui insufflant une grande fougue. Sur les conseils de Poséidon, les dieux s’installèrent pour contempler le combat des deux héros.
Énée énuméra les rois de sa lignée parmi lesquels les fondateurs : Dardanos dont les sujets habitaient sur les pentes de l’Ida, Érichthonios aux trois mille juments que couvrit Borée et dont naquirent douze pouliches qui couraient sur la pointe des épis, et enfin Tros, père d’Ilos, Assaracos et Ganymède.
Puis Énée lança sa pique, ce qui effraya Achille qui n’avait pas conscience que « les présents d’un dieu sont bien malaisés à détruire par un mortel ».
Mais Poséidon (bien qu’il soutint le camp achéen) couvrit les yeux d’Achille d’un brouillard et retira Énée du combat car « le destin voulait qu’il soit sauvé afin que ne périsse point la race de ce Dardanos que le Cronide avait plus aimé qu’aucun des autres enfants qui naquirent de lui et d’une mortelle ». Il annonça ensuite qu’Énée et ses descendants règneraient sur les Troyens dans l’avenir, puis dissipa le brouillard des yeux d’Achille.

Apollon conseilla à Hector qui stimulait ses troupes de ne pas se porter au-devant d’Achille qui encourageait les siennes, mais de l’attendre parmi ses guerriers.
Achille tua Iphition, Démocléon et Hippodamas.
Puis Achille tua Polydore, le plus jeune et le plus aimé des fils de Priam. Hector, rempli de douleur à la mort de son jeune frère, vint au-devant d’Achille. Et tandis qu’ils lançaient leurs piques, Athéna détourna celle d’Hector tandis qu’Apollon dérobait par trois fois Hector à la vue d’Achille par un épais brouillard.
Puis Achille tua Dryops, Démouque, Laogon, Dardanos, Tros, Moulios, Échècle, Deucalion, Rhigme et son écuyer Areithoos, et bien d’autres encore.

Achille bondissait en tous sens pareil à un dieu, la terre noire était rouge du sang de ses victimes et ses chevaux aux sabots massifs écrasaient à la fois morts et boucliers.

Pour le grand retournement du yoga, toutes les forces qui participent à l’évolution sont mobilisées selon la loi divine (Thémis). Si Océanos n’apparaît pas dans l’assemblée, c’est le plus probablement pour signifier que la nouvelle phase de purification-libération n’est pas encore commencée, ce que confirme le fait que Néoptolème « les nouveaux combats », le fils d’Achille, n’a pas encore rejoint Troie.
À ce tournant du yoga, le chercheur est de plus en plus proche des forces du surmental. Aussi les dieux vont-ils se manifester toujours davantage à visage découvert. Le fait qu’ils se répartissent dans les deux camps indique que le surmental est encore un plan de dualité où les forces peuvent s’affronter, car toutes ont même légitimité à poursuivre la ligne qui leur est propre. Et si certaines défendent une option qui semble indéfendable – ici la position troyenne – elles ne sont pas pour autant dans l’erreur. Seule notre vision limitée peut en donner l’impression, car toutes n’ont en fait pour but que de contribuer à une plus grande perfection humaine.

Le chercheur est alors ébranlé par le subconscient jusque dans les profondeurs du physique, et la puissance qui veille au travail de l’union dans le corps craint même un moment que le corps ne puisse supporter les horreurs de l’inconscient profond ou la Vérité est corrompue (Hadès craint que Poséidon « ne fasse éclater la terre dans le ciel et n’ouvre aux yeux des mortels et des immortels l’effroyable demeure de la corruption dont les dieux mêmes ont horreur »).
En lui, le chercheur met face à face :
– l’action du subconscient et celle de la lumière psychique (Poséidon et Apollon)
– l’évolution extérieure et intérieure (Ényalé et Athéna)
– les lois et le juste mouvement (Héra et Artémis)
-le psychique et la connaissance surmentale (Léto et Hermès)
– les formes nouvelles et le détachement de l’incarnation (Héphaïstos et le Xanthe).
Puis il s’interroge à nouveau sur la justesse de son chemin : la lumière psychique intérieure (Apollon) l’incite à mettre face à face dans sa conscience le mouvement qui veut travailler à la libération dans les profondeurs (Achille) et le processus qui, dans la voie de l’ascension, avance non pas dans la division de l’esprit et de la matière (Hector dans la lignée d’Ilos et Laomédon), mais dans celle de l’unité afin de réaliser l’amour (Énée « l’évolution », fils d’Anchise « celui qui est proche de l’homme » et d’Aphrodite « l’évolution de l’amour », dans la lignée d’Assarakos « le mouvement juste d’ouverture de la conscience dans un être unifié »).
À ce moment, le chercheur n’a pas encore compris à quel point il est protégé (Achille n’avait pas conscience que son bouclier fabriqué par Héphaïstos le protégeait « car les présents d’un dieu sont bien malaisés à détruire par un mortel »).
Toutefois, même si le chercheur est prêt à remettre en cause radicalement les voies anciennes (si Achille risque de l’emporter), il n’est pas question de mettre fin à la participation de l’esprit au chemin vers l’amour : cela devra en effet se réaliser plus tard, avec Énée et ses descendants. La participation du mental à la voie de l’amour pourra reprendre lorsque la Vérité sera établie dans les profondeurs, lorsque le chercheur ne séparera plus l’esprit de la matière. Aussi le subconscient évite au chercheur de trancher prématurément et l’oblige à reconnaître que l’évolution a été longtemps conduite de façon juste par cette quête de l’amour entre les hommes (Énée est soustrait du combat car « le destin voulait qu’il soit sauvé, afin que ne périsse point la race de ce Dardanos que le Cronide avait plus aimé qu’aucun des autres enfants qui naquirent de lui et d’une mortelle »).
Le subconscient agit ici en produisant un état d’incertitude temporaire, puis en faisant comprendre simultanément la suite de l’évolution (Poséidon déposa un brouillard sur les yeux d’Achille mais annonça qu’Énée et ses descendants règneraient sur les Troyens dans l’avenir).

Le yoga des profondeurs met fin aux capacités les plus récemment apparues dans la voie de l’ascension et auxquelles le chercheur est le plus attaché (Achille tua Polydore, le plus jeune et le plus aimé des fils de Priam).
Mais le moment du renversement n’est pas encore venu (les dieux des deux côtés font en sorte de retarder l’issue du conflit, Athéna détournant la pique d’Hector et Apollon dérobant par trois fois Hector à la vue d’Achille).

Chant XXI : Combats près du fleuve

Devant Achille, les Troyens refluèrent, les uns vers la ville tandis que d’autres étaient précipités dans le fleuve aux tourbillons d’argent, le Xanthe, fils de Zeus. Achille les y poursuivit et avec son épée fit un grand massacre. Il fit cependant douze prisonniers destinés à payer pour la mort de Patrocle.
Achille se trouva en face de l’un des deux fils de Priam et Laothoé, Lycaon, dont le frère était Polydore qui venait d’être tué. Lycaon avait déjà été capturé par Achille autrefois et vendu à un fils de Jason à Lemnos. Malgré ses supplications, Achille le tua. Puis il tua Astéropée, fils de Pélégon, lui-même fils du fleuve Axios et de Péribée. Puis il tua de nombreux Péoniens : Thersiloque, Mydon, Astypyle, Thrasios, Aenios, Ophéleste.

Le fleuve Scamandre (le Xanthe), sous les traits d’un homme, se plaignit à Achille d’être rempli de cadavres et de ne plus pouvoir se déverser dans la mer. Mais Achille poursuivit le massacre des Troyens jusque dans le fleuve qui se dressa contre lui, soulevant ses eaux, repoussant les morts sur les berges et dissimulant les vivants dans ses tourbillons immenses. Achille dut s’agripper à un arbre déraciné pour lui échapper et remonta sur la berge. Tandis qu’il s’enfuyait pris de peur, le fleuve le poursuivit à grands flots, déferlant à plusieurs reprises sur ses épaules et tentant de l’emporter par son courant « en domptant ses genoux ». Il supplia Zeus, Poséidon et Athéna qui le rassurèrent, lui promettant que le fleuve se calmerait, et ils lui demandèrent de tout mettre en œuvre pour tuer Hector.
Mais le Xanthe ne calma pas sa fureur, appelant bien au contraire le fleuve Simois à s’allier avec lui pour abattre le héros. La plaine entière fut alors inondée et Héra prit peur. Elle invita son fils Héphaïstos à mettre le feu aux berges du fleuve tandis qu’elle-même soulèverait les vents Zéphyr et Notos qui porteraient le feu jusqu’aux Troyens et les brûleraient.
Le feu d’Héphaïstos assécha donc la plaine et brûla les berges si bien que le Xanthe immortel capitula, demandant à Héra de mettre un terme à l’action du forgeron divin. Ce que fit tout aussitôt la déesse.

Les dieux, partagés dans leurs cœurs, se ruèrent les uns contre les autres au grand plaisir de Zeus. Arès se jeta sur Athéna, et frappa son égide, mais la déesse prit une lourde pierre et en frappa au cou son frère qui tomba sur le sol. Aphrodite vint le relever, et tandis qu’elle l’emmenait par la main, elle fut frappée par Athéna que stimulait Héra, et s’effondra sur le sol avec lui.
Poséidon défia Apollon, le laissant attaquer le premier car il était le plus jeune. Comme Apollon répugnait à attaquer le frère de son père, Artémis le prit à partie, ce qui souleva la colère d’Héra qui la frappa au visage. Artémis s’enfuit en pleurant.
Hermès de son côté dit à Léto qu’il renonçait à l’affronter car elle était plus puissante que lui.
Lorsque l’affrontement fut terminé, les dieux regagnèrent l’Olympe, sauf Apollon qui pénétra dans Ilion.

Comme Achille était sur le point d’atteindre les portes de la ville, Apollon stimula Agénor, fils d’Anténor, et se tint à ses côtés enveloppé dans un brouillard. Alors qu’Achille allait le tuer, Apollon le déroba aux yeux du héros et prit sa place sous la même apparence. Puis Agénor-Apollon se laissa perfidement poursuivre par la plaine fertile, permettant ainsi aux combattants troyens de se mettre à l’abri des murs de la ville.

Une grande partie de ce chant est lié aux démêlés d’Achille avec le fleuve de la plaine troyenne que les dieux nomment le Xanthe (Xanthos) « jaune, blond roux ou rouge doré » et que les hommes appellent Scamandre « l’homme à gauche ».
Le nom Xanthos est non seulement celui de ce fleuve de Troade, mais aussi celui d’un des chevaux immortels d’Achille, d’un cheval mortel d’Hector et de quelques autres personnages secondaires.
Les sources du Scamandre sont décrites au chapitre suivant : « Au-delà du figuier sont les deux fontaines d’où jaillissent les eaux du Scamandre aux tourbillons d’argent. De l’une coule une onde tiède et une fumée s’en élève comme d’un feu ardent. De l’autre, en plein été, sort un flot pareil à la grêle, à la neige froide, à l’eau congelée. »
Avec les lettres structurantes, Χ+ΝΘ, le nom Xanthos exprime « l’accomplissement de l’évolution intérieure ».
Lorsqu’il s’applique à un cheval, il s’agit donc de « l’accomplissement intérieur au niveau du vital », c’est-à-dire de la libération vitale (attractions/répulsions, etc.) qui est aussi réalisation de l’égalité, plus ou moins accomplie selon que les chevaux sont immortels ou non (parvenus à la non-dualité). Le renoncement/détachement, dont le symbole est la couleur jaune-dorée, est un élément de cette égalité.

Lorsque ce nom est appliqué par les dieux au fleuve de Troade, il représente « le courant de conscience-énergie qui est composé à la fois d’une aspiration mais aussi d’une extrême séparation due au rejet de la matière (de l’un s’élève une fumée comme d’un feu ardent, de l’autre une eau glacée) : c’est l’union en l’esprit associé à la perfection du renoncement au monde matériel.
Symboliquement, le Scamandre peut aussi représenter l’ensemble des deux courants de conscience-énergie qui animent la structure de l’arbre des Sephiroth (« le fleuve aux tourbillons d’argent ») et sont figurés par les deux serpents du Caducée. Ces courants soutiennent le monde des formes et assurent le lien entre l’Esprit et la Matière. Ils empruntent les canaux nommés Ida et Pingala et sont souvent représentés dans le Caducée par les couleurs opposées noire et blanche.
Ce sont deux courants de nature opposée, traduisant les forces fondamentales de fusion/fission, éloignement/rapprochement, fusion/séparation, etc. L’un conduit vers l’individuation et l’éloignement de l’Absolu, l’autre vers la fusion ardente avec le Divin. Ils prennent leur source dans « les deux fontaines » qui alimentent de leurs eaux le monde des formes, au point où se rencontrent la tête des deux serpents. Elles sont situées « au-delà du figuier », l’arbre de la Connaissance suprême, de la Vacuité où celle-ci prend sa source, ou encore de l’Unité en laquelle tout se rassemble : c’est le niveau de la Sephira occulte Daat. (Il ne s’agit ici que de l’arbre du mental et du monde des formes, car selon Homère, le Xanthe est fils de Zeus).
Si ces courants maintiennent la création en équilibre, leur influence sur certains plans se renforce toutefois selon des cycles cosmiques que les hommes ignorent, car ils ne perçoivent que l’énergie dans laquelle ils sont immergés de façon prépondérante. Durant le cycle mental d’individuation dans laquelle est plongée l’humanité depuis treize mille ans, ils ne ressentent clairement que l’influence séparatrice, celle du côté gauche (du cerveau gauche logique) : le Scamandre « l’homme qui perçoit ce qui est à gauche », la perfection du renoncement. Les dieux qui ont une vision plus haute, connaissent l’ensemble du cycle et sa raison dans l’évolution.
La situation du Xanthe en Troade montre que l’évolution symbolisée par cette province ne peut s’achever avec la guerre de Troie qui ne constitue que l’éradication temporaire d’une erreur due à un manque de consécration : Énée devra instaurer les fondements de la Troie future.

À ce moment du yoga, le chercheur est envahi d’une énergie inflexible pour le renversement, mais les nombreux résidus des transformations opérées dans l’ancien yoga en viennent à bloquer en lui la circulation fondamentale des énergies, car il ne peut les intégrer au fur et à mesure (Achille veut continuer le massacre des Troyens dont les cadavres emplissent le Scamandre et l’empêchent de se déverser à la mer)
Il est attaqué aussi bien depuis les hauteurs de l’esprit que dans l’incarnation et donc dans le corps (le Xanthe déferla à plusieurs reprises sur ses épaules et tenta de fléchir ses genoux pour l’emporter dans son courant).
(Peut-être cette obstruction du Xanthe à l’action d’Achille et son maintien du côté des Troyens à l’instar des enfants de Léto, sont-ils nécessaires pour maintenir dans le chercheur une compassion qui risquerait sinon de disparaître au profit de l’inflexibilité.)

Cependant, le chercheur est averti intérieurement qu’il n’a rien à craindre et qu’il doit se consacrer au renversement, en mettant fin définitivement à ce qui en lui travaille dans la séparation (Athéna et Poséidon rassurent Achille et lui demandent de tuer Hector).
Mais les courants fondamentaux qui soutiennent l’évolution font appel à un autre courant de conscience-énergie, celui qui rythme l’alternance des phases de séparation et de fusion (le Xanthe demanda l’alliance de son frère le Simois « le recourbé »). En effet, il semblerait que le basculement ne puisse se produire qu’en accord avec les rythmes fondamentaux de la nature qui doivent accompagner le mouvement. Cela paraît vrai tant du point de vue individuel que de celui des mutations humaines d’ensemble. Lorsque les deux mouvements se rejoignent, le basculement s’opère (le Simois mêle ses eaux à ceux du Xanthe dans la plaine de Troie).

Mais le chercheur reçoit aussi l’aide de la puissance spirituelle qui veille au juste mouvement de l’évolution. Elle met en œuvre la capacité à créer des formes nouvelles pour s’opposer au « débordement » de ces énergies fondamentales par un puissant feu intérieur (Héra sollicita Héphaïstos pour remettre dans son lit le Scamandre en brûlant ses berges). Elle sollicite aussi l’aide spirituelle qui soutient la purification et celle qui favorise une salutaire ignorance (elle envoie aussi les vents porter le feu dans les rangs troyens, le Zéphyr et le Notos « qui apporte le brouillard odieux aux bergers »).

Alors que le chercheur retrouve une certaine paix, il voit s’opposer en lui les plus hautes forces spirituelles dont il soit conscient, forces qui suivent leur propre trajectoire :
Le mouvement de consolidation et de destruction des formes est arrêté dans sa source par la force du guide intérieur qui, lui, œuvre à l’évolution par la transformation (Arès est meurtri au cou par Athéna et s’effondre). Le chercheur peut désormais se hisser au-dessus des formes.
L’amour en évolution, venu au secours de ce qui renouvelle les formes, est aussi vaincu par le maître intérieur (Aphrodite venue au secours de son amant Arès est mise hors de combat par Athéna). Dans le mouvement évolutif en cours, ce n’est plus la croissance de l’amour qui prime mais celle de la Vérité.
Le chercheur refuse de passer au crible de la lumière psychique les manifestations du subconscient bien que la quête d’une plus grande pureté le désire ardemment et soit elle aussi obligée de s’effacer dans cette phase (Apollon évite le combat avec Poséidon. Sa sœur Artémis qui lui cherchait pour cela querelle fut rabrouée par Héra et s’enfuit en pleurant).
Le chercheur reconnait que la connaissance mentale la plus haute, au niveau du surmental, ne peut se mesurer à la vérité psychique dans sa connaissance et son action (Hermès dit ne pas vouloir affronter Léto).
Le chercheur toutefois ne devait pas emporter la victoire avant que les forces d’opposition n’aient eu la possibilité une dernière fois de se rassembler. Pour cela, l’attention du chercheur est détournée par la lumière psychique qui prend l’apparence d’un mouvement opposé à l’évolution juste, le vrai prenant l’apparence du faux : ce qui semble aller doublement à l’encontre du yoga de la divinisation intégrale n’est en fait qu’un obstacle pour une perfection plus grande (Apollon, déjà soutien des Troyens, prend l’apparence d’Agénor « celui qui conduit l’évolution », fils d’Anténor « celui qui est contre l’évolution », et se laisse poursuivre à travers la plaine).

Chant XXII : La mort d’Hector

Apollon mit fin à la poursuite et révéla son identité à Achille qui comprit que le dieu s’était joué de lui.
Priam, apercevant Achille et soupçonnant déjà la mort de deux de ses fils, Lycaon et Polydore, supplia Hector de s’abriter dans les murs. Sa mère Hécube aussi l’implora, mais il ne bougea pas, regrettant amèrement de n’avoir pas suivi les conseils de repli de Polydamas et perdu en conséquence tant de guerriers. Il songea même un instant à rendre Hélène aux Achéens avec de nombreux trésors. Alors, comme Achille s’approchait de lui, il prit peur et s’enfuit.

Après avoir dépassé le poste de guet, puis le figuier et les deux fontaines aux belles eaux (les sources du Scamandre), Achille poursuivit Hector, faisant trois fois le tour de la ville. Tous les dieux les contemplaient. Zeus méditait de soustraire Hector à la mort, mais comme Athéna se rebellait, il accepta qu’elle agisse sans tarder selon ses desseins.

Chaque fois qu’Hector tentait de se mettre à l’abri des remparts, Achille le repoussait vers la plaine. Une dernière fois, Apollon redonna de la vigueur au fils de Priam. Mais tandis que les deux héros passaient devant la fontaine pour la quatrième fois, Zeus déploya sa balance d’or et mis leurs destins dans les plateaux. Celui de la mort d’Hector pesa plus lourd et Apollon l’abandonna.
Athéna alors dévoila ses plans à Achille. Ayant pris l’apparence de Déiphobe – un fils de Priam resté dans les murs – elle persuada Hector de combattre Achille en combat singulier.
Lorsqu’ils furent face à face, Hector proposa un pacte afin que le corps du vaincu soit rendu aux siens, ce que refusa Achille qui projeta sa lance. Il manqua son adversaire, mais Athéna lui rapporta la lance. Lorsqu’Hector eut lancé la sienne et manqué à son tour Achille, il appela en vain Déiphobe-Athéna pour la lui rapporter et comprit que les dieux s’étaient joués de lui.
Les deux héros se précipitèrent alors l’un sur l’autre, Hector avec son épée et Achille avec sa lance qu’il enfonça dans le cou d’Hector, là où la clavicule sépare l’épaule du cou. Hector, blessé à mort, supplia de nouveau Achille de restituer son corps aux siens afin qu’ils l’enterrent selon les rites, mais Achille refusa une fois de plus. En expirant, il prédit à Achille que Pâris-Alexandre et Apollon le tueraient devant les portes Scées.

Achille dépouilla Hector de ses armes puis lui perça les chevilles à l’arrière des talons et y passa des courroies qu’il attacha à son char. Puis il fouetta ses chevaux, traînant le corps d’Hector dans la poussière.
Dans la ville, Priam et Hécube pleuraient, inconsolables.
Andromaque, la femme d’Hector, ignorant encore tout du destin de son époux, monta sur les remparts et s’évanouit en voyant son corps traîné par les chevaux. Puis comme elle revenait à elle, toute sa pensée alla vers son jeune fils, Astyanax : il aurait à endurer le pénible destin d’un orphelin dépouillé de ses biens, solitaire, à qui les plus vieux font l’aumône. Privé de père, il serait en outre rejeté des fêtes.
Astyanax était ainsi nommé par tous parce que son père protégeait les portes et les murailles de la ville. Hector, son père, était le seul à l’appeler Scamandrios.
Puis Andromaque annonçât qu’elle brûlerait les vêtements d’Hector en témoignage de sa gloire.

Le chercheur finit par comprendre que le dénouement est retardé par la lumière psychique. Il devine que le basculement est proche, car le mouvement d’ouverture vers les hauteurs de l’esprit ne se sent plus soutenu par la lumière naissante et par les dons obtenus dans cette voie (Priam pressent la mort de Lycaon et Polydore).
Il se dit que s’il avait poursuivi selon la voie de la maîtrise en se protégeant suffisamment lorsqu’il se mit aussi à travailler dans les profondeurs, il ne serait pas dans une situation si misérable (Polydamas avait conseillé à Hector de revenir dans les murs lorsqu’Achille cessa sa « grève »). Il pense même un instant pouvoir accepter de s’être fourvoyé en poursuivant la voie de l’ascension, quel qu’en soit le prix à payer (Hector songe à rendre Hélène et tous les biens).

Le combat intérieur se déplace alors au plus haut de la conscience, au-delà de ce qui peut observer, au-delà même des frontières de la Connaissance et des sources des courants de conscience-énergie qui alimentent la dualité (Achille poursuivit Hector au-delà du poste de guet, du figuier et des deux fontaines aux belles eaux, sources du Xanthe.)

Cette confrontation finale doit concerner la totalité de l’ancienne structure de yoga (les deux héros font trois fois le tour de la ville). Ce qui dans le chercheur résiste au basculement tente de se conforter par les formes de l’ancien chemin, ce que ne permet pas l’aspiration nouvelle qui plonge dans les profondeurs (Hector essayait de se protéger sous les remparts mais Achille le repoussait vers la plaine).
Vient enfin le moment où le supraconscient décide que le temps est venu et peut laisser le maître intérieur aider au renversement (Zeus laisse Athéna agir). Celui-ci fait en sorte que ce qui dans le chercheur résiste à la transformation s’imagine soutenu par un travail avancé dans l’éradication de la peur (Hector se croit accompagné de son frère Déiphobe « celui qui travaille à tuer la peur »).
Puis le chercheur veut se persuader que l’immense travail de yoga effectué dans le mouvement d’ascension des plans de conscience n’a pas été réalisé en vain, mais pour ce qui œuvre dans les profondeurs, cette ascension semble avoir été inutile (Hector demande que les honneurs funèbres lui soient rendus si c’est lui qui est tué, mais Achille refuse). Il intègre alors le fait que la bascule est bien décrétée (Hector comprit que les dieux s’étaient joués de lui).

C’est au niveau symbolique de « la porte des dieux » (la clavicule) que le coup mortel est porté : le chercheur ne doit pas choisir pour absolu le seul monde de l’Esprit mais participer à la divinisation de la matière.
Jusqu’au moment où il abandonnera définitivement l’ascension, le chercheur tente en vain de se convaincre que le yoga passé n’a pas été poursuivi inutilement (Hector mourant réitère sa demande à laquelle Achille refuse toujours de répondre favorablement).
Il lui est une fois de plus confirmé que le mouvement qui accomplit la libération et permet le renversement ne pourra pas perdurer, et cela en accord avec l’ordre juste. Il s’agira en effet de la fin du yoga personnel et les combats futurs menés par Néoptolème, le fils d’Achille, nécessiteront la participation consciente de l’homme à son évolution par son alliance avec les forces de l’esprit (Hector annonce qu’Achille mourra du fait de l’alliance d’un homme et d’un dieu). Homère ne mentionne pas le nom de l’homme ni du dieu. Toutefois, si l’on prend en compte les sources postérieures qui indiquent Apollon et Alexandre, il faudrait alors comprendre que le chercheur (l’humanité) n’est pas encore prêt pour le renversement.

Pendant un certain temps, le chercheur renie son ancien parcours qui l’a conduit dans les hauteurs de l’esprit (Achille traîne le corps d’Hector dans la poussière), tandis qu’une autre partie de lui-même reste attachée aux buts de l’ancien chemin, aussi bien ceux qui visaient une sortie de l’incarnation que ceux qu’il se proposait en vue d’une plus grande maîtrise (Hécube et Andromaque « l’homme qui combat », mère d’Astyanax « la maîtrise de la ville », pleurent).
Il prend conscience que ce travail de maîtrise ne constituerait plus un avantage dans le nouveau chemin, serait laissé à l’écart des nouveaux travaux de yoga, ne pourrait prendre sa place dans l’évolution et serait seulement faiblement reconnu par les très anciennes voies (Astyanax serait dépouillé de ses biens, un orphelin rejeté des fêtes à qui les plus vieux font l’aumône).

C’est de presque tous les points de vue que le chercheur considère « la maîtrise » comme la structure et la protection essentielle des anciens yogas, et seule la partie qui est parvenue « au plus haut de l’esprit » peut voir « en vérité » qu’il ne s’agit que de la vision partielle de l’humanité actuelle plongée dans le processus séparateur (Astyanax était ainsi nommé par tous parce que son père protégeait les portes et les murailles de la ville. Hector, son père, était le seul à l’appeler Scamandrios « l’homme à gauche », « celui qui a renoncé ».)

Alors le chercheur qui « lutte » décide de rendre honneur aux « fonctions » remplies par cette quête du plus haut de l’esprit qui s’est manifestée par une grande maîtrise (Andromaque annonçât qu’elle brûlerait les vêtements d’Hector, père d’Astyanax, en témoignage de sa gloire).
Si donc la maîtrise est indispensable, elle ne sera plus désormais un élément actif dans le yoga du corps.

Chant XXIII : Jeux en l’honneur de Patrocle

Tandis que la nuit tombait, les Achéens regagnèrent leurs vaisseaux. Mais Achille retint ses Myrmidons pour pleurer encore Patrocle, et tous, avec chevaux et chars, firent trois fois le tour du défunt. Conduit auprès d’Agamemnon, il refusa de se laver avant d’avoir enterré son compagnon. Après le repas, comme il s’était endormi, Patrocle vint le visiter, implorant d’être enseveli rapidement, et il demanda à son ami de veiller à ce que ses cendres reposent dans le futur à côté des siennes. Voulant le serrer dans ses bras, Achille s’aperçut qu’un « je ne sais quoi vivait encore chez Hadès, une âme, une ombre (ψυχη και ειδωλον) mais que le cœur n’y résidait plus (φρεν) ».
Selon les ordres d’Agamemnon, tous les hommes suivirent Mérion pour couper le bois nécessaire au bûcher funéraire. Lorsqu’il fut dressé, Achille insista auprès de l’Atride pour que seuls les chefs demeurent auprès de lui. Puis il sacrifia nombre d’animaux ainsi que les douze prisonniers – des nobles fils des Troyens magnanimes – qu’il déposa sur le bûcher.
Pendant ce temps Apollon et Aphrodite s’employaient à protéger le corps d’Hector, non seulement des chiens mais aussi des dégradations que pourraient lui causer Achille ou la brûlure du soleil.
Comme le bûcher de Patrocle refusait de s’enflammer, Achille pria les vents Borée et Zéphyr d’activer la flamme, ce qu’ils firent tout aussitôt.

Puis Achille organisa des jeux, énumérant les prix qui seraient remportés par les vainqueurs.
À la course de chars, concoururent selon l’ordre décidé par les sorts : Antiloque que son père incita à faire preuve d’intelligence, Eumèle (fils d’Admète), Ménélas avec les chevaux Éthé et Podargé, Mérion et enfin Diomède avec les chevaux qu’Énée avait hérités de Tros. Phénix, sur la ligne d’arrivée, devait départager les concurrents. Alors que la course était bien engagée, Apollon tenta de ralentir Diomède en lui faisant lâcher son fouet, mais Athéna lui en donna un autre, en même temps qu’elle provoquait la chute d’Eumèle. Ce fut Diomède qui passa le premier la ligne d’arrivée et son cocher Sthénélos emporta les prix. Puis arriva Antiloque, qui avait devancé de peu Ménélas par la ruse, suivi de Mérion et enfin Eumèle. Les prix furent attribués, non sans quelque récrimination. Achille offrit à Nestor une coupe à deux anses, lui garantissant qu’il n’aurait plus à se battre désormais.
Au pugilat, Épéios, fils de Panopée, l’emporta sur Euryalé, fils de Mécistos, lui-même né de Talaos.
À la lutte, le grand Ajax et Ulysse s’affrontèrent sans qu’aucun d’eux ne puisse prendre l’avantage.
À la course de vitesse, se mesurèrent le petit Ajax, Ulysse et Antiloque. Athéna fit trébucher Ajax pour donner la victoire à Ulysse qui l’avait implorée.
Au vainqueur d’un combat à l’épée, Achille promit les armes de Sarpédon. Le grand Ajax et Diomède s’affrontèrent mais les Achéens prirent peur pour Ajax et firent cesser le combat.
Au lancer du disque, Polypoitès l’emporta sur Léontée, le grand Ajax et Épéios.
Au tir à l’arc, Teucer fut vaincu par Mérion car il avait oublié de promettre une offrande à Apollon.
Au lancer de javelot, Mérion voulut défier Agamemnon, mais Achille sachant la lutte inégale offrit le prix directement à l’Atride.

Dans cette phase, le chercheur ne se soucie plus de poursuivre la purification avant d’avoir correctement intégré les réalisations passées qui s’appuyaient sur le mental pour travailler dans les profondeurs (Achille refusa de se laver avant d’avoir enterré Patrocle). Puis il prend conscience par une vision nocturne que ces réalisations ne doivent pas être dissociées de ce qui travaille au renversement du yoga (les urnes funéraires d’Achille et de Patrocle devront reposer côte à côte). Il comprend qu’elles ont été intégrées au niveau de l’être psychique (ψυχη, représentant de l’âme dans l’incarnation) et de la personnalité (ειδωλον, l’image) mais qu’elles ne constituent plus un moteur pour l’évolution (φρην, le souffle animateur).

Puis symboliquement, il met fin à toutes les possibilités de travail vers les hauteurs de l’esprit, le douze étant une représentation de la totalité dans l’incarnation (il sacrifie douze nobles troyens).
Si toutefois il est à ce moment précis bien décidé à rejeter le mouvement d’ascension, il n’en est pas de même des forces du supraconscient qui protègent la mémoire de « ce qui a été » de toute forme d’agression : le mépris des voies anciennes, la destruction par le mouvement qui achève la libération ou même les premiers effets de l’action du supramental ne doivent pas faire oublier que l’ascension des plans de conscience est indispensable (Apollon et Aphrodite protègent le corps d’Hector des chiens, des dégradations que pourrait causer Achille et des brûlures du soleil).
Pour intégrer plus rapidement les anciennes réalisations en vue de l’union qui s’appuyaient sur le mental, le chercheur fait appel à une ascèse soutenue et une purification accélérée (Pour enflammer le bûcher de Patrocle, Achille pria les vents Borée et Zéphyr d’activer la flamme).

Puis, comme toujours dans les étapes majeures du yoga, des jeux sont organisés. À cette occasion sont mises à l’honneur les caractéristiques essentielles du chercheur qui ont permis le renversement.

La course de chars démontre la maîtrise juste des forces par la volonté. Bien sûr, le travail du libéré vivant qui plonge aux racines de la conscience vitale viendrait en premier s’il devait se comparer aux autres (nul ne peut rivaliser avec Achille qui possède les chevaux immortels Xanthos et Balios, et il ne participe donc pas à la course).
Le chercheur a quelque mal à discerner leur exacte importance (les péripéties de la course sont nombreuses) mais arrivent dans l’ordre :
– « la consécration au Divin » ou « celui qui a le dessein d’être Divin », qui est entré dans une joie stable et s’appuie sur les forces développées dans la voie de l’ascension, conduites par une « puissante libération » (Diomède, fils d’Oineus, avec son cocher Sthénélos qui menait les chevaux de Tros)
– « la volonté d’harmonie ou d’exactitude » entraînée dans la « chute » par la force qui veille au yoga mais considérée en seconde position par le chercheur (Athéna ayant fait chuter Eumèle pendant la course, il arriva donc bon dernier loin derrière Mérion, mais Achille lui donna le second prix). Cette pression du supraconscient a sans doute pour but d’éviter au chercheur d’aller vers un excès de volonté de perfection, mais elle montre aussi qu’il n’est plus désormais soumis entièrement à la décision des puissances du surmental.
– « la vigilance aiguisée » qui doit se reposer sur le discernement, issu de « l’évolution de l’intégrité » (Antiloque, fils de Nestor qui exhorte son fils à l’intelligence)
– « la volonté inébranlable tendue vers la vision du but », entraînée par le feu intérieur et la purification dans l’incarnation (Ménélas avec les chevaux Éthé et Podargé)
– « le mouvement juste de la conscience vers la réceptivité » qui sert « la volonté d’union » (Mérion, écuyer d’Idoménée)

Au pugilat, Épéios, fils de Panopée, l’emporta sur Euryalé, fils de Mécistos, lui-même né de Talaos : l’équanimité issue d’une vision globale l’emporte en adaptabilité et souplesse sur la libération, issue d’une très grande endurance. Rappelons que Pollux, tout à la fois « douceur » et « souplesse », était renommé dans cette discipline.

À la lutte, le grand Ajax et Ulysse s’affrontèrent sans qu’aucun d’eux ne puisse prendre l’avantage : dans ce qui s’empoigne avec la réalité (au corps à corps), « une conscience étendue dans l’incarnation » vient à égalité avec « la réalisation de l’union en soi des polarités ».

À la course de vitesse, Ulysse l’emporta sur le petit Ajax et Antiloque : « le travail de réalisation de l’union en soi des deux courants » fait plus pour l’accélération du yoga que « le développement (le petit moi) » ou que « la vigilance » associée au discernement.

Le grand Ajax et Diomède s’affrontèrent à l’épée mais les Achéens firent cesser le combat par crainte pour Ajax : le chercheur doit reconnaître que « la volonté d’union » découlant de la joie est supérieure à « un élargissement de la conscience », mais il doit cependant protéger ce dernier.

La progression des chevaux

Nous pouvons récapituler, à l’occasion de ce chant, les éléments principaux de la progression du chercheur dans son rapport aux énergies et pouvoirs vitaux symbolisés par les chevaux célèbres.
Le premier cheval d’origine divine fut Aréion « le meilleur » ou « une consciente juste », le cheval d’Adraste « celui qui ne cherche pas à fuir, au courage inébranlable ». Adraste était fils de Talaos « celui qui endure », et donc neveu de Jason et père d’Argéia qui s’unit à Polynice, lequel mena la première guerre de Thèbes. Cette énergie concerne donc les débuts du chemin. Selon des sources tardives rapportées par Apollodore, Aréion serait le fruit de l’insistante passion de Poséidon pour Déméter qui était occupée à chercher sa fille Perséphone. Il symbolise donc le résultat de l’action du subconscient dans les débuts du travail de purification.
Bien qu’Aréion soit d’origine divine, Nestor affirme à son fils Antiloque « la vigilance » que ce dernier peut le vaincre avec des chevaux plus lents s’il fait preuve d’intelligence.

En second lieu, sont les chevaux « ailés » et « infatigables » de Pélops qui permirent à ce héros de conquérir Hippodamie « la maîtrise vitale ». Ils symbolisent le pouvoir acquis par la libération des attachements, du désir et de la peur, autrement dit l’accès à l’égalité d’âme ou équanimité. Si les chevaux sont ailés et infatigables, c’est que l’énergie vitale est libérée de l’emprise de la nature et de tout ce qui l’affaiblit (en particulier dans le mental).

Puis ce sont les nombreux chevaux extraordinaires de la lignée troyenne, sans qu’Homère ne les qualifie pour autant de « divins ».
Tout d’abord, les trois mille cavales d’Érichthonios « le plus riche des mortels » : ce fils de Dardanos incarne donc un chercheur qui a accumulé un nombre impressionnant de « réalisations dans le plan vital ». Borée, sous l’aspect d’un étalon à la crinière bleue, s’éprit des juments qui mirent bas douze pouliches qui couraient sur les champs de blé sans courber les épis et sur la cime des vagues blanchissantes : les réalisations vitales fécondées par une ascèse spirituelle ayant développé un puissant pouvoir intuitif dans le vital (Borée sous l’aspect d’un étalon à la crinière bleue) génèrent de nouveaux pouvoirs dans tous les aspects réceptifs de l’être (douze pouliches) qui ne modifient ni ne dérangent en rien les réalisations du yoga (Déméter « la mère de l’union » est la déesse des champs de blé) et ne sont pas perturbés par les mouvements émotionnels de surface.
On peut supposer logiquement que Tros, fils d’Érichthonios, en hérita, mais ce dernier reçut en outre de Zeus « les meilleurs chevaux qui soient sous l’aurore et sous le soleil » en échange de son fils Ganymède « celui qui a pour dessein la joie ». Ce sont les plus belles énergies et pouvoirs vitaux dans le domaine du « nouveau », des capacités « d’actions justes » car « ils peuvent selon les cas, se retirer devant l’ennemi ou le poursuivre ».
Laomédon, fils de Tros, est le dernier de la lignée à en avoir profité, car ils furent emmenés par Héraclès lorsque celui-ci revint se venger et rasa Troie.
Cependant, Anchise, frère de Laomédon, avait fait saillir ses juments par les étalons de son frère à son insu. Ayant ainsi obtenu six poulains, il en garda quatre et en transmit deux à son fils Énée qui lui furent pris au combat par Diomède.
« Ce qui reste proche de l’humanité » et doit travailler à la croissance de l’amour (Énée est le fils d’Anchise et d’Aphrodite) « profita » quelque temps des pouvoirs et réalisations vitales obtenues dans la voie de l’union en l’esprit, mais dans le cadre de l’évolution future, le chercheur ne devait pas pouvoir les conserver (les deux chevaux qu’il transmit à Énée, à priori les derniers de la lignée, seront pris par Diomède au combat).

Puis viennent enfin les chevaux immortels d’Achille, Xanthos et Balios, que ne touchaient ni l’âge ni la mort. Ils représentent les pouvoirs les plus hauts du vital purifié et libéré, tel par exemple celui de la réharmonisation qui permet de guérir les maladies. Ils sont de l’ordre de l’instant présent et de la non-dualité. Issus de la Harpye Podargé et du vent Zéphyr, ce sont les fruits de l’énergie spirituelle de purification travaillant pour réaliser un équilibre lumineux dans les bases évolutives de la vie.

Chant XXIV : Rachat du corps d’Hector

Les nuits qui suivirent la mort d’Hector, Achille ne dormit pas car il ne pouvait s’empêcher de se remémorer son ami Patrocle. Et lorsque l’aube paraissait, il attachait le corps d’Hector derrière son char et faisait trois fois le tour de la tombe de Patrocle. Mais Apollon avait recouvert le corps d’Hector de son égide d’or pour le protéger de toute dégradation.
Tandis que les dieux sur l’Olympe tenaient conseil, certains suggérèrent que le corps d’Hector fut soustrait par Hermès à la fureur d’Achille, ce que Zeus refusa. À la douzième aurore, tandis qu’Apollon se plaignait du sort réservé à Hector, Héra le rabroua. Zeus intervint dans la dispute et envoya Iris chercher Thétis qui se tenait dans une grotte sous-marine entourée des autres déesses marines. Lorsqu’elle arriva sur l’Olympe, les rites d’accueil une fois accomplis, Zeus lui fit part de l’indignation des dieux et la pria de convaincre son fils de rendre le corps, ce qu’elle fit tout aussitôt. Puis il envoya Iris auprès de Priam afin que celui-ci prépare les compensations suffisantes et se rende auprès d’Achille. Le chef troyen devait être accompagné seulement d’un vieux héraut qui conduirait le char chargé des présents et tiré par une mule. Il ne devait pas craindre les Achéens car Zeus lui offrirait la protection d’Hermès.

Priam n’écouta pas sa femme Hécube à qui il avait fait part du message transmis par Iris et qui lui déconseillait de suivre les demandes de Zeus. Il couvrit d’insultes ses gens et ses neuf enfants encore vivants, pleurant la mort de Mestor, Troïlos et Hector. Juste avant le départ, comme Hécube le priait d’implorer Zeus afin qu’il envoie en présage favorable (à leur droite) l’aigle de sa force suprême, il fit ce que sa femme lui avait demandé et Zeus accéda à sa prière.
Le convoi s’ébranla. Venait en tête le char conduit par Idaios suivi de l’attelage de Priam. Zeus demanda à Hermès de le dissimuler jusqu’à ce qu’il parvienne auprès d’Achille. Hermès attacha ses sandales et prit sa baguette « au moyen de laquelle il charme et ferme à son gré les yeux des mortels ou réveillent ceux qui dorment ». Sous l’aspect d’un jeune prince, il se manifesta à Priam, se disant écuyer d’Achille. Il l’informa que le corps de son fils avait été protégé par les dieux. Sur la demande de Priam, il sauta sur le char, et jetant un profond sommeil sur tous les Achéens qu’ils croisaient, mena le convoi auprès d’Achille. Là, il se fit reconnaître de Priam puis s’en retourna sur l’Olympe.
Achille était seulement entouré d’Automédon et d’Alcime. Priam l’implora de lui rendre son fils, puis tous deux pleurèrent les absents et les disparus. Achille, devinant que Priam n’avait pu l’approcher qu’avec l’aide des dieux, donna l’ordre que le corps d’Hector fut lavé, oint d’huile et revêtu d’une tunique, puis le fit déposer dans le chariot.
Pour inciter Priam à partager son repas, Achille rappela l’histoire de Niobé qui s’était restaurée après avoir pleuré la mort de ses six fils et de ses six filles. Ils avaient en effet été tués par Apollon et Artémis et privés de sépulture pendant neuf jours parce qu’elle se prétendait supérieure à Léto, puis elle avait été changée en pierre sur le mont Sipylos.
Après s’être restaurés, Achille et Priam se contemplèrent mutuellement avec respect et admiration. Achille s’étant enquis du temps nécessaire pour les funérailles d’Hector, Priam lui demanda une trêve de onze jours dont neuf seraient consacrés à pleurer le mort.
Puis tandis que tous deux s’étaient étendus pour la nuit, Achille ayant à ses côtés la jolie Briséis, Hermès s’inquiéta de la sécurité du retour de Priam si jamais Agamemnon apprenait sa présence dans le camp achéen. Il fit donc lever Priam et son héraut au milieu de la nuit et les accompagna jusqu’au Xanthe.
Cassandre qui veillait du haut des remparts, les reconnut de loin et annonça la nouvelle à travers la ville.

Tandis que s’élevaient les chants funèbres, Andromaque tenait entre ses mains la tête d’Hector « tueur d’hommes » et se lamentait sur le sort à venir de leur fils Astyanax. Puis ce furent les plaintes d’Hécube et celles d’Hélène qu’Alexandre « pareil aux dieux » avait emmené avec lui vingt années auparavant. Hélène exprima la douceur de son beau-père Priam et la bienveillance d’Hector à son égard, bien que tous les troyens n’aient désormais pour elle que de la haine.
Pendant neuf jours, les Troyens amassèrent du bois. Le dixième, ils érigèrent le bûcher funéraire qu’ils allumèrent après y avoir déposé le corps d’Hector. Le onzième jour, ils récupérèrent les cendres d’Hector et les déposèrent dans un coffret d’or qu’ils enveloppèrent de tissus pourpres. Ayant mis le coffret en terre, ils érigèrent un tombeau et y placèrent des gardes. Puis, dans la demeure de Priam, ils célébrèrent les funérailles d’Hector par un grand festin.

Le chercheur, dans sa volonté d’une plus grande purification, a beaucoup de mal à accepter que les anciennes expériences d’union dans le chemin de l’ascension ne lui soient plus utiles (Achille ne peut oublier la mort de Patrocle). Non seulement il continue à se persuader de l’inutilité de poursuivre cette voie de l’ascension, mais encore il ne peut intégrer sa place dans son évolution passée (il refuse l’ensevelissement et traîne chaque matin Hector derrière son char autour de la tombe de Patrocle). Mais la lumière psychique ne permet pas que le souvenir en soit terni ni que rien n’en soit oublié (Apollon a couvert le corps d’Hector de son égide d’or).

Les puissances du surmental désirent alors que cesse l’acharnement contre la quête passée du Divin en l’esprit (les dieux veulent soustraire le corps d’Hector à la colère d’Achille). Mais le plus haut du supraconscient impose que ce soit le résultat d’un travail dans les profondeurs de la conscience (Thétis) et non de celui du surmental (Hermès).

Ce sont les infimes mouvements de la conscience vitale profonde qui doivent alors mobiliser la couche la plus profonde de la conscience vitale (Iris doit aller chercher Thétis, fille de Nérée « le vieillard de la mer » et mère d’Achille). Cela se passe au niveau des « sens pensants » puisqu’Iris est fille de Thaumas, c’est-à-dire à celui de la première mentalisation de la vie par les sens qui permet la formation des réflexes et de l’instinct.
Le supraconscient incite donc le chercheur à modifier son attitude en sollicitant les couches profondes de la conscience, les deux plans travaillant alors en parfait accord (Thétis convainc Achille de rendre le corps d’Hector). Il fait en sorte que d’une part le chercheur intègre l’utilité passée de la voie de l’ascension, et d’autre part que soit transférées au travail dans les profondeurs les meilleures réalisations obtenues dans cette voie du haut (la restitution du corps et les contreparties données par Priam). Il offre en outre l’assistance du surmental pour que ce mouvement soit effectué dans la paix intérieure (en sécurité), car seule une influence de ce plan peut garantir une transition harmonieuse (Zeus offre la protection d’Hermès).

Bien sûr, ce qui dans le chercheur cherche encore « l’issue » hors de l’incarnation veut rejeter cet accord et souhaite recevoir à travers le mental un signe favorable du plus haut du supraconscient lui donnant l’assurance que la voie de l’ascension n’est pas définitivement écartée (Hécube tenta de détourner Priam de cette demande des dieux, tout en le poussant à implorer un signe que Zeus envoya).

Le surmental agit d’ordinaire dans le chercheur depuis le supraconscient, l’éclairant ou le confinant dans l’ignorance selon les besoins de son évolution (Hermès est muni de sa baguette « au moyen de laquelle il charme et ferme à son gré les yeux des mortels ou réveillent ceux qui dorment »). Ici, il effectue le rapprochement des deux voies qui vont permettre l’intégration du passé, et le chercheur finit par comprendre qu’il a accédé, temporairement du moins, à ce niveau (Hermès se fit reconnaître).

Le chercheur engagé dans le nouveau yoga s’appuie essentiellement sur « la parfaite maîtrise de soi » (Automédon) et sur « une puissante consécration » (Alcime). Il comprend que le supraconscient lui demande de reconnaître la nécessité du chemin parcouru. Il se remémore alors une épreuve très douloureuse du chemin qu’il accepta cependant sans broncher (Achille rappelle l’histoire de Niobé, fille de Tantale et donc sœur de Pélops, qui accepta de se nourrir dès que ses enfants furent mis en terre par les dieux).
Puis il reconnaît avec humilité et gratitude l’utilité et la vérité des deux voies, celle de l’ascension et celle qui vise la libération de la nature extérieure jusque dans ses couches profondes (Achille et Priam se contemplèrent mutuellement avec respect et admiration). Il prend en compte la nécessite d’un temps d’intégration (une trêve de onze jours est décidée).

Toutefois, le supraconscient surmental craint encore que « le mouvement qui aspire encore fortement à une amélioration de l’homme » (Agamemnon) ne perturbe le bon déroulement du processus en cours. Aussi prend-il soin de bien délimiter les deux voies avant le renversement final (Hermès fait en sorte que Priam rentre sain et sauf en son palais).
L’intuition qui a été développée dans la voie de l’ascension – qui travaille à sa défense car elle en connaît l’évolution future, mais dont la voix est toujours étouffée – est la première à comprendre que l’intégration de la voie de l’ascension est imminente (Cassandre aperçoit le retour de Priam et du corps d’Hector, tout comme elle sentira plus tard venir la chute de Troie).

Le chercheur comprend que la voie du guerrier de l’ascension qui développe exclusivement la maîtrise est condamnée à terme (Andromaque se lamente sur le sort de son fils Astyanax). Dans le même temps, il admet que « la quête de liberté » a toujours été soutenue par les mouvements directeurs de la voie de l’ascension, même si toutes les pratiques s’en étaient finalement détournées (Hélène exprime la bienveillance d’Hector et de Priam à son égard en dépit de la haine des Troyens).

Puis c’est l’intégration finale du cheminement dans la voie de l’ascension avec la pleine reconnaissance qu’il appartenait à l’évolution selon le plan divin (les cendres d’Hector sont déposées dans un coffret d’or enveloppé de tissus pourpres).

DERNIERS ÉPISODES DE LA GUERRE DE TROIE

Selon ce qui est généralement admis, l’Iliade faisait partie d’un « Cycle épique ». Ce poème aurait été précédé par Les Chants Cypriens qui traitait des origines de la guerre et suivi de L’Éthiopide (la mort d’Achille), de La petite Iliade (le partage des armes d’Achille et l’épisode du Cheval de Troie), du Sac de Troie, des Retours, et enfin de L’Odyssée qui aurait été prolongée par une Télégonie.
Hormis l’Odyssée, il ne reste la plupart du temps de tous ces textes que de brefs résumés tardifs qui nous permettent de comprendre certains épisodes particuliers du chemin qui précèdent ou suivent ce grand mouvement de réorientation du yoga.

Penthésilée

L’Amazone Penthésilée, une fille d’Arès d’origine Thrace, arriva pour lutter aux côtés des Troyens, puis combattit comme les plus braves. (Apollodore ajoute que Penthésilée avait tué involontairement Hippolyte, l’ancienne épouse de Thésée.)
Achille la tua et les Troyens l’enterrèrent.
Puis Achille tua Thersite après que celui-ci l’eut injurié, lui reprochant sa prétendue flamme pour Penthésilée. Une dispute éclata alors entre les Achéens à propos du meurtre de Thersite. Après quoi Achille navigua vers Lesbos puis sacrifia à Léto et ses enfants Apollon et Artémis. Il fut purifié du meurtre par Ulysse.

Penthésilée « est celle qui cherche la libération par la souffrance » (sans doute dans une voie qui considère que cette libération n’est réalisable qu’après la mort). Tout en n’étant pas directement liée à la voie de l’ascension, le chemin qui privilégie ou exalte la souffrance s’en rapproche en ce sens que la divinisation totale de l’homme est reconnue comme impossible dans l’incarnation. La souffrance donnerait d’une manière ou d’une autre des privilèges dans l’au-delà, ou serait « douce » au Divin. La racine de cette attitude repose probablement sur le fait qu’au plus profond de notre être réside selon Sri Aurobindo « un elfe gris amoureux de la douleur et du péché ».
Penthésilée est nommée comme une fille d’Arès car elle représente un mouvement de séparation, la souffrance étant par essence séparation. Cette voie est le plus souvent mise en avant dans les pratiques ascétiques qui se détournent de la vie, rejet qui est caractéristique des Amazones.
Cette voie qui prône ou exalte la souffrance est donc incompatible avec une énergie vitale libre et sans contrainte (c’est pourquoi Penthésilée tua Hippolyte « l’énergie vitale libérée », la femme de Thésée).
Lorsque le chercheur approche du renversement, il doit mettre fin en lui à tout mouvement qui justifie ou alimente d’une manière ou d’une autre la souffrance au plus profond du vital (Achille tua Penthésilée).

Le chercheur doit aussi se défaire de son « mental enflammé » d’autant plus que celui-ci est convaincu que le mouvement de purification dans les profondeurs de la conscience (celui qui se préoccupe de ses infimes mouvements) est indissociable de la souffrance, c’est-à-dire que le chercheur ne peut en faire l’économie (Achille tua Thersite qui lui avait reproché sa prétendue attirance pour Penthésilée). Si la descente dans les profondeurs de la nature apporte, par les confrontations qu’elle suppose, de grandes douleurs, il n’en demeure pas moins qu’à aucun moment le chercheur ne doit la justifier, car, selon Mère, elle constitue « le signe symbolique de la vie dans l’Ignorance ».

Memnon

Memnon, le fils d’Éos, arborant une armure forgée par Héphaïstos, arriva pour assister les Troyens. Puis Thétis évoqua avec son fils Achille l’affrontement à venir avec Memnon. La bataille s’engagea et Antilochos, fils de Nestor, fut tué par Memnon avant que ce dernier ne soit tué lui-même par Achille. Éos obtint alors de Zeus l’immortalité pour son fils. (Il semblerait que certains textes aient mentionné une pesée des âmes d’Achille et de Memnon).

Ce passage exprime un moment critique dans le mouvement de renversement où les choses peuvent basculer d’un côté ou de l’autre.

Dans le mouvement d’ascension, se manifeste un mouvement d’aspiration, issu de « l’aube supramentale » (Memnon « celui qui aspire » est le fils d’Éos qui est la sœur d’Hélios) et s’appuyant sur des formes protectrices élaborées par les forces créatrices du chercheur (Memnon arbore une armure forgée par Héphaïstos).
Selon l’Odyssée, Memnon était « le plus beau de tous ceux qui furent à Troie » plus beau même que Néoptolème. Si l’on excepte les combats postérieurs à la mort d’Hector, Memnon est donc le mouvement « le plus vrai » qui apparut pour soutenir la voie du haut. (Il peut le plus probablement être associé à la « conscience supramentale » qui est à distinguer de la « force supramentale »).
Cette aspiration, qui veut forcer l’avènement du supramental, met fin à l’effort d’attention produit par la recherche d’intégrité. Mais elle est ensuite stoppée par le travail de purification approfondie, car elle est elle aussi du ressort de l’effort, et donc incompatible avec l’état de profonde détente absolument requis dans le nouveau yoga (Memnon est tué par Achille après avoir tué Antiloque).
L’épisode de la pesée des âmes montre que les deux mouvements – celui de purification de la nature extérieure et celui d’aspiration pour la descente du supramental – ont pu avoir la même intensité dans la quête avant le retournement définitif.
Cette aspiration issue de l’aube supramentale est nécessairement non duelle, d’où l’immortalité obtenue par Éos pour son fils.

La mort d’Achille, l’attribution de ses armes et le suicide d’Ajax

Achille fut tué par Pâris et Apollon devant les portes Scées. Puis une farouche bataille s’engagea autour de sa dépouille. Ajax tua Glaucos puis ramena le corps d’Achille jusqu’aux navires tandis qu’un autre achéen emportait ses armes et qu’Ulysse repoussait les Troyens.

Comme on l’a vu, la mort d’Achille est annoncée à plusieurs reprises dans l’Iliade et les sources postérieures confirment qu’Achille fut bien tué par Pâris et Apollon devant les portes Scées. Virgile est le seul à mentionner que Pâris tira la flèche et qu’Apollon la guida.
Aucune source ancienne ne mentionne de blessure à la cheville, laquelle apparut seulement chez Apollodore. Mais considérant le mythe dans lequel sa mère tenta de le rendre invulnérable à sa naissance, de nombreux auteurs ont pu déduire que la cheville d’Achille était le seul endroit vulnérable de son corps. En revanche, aucun auteur grec ancien ne mentionne le célèbre talon.
La mort d’Achille « celui qui accomplit la libération (mentale et vitale) » marque le début d’un tout autre yoga, celui du corps. Mais elle indique aussi une pause dans le processus, car le chercheur n’est pas encore prêt pour ce nouveau yoga.
En effet, il doit renoncer à se maintenir dans cet état de libéré vivant, à l’attitude d’autorité que confère l’union avec le Divin obtenue à partir de la vision intérieure de la vérité (le saint) et à la sérénité du parfait détachement (le sage), car ces réalisations conduisent au retrait de l’action.
La mort d’Achille qui nécessite l’alliance d’un homme et d’un dieu (Alexandre aidé d’Apollon) marque l’accomplissement de la libération de la Nature, c’est-à-dire « l’égalisation de la nature » qui prépare « l’égalité spirituelle ».
C’est sans doute pour indiquer que la libération n’est pas réalisée sur le plan corporel que la blessure mortelle atteignit le héros à la cheville, à l’articulation entre le vital et le physique. (C’est peut-être aussi ce qu’exprime sa mort devant les portes Scées « celles situées à gauche » : si la gauche peut être associée à la séparation, le héros n’aurait pas alors réalisé la totale unité.)
Le nouveau yoga de la purification des profondeurs traversera dans ses débuts plusieurs phases car le fils d’Achille, Néoptolème « les nouveaux combats », s’unira tout d’abord à Andromaque « le yoga actif du guerrier », la veuve d’Hector, avant d’épouser Hermione, symbole d’évolution dans le surmental.

Thétis, les Néréides et les neuf Muses arrivèrent pour les funérailles d’Achille.
Certains disent que Thétis retira soudainement son fils du bûcher funéraire et le transporta dans l’Île Blanche. Pour d’autres, les restes du héros furent placés dans une jarre d’or à côté de celles de Patrocle. Quand les Achéens eurent élevé le monticule funéraire, ils organisèrent des jeux funèbres.
Ulysse et Ajax se disputèrent alors les armes d’Achille. Ulysse fut vainqueur et Ajax se suicida. (Selon certains, comme ce dernier voulait se venger des chefs achéens, Athéna le rendit fou, et croyant s’attaquer à eux, il massacra des troupeaux. Ayant repris ses esprits, il se suicida en se jetant sur son épée.)

La présence des Néréides et des Muses aux funérailles d’Achille montre que le chercheur expérimente alors à la fois la proximité des processus archaïques de la conscience mais aussi celle des harmonies spirituelles les plus élevées. Les Muses sont en effet filles de la Titanide Mnémosyne et de Zeus, les plus hautes expressions de l’harmonie à la source de la création dont l’homme puisse être conscient.

Dans la dispute autour des armes d’Achille, les moyens pratiques que le chercheur a mis en œuvre dans le yoga de la purification du vital profond – par l’observation des mouvements infimes de la conscience – et qui ne sont plus utiles au basculement, sont récupérés par le mouvement qui travaille à la réunification des courants reliant l’esprit et la matière (Ulysse, Odysseus Δ+ΣΣ), au détriment de celui de l’élargissement de la conscience dans l’incarnation (Ajax, fils de Télamon). C’est-à-dire que les moyens utilisés précédemment dans le yoga des profondeurs sont réorientés vers un yoga d’unification et de transparence.
En fait, Ajax et Achille – des cousins germains – représentent les deux mouvements qui ont permis de mener à bien le processus de purification-libération (dans la lignée d’Océanos) qui conduit à la psychisation de l’être dont le signe est l’égalité. Lorsque le processus est bien engagé, « la descente » des forces supérieures peut intervenir.
Comme le travail sur le plan vital est terminé, l’élargissement de la conscience dans l’incarnation dont Ajax est le symbole peut prendre fin. Il servira cependant de protection dans les phases ultérieures du yoga : Ajax eut en effet un fils, Eurysakès « large bouclier ».
Le suicide, rare dans la mythologie, indique une action consciente et volontaire pour mettre fin à un mouvement de façon anticipée. Ici, le chercheur renonce à la réalisation du « libéré vivant » et aux pouvoirs liés à cet état.
Dans la représentation populaire, les actes peu compréhensibles par la raison étaient souvent justifiés par une folie de ce genre – ici celle que causa Athéna – comme celle d’Héraclès qui tua les enfants qu’il eut de Mégara.
(Notons que Pindare qui proclame que « les Achéens furent aveugles quand ils placèrent Ulysse au-dessus d’Ajax » ne pouvait admettre que le travail de transparence prime sur l’élargissement de la conscience.)

Le retour de Philoctète à Troie et la mort de Pâris-Alexandre

Nous avons laissé Philoctète « la volonté de réalisation » sur l’île de Lemnos avec une blessure inguérissable due à la morsure d’un serpent lors du départ de la flotte vers Troie. En possession de l’arc d’Héraclès, il est le symbole de la volonté de réalisation dans l’accomplissement du processus de purification-libération.

Selon une prophétie de Calchas (ou d’Hélénos, un fils de Priam qui avait été fait prisonnier par Ulysse), Troie ne pouvait être prise sans l’arc d’Héraclès. Diomède (accompagné, selon les Tragiques, d’Ulysse et parfois de Néoptolème) prit donc la mer pour ramener Philoctète. À son arrivée à Troie, Philoctète fut guéri par Machaon (ou Podaleirios) puis tua Paris lors d’un combat singulier.

Certains auteurs mentionnent ici l’intervention d’une première épouse de Pâris nommée Oinoné. Au moment de l’enlèvement d’Hélène, ses dons de prophétie lui auraient permis d’avertir Pâris des conséquences de son acte et d’une blessure à venir qu’elle seule pourrait guérir. Aussi, lorsqu’il fut blessé, il lui envoya un messager pour l’en prévenir, mais elle ne vint pas et il mourut.

Le chercheur perçoit que « la connaissance du nouveau but de yoga » est indispensable à la destruction des anciennes structures de yoga (l’arc d’Héraclès est nécessaire pour la prise de Troie). Cette intuition provient soit de l’ascension dans le mental lorsqu’il s’agit d’une prophétie du devin Hélénos « le travail d’évolution de la liberté », soit du processus de purification si c’est une révélation de Calchas « le pourpre », le pouvoir dans le vital.
Aussi « la volonté de réalisation » (Philoctète), dans sa compréhension théorique du but futur, doit-elle être présente sur le champ de bataille. Ce sont « ce qui a le dessein de la perfection divine » (Diomède), « celui qui travaille à unir en lui les deux courants d’énergie opposés » (Ulysse) et « les nouveaux combats » (Néoptolème) qui réintroduisent le but qui est « redéfini » par « le combat spirituel » lui-même (Philoctète est guéri par Machaon) ou par « ce qui travaille à rendre pure l’incarnation » (Podaleirios).
Cette nouvelle orientation met fin à tous les yogas qui refusaient la divinisation de l’homme, l’union de l’esprit et de la matière (Philoctète tue Pâris-Alexandre).

La poursuite de l’extase avait été abandonnée par le chercheur lorsqu’il avait fait de la quête de la Vérité évolutive son but principal (Pâris avait abandonné Oinoné « l’évolution de l’ivresse » pour Hélène). Bien que le chercheur ait eu conscience que seule la joie pouvait le maintenir dans un état d’égalité alors qu’il persistait dans un rejet de la matière, il refuse de recourir à ce procédé (Oinoné avait prévenu que seule elle pouvait guérir Pâris-Alexandre, mais ne le fit pas lorsque la blessure se produit).

Les conditions de la chute de Troie

Après la mort de Pâris-Alexandre, Hélénos et Déiphobe se disputèrent la main d’Hélène. Déiphobe l’emporta, ou, selon certains, ce fut Priam qui lui accorda la main d’Hélène.
Hélénos se réfugia alors sur l’Ida où Ulysse le captura, car ce prince troyen connaissait les secrets qui rendraient possible la prise de la ville :
les os de Pélops devaient être amenés sur le site.
Néoptolème, fils d’Achille, devait combattre aux côtés des Achéens.
le Palladion (la statue à l’effigie de Pallas, l’amie d’enfance d’Athéna malencontreusement tuée par la déesse lors de leurs jeux) devait être sorti de l’enceinte de la ville.
Les Achéens envoyèrent donc chercher les os de Pélops.
Puis, afin de persuader Néoptolème de partir à la guerre, Ulysse accompagné de Phénix se rendit à Skyros auprès de Lycomède, son grand-père maternel. Néoptolème reçut des mains d’Ulysse les armes de son père Achille et tua Eurypylos qui était d’une grande beauté seulement surpassée par celle de Memnon. (Ce dernier, fils de Télèphe, était venu au secours des Troyens avec des troupes nombreuses.)
Puis Ulysse accompagné de Diomède, qui resta aux portes de la ville, se rendit dans Troie incognito, déguisé en mendiant et grimé. Seule Hélène le reconnut. Heureuse de retrouver bientôt son premier mari Ménélas, elle lui apporta son aide pour s’emparer du Palladion.

Le chercheur est encore dans la phase intermédiaire du basculement dans laquelle le chemin futur ne se dessine pas encore. C’est pourquoi, avant qu’Hélène ne rejoigne Ménélas, les traditions lui donnent un autre mari. Parmi deux grandes directions de travail qui ont présidé aux réalisations de l’union en l’esprit, c’est celui de « la cessation de toute peur » qui l’emporta (Déiphobos « celui qui tue la peur ») devant celui de « la poursuite de la libération en l’esprit » (Hélénos).
Ce qui est le plus « libre en l’esprit » (Hélénos, prince troyen fils de Priam) se réfugie alors spontanément dans les hautes régions de l’unité avec le Divin (l’Ida) d’où la quête du chemin futur le fait redescendre pour l’obliger à fournir les clefs finales du basculement, car seule la plus haute réalisation dans la libération en l’esprit connaît les obstacles au renversement du yoga (sur l’Ida, Ulysse captura Hélénos qui seul connaissait les secrets de la chute de Troie).

Comme première condition, les os de Pélops, fils de Tantale, devaient être ramenés : le chercheur doit retrouver « les fondements de l’aspiration (sa structure essentielle) » qui cherchaient la maîtrise du vital par la « vision » (de l’ombre) (les os de Pélops, marié à Hippodamie).

La seconde condition, c’est d’intégrer dans le yoga « les nouveaux combats » qui se préoccupent des infimes mouvements dans les archaïsmes de la conscience vitale : les habitudes d’être, les moindres sensations, les façons de penser, de réagir, au-delà de l’état d’égalité (Néoptolème, fils d’Achille, roi des Myrmidons, doit venir combattre à Troie). C’était Lycomède « celui qui s’occupe de la lumière naissante » qui veillait jusqu’alors au développement de ces « nouveaux combats ».
Ce sont « le travail d’union des courants opposés » et « le pouvoir dans le vital » qui font la liaison avec ces premiers combats du nouveau yoga (Ulysse et Phénix sont allés chercher Lycomède).
Le chercheur récupère les outils nécessaires au futur yoga, puis il referme la porte ouverte sur les lumières lointaines des mondes de l’esprit (Néoptolème reçut d’Ulysse les armes de son père et tua Eurypylos « une vaste porte », fils de Télèphe « ce qui brille au loin », lui-même fils d’Héraclès et Augé). Ces vastes horizons lumineux sont à ce moment du yoga ce qu’il y a de plus vrai dans la conscience du chercheur, juste après l’aspiration au Nouveau issue de la conscience supramentale (Eurypylos était d’une grande beauté juste dépassée par celle de Memnon, fils d’Éos). Ils étaient venus naturellement supporter le mouvement d’ascension (Eurypylos était venu au secours des Troyens avec des troupes nombreuses).

Enfin, l’effigie de « la paix obtenue par la double libération mentale et vitale », qui matérialisait l’objectif de l’ascension, ne doit plus désormais servir de prétexte au refus de la matière : le Palladion (Π+ΛΛ+ΔΙ) doit être enlevé de Troie.
C’est « le travail d’union des courants opposés », résultat de l’endurance, de l’humilité et du parfait discernement (Ulysse, fils d’Arcisios et d’Anticlée, petite-fille d’Hermès) qui réalise cette action. Elle est faite à l’insu de ce qui défend encore les structures des anciens yogas et par une humble « infiltration » (Ulysse se rendit dans Troie incognito déguisé en mendiant et grimé). Autrement dit, le changement d’objectif doit se faire dans la douceur et avec extrême humilité, la « libération » n’étant jamais acquise avec certitude. Seul le chemin de « liberté » peut juger de l’avancement exact et apporter son aide (seule Hélène le reconnut et apporte son aide).

La chute de Troie

La situation des Troyens était désespérée. Athéna suggéra à l’architecte Épéios l’idée de la construction d’un cheval en bois, le Cheval de Troie, Ulysse conservant la direction des opérations. Le bois fut coupé sur l’Ida et assemblé pour faire un cheval creux à l’intérieur duquel cinquante preux s’installèrent. Sur ses flancs était gravé un texte l’offrant à Athéna. Puis les Achéens mirent le feu à leur camp et prirent la mer vers une île voisine. Ils devaient revenir le lendemain dans la nuit guidés par un feu que devait allumer Sinon.
Lorsque le jour se leva, les Troyens crurent que les Achéens avaient pris la fuite. Ils tirèrent le cheval à l’intérieur des remparts et délibérèrent pour savoir qu’en faire. Cassandre, appuyée par le devin Laocoon, affirmait qu’il contenait des soldats. Certains la crurent et voulurent brûler le cheval mais la majorité n’accorda pas d’attention à ses dires car ils respectaient l’offrande faite aux dieux. Ils tirèrent le cheval dans la ville puis tandis qu’ils festoyaient, Apollon leur envoya un signe : deux serpents venus des îles voisines traversèrent la mer à la nage et dévorèrent les fils de Laocoon.
Hélène vint alors faire le tour du cheval en appelant les soldats qui étaient à l’intérieur par leur nom, imitant la voix de l’épouse de chacun d’eux. Les héros ne tombèrent pas dans le piège sauf Anticlos qu’Ulysse dut bâillonner.

Même une fois les conditions de la chute de Troie remplies, il n’en reste pas moins que le chercheur doit une fois de plus ruser envers lui-même pour basculer définitivement dans le nouveau yoga. Ce doit être, comme précédemment avec le Palladion, par un procédé d’infiltration. Pour détruire les structures anciennes et ce qui les anime, le chercheur doit pénétrer à l’intérieur sous l’apparence d’une force (ou pouvoir) qui leur est coutumière, qu’elles respectent et convoitent : le nouveau yoga doit en effet s’infiltrer progressivement dans l’ancien pour éviter toute fermeture de l’être. Le processus implique de leurrer une partie de soi-même en lui fournissant ce à quoi elle est habituée et aspire, mais dont la teneur est modifiée en direction du nouveau yoga (Ulysse doit faire pénétrer à l’intérieur de la ville le cheval de bois rempli de soldats). De plus, la mutation doit se faire non par un affrontement direct mais dans la « détente » apportée par une distanciation provisoire qui supprime toute tension et permet la victoire ultérieure (les Achéens simulent une fuite).
Ces ruses sont nécessaires pour transformer des processus peu élaborés dans le vital profond et dans le corps sur lesquels le mental n’a pas de prise. C’est le genre de procédé qui sera employé par Mère pour changer le mental des cellules : la modification du contenu de ce qu’elles répètent en boucle inlassablement.

La voie ancienne et la nouvelle étant toutes deux d’accord pour mettre le pouvoir vital ou la force au service du yoga, le symbole est naturellement intégrable par les Troyens.

« Ce qui voit depuis le plus haut plan » dans le mouvement qui repousse l’homme (Cassandre, aussi appelée Alexandra « celle qui repousse l’homme » par Homère) perçoit la « ruse » et cette impression est confirmée par « ce qui a la perception des énergies » (le devin Laocoon). Mais l’ancien yoga n’y prête pas attention, tourné vers sa consécration habituelle (la majorité des Troyens en effet respectaient l’offrande faite aux dieux), malgré un signe qui se manifeste par la brusque disparition de certaines perceptions préalablement acquises (deux serpents dévorèrent les fils de Laocoon).
A la fois les perceptions les plus hautes gagnées dans le processus de l’ascension, ainsi que celles qui proviennent d’une purification du vital, sont des obstacles au renversement si le chercheur leur prête attention.

Mais il y a un autre risque d’échec qui survient au dernier moment. L’aspiration à « l’évolution vers plus de liberté » manque de faire échouer le processus en prenant l’apparence des objectifs de chacune des forces mobilisées pour le renversement. C’est un moment d’incertitude quant à la direction du chemin dans lequel le chercheur, poussé par son aspiration à la liberté, doit impérativement réfréner ses frustrations de ne pas voir s’accomplir ce à quoi il a travaillé en différents domaines (les guerriers ne doivent pas répondre à l’appel d’Hélène qui imite la voix de leurs épouses). Comme il s’agit du passage du yoga personnel au yoga pour l’humanité, peut-être faut-il voir aussi dans ce mythe le renoncement définitif à tout but personnel, aussi consacré puisse-t-il être.

Anticlos, celui qui dut être bâillonné par Ulysse, peut représenter, selon le sens donné au préfixe « anti », deux obstacles qui peuvent tout remettre en question si un juste équilibre des énergies ne s’y opposait : soit un excès « d’humilité » qui serait contraire au vrai don de soi, soit un reste d’attrait pour « la gloire personnelle » qui à ce stade est peut-être seulement une infime trace d’un sentiment de responsabilité personnelle dans la réussite de la transition du yoga.

Quand les Achéens pensèrent l’ennemi endormi, ils sortirent du cheval puis ouvrirent les portes de la ville aux troupes achéennes qui se livrèrent à un grand massacre.
Axion, fils de Priam, fut tué par Eurypylos.
Agénor, Éionée et Priam furent tués par Néoptolème qui tua également Astyanax, le fils d’Hector, en le jetant du haut d’une tour. (Dans une variante, Astyanax fut tué par Ulysse.)
Déiphobe, le dernier mari d’Hélène, fut tué par Ménélas qui la reprit avec lui.
Koroibos, fils de Mygdon et fiancé à Cassandre, fut tué par Diomède ou Néoptolème.

Le « petit » Ajax, fils d’Oilée, poursuivit Cassandre qui s’était réfugiée près de l’autel de la déesse. Comme il voulait l’emmener, elle s’accrocha à la statue d’Athéna qui se renversa. Les Achéens, exaspérés par cette attitude, voulurent le lapider mais ils ne purent le faire car Ajax avait trouvé refuge à son tour auprès d’un autel de la déesse. (Lors des « retours », les Achéens durent encore essuyer une tempête provoquée par les dieux car ils n’avaient pas alors sévi contre le « petit » Ajax.)

Ulysse et Ménélas s’interposèrent pour sauver Glaucos, fils d’Anténor et de Théano.
Hélicaon, un autre fils d’Anténor, fut sauvé par Ulysse. Sa femme Laodice (Laodiké), la plus belle des filles de Priam, fut engloutie par la terre. Selon Lycophron, elle descendit vivante dans l’Hadès.
Ceux qui voulurent s’en prendre à Hélène – et parmi ceux-ci Ménélas qui voulait la tuer avec son épée – laissèrent tomber leurs armes quand ils la virent.

Le moment final de la bascule se fait alors que la conscience libérée en l’esprit est « endormie », lors d’un relâchement de la vigilance (les Troyens sont endormis lorsque les guerriers sortent du cheval).
Plusieurs blocages prennent fin :
Tout d’abord, l’idée que la progression évolutive se fait au « mérite » est annihilée par une vaste ouverture : Axion « celui qui est méritant » fut tué par Eurypylos « aux vastes portes ». Plusieurs héros portent ce dernier nom parmi lesquels un Troyen, fils de Télèphe, que nous avons rencontré plus haut. Ici il s’agit d’un Achéen, fils d’Evaémon « de bonne race » dont la généalogie semble remonter à Hélios, symbole du supramental qui effectivement ne semble pas « agir » selon les « mérites » ou les « réalisations ».)
« Les nouveaux combats » du yoga (Néoptolème) mettent fin d’une part à ce qui conduisait précédemment le yoga (Agénor) et plus particulièrement à l’évolution de la conscience dans la logique troyenne (Éionée), d’autre part à la poursuite de la voie dans les hauteurs de la conscience (Priam) et à ce qui travaillait à la « maîtrise », laquelle peut être considérée comme terminée (Astyanax « le maître de la ville », fils d’Hector).
L’humilité et la volonté inébranlable achèvent le processus de destruction de la peur (Ménélas tue Déiphobe « celui qui tue la peur »).
Le « dégoût de l’incarnation » qui engage le chercheur dans le sens du refus de l’incarnation, est annulé par « ce qui vise la perfection divine de la nature » ou par « les nouveaux combats de yoga » (Koroibos, fiancé à Cassandre, est tué par Diomède ou Néoptolème).
Le travail de libération de la conscience au niveau de la personnalité (du petit moi) est encore en retard dans le processus évolutif, aussi le chercheur est-il encore séduit à ce niveau par certains « pouvoirs » acquis dans l’ascension et tournés vers « ce qui repousse l’homme » (le petit Ajax poursuit Cassandre-Alexandra). Il a beau vouloir s’attaquer à la racine de l’ego, c’est encore prématuré car le « petit moi » est encore nécessaire pendant un certain temps pour achever la croissance de l’être intérieur (les Achéens voulurent tuer le « petit » Ajax, mais celui-ci se réfugia auprès d’un autel d’Athéna). (Il faudra que le chercheur subisse une grande tempête lors des « retours » avant que l’ego ou le petit moi ne disparaisse définitivement, Poséidon provoquant la mort du petit Ajax.)
Il y a, dans le mouvement d’ascension, « une conscience lumineuse » qui a été générée par le mouvement évolutif qui recherchait la croissance intérieure (Glaucos, fils d’Anténor et Théano). Logiquement, elle ne doit pas disparaître et c’est pourquoi le troyen Glaucos « brillant » est sauvé par Ulysse et Ménélas. (C’est pour cette même raison qu’Anténor était intervenu en faveur d’Ulysse et Ménélas lors de l’ambassade à Troie pour demander la restitution d’Hélène.)
Un autre fils d’Anténor et Théano (et donc issu lui aussi « d’un mouvement évolutif qui cherche l’évolution intérieure » dans la voie de l’ascension) nommé Hélicaon « celui qui travaille en spirale », fut également épargné. Le yoga est en effet un travail d’ascension et d’intégration qui évolue en spirale sur des plans de conscience à la fois de plus en plus élevés et de plus en plus matériels : des victoires de nature semblable doivent donc être remportées dans le mental, puis dans le vital et enfin dans le corps. (Par exemple, « l’attachement » doit être vaincu sur le plan des idées, puis celui des affects et enfin celui des habitudes corporelles.) C’est pour cela que nombre d’expériences relatées par Apollonios dans son récit de la quête de la Toison d’Or et se situant donc autour de la première grande ouverture ou illumination, ressemblent étonnamment à celles décrites par Homère dans l’Odyssée. Toutefois, les expériences sont de plus en plus difficiles au fur et à mesure qu’elles concernent des plans toujours plus profonds.
Le but poursuivi dans ce mouvement spiralé – « une volonté juste » ou « une vision juste » ou encore « une juste manière d’agir dans toutes les parties de l’être » (Laodicé, femme d’Hélicaon) – était celui qui était le plus en accord avec la Vérité du chemin évolutif dans cette voie d’union en l’esprit qui rejetait la matière (Laodicé est la plus belle des filles de Priam). Mais ce but doit désormais concerner le corps au lieu de se maintenir dans l’esprit (elle fut engloutie par la terre et descendit vivante dans l’Hadès).
Lorsque, dans son aspiration à la libération totale, le chercheur comprend ce qu’est en vérité « la liberté dans l’évolution », il ne peut plus avoir aucune récrimination contre les erreurs passées ou qui lui semblent telles (les Achéens qui voulurent s’en prendre à Hélène laissèrent tomber leurs armes quand ils la virent).

Notons que les représentations figurées de la prise de Troie font souvent apparaître le meurtre d’enfants, ce qui n’a cessé d’étonner les commentateurs mais se justifie dans le cadre de notre interprétation : le chercheur doit en effet éliminer en lui tout ce qui est encore peu développé mais concerne le rejet de la matière ou d’une manière plus générale tout mouvement de « séparation ».

Il n’y a pas de sources très anciennes concernant la fin d’Hécube. Euripide est le premier à raconter qu’elle monta au sommet du mât d’un navire où elle fut transformée en chienne. Sous réserves des précautions qui doivent être prises avec cet auteur, « la fuite dans l’esprit » (Hécube) servirait donc uniquement dans la suite du yoga à une attention intuitive aux ordres du ciel (chienne positionnée à la place du guetteur en haut du mât).

Les fils de Thésée, Démophon et Acamas, qui ne s’étaient pas engagés dans la guerre, vinrent à Troie pour ramener leur grand-mère Aéthra, épouse d’Égée, qui était alors esclave d’Hélène. (Rappelons qu’Aéthra avait été faite prisonnière par Castor et Pollux qui étaient venus rechercher Hélène enlevée par Thésée, puis donnée comme esclave à cette dernière. Elle avait ensuite accompagné Hélène à Troie lorsque celle-ci s’enfuit avec Pâris-Alexandre).

Cette histoire qui figurait dans les textes archaïques a pour fonction, semble-t-il, de relier la lignée des rois légendaires d’Athènes à la guerre de Troie. Acamas « l’infatigable » et Démophon « une pénétration de la conscience dans de nombreuses parties de l’être » (fils de Thésée « la conscience humaine qui se tourne vers l’intérieur » et de Phèdre « la lumineuse », fille de Minos) doivent en effet participer au nouveau yoga dans le processus de croissance de l’être intérieur (ce sont des rois d’Athènes).
Alors que le chercheur renonce à poursuivre dans la voie de l’ascension, il veut récupérer pour le nouveau yoga la « lumière » obtenue autrefois par l’aspiration (Aéthra est la petite fille de Pélops et d’Hippodamie) qui lui a permis de venir à bout de toutes les obstructions à la croissance de l’être intérieur et de faire venir au premier plan l’être psychique (leur père est Thésée, le vainqueur du Minotaure). Cette « lumière-connaissance » avait été mise de force  au service de la quête de liberté alors tournée vers l’esprit dans le refus de la matière (Aéthra fut donnée comme esclave à Hélène qui partit pour Troie) (cf. Chap. 1).
La réorientation du yoga vers la purification approfondie à laquelle vont coopérer les rois d’Athènes peut alors profiter de l’ancienne connaissance.

Enfin, selon Apollodore, Polyxène, l’une des filles de Priam, soit fut blessée par Ulysse et Diomède et mourut des suites de ses blessures, soit eut la gorge tranchée sur la tombe d’Achille par Néoptolème (d’autres disent que ce furent les chefs achéens à l’instigation d’Ulysse qui procédèrent au sacrifice).

Il existe un Polyxènos « de nombreuses choses étranges, différentes » parmi les chefs achéens qui est selon Homère « semblable à un dieu ». Il s’agirait alors des expériences ou capacités hors du commun qui aident au renversement du yoga.
En revanche, la quête d’expériences ou de pouvoirs inhabituels, qui était l’un des objectifs du yoga troyen, ne doit plus être un but du nouveau yoga dès la fin du travail de renversement (Polyxène doit mourir).

La fuite d’Énée

La fuite d’Énée est décrite de diverses façons selon les auteurs. Soit il aurait quitté Troie à la suite du mauvais présage que constituait la mort de Laocoon et de son fils, soit les Achéens lui auraient permis de s’enfuir durant le sac de Troie en raison de sa grande piété. Nous traiterons cette partie de son histoire dans le chapitre consacré aux « Retours ». Car si Énée doit survivre et fonder la Troie future, c’est que l’Amour est plus puissant que le pouvoir de purification car il n’a pas besoin de dissoudre pour transformer : selon Homère, « il doit échapper au massacre pour empêcher que, faute de semence, ne périsse la race de Dardanos que le fils de Cronos a aimée plus que tous les enfants issus de lui et de mortelle ».